Médecine
& enfance
janvier-février 2013
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Le diagnostic reste difficile, car la pa-
thologie traumatique très voyante est
rare ; les signes de carences éducatives
ou de soins sont beaucoup plus fré-
quents, mais plus difficiles à remarquer.
Les signes qui doivent alerter sont rare-
ment isolés, il s’agit plutôt d’un faisceau
de symptômes. Il est un point capital à
ne jamais oublier : tous les milieux sont
concernés.
EXEMPLES CLINIQUES
1. Vous voyez Mathieu, d’âge scolaire,
pour un traumatisme a priori banal,
mais, à la vue du carnet de santé, il y a
manifestement répétition des trauma-
tismes. Pourquoi ? Interrogés, les pa-
rents banalisent : « il est très actif ».
2. Agathe, six mois, qui ne se déplace
pas seule, vous est amenée pour des hé-
matomes, car elle se serait « cognée
dans son berceau ». Une fois éliminés
les troubles de la coagulation, quelle est
la cause de ce traumatisme « non acci-
dentel » ? Ce serait encore plus inquié-
tant s’il s’agissait d’une fracture.
3. Antoine consulte après une « chute
de vélo ». Certes ses genoux sont égrati-
gnés, mais en le déshabillant vous aper-
cevez de grandes traces rouges li-
néaires dans son dos. Ces lésions sont-
elles compatibles avec le traumatisme
allégué ?
4. Vous voyez Kevin, sept ans, pour dif-
ficultés scolaires. Vous remarquez tout
de suite son inhibition et les remarques
de ses parents : « il est nul, il ne veut pas
travailler, pourtant nous le faisons tra-
vailler une heure chaque soir après
l’école, mais c’est un bon à rien… ».
5. Vous faites hospitaliser Emma, deux
ans, pour le bilan d’une stagnation sta-
turo-pondérale. Non seulement le bilan
est normal en dehors de quelques
signes carentiels, mais elle se met à
« dévorer », et sa courbe de croissance
est rapidement ascendante. N’est-on
pas devant une forme de « nanisme psy-
chosocial » ?
6. Vous connaissez bien Julie, dix ans.
Sa mère vous l’amène, car « sa fille a
beaucoup changé et ne veut plus aller
chez ses cousins, or elle devait y retour-
ner en vacances dans trois jours ». Vous
la voyez un temps seule, et elle finit par
vous dire que son cousin de quinze ans,
qu’elle aimait et admirait beaucoup, l’a
emmenée dans le fond du jardin… mais
que c’est un secret… il lui a fait pro-
mettre de ne rien dire… et elle se met à
fondre en larmes. Vous ne saurez rien
de plus.
REPÉRER LES FACTEURS
DE VULNÉRABILITÉ
Un certain nombre de facteurs de vulné-
rabilité, de « clignotants », ont été iden-
tifiés et peuvent alerter. Leur repérage
permet de mettre en œuvre une straté-
gie de prévention.
Facteurs de vulnérabilité liés à l’enfant :
un enfant, plus exposé, peut être dési-
gné « comme enfant cible » : les enfants
les plus à risque sont les enfants préma-
turés et/ou séparés de leur mère en pé-
riode néonatale ou de retour après un
placement, les enfants non désirés, les
enfants porteurs de handicap ou de ma-
ladie chronique.
Facteurs de vulnérabilité liés à l’environ-
nement : les caractéristiques les plus
marquantes sont la solitude, l’absence
de communication, les difficultés d’in-
sertion dans la vie économique, sociale
et culturelle, renforcées par le chômage,
les difficultés de logement (logement
indigne, voire familles hébergées à l’hô-
tel ou même SDF).
Facteurs de vulnérabilité liés aux parents :
ils sont parfois au premier plan, par
exemple dans les cas de grossesses non
déclarées, non ou mal surveillées, voire
déniées, ou de pathologie mentale pa-
rentale évidente. Mais ils sont très sou-
vent cachés, qu’il s’agisse d’alcoolisme,
de toxicomanie, de maladies mentales
ou psychoaffectives, de personnalités
fragiles, carencées, dépressives, de vio-
lences conjugales, de séparations
conflictuelles ou de conflits de couple
massifs.
Les antécédents de maltraitance subie
par les parents durant leur enfance sont
souvent retrouvés a posteriori ; ils peu-
vent avoir des conséquences positives
ou négatives sur leurs capacités paren-
tales.
Devant ces situations à risque, il y a
possibilité de prévention. Parfois le re-
pérage de « clignotants » dès la grosses-
se, notamment lors de l’entretien du
quatrième mois, permet de proposer
des aides à la famille. Le personnel soi-
gnant a un rôle notable de détection
des situations à risque, car il est impor-
tant d’accompagner ensuite le retour à
la maison.
SIGNES ÉVOQUANT
UNE MALTRAITANCE PHYSIQUE
Les lésions traumatiques peuvent être
très variées : hématomes, ecchymoses,
plaies, entorses, fractures…
Attention à la répétition dans le temps
de faits considérés comme mineurs,
d’où la nécessité de remplir le carnet de
santé pour suivre le parcours de l’enfant
(cf. exemple 1).
Certains signes inquiètent en présence
d’un tout-petit :
첸
le bébé pleure beaucoup, il est tendu,
il vomit sans arrêt…
첸
la mère paraît épuisée ou déprimée,
elle pleure…
첸
la mère porte très mal son bébé, com-
me s’il allait tomber…
첸
les parents manquent les rendez-vous
de visite à domicile ou de consulta-
tion…
첸
les parents tiennent des propos in-
quiétants : « Mon bébé est méchant »,
« Il me regarde mal », « Pour l’endormir,
je suis obligé(e) de le secouer »…
Attention aux traumatismes chez un bé-
bé : un bébé qui ne se déplace pas ne
peut pas se faire tout seul un hématome,
a fortiori une fracture (cf. exemple 2).
Cela peut aller jusqu’au syndrome du
« bébé secoué »*.
Attention aux traumatismes sans cause
claire, aux lésions sans cohérence avec
le traumatisme allégué du fait de leur
importance ou de leur nature (cf.
exemple 3). On parlera alors de « trau-
matisme non accidentel ».
LA MALTRAITANCE
PSYCHOLOGIQUE
La maltraitance psychologique est
* Cf. sur le site de la Haute Autorité de santé les recommandations
de bonnes pratiques en matière de syndrome du bébé secoué
(mai 2011).
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