REMERCIEMENTS Je souhaite remercier tout d’abord mon Directeur de Mémoire, Bruno Godey, pour sa confiance en mon travail, et pour ses conseils et son écoute, dès les prémices de cette étude. Je souhaite aussi remercier vivement toutes les personnes qui m’ont accordée du temps pour répondre aux entretiens ayant servi à mener l’étude qualitative de ce mémoire. Tous, à la fin des interviews, se sont intéressés au sujet, ont été curieux de comprendre quels étaient les objectifs que je tentais d’atteindre. Un merci tout particulier à Milena, à qui je racontais mes nombreuses découvertes, au fur et à mesure des interviews réalisées. Merci à mes parents, à mon frère, à mes grands-parents et à Robin pour leurs encouragements, leur intérêt et leur soutien dans la rédaction de tout ce qui va suivre. J’aimerais également remercier les personnes qui s’occupent de la programmation des reportages sur la chaine Arte, car ce sont eux qui m’ont fait découvrir, un peu par hasard, le neuromarketing, mais aussi l’accélération sociale, phénomène sur lequel je me suis appuyée tout au long de la rédaction de ce mémoire. Enfin, un grand merci à tous les amis et copains que j’ai eu la chance de rencontrer à Rouen, dans l’école où je viens d’achever mes études, et où j’ai passé plus de quatre années incroyables. Merci pour ces moments de rire, de fous rires, mais aussi de doutes parfois ; merci pour tous les projets que nous avons menés ensemble, et merci pour votre amitié. 2 EXECUTIVE SUMMARY S’inscrivant comme l’un des tournants majeurs qui marquent le début de ce millénaire, la connaissance de plus en plus approfondie du cerveau humain trouve de nombreux domaines d’applications et génère de nombreuses transformations quant à nos manières de communiquer, d’éduquer, de consommer, et plus généralement, de vivre. Parmi ces domaines d’applications, il y a celui du marketing, et la nouvelle discipline qui puise ses sources dans les neurosciences : le neuromarketing, cité pour la première fois au début des années 2000. Une science encore très jeune, parfois vivement critiquée et qui peut poser certains problèmes éthiques. En effet, dans quelle mesure l’utilisation de la connaissance du cerveau humain, dans le but d’analyser les besoins des consommateurs pour leur offrir produits et services adéquats, peutelle être considérée comme de la manipulation ? Finalement, peut-on se demander si le neuromarketing n’est-il pas né en même temps que le marketing lui-même, dans la mesure où le marketing s’est toujours appuyé sur les comportements et les décisions du consommateur, orchestrés par son activité neurologique ? Cette étude a pour but de montrer, au-delà de la question éthique que pose le neuromarketing, comment l’exploitation des neurosciences en marketing permet d’utiliser l’intelligence émotionnelle du consommateur, et de répondre aux attentes actuelles de ce dernier. En effet, dans un contexte d’accélération sociale, ces attentes sont en constante évolution, alors comment les entreprises, et surtout les marques, peuvent-elles y répondre ? Ce mémoire a donc pour objectifs de donner une approche théorique large du neuromarketing et de souligner sa principale raison d’être : rendre une marque essentielle aux yeux du consommateur, tout en répondant à des besoins dont lui-même n’a pas toujours conscience. Cette étude va être développée autour de trois grandes parties, qui suivent un cheminement logique, celui de montrer comment les neurosciences ont révolutionné la relation entre la marque et ses consommateurs, et comment elles n’ont pas fini de la révolutionner. 3 INTRODUCTION PARTIE I – LE NEUROMARKETING ET L’EMOTION EN COMMUNICATION ......... 8 A – Le neuromarketing : une discipline récente et controversée .............................................. 8 1) a) b) Définitions et approches de la discipline ............................................................................................... 8 Une approche scientifique du neuromarketing .................................................................................. 9 Les fondements théoriques du neuromarketing ............................................................................... 11 2) Les aspirations et les objectifs du neuromarketing .............................................................................. 13 a) Les attentes actuelles des consommateurs : un chemin logique vers l’utilisation des neurosciences en marketing............................................................................................................................................. 13 b) L’apport des neurosciences aux cinq étapes du processus d’achat .................................................. 15 3) Neuromarketing : outil de manipulation ou instrument de satisfaction ? ............................................ 19 a) Le neuromarketing et ses limites éthiques ....................................................................................... 19 b) Une situation particulière en France ................................................................................................ 21 c) Le neuromarketing et le libre-arbitre du consommateur ................................................................. 21 B – L’intelligence émotionnelle et le neuromarketing ............................................................ 22 1) Définitions et portée dans les disciplines du marketing et de la communication................................. 22 a) Définitions et domaines d’applications majeurs .............................................................................. 22 b) L’intelligence émotionnelle dans les secteurs du marketing et de la communication ..................... 23 2) Intelligence émotionnelle et marketing sensoriel ................................................................................ 24 a) Qu’est ce que le marketing sensoriel ? ............................................................................................ 25 b) Impact du marketing sensoriel sur les émotions et les comportements ........................................... 26 3) Outils de persuasion et intelligence émotionnelle ............................................................................... 27 a) Théories et principaux modèles des voies de persuasion ................................................................ 27 b) Communication basée sur l’émotion et neuromarketing : une approche scientifique pour mesurer ce qui semble subjectif ................................................................................................................................. 28 C – Quand le cerveau tombe amoureux des marques : les “lovebrands” ............................... 30 a) b) Qu’est-ce qu’une lovebrand ? .............................................................................................................. 30 Définitions et exemples ................................................................................................................... 31 Conséquences de l’apparition des lovebrands ................................................................................. 32 a) b) Pourquoi une marque se doit d’être une lovebrand ? ........................................................................... 33 Les bienfaits pour une marque d’être une lovebrand....................................................................... 33 Les apports du neuromarketing dans la construction de la lovemark .............................................. 34 1) 2) PARTIE II – LE NEUROMARKETING ET LES COMMUNAUTES DE MARQUE....... 35 A – Des émotions aux sentiments : l’appartenance à une communauté de marque ................ 36 1) Qu’est-ce qu’une communauté de marque ? ........................................................................................ 36 a) Définitions et exemple : la marque Harley Davidson ...................................................................... 36 b) Les communautés de marque à l’ère du digital ............................................................................... 37 c) Quels avantages compétitifs pour une marque qui a construit sa communauté ? ............................ 39 2) a) b) Communautés de marque et neuromarketing ...................................................................................... 40 Intelligence émotionnelle : le cerveau programmé pour l’empathie ............................................... 41 Besoins inconscients d’appartenance et enjeux sociaux .................................................................. 43 4 B – Communautés de marque ou nouvelles religions ? .......................................................... 44 1) a) b) c) 2) Postmodernité & accélération : le cerveau à la recherche de nouveaux repères .................................. 44 La postmodernité : des consommateurs aux besoins imprévisibles et changeants .......................... 44 Le phénomène d’accélération et l’accroissement du rythme de vie ................................................ 45 Comment le cerveau se crée-t-il de nouveaux repères ?.................................................................. 47 Etude sémiologique de la marque Apple : rituels, croyances et mystères ........................................... 48 a) Comment une lovemark s’est-elle hissée au rang de religion ?....................................................... 48 b) Religiosité de la marque, neuromarketing et consommation ........................................................... 51 3) a) b) Les limites des pouvoirs de la lovebrand ............................................................................................. 52 Les consommateurs sont-ils attachés à la marque… ou à ses produits ? ......................................... 53 La captivité des consommateurs : du brand-lover à « loverdose » .................................................. 55 PARTIE III – ÉTUDE EXPLORATOIRE : IMPACT DE L’ÉMOTION EN PUBLICITÉ, INFLUENCE DE LA COMMUNAUTÉ DE MARQUE ET NEUROMARKETING ......... 56 A - États des lieux et contexte de l’étude exploratoire ............................................................ 56 Situation ............................................................................................................................................... 56 1) 2) a) b) Méthodologie de l’étude exploratoire .................................................................................................. 57 Objectifs de l’étude ......................................................................................................................... 57 Choix de la méthodologie et matériel testé ..................................................................................... 58 B – Les entretiens individuels ................................................................................................ 60 1) Grille d’entretien.................................................................................................................................. 60 2) Description des échantillons ................................................................................................................ 61 C – Résultats de l’étude ......................................................................................................... 62 1) Publicité numéro 1 : l’émotion en communication .............................................................................. 62 a) Perception et compréhension de la publicité ................................................................................... 62 b) Attitude à l’égard de la publicité et de la marque ............................................................................ 64 2) Publicité numéro 2 : l’influence de la communauté de marque ........................................................... 66 a) Perception et compréhension de la publicité ................................................................................... 66 3) La connaissance du neuromarketing et l’attitude à l’égard de cette discipline .................................... 71 4) a) b) La relation aux produits et l’importance que les sondés y accordent (marque Apple et concurrents) . 72 Résultats auprès des Apple addict ................................................................................................... 72 Résultats auprès des anti-Apple ...................................................................................................... 73 PARTIE IV – CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS .......................................... 74 PARTIE V – LIMITES DE L’ETUDE ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE ............ 77 A – Limites de cette étude ...................................................................................................... 77 B – Perspectives de recherche ................................................................................................ 78 PARTIE V – BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................... 80 5 INTRODUCTION « Comme vous pouvez l’imaginer, nos cerveaux sont des experts quand il s’agit de filtrer des informations qui ne sont pas pertinentes. Les émotions, elles, retiennent notre attention par nos sens, qui influencent alors nos prises de décisions. Les marques qui créent une connexion émotionnelle avec le consommateur sont bien plus fortes que celles qui n’en créent pas. C’est aussi simple (et compliqué) que ça. »1 Cette citation, qui pourrait presque s’apparenter à de la philosophie, fait pourtant l’éloge d’une discipline on ne peut plus scientifique : les neurosciences. Et pourtant, elle remet en cause la raison, en soulignant l’importance capitale des émotions, notamment dans le domaine du marketing. Plus précisément, elle parle de la relation qui peut exister entre d’une part les marques, et d’autre part les consommateurs. Une relation qui est de plus en plus complexe. Complexe à construire, à analyser, à comprendre, et surtout, à faire durer. Aujourd’hui, le consommateur a tellement de choix parmi toutes les marques existantes, que celles-ci ne devraient avoir plus qu’un seul objectif en tête : celui de se différencier. Mais les sociétés occidentales sont arrivées à un tel stade de progrès technologique que cet objectif est de plus en difficile à atteindre. Pour être choisies, les marques doivent donc nous toucher. Nous donner de l’émotion. Atteindre notre cœur… et donc notre cerveau. Car finalement, le coup de foudre se passe dans notre boite crânienne. Certes, notre cœur bat plus vite, mais il dépend de notre système neurologique. La lecture de ces premiers paragraphes laisse perplexe ? Moi aussi, la première fois que j’ai entendu qu’une marque et ses produits pouvaient rendre un consommateur amoureux, j’ai été très surprise. Mais lorsque j’ai entendu des gens me raconter qu’ils avaient fait un horrible cauchemar, dans lequel l’écran de leur iMac était cassé, cela m’a semblé un peu plus crédible. Puis, lorsque j’ai vu à la télévision, que des milliers de personnes pouvaient passer la nuit devant une boutique pour se procurer le dernier iPhone dès sa sortie, je n’ai plus eu de doute. 1 Lindstrom, M., Kotler, P. (2010), Brand Sense: Sensory Secrets Behind the Stuff We Buy, Ed. Fresh Press 6 Que se passe-t-il dans la tête de ces individus ? Pour le savoir, il faut apprivoiser le neuromarketing, science qui étudie les processus mentaux et les comportements du consommateur, en analysant… son cerveau. Cela semble assez cohérent, puisque l’émotion est une activité neurophysiologique. D’ailleurs, certaines marques suscitent tellement d’émotions chez les consommateurs, que ces derniers, en accumulant ces émotions, finissent par avoir des sentiments à l’égard de la marque. Celle-ci sera alors hissée au statut de lovebrand, qui peut être considérée comme le stade ultime dans la relation entre le consommateur et la marque : celui de l’amour. Cela nous amène alors à un tout autre domaine, encore très peu utilisé en marketing et en communication : le domaine l’intelligence émotionnelle. En effet, l’intelligence émotionnelle est la capacité à utiliser ses émotions et ses sentiments, ainsi que ceux des autres. Cette forme d’intelligence tient donc une importance capitale dans la relation qu’entretiennent une marque et un consommateur. En étudiant de près ce qu’est une lovebrand, nous allons explorer les interactions existantes entre le neuromarketing et l’intelligence émotionnelle, à travers une question : comment les neurosciences rejoignent-elles le marketing pour répondre aux attentes actuelles des consommateurs ? Deux questions de recherche sous-jacentes nous aideront à y répondre : D’une part, quels sont les apports du neuromarketing à la voie affective de persuasion ? Nous étudierons alors la stimulation des cinq sens, les émotions en communication, et leurs liens avec l’activité cérébrale. D’autre part, comment les neurosciences peuvent-elles aider les marques à créer leurs communautés ? Nous montrerons, en étudiant le cas de la marque Apple, comment une marque est parvenue à se hisser au rang de religion, du moins dans l’esprit des consommateurs. 7 PARTIE I – LE NEUROMARKETING ET L’EMOTION EN COMMUNICATION A – Le neuromarketing : une discipline récente et controversée 1) Définitions et approches de la discipline Qu’est-ce que le neuromarketing ? Ce mot, apparu il y a une quinzaine d’années, n’existe pas encore dans le dictionnaire français. Avant de définir précisément ce qu’est le neuromarketing, il semble essentiel d’expliciter et de comprendre les deux sciences qu’il relie, c’est-à-dire le marketing et les neurosciences. Tout d’abord, le marketing est défini de cette manière dans le dictionnaire Larousse : Ensemble des actions qui ont pour objet de connaître, de prévoir et, éventuellement, de stimuler les besoins des consommateurs à l'égard des biens et des services et d'adapter la production et la commercialisation aux besoins ainsi précisés. Quant aux neurosciences, toujours selon le dictionnaire Larousse, voici en quoi elles consistent : Ensemble des disciplines étudiant le système nerveux. Grossièrement, le neuromarketing, à la conjonction de ces deux définitions, peut donc être explicité comme l’application (ou l’appui) « des disciplines étudiant le système nerveux » aux « actions ayant pour objectif de connaitre, de prévoir et de stimuler les besoins des consommateurs à l’égard des biens et services. » Cependant, l’idée de « système nerveux » en tant que simple système biologique animal semble trop réductrice pour expliciter clairement ce qu’est le neuromarketing. En effet, que fait-on des réactions et désirs inconscients des consommateurs ? Comment les mesurer, les prendre en compte de manière pratique et théorique afin de les intégrer dans le développement des produits, des services, mais également dans le déploiement des autres composantes qui entourent ce que les entreprises nous vendent, c’est-à-dire la publicité, le prix, le point de vente, etc. ? De plus, l’inconscient, bien avant l’apparition des neurosciences et du neuromarketing en tant que disciplines, a toujours joué un rôle extrêmement important dans les besoins et désirs des consommateurs. C’est ce que nous montre Bruno Teboul dans son livre Tout savoir sur L’Absolu Marketing, en exposant la théorie de Jonah Lehrer dans l’ouvrage Proust était un neuroscientifique : « Marcel Proust dans le fameux épisode de la madeleine, établit une 8 connexion entre goût, odorat et mémoire. A son époque, nul ne connaissait le fonctionnement des connexions sensitives dans le cerveau. L’influence de l’odeur sur le comportement s’explique par le fait que l’odorat est le seul de nos cinq sens qui n’accède pas directement à notre conscience. […]Le message olfactif est perçu par notre inconscient. Il […] passe d’abord par le système limbique. Cette partie du cerveau est le siège de nos émotions.2 » Et ce que tentait de décrire Marcel Proust dans son œuvre A la recherche du temps perdu se vérifie aujourd’hui par les études des neuroscientifiques : les sens de l’odorat et du goût sont rattachés à la partie de notre cerveau qui joue un rôle prépondérant dans la mémoire. Nous allons donc étudier ce qu’est le neuromarketing en partant du postulat que les neurosciences (et donc le neuromarketing) ne se limitent pas qu’à l’étude du système nerveux, mais prennent en compte les parties à la fois consciente et inconsciente du cerveau des consommateurs. a) Une approche scientifique du neuromarketing Le neuromarketing s’appuie donc de toute évidence sur la science. Et pour préciser ce qui a été dit jusqu’à présent, c’est la neuroéconomie (branche de recherche économique des neurosciences) qui précède le neuromarketing. La neuroéconomie utilise l’imagerie cérébrale pour comprendre les processus de décisions économiques dans le cerveau (comme par exemple vendre ou acheter des produits financiers), alors que le neuromarketing s’appuie sur les mêmes outils, mais pour découvrir les sensations et les émotions inconscientes du consommateur, lorsqu’il est par exemple face à des outils de persuasion (comme la publicité) ou face à un produit ou service. Ainsi, le concept de « neuromarketing » émerge au début des années 1990, développé par des psychologistes de l’université d’Harvard, et basé sur les travaux du biologiste évolutionniste Richard Dawkins (le Charles Darwin de l’évolution… culturelle). En effet, ce scientifique présente en 1976 le terme mème, défini selon lui comme une « unité d'information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d'une société3 ». Cela signifie que, tout comme les êtres vivants, les cultures évoluent et le mème est l’équivalent du gène en ce qui concerne l’évolution et donc les mutations de ces cultures. Or, le neuromarketing s’appuie sur le 2 Lehrer, J. Dhifallah, H (2011). Proust était un neuroscientifique: ces artistes qui ont devancé les hommes de science, Ed. R. Laffont 3 Dawkins, R. (1978), Le gène égoïste, Ed. Mengès 9 concept du mème, c’est-à-dire sur ce concept d’unités d’information culturelles (comme par exemple une idée, un comportement, une mode) qui se propagent dans une société donnée et qui, par conséquent, influencent les consommateurs dans leurs choix et dans leurs processus de décision. Toujours sur l’aspect scientifique de l’émergence du concept de neuromarketing, c’est un professeur de neurosciences, Read Montague, qui mit des mots sur cette discipline pour la première fois en 2004 dans la revue scientifique Neuron. Son groupe de recherche confronta alors deux marques éternellement rivales : Pepsi et Coca-Cola. Les cerveaux de 67 personnes ont été scannés par IRM (Imagerie par Résonnance Magnétique) et plus particulièrement par technique d’IRM fonctionnelle (qui donne la possibilité de mesurer l’activité des différentes zones cérébrales), alors que ces personnes buvaient du Pepsi ou du Coca-Cola. Read Montague n’a pas réussi à démontrer comment le processus de choix entre les deux boissons opérait, mais l’étude a révélé que, chez les personnes qui savaient quelle marque de soda elles étaient en train de consommer, certaines parties du cerveau s’activaient. Les résultats des IRM ont montré tout particulièrement une activité du lobe préfrontal, région du cerveau liée à la mémoire, au langage, au raisonnement, au goût, à l’odorat et de manière général, aux fonctions exécutives du cerveau (à noter que les fonctions exécutives sont celles qui nous permettent entre autres, de s’organiser, dans le temps et dans l’espace). Ainsi, les personnes qui savaient qu’elles buvaient du Coca-Cola ont « affirmé » préférer le goût du Coca-Cola et la zone préfrontale de leur cerveau était très active, alors que les personnes qui faisaient le test à l’aveugle ont préféré le gout du Pepsi et ont montré une activité cérébrale moins élevée. Pour résumer grossièrement, cela signifie donc que, dans le cerveau du consommateur, le pouvoir de la marque semble plus fort que le pouvoir du goût. 10 4 En plus de l’Imagerie par Résonnance Magnétique, d’autres outils sont utilisés en neuromarketing, notamment l’eye-tracking qui « désigne les techniques d’étude du regard ou comportement oculaire. L’eye tracking mesure les parcours, les points de fixation et temps de fixation du regard d’un panel d’individus lors d’une tâche ou action donnée » 5 ou encore l’électro-encéphalogramme, défini par le dictionnaire Larousse comme un « examen qui permet l'enregistrement de l'activité électrique spontanée des neurones du cortex cérébral. ». Bref, autant de mots qui peuvent paraitre un peu barbares, notamment lorsqu’ils sont utilisés dans le jargon marketing. Mais le neuromarketing n’est pas qu’une série d’instruments qui résumeraient cette nouvelle discipline à une vision restrictive et scientifique. Le neuromarketing a également pour socle des fondements théoriques, parfois encore imprécis, mais essentiels pour comprendre cette branche du marketing encore si jeune, et c’est que nous allons maintenant étudier. b) Les fondements théoriques du neuromarketing Au-delà de l’aspect technique de cette discipline, il semble important d’en comprendre les bases théoriques, et les hypothèses sur lesquelles cette science s’appuie. Tout d’abord, redonnons une définition du neuromarketing, celle d’Olivier Droulers et Bernard Roullet, deux spécialistes français des neurosciences cognitives et du neuromarketing : « Etude des processus mentaux, explicites et implicites, et des comportements du consommateur, dans divers contextes marketing concernant aussi bien des activités d’évaluation, de prise de 4 McClure, Samuel M., Jian Li, Damon Tomlin, Kim S. Cypert, Latané M. Montague, and P. Read Montague (2004), “Neural Correlates of Behavioral Preference for Culturally Familiar Drinks,” Neuron, 44 (2), 379-87.) 5 http://www.definitions-marketing.com/ 11 décision, de mémorisation ou de consommation, qui s’appuie sur les paradigmes et les connaissances des neurosciences.»6 Cette définition montre que le neuromarketing va au-delà de l’aspect technique et des outils scientifiques puisque les deux auteurs nous parlent de « processus mentaux, explicites et implicites » et de « comportements du consommateur ». Le neuromarketing n’est donc pas que l’étude des actions liées à notre système nerveux, ou des réactions de notre inconscient, mais il s’appuie de façon très large sur les relations qui existent entre notre esprit, notre corps et notre cerveau, appliquées dans le domaine du marketing. Par conséquent, le modèle traditionnel du consommateur et les hypothèses qui en découlent sont remis en question. En effet, 6 hypothèses sont mises en avant dans le modèle du consommateur rationnel : 1. Le consommateur pense en termes d’informations ; 2. Le consommateur peut accéder à sa mémoire de manière complète et précise ; 3. Le consommateur détermine ses préférences de manière rationnelle ; 4. Le consommateur réalise une analyse coût / avantage en point de vente pour décider de ses achats ; 5. Les préférences du consommateur peuvent changer, si et seulement si, on lui présente une ou de nouvelles informations qui modifient ses connaissances sur les produits ; 6. La communication (publicitaire et marketing) est constituée de messages qui, pour le consommateur, présentent des arguments logiques et rationnels à propos des marques, produits ou services. Ce modèle ne laisse donc aucune place à l’émotion (prévalence de l’information, de la raison) et le consommateur, à qui la mémoire ne fait jamais défaut, pense et agit toujours de manière complètement rationnelle. Pourtant, l’expérience « Pepsi Paradox » réalisée par le groupe de recherche du Professeur Read Montague a démontré que le consommateur n’était pas complètement rationnel, et que les émotions positives véhiculées par une marque pouvaient avoir plus de poids dans nos choix que notre préférence gustative réelle. 6 Roullet Bernard, Droulers Olivier (2010), Neuromarketing : Le marketing revisité par les neurosciences du consommateur, Ed. Dunod 12 Bruno Teboul, l’un des spécialistes français du neuromarketing, illustre parfaitement la remise en question du modèle traditionnel, en définissant une méthodologie inhérente à cette nouvelle discipline, qu’il a nommé Neuroconsumer. Voici les trois constats du spécialiste : « Le consommateur n’est pas rationnel et les modèles habituels n’expliquent pas la situation constatée et son processus de décision. Les processus de décisions du consommateur sont non-conscients. Il faut désormais explorer les mécanismes cérébraux du consommateur. »7 Cette nouvelle méthodologie a pour objectif de comprendre et d’expliquer les échecs du marketing, en publicité ou en lancement de produits ou services. Au-delà de cette première utilité, nous allons maintenant découvrir les nombreux apports du neuromarketing dans l’étude du comportement du consommateur. 2) Les aspirations et les objectifs du neuromarketing Martin Lindstrom, spécialiste du neuromarketing et auteur de Buyology, explique que « le neuromarketing consiste à découvrir ce qui est déjà dans notre tête – notre “buyology” »8. A priori, ce n’est donc pas le neuromarketing qui influence le consommateur, mais le consommateur, ses comportements et ses évolutions qui ont fait émerger le neuromarketing. a) Les attentes actuelles des consommateurs : un chemin logique vers l’utilisation des neurosciences en marketing Dans son article « Les dieux du marketing sont tombés sur la tête », Dominique-Anne Michel nous montre que « le consommateur n’est vraiment plus ce qu’il était » 9 . Auparavant, il suffisait simplement de segmenter le marché et d’établir un mix-marketing adéquat aux besoins de ces segments. Cependant, « de multiples facteurs sont venus perturber ce fonctionnement. » Le consommateur est surinformé, compare tout ce qu’il peut comparer, recommande des produits ou services à d’autres consommateurs (ou ne les recommande pas), donne son avis et ses comportements ne sont plus si prévisibles qu’on le pensait, puisque « les femmes s’achètent des 4 x 4, et les retraités des appareils photos numériques ». 7 Teboul, B.Boucher, J.M. (2013), Tout savoir sur... L'Absolu Marketing: Web 3.0, Big Data, Neuromarketing, Ed. Kawa 8 Lindstrom, M. (2012), Buyology: How Everything We Believe About Why We Buy is Wrong, Ed. Random House 9 Michel, D., & Dominique-Anne, M. (2005). Les dieux du marketing sont tombés sur la tête. L'expansion Management Review, (3), 3. 13 Mais le consommateur subit également un matraquage publicitaire, et peut être exposé jusqu’à 3000 publicités de façon quotidienne. C’est là que le neuromarketing intervient, car notre cerveau ne peut pas engranger autant d’informations et/ou d’émotions tous les jours. Le cerveau du consommateur, consciemment et inconsciemment, devient donc de plus en plus sélectif, exigeant et à la recherche de vérité. L’un des objectifs du neuromarketing est par conséquent de comprendre les exigences de ce cerveau et de découvrir ce qui peut y répondre en termes de communication et d’offre, notamment grâce aux techniques d’Imagerie par Résonnance Magnétique fonctionnelle. En effet, cet instrument peut intervenir d’abord à l’étape de prototype du produit pour savoir si celui-ci et son usage génèrent des réponses neuronales positives dans le cerveau du consommateur. Si tel est le cas, on utilisera encore la technique d’IRM fonctionnelle une fois le produit lancé, pour mettre en place des campagnes publicitaires, et voir si elles engendrent également des réponses neuronales favorables, afin d’augmenter les ventes de ce produit. Les avantages de cette technique sont une réduction du temps d’études de marché à mener (comparé aux études qualitatives traditionnelles) et surtout, la suppression des biais que ces études traditionnelles peuvent générer (influence d’autrui en focus-group, tabou en déclaratif individuel,… etc.). La mesure de l’activité de nos zones cérébrales n’est pas influencée et n’omet rien. Cependant, les dépenses en neuro-imagerie restent extrêmement élevées en comparaison du coût des méthodes traditionnelles. En effet, le coût d’une heure d’IRM dans le cadre de recherches universitaires avoisine les 500 dollars, et ce coût est encore plus élevé lorsqu’il s’agit de recherches commerciales. Dans ces conditions, le neuromarketing ne peut réellement faire concurrence (du moins financièrement) aux études qualitatives traditionnelles. De manière plus générale, nous vivons dans une époque d’accélération 10 , où les consommateurs ont tellement de choix qu’ils ne sont plus sûrs eux-mêmes de leurs besoins et de leurs désirs. Le but du marketing étant de faire le lien entre les consommateurs et les produits et services, nous allons voir comment les neurosciences parviennent à jouer un rôle dans la construction de ce lien. En effet, il semblerait que plus de 80% des lancements de produits connaissent un échec. Cela signifierait donc que résultats des études qualitatives et quantitatives traditionnelles ne seraient pas assez fiables, et qu’il faut alors trouver des solutions dont la mesure est plus précise et plus scientifique. 10 Rosa, H. Renault, D,. (2010), Accélération : Une critique sociale du temps, Ed. La Découverte 14 b) L’apport des neurosciences aux cinq étapes du processus d’achat Comme l’explique Martin Lindstrom, le neuromarketing « permet aux entreprises de nous délivrer ce que nous voulons »11 . Pour comprendre ce que signifie cette phrase, il parait pertinent de décomposer le processus d’achat du consommateur en 5 étapes qui lui sont connues, et d’étudier les apports du neuromarketing à chacune de ses étapes, que voici12 : Etape 1 : prise de conscience du problème / reconnaissance du besoin Les besoins ont été classifiés par ordre d’importance par Maslow dans sa pyramide bien connue en 1960, et cette théorie a parfois été critiquée car trop simpliste. Ainsi, Kenrick a revu cette pyramide, et l’a étoffée en rajoutant des besoins. Les besoins, qui varient selon la culture, le sexe, l’âge, la classe sociale, etc., génèrent des motivations chez les consommateurs. Par exemple, un consommateur a faim et soif. Il va donc être motivé à acheter ou à se procurer de l’eau et de la nourriture. En ce qui concerne les besoins physiologiques, il semble donc assez facile d’y répondre. Cependant, comment les entreprises peuvent-elles répondre aux besoins d’estime de soi, d’appartenance sociale, d’amour ou encore d’affiliation des individus ? Comment ces besoins sociaux abstraits dans l’esprit du consommateur peuvent-il se transformer en produits et services concrets ? C’est à ce moment précis qu’il est important d’écouter son client… Sans trop l’écouter non plus. En effet, Henry Ford illustrait cette idée avec une phrase bien connue : « si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des 11 Lindstrom, M. (2012), Buyology: How Everything We Believe About Why We Buy is Wrong, Ed. Random House 12 Solomon, M.R., Tissier-Desbordes, E. (2005), Comportement du consommateur, Ed. Pearson Education 15 chevaux plus rapides ». Cela signifie que nous ne sommes donc pas toujours conscients de nos propres besoins. Le neuromarketing intervient alors lorsque les besoins sont plus complexes et inconscients, et pour que ces besoins engendrent de la motivation chez le consommateur, celui-ci doit être exposé à des stimuli externes (par opposition aux stimuli internes comme la soif ou l’envie de dormir), c’est-à-dire à de la publicité, ou encore à des techniques de marketing sensoriel, sur lesquelles nous reviendrons plus tard. Etape 2 : recherche d’informations Pour les produits de consommation courante, le consommateur a tendance à faire de la recherche d’informations interne, c’est-à-dire, de manière plutôt inconsciente, à faire appel à sa mémoire et à ses expériences passées. La recherche d’informations n’est pas toujours rationnelle, notamment à cause d’un manque de temps. Ainsi, le consommateur tend à se limiter aux marques qu’il connait déjà, d’où l’intérêt pour une marque d’être mémorisée à long-terme et de générer de la préférence dans l’esprit de ses (potentiels) clients. C’est pourquoi les campagnes publicitaires doivent être impactantes et engendrer des émotions positives chez le consommateur. En d’autres termes plus scientifiques, le neuromarketing permet de vérifier si les outils de persuasion utilisés activent ou non la région du cortex préfrontal du cerveau, et plus précisément, son système limbique, siège des émotions et de la mémoire. Pour les produits qui présentent un plus fort risque perçu (« le consommateur perçoit un risque quand il ne peut pas anticiper avec certitude les conséquences potentiellement négatives de ses comportements d’achat et de consommation »13), le consommateur va, en plus de la recherche interne, trouver de l’information de manière externe, en s’appuyant sur les recommandations de ses proches (sources personnelles) ou en se renseignant via des sources impersonnelles (Internet, presse,…). Dans ce cas de figure, ce sont les “neurones miroirs” qui peuvent jouer un rôle important, mais nous y reviendrons dans la deuxième grande partie de cette étude. Cependant, pour donner un petit avant-goût du développement à venir, voici la définition des neurones miroirs selon Vilayanur Ramachandran, célèbre pour ses recherches en neurologie comportementale : ce sont des « neurones à l’origine identifiés 13 Darpy, D. (2012), Comportements du consommateur - 3e édition - Concepts et outils: Concepts et outils, Ed. Dunod 16 dans les lobes frontaux des singes (dans une région homologue à l’aire de langage […] chez les humains). Les neurones s’activent quand le singe attrape un objet ou simplement en regardant un autre singe faire la même chose, simulant ainsi les intentions de l’autre singe ou lisant dans son esprit. »14 Etape 3 : évaluation des solutions Suite à ses recherches, le consommateur va évaluer les alternatives qui s’offrent à lui, selon les attributs du produit ou du service recherché. On différencie les attributs objectifs (performance du produit, utilisation…) et subjectifs (notoriété et image de marque perçue par le consommateur par exemple). Le consommateur passe en revue les marques qu’il connait, et son cerveau élabore ensuite “l’ensemble de considération”, c’est-à-dire « l’ensemble des marques ayant une probabilité non nulle d’être achetées »15. Encore une fois, les marques ayant engendré des émotions positives dans le cerveau du consommateur auront plus de chances d’être dans l’ensemble de considération, car ces marques seront mieux mémorisées. Au contraire, les marques ayant provoqué des émotions négatives dans l’esprit du consommateur vont se retrouver dans ce qu’on appelle “l’ensemble de rejet”, qui représente « les marques dont l’achat est exclu ». Enfin, le troisième ensemble est “l’ensemble d’indifférence”, qui comporte un sous-ensemble “flou” (soit les marques dont la perception est imprécise) et un sous-ensemble “neutre” (c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’émotions particulièrement positives ou négatives reliées à la marque). Le neuromarketing nous permet de comprendre à cette étape du processus que, pour qu’une marque appartienne à l’ensemble de considération, les attributs subjectifs, soit la perception et l’image de la marque (et donc les émotions positives ou négatives emmagasinées dans le cerveau du consommateur) peuvent inconsciemment prévaloir sur les attributs objectifs. En effet, l’expérience réalisée par le groupe de recherche de Read Montague en est la preuve. Car si la majorité des 67 personnes interrogées avait évalué les produits de manière complètement objective sur leur attribut saillant (en l’occurrence, le goût), elles auraient visiblement choisi Pepsi, et non Coca-Cola. Etape 4 : choix et achat du produit / service 14 Ramachandran, V. (2011), Le cerveau fait de l'esprit: Enquête sur les neurones miroirs, Ed. Dunod Vernette, E., Filser, M., Giannelloni, J.L. (2008), Études Marketing appliquées: De la stratégie au mix : analyses et tests pour optimiser votre action marketing, Ed. Dunod 15 17 Même si le consommateur a déjà fait ses recherches et évalué les différentes solutions qui s’offraient à lui, l’acte d’achat peut être influencé par de multiples facteurs. Par exemple, l’humeur des individus joue de manière positive ou négative sur la nature affective des informations que le consommateur doit traiter (Isen et Daubman, 1984). Si un consommateur se sent mal accueilli dans un point de vente, son humeur va en être influencée, et cela pourrait remettre en question son choix de produit ou de service. A l’inverse, et de manière parfois plus inconsciente, une musique plaisante ou une odeur agréable peuvent affecter de façon positive le consommateur et le pousser à réaliser son acte d’achat. D’autres facteurs peuvent influencer le choix du consommateur. En marketing (et dans d’autres domaines), il existe ce qu’on appelle des heuristiques de jugement, qui permettent aux individus de traiter l’information presque instantanément, de manière intuitive et automatique. Or, selon les psychologues Amos Tversky et Daniel Kahneman, cette méthode de traitement de l’information comporte des biais, qui font que les consommateurs ne prennent pas toujours leurs décisions de façon rationnelle. Ces biais peuvent être des croyances sur les marques ou les marchés. Par exemple, un prix élevé peut signifier dans l’esprit du consommateur une qualité élevée… Et il y a encore quelques mois (avant le scandale Volkswagen), toutes les voitures allemandes étaient synonyme de performance et de sécurité. Dans les deux situations exposées ci-dessus, le neuromarketing s’appuie sur les neurosciences afin de comprendre comment le consommateur traite l’information (celle du rapport entre prix et qualité par exemple) ou permet de définir des actions à mener en marketing sensoriel pour jouer positivement sur son humeur. Etape 5 : comportement / évaluation post-achat Trois situations sont constatées en comportement post-achat : 1. Les sentiments du consommateur sont neutres si le résultat de son achat est aligné avec ses attentes ; 2. Il ressent de l’insatisfaction si les performances du produit ou du service choisi sont inférieurs à ses attentes (divergence négative) ; 3. Enfin, il ressent de la satisfaction si les performances du produit sont supérieures à ses attentes (divergence positive). 18 Pour que le consommateur soit satisfait (et ait donc envie de répéter l’achat, ou de le recommander de manière positive à son entourage), il faut que l’offre plaise au consommateur et possède réellement les performances qu’elle promet. D’où l’intérêt du neuromarketing dans le développement des produits dès leur stade de création, que nous avons déjà mentionné auparavant. Par ailleurs, le neuromarketing peut également être utilisé dans le cadre de la théorie de la dissonance cognitive, établie par le psychosociologue Léon Festinger en 1957. La dissonance cognitive est l’état de tension (désagréable) que subit un individu après avoir agit en contradiction avec ses croyances. L’individu va ensuite chercher à réduire cette dissonance par différents moyens, et notamment en modifiant ses croyances pour se rassurer. Le consommateur, lorsqu’il subit cette dissonance cognitive, cherche alors à se persuader qu’il a fait un bon choix de consommation. On peut même dire qu’il essaie de se « re-persuader ». Le neuromarketing, à cette étape, permet alors de comprendre par quels moyens le consommateur tente de réduire cette tension, liée à sa cognition, et donc à son activité cérébrale. Ainsi, notre cerveau et les émotions qui y sont reliées, jouent un rôle dominant à chaque étape de la décision d’achat. Les neurosciences et le neuromarketing permettent alors d’aiguiller les actions marketing à mener pour satisfaire au mieux le consommateur. Cependant, le fait d’agir parfois sur l’inconscient des individus peut se heurter à des problèmes d’ordre éthique, et c’est ce que nous allons maintenant étudier. 3) Neuromarketing : outil de manipulation ou instrument de satisfaction ? L’utilisation des neurosciences pour étudier le cerveau des consommateurs ne semble pas avoir de limite. Or… C’est bien cela qui limite cette nouvelle discipline. En effet, certains auteurs dénoncent une vraie manipulation, pendant que d’autres prônent le développement inéluctable d’une science qui aiderait à satisfaire un consommateur de plus en plus exigeant, mais dont le libre-arbitre ne serait pas remis en question pour autant. a) Le neuromarketing et ses limites éthiques Pour comprendre si le neuromarketing se heurte a des problèmes d’ordre éthique et si cette discipline récente s’apparente à de la manipulation, il faut définir d’une part ce qu’est l’éthique, et d’autre part, ce qu’est la manipulation. 19 Tout d’abord, le dictionnaire Larousse définit l’éthique comme « l’ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu’un ». Première complexité, la morale renvoie aux concepts du bien et du mal, qui peuvent varier selon les sociétés, les cultures et les époques. Cependant, il semble assez évident que la manipulation est une idée plus proche du concept du mal que de celui du bien. En effet, l’une des définitions de la manipulation, toujours selon le Larousse, est la suivante : « action d'orienter la conduite de quelqu'un […] dans le sens qu'on désire et sans qu'il s'en rende compte. » Or, Adam Koval, l’un des pionniers américains du neuromarketing, nous explique que « la recherche en neuromarketing donne un aperçu sans précédent de la pensée du consommateur. Les résultats seront […] le fait d’obtenir que les consommateurs se comportent de la façon que l’on désire ». 16 Ainsi, les conséquences du neuromarketing se rapprocheraient fortement de la définition que nous avons établie de la manipulation. Finalement, il est difficile de clore le débat sur cette affirmation. En effet, le marketing luimême n’est pas un concept nouveau, puisqu’il s’agit d’« une pratique de management ancienne dont les racines plongent au moins au 19ème siècle »17. Or, le marketing a souvent été critiqué, controversé et apparenté à de la manipulation. C’est donc en premier lieu le domaine du marketing tout entier qui doit suivre un code éthique, qui s’appliquant ensuite à toutes ses sous-disciplines. Certains auteurs ont déjà essayé de proposer « un cadre de morale, de déontologie, d’éthique et de responsabilité pour le marketer »18, et le débat des problèmes éthiques n’est pas donc un débat sans précédent, qui serait né simultanément avec le neuromarketing. Ce que l’on peut affirmer ce pendant, c’est que les entreprises peuvent difficilement se passer de marketing au sein d’une société consumériste, où les compagnies et les marques doivent sans cesse communiquer sur elles-mêmes et sur les offres qu’elles proposent. Et nous allons maintenant voir qu’en France, le neuromarketing n’est pas soumis aux propositions morales d’un code éthique, mais au cadre légal de la juridiction française. 16 Courbet, D., Benoit, D., & Denis, B. C. (2013). Neurosciences au service de la communication commerciale : manipulation et éthique. Une critique du neuromarketing. Études De Communication, (1), 27. 17 Volle P. (2011), Marketing : Comprendre l’origine historique, Eyrolles. MBA Marketing, Editions d'Organisation, pp.23-45, 2011 18 Bergadaà, M. (2004). Évolution de l'épistémè économique et sociale: proposition d'un cadre de morale, de déontologie, d'éthique et de responsabilité pour le marketer. Recherche Et Applications En Marketing (AFM C/O ESCP-EAP), 19(1), 55-72. 20 b) Une situation particulière en France En France, le neuromarketing, dans sa définition la plus scientifique, est une pratique interdite par la loi : « les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires. »19 Cela signifie que l’utilisation de l’Imagerie par Résonnance Magnétique ou de l’électroencéphalogramme afin de, par exemple, développer un nouveau produit ou d’améliorer les outils de persuasion, est impossible en France, qui est l’un des seuls pays européens à appliquer cette loi. Cet article inscrit dans le code civil a pour but de protéger le consommateur, mais dans un contexte de mondialisation des entreprises, est-il vraiment efficace ? Certaines entreprises, comme L’Oréal, ou encore la SNCF (qui souhaitait savoir grâce à l’IRM fonctionnelle si son nouveau site Internet était bien accepté par les consommateurs) se rendent en Belgique pour contourner la loi de notre pays, qui n’interdit pas aux sociétés françaises de mener les pratiques liées au neuromarketing à l’étranger. En effet, le neuromarketing est complètement autorisé dans la majorité des autres pays. On peut alors se demander s’il s’agit vraiment d’un outil de manipulation, ou si la capacité du consommateur à choisir par lui-même reste inchangée. c) Le neuromarketing et le libre-arbitre du consommateur Ainsi, en s’intéressant de plus près à la littérature existante sur le neuromarketing, on constate qu’il y a les « pro » et les « anti ». Quoi qu’il en soit, le marketing existe, les neurosciences aussi, et dans un contexte mondialisé, il semble difficile d’empêcher ces deux domaines de se réunir, avec ou sans loi. Il semble utile de mentionner que notre inconscient n’agit pas que dans nos comportements en tant que consommateurs, car « on estime que 90 % des opérations mentales d’un individu sont non-conscientes ». 20 Ainsi, la neuro-imagerie, qu’elle soit utilisée en marketing, en psychologie, ou dans n’importe quel autre domaine, doit servir à comprendre, à mesurer, à analyser, et non pas à manipuler. D’ailleurs, scanner le cerveau d’un individu ne va pas modifier les besoins et les désirs de ce dernier. De même, avec ou sans l’utilisation des 19 Art.16-14 du Code civil 20 Roi, Philippe et Girard, Tristan, « Une exploration du non-conscient cognitif », Extrait du Chapitre III intitulé : « Les analogies sensorielles », La Théorie Sensorielle. I - Les Analogies Sensorielles, First Edition Design Publishing (2013) pp. 143-154. 21 neurosciences en marketing, si l’offre ne satisfait pas le consommateur, si la publicité surestime les performances d’un produit, ou encore si l’expérience qu’il a avec une marque est négative, le ré-achat a très peu de chances d’avoir lieu. Cependant, pour ne pas influencer le consommateur à son insu, il faudrait que les entreprises soient plus transparentes avec leurs clients. En effet, l’utilisation des techniques de neuromarketing a pris énormément d’ampleur depuis plus d’une décennie, et les entreprises françaises qui y ont recours font tout pour le cacher... Le problème est que ces sociétés françaises sont très souvent en concurrence avec des entreprises étrangères, et bien que le débat éthique sur le neuromarketing est loin d’être clos, il faut éviter le « risque de décrochage compétitif des entreprises françaises »21, mentionné par Arnaud Pètre, fondateur de la société belge de neuromarketing BrainImpact. En résumé, il faudrait qu’une législation se mette en place aux niveaux européen et international, qu’elle soit ou non en faveur du neuromarketing. Et qu’il s’agisse de nos comportements conscients ou inconscients, nous allons maintenant étudier la part extrêmement importante que prennent les émotions dans notre activité cérébrale, et donc dans nos décisions. B – L’intelligence émotionnelle et le neuromarketing 1) Définitions et portée dans les disciplines du marketing et de la communication De même que le neuromarketing, le concept d’intelligence émotionnelle est assez récent, puisque les premiers travaux sur ce type d’intelligence apparaissent au début des années 1990. Comme nous l’avons déjà mentionné, les émotions prennent une place majeure dans toutes les activités de l’homme, y compris dans ses comportements en tant que consommateur. Nous allons donc maintenant étudier les liens entre les neurosciences et l’intelligence émotionnelle en marketing. Vous pourrez retrouver en annexe de ce mémoire une définition complète du terme « émotion ». a) Définitions et domaines d’applications majeurs Ce n’est qu’au début des années 1990 que deux chercheurs en psychologie, John Mayer et Peter Salovey, définissent l’intelligence émotionnelle. Selon eux, il s’agit d’ « une forme d’intelligence qui suppose la capacité à contrôler ses sentiments et émotions et ceux des 21 http://www.webmarketing-com.com/2014/02/24/25962-neuromarketing-vu-par-neuromarketer-22 22 autres, à faire la distinction entre eux et à utiliser cette information pour orienter ses pensées et ses gestes. »22 Avant l’apparition des théories sur l’intelligence émotionnelle, on ne prenait en compte que le quotient intellectuel (QI), facilement mesurable à l’aide d’un test psychométrique et d’un examen psychologique, puisque le QI s’apparente à la partie « rationnelle » de notre activité cérébrale, telle que la réflexion pure. Le concept d’intelligence émotionnelle va commencer à se banaliser avec les travaux de Daniel Goleman et son ouvrage Intelligence Emotionnelle. Ce psychologue et scientifique américain a réuni dans son livre la majorité des études sur le sujet, et y a ajouté des recherches sur les émotions et leurs liens avec le cerveau, et par conséquent, avec nos comportements. Selon Goleman, l’intelligence émotionnelle combine le rationnel et l’émotionnel, et se définit comme la capacité à reconnaitre nos émotions ou celles d’autrui et à les gérer. Plus précisément, concernant les émotions d’autrui, il s’agit d’en « comprendre l’origine, [et de] créer les conditions optimales qui généreront des émotions positives, sources exclusives de performances durables et de bien-être.23 » Ainsi, le concept d’intelligence émotionnelle est très présent dans les domaines de gestion managériale, en ressources humaines ou encore en entreprenariat, puisqu’il s’agit de l’étude de nos propres émotions, et de celles que nous ressentons en interaction avec autrui. Et nous allons maintenant voir que, bien qu’encore peu exploitée en marketing et en communication, l’intelligence émotionnelle tient un rôle capital dans ses secteurs. b) L’intelligence émotionnelle dans les secteurs du marketing et de la communication Le neuromarketing, via les neurosciences et l’étude du cerveau, donne à l’intelligence émotionnelle une place fondamentale dans les domaines du marketing et de la communication. En effet, de nombreuses marques aujourd’hui interpellent l’intelligence émotionnelle du consommateur via le concept d’« emotional branding ». 24 Ce concept 22 Salovey, P., & Mayer, J.D. (1990). Emotional intelligence. Imagination, Cognition, and Personality, 9, 185211. 23 Goleman, D. Piélat, T. (1999), L'intelligence émotionnelle: comment transformer ses émotions en intelligence, Ed. France loisirs 24 Gobe, M. (2013), Emotional Branding: The New Paradigm for Connecting Brands to People, Ed. Allworth Press 23 consiste à (re)construire une marque en faisant appel aux émotions, aux besoins et aux aspirations du consommateur. La marque est alors humanisée et touche le consommateur via sa personnalité. Ainsi, la théorie mise en exergue par Jennifer Aaker dans son ouvrage Dimensions of Brand Personality prend alors tout son sens, et montre que nous entretenons des relations avec les marques. Pour gérer cette relation, si l’on reprend la définition de l’intelligence émotionnelle, la marque doit donc reconnaitre les émotions du consommateur et en « comprendre l’origine, créer les conditions optimales qui généreront des émotions positives ». C’est ici que le neuromarketing intervient, car les techniques de neuro-imagerie permettent de « comprendre l’origine » de ces émotions. Par exemple, Roy Bergold, ancien directeur de la publicité chez McDonald’s, est à l’origine du jouet dans les Happy Meal (menus pour enfants), afin de créer une émotion positive dans le cerveau des plus jeunes. On peut donc dire qu’il a compris l’origine de l’émotion du consommateur (ici, l’enfant) pour créer les conditions optimales (le jouet gratuit) qui provoquent une émotion positive (en l’occurrence, la récompense, dont l’une des fonctions est d’entrainer « des sentiments positifs hédoniques »25). Le marketing peut donc s’appuyer sur l’intelligence émotionnelle pour développer des produits, mais également pour engendrer des émotions positives en publicité (concept que nous approfondirons plus précisément un peu plus loin dans cette étude), ou encore pour optimiser le customer relationship management (CRM), afin que le consommateur et la marque entretiennent une relation durable. Et dans ces différentes situations, le neuromarketing aide à mesurer et à analyser l’intelligence émotionnelle du consommateur, notamment à travers les actions menées en marketing sensoriel, que nous allons maintenant explorer plus en détails. 2) Intelligence émotionnelle et marketing sensoriel Comme nous l’avons déjà mentionné dans ce mémoire avec Marcel Proust et sa fameuse madeleine, l’impact de nos cinq sens sur nos attitudes et nos comportements est puissant. Nous allons donc définir ce qu’est le marketing sensoriel, le mettre en lien avec les neurosciences, et avec l’intelligence émotionnelle. 25 Roullet Bernard, Droulers Olivier (2010), Neuromarketing : Le marketing revisité par les neurosciences du consommateur, Ed. Dunod (p. 39) 24 a) Qu’est ce que le marketing sensoriel ? Selon Sophie Reunier, spécialiste française du marketing sensoriel, cette pratique peut se définir comme « le fait d’utiliser les facteurs d’ambiance du magasin (musique, senteurs, couleurs, sensations tactiles et gustatives) afin de susciter chez le consommateur des réactions favorables à l’acte d’achat. »26 Parmi les entreprises les plus connues pour mettre en place des actions de marketing sensoriel efficaces, il y a Starbucks et ses arômes de café diffusés en continu (odorat), Arbercrombie & Fitch et son fond sonore de boite de nuit (ouïe), ou encore Sephora et son ambiance tapis rouge hyper classe (vue). Au-delà de cette définition et de ces exemples, le marketing sensoriel ne s’applique pas qu’au point de vente, mais également à la publicité, via l’utilisation de certaines musiques ou sons, mais également de couleurs bien spécifiques. On peut alors parler de communication sensorielle. Le produit se doit également de faire appel à nos sens, afin d’intensifier l’expérience du consommateur avec l’objet dont il fait l’usage. On peut par exemple citer la marque Apple, qui a déposé un brevet pour intégrer la technologie Force Touch à ses nouveaux produits, afin de donner l’impression à l’utilisateur qu’il interagit avec de vraies touches et non pas qu’avec un écran tactile. Le marketing sensoriel peut donc se définir grossièrement comme le fait de stimuler l’un ou plusieurs de nos cinq sens, à différentes étapes du processus d’achat du consommateur, notamment aux stades de recherche d’informations (via la publicité), de décision (en point de vente) et de comportement post-achat (utilisation du produit). Cependant, comme l’explique Sophie Reunier, il faut que les actions menées pour toucher nos cinq sens soient en cohérence avec l’image de marque et l’image du point de vente pour être efficaces. Par exemple, diffuser des arômes très sucrés dans une boucherie ne serait pas très pertinent… Quoi qu’il en soit, maintenant que nous avons défini ce qu’était le marketing sensoriel, nous allons mettre en avant ses liens précis avec le cerveau, l’intelligence émotionnelle et le neuromarketing. 26 Rieunier, S., Dion, D. (2013), Le marketing sensoriel du point de vente - 4e éd.: Créer et gérer l'ambiance des lieux commerciaux, Ed. Dunod 25 b) Impact du marketing sensoriel sur les émotions et les comportements Il semble important, pour comprendre les effets du marketing sensoriel sur le cerveau du consommateur, de parler de la cognition incarnée, également appelée embodiment (en anglais, “the embodied cognition”), qui est l’idée que, de manière inconsciente, nos sensations corporelles nous aident dans nos processus de décision. En d’autres termes, nos sensations agissent sur notre cognition (donc sur notre activité cérébrale), et nous pouvons alors étoffer le concept d’intelligence émotionnelle, en parlant d’une intelligence sensorielle. Via cette forme d’intelligence, lorsque l’un de nos cinq sens est stimulé, activé, cela va influencer notre cognition et donc nos attitudes, notre mémoire et nos comportements. Aradhna Krishna, une autre experte du marketing sensoriel, nous démontre l’action de cette intelligence sensorielle en prenant l’exemple du vin, qui nous semble meilleur dans un verre à vin que dans un verre en plastique. De même, Droulers et Roullet expliquent que la lumière, les couleurs et la place des produits en point de vente peuvent influencer la perception du prix par le consommateur (les couleurs sombres étant associées à un prix élevé). Cependant, cette intelligence sensorielle agissant largement de manière inconsciente, comme l’indique la définition de la cognition incarnée, il est difficile de mesurer par de simples études marketing (comme des études shopper par exemple, qui consistent à interroger les clients en magasin pour analyser leurs attitudes et comportements en point de vente) l’efficacité des actions menées en marketing sensoriel. Ainsi, comme l’indique Sophie Reunier dans ses travaux, le neuromarketing semble être une discipline innovante dont les outils de mesure peuvent aider à mesurer l’impact des « facteurs d’ambiance » mis en place. En effet, on peut prendre l’exemple de l’utilisation du eye-tracking (autorisé en France), qui a la capacité d’indiquer où est-ce que les yeux (qui appartiennent au cerveau, et en sont le prolongement) vont se poser en premier, et où ils vont rester fixés le plus longtemps. Cet outil peut servir à analyser une publicité, ou un comportement en rayon. Quant à l’IRM fonctionnelle ou l’électroencéphalogramme, ils permettront plutôt de s’assurer de la cohérence entre l’image de marque (ou celle du point de vente) et le stimulus sensori-moteur qu’on cherche à provoquer dans le cerveau du consommateur. Ainsi, le marketing sensoriel, lorsqu’il est bien mené, joue sur notre affect et peut nous influencer dans nos comportements. Le cognitif et l’affectif tiennent donc tous les deux un 26 rôle important sur le conatif (soit le comportement). Mais, à quel point le consommateur se laisse-t-il gagné par ses émotions lorsqu’il est face à une publicité ? Quel place donne t-il à l’utilité perçue plutôt qu’à sa propre subjectivité pour prendre des décisions ? Nous allons maintenant tenter de répondre à ces questions, en nous intéressant au rôle des émotions en communication et en marketing. 3) Outils de persuasion et intelligence émotionnelle Ainsi, nous avons vu jusqu’à présent, et de manière relativement détaillée, comment le neuromarketing intervenait dans la définition des différentes étapes du processus d’achat du consommateur. Nous allons ici nous intéresser de façon plus précise à son rôle en publicité et en communication, domaines pour lesquels les consommateurs, surinformés, réclament de plus en plus d’émotions, et de moins en moins d’informations. a) Théories et principaux modèles des voies de persuasion Plusieurs modèles étudiant le changement d’attitudes ont été établis depuis le début du 20ème siècle jusqu’à aujourd’hui. Les attitudes sont définies par Allport G. W., en 1935, comme « un état mental ou neural de préparation, organisé par l'expérience, exerçant une directive ou une influence dynamique sur la réponse d'un individu à tous les objets et les situations auxquels il est lié »27. C’est cette idée de prédisposition neurale qui nous permet ici de faire le lien entre attitude et neurosciences. De plus, les instruments de persuasion en communication servent à provoquer un changement d’attitude pour que le consommateur se comporte de manière favorable envers une marque, un produit ou encore une entreprise. Ainsi, le rôle du neuromarketing dans la conception des outils de persuasion, et donc dans l’influence sur les changements d’attitudes, semble prépondérant. Nous allons ici étudier différents modèles d’attitudes, et donc de voies de persuasion : - Le modèle de la hiérarchie des effets de Ladvige et Steiner Ce modèle établi en 1961 part du postulat que les attitudes du consommateur sont d’abord d’ordre cognitif (think), puis d’ordre affectif (feel) et pour finir d’ordre conatif (do). Il existe des variantes de ce modèle selon le type de produit acheté (De Pelsmacker et al. 2005) : Produit à fort risque perçu (voiture…) : Hiérarchie classique Think – Feel – Do Produit hédonique (parfum…) : Hiérarchie expérientielle Feel – Think – Do 27 Gilbert, D.T. (1998), The Handbook of Social Psychology, Ed. McGraw-Hill 27 Produit courant (détergent…) : Faible implication Do – Think – Feel Produit d’achat impulsif (bonbons…) : Besoin spontané Do – Feel – Think Cela signifierait basiquement qu’en publicité, il faut procurer au consommateur de nombreux arguments informatifs pour les produits à fort risque perçu, et des émotions liées au plaisir pour les produits hédoniques. - Le modèle ELM (Elaboration Likelihood Model) : Ce modèle, construit par Petty et Cacioppo en 1981, met en avant deux routes possibles de persuasion. Si le consommateur (ou récepteur du message) est impliqué, il va être fortement motivé et capable de traiter le message, et va alors suivre la route centrale de persuasion. Il va ainsi donner beaucoup d’importance aux arguments qu’on lui fournit. On parle alors de schéma cognitif. A l’inverse, si le consommateur est peu impliqué, il va être moins motivé à traiter le message élaboré et va suivre la route périphérique de persuasion. Cela signifie qu’il va donner plus d’importance à l’exécution de la publicité en elle-même, à son esthétisme par exemple. Nous sommes alors dans un schéma affectif (par opposition au schéma cognitif). La conclusion qu’on peut tirer de ce modèle est relativement similaire à celle du modèle de la hiérarchie des effets : pour les produits à fort risque perçu, le consommateur est plus impliqué et va donc être plus motivé à traiter des informations. Il faut donc donner de nombreux arguments pour provoquer un changement d’attitude favorable. Pour les produits peu implicants, le récepteur est moins motivé à traiter les arguments, il faut donc que l’outil de persuasion soit bien exécuté pour toucher l’affect du consommateur. Pourtant, ces modèles théoriques qui opposent schémas cognitif (pensée) et affectif (émotion) s’éloignent de plus en plus de la réalité actuelle, dans laquelle les consommateurs semblent être en demande d’émotion et non pas d’information. Et si tel est le cas, quel rôle peuvent alors jouer les neurosciences en communication ? b) Communication basée sur l’émotion et neuromarketing : une approche scientifique pour mesurer ce qui semble subjectif Les modèles établis par Ladvige et Steiner et Petty et Cacioppo sont-ils toujours vrais ? A l’heure actuelle, on constate que de nombreuses publicités pour les voitures, ou encore pour les équipements électroménagers (c’est-à-dire pour les produits à fort risque perçu) suivent le 28 schéma de la hiérarchie expérientielle (c’est-à-dire le schéma « Feel – Think – Do ») et non pas le schéma classique du modèle de Ladvige et Steiner. Voici par exemple l’une des affiches de la campagne publicitaire Renault pour la Clio 4, créée par Publicis Conseil en 2012 : Aucune information d’ordre utilitaire n’y est intégrée, mais le message que cette publicité souhaite faire passer est celui du désir, de la passion, largement exprimés par la couleur rouge en fond, qui se confond presque avec celle de la voiture. Cette affiche publicitaire, dont le slogan est « On se souvient toujours de la première fois qu’on a vu la nouvelle Renault Clio » s’inscrit dans une campagne de communication dont les spots TV se nomment « Unforgettable » (soit « inoubliable » en français). Elle a pour objectif de toucher notre mémoire et nos souvenirs, grâce à la transmission d’émotions dans son exécution. Le but de cette campagne est donc de toucher le système limbique de notre cerveau, siège de nos émotions et de notre mémoire, que nous avons déjà mentionné. C’est ici que les neurosciences interviennent, et que le neuromarketing devient l’outil capable de mesurer de l’activité de cette zone cérébrale, que cette campagne de communication souhaite clairement atteindre. D’ailleurs, Mathieu Lajante, auteur de l’ouvrage Les émotions en persuasion publicitaire: Une approche neuroscientifique, a mené des études en collaboration avec Olivier Droulers à ce sujet. Selon eux, « les émotions jouent un rôle essentiel lors de la prise de décision du consommateur » et « l'activité électrodermale, comme mesure du niveau d'activation 29 émotionnelle (arousal) intéresse les chercheurs en marketing depuis de nombreuses années.»28 Sans rentrer dans l’aspect purement scientifique de ces travaux de recherches, on peut cependant affirmer que nos émotions, qui semblent nous influencer plus que la raison, peuvent être analysées grâce aux outils de neuromarketing. Le neuromarketing se met donc au service de la compréhension et de la connaissance de l’intelligence émotionnelle du consommateur. D’autre part, certains spécialistes du marketing remettent également en cause les modèles théoriques que nous avons étudiés, en concluant de leurs recherches que, quelque soit le produit et la marque sur lesquels on communique (implicant ou non, à fort ou à faible risque perçu), l’utilisation d’émotions positives en publicité aura un effet significatif sur l’attitude du récepteur envers ce produit et cette marque. Ils affirment cependant que “pour les marques des catégories de produits qui sont plutôt hédoniques ou expérientiels, véhiculer des émotions positives est encore plus important pour développer des attitudes favorables envers ces marques ».29 Ce que l’on peut donc se poser comme question à présent est : à jusqu’où l’attitude d’un consommateur envers une marque peut-elle être favorable ? A quel point les émotions véhiculées par une marque peuvent-elles nous toucher ? Et comment les neurosciences, encore une fois, peuvent-elles nous aider à répondre à ces questions ? C’est que nous allons maintenant étudier en explorant de plus près les lovebrands. C – Quand le cerveau tombe amoureux des marques : les “lovebrands” 1) Qu’est-ce qu’une lovebrand ? A l’instar du neuromarketing et de l’intelligence émotionnelle, le concept de lovebrand ou de lovemark est très récent, mais joue aujourd’hui un rôle considérable dans le présent et l’avenir du marketing. En effet, le concept de lovebrand remet le consommateur au cœur des actions à mener, dans un contexte où les relations entre une marque et ses clients sont de plus en plus complexes (et peuvent parfois s’apparenter à de l’amour). Encore une fois, l’intelligence émotionnelle intervient car elle a pour objectif de gérer les émotions d’autrui, et donc de gérer 28 Droulers, Olivier, Mathieu Lajante, and Sophie Lacoste-Badie. "Apport De La Démarche Neuroscientifique À La Mesure Des Motions : Importation D'une Nouvelle Méthode De Mesure De L'activité Électrodermale." Décisions Marketing 72 (2013): 87-101. 29 Geuens, M., De Pelsmacker, P., & Tuan Pham, M. (2014). Do Pleasant Emotional Ads Make Consumers Like Your Brand More?.Gfk-Marketing Intelligence Review, 6(1), 40-45. 30 la relation avec autrui (en l’occurrence les relations consommateur / marque). D’autre part, le neuromarketing joue un rôle en tant que science, celle qui permet de mesurer et d’analyser ces émotions, et donc cette relation. a) Définitions et exemples Le concept de lovemark a été évoqué pour la première fois en 2005 par Kevin Roberts, président de l’agence publicitaire Saatchi & Saatchi. Dans son ouvrage Lovemarks, il définit ce terme comme la relation quasi amoureuse qu’entretiennent un consommateur et une marque. Plus précisément, Richard Huntington, directeur de la stratégique chez Saatchi & Saatchi explique que la lovebrand est « quelque chose que vous trouvez complètement irrésistible et dont vous voulez absolument tout. C’est une relation intense avec une certaine marque, qui engage émotionnellement le consommateur ».30 La notion de lovemark se traduit par différents constats : tout d’abord, la marque se doit d’être respectueuse avec son client, comme dans n’importe quelle relation amoureuse. D’autre part, la lovebrand se compose de trois éléments : - Le mystère : la marque doit communiquer mais garder des secrets pour entretenir la curiosité du consommateur ; - La sensualité : cet élément se réfère aux actions menées en marketing sensoriel, c’est-à-dire qu’elle doit toucher nos cinq sens pour séduire le consommateur ; - L’intimité : c’est l’idée que la marque appartient au consommateur et non pas l’inverse. Pour ce faire, la marque doit être engagée, empathique (c’est-à-dire qu’elle doit se mettre à la place du consommateur) et provoquer un sentiment de passion chez ses clients. Les fondements de ces travaux ont pour socle les théories de Jennifer Aaker, et l’idée que la marque a une personnalité (humaine) d’une part, mais également le concept d’emotional branding d’autre part. Ces bases sont loin d’être purement cartésiennes, et selon Kevin Roberts, il faut mettre l’intelligence émotionnelle au cœur de la publicité et de la communication, pour répondre aux attentes des consommateurs. Ainsi, Saatchi & Saatchi établit un classement de ces lovebrands sur son site Internet éponyme : http://www.lovemarks.com. Par exemple la marque qui arrive en tête dans le secteur des technologies est Apple. Or, il est vrai que cette marque met en avant dans sa 30 Varley, M. (2008). DO YOU REALLY LOVE ME? (cover story). Brand Strategy, (228), 26-32. 31 stratégie marketing les trois éléments que nous avons cités ci-dessus, qui sont le mystère, la sensualité et l’intimité. Nous détaillerons d’ailleurs plus tard dans ce mémoire comment cette marque a su géré et gère encore ce trio d’ingrédients avec succès. b) Conséquences de l’apparition des lovebrands Tout d’abord, en remettant le client au centre de ses actions, les métiers du CRM (customer relationship management ou gestion de la relation client en français) sont désormais au cœur de l’entreprise et de ses services marketing. En effet, comme lors d’une relation amoureuse, le CRM se doit de séduire le client (utilisation des techniques de marketing sensoriel), de le rendre fidèle (mise en place d’un programme de fidélité), ou encore de communiquer avec lui comme s’il était unique (stratégie de marketing one-to-one, qui personnalise les communications adressées au consommateur). Enfin, l’image de la marque et les produits doivent rester séduisants, pour éviter que le consommateur ne se désengage de la relation. Globalement, on demande aujourd’hui aux marques d’engager leurs consommateurs, notamment en sollicitant leur participation à la création des produits ou des offres. La relation d’amour est donc bilatérale et non plus unilatérale comme elle a pu l’être par le passé. D’autre part, comme une marque est quasiment considérée comme une personne par le consommateur, elle se doit d’être cohérente sur tous les points de contact qu’elle a avec ses clients. En effet, quel consommateur pourrait tomber amoureux d’une marque schizophrène ? Car même si les émotions entrent en jeu, notre cerveau conserve un besoin de rationalité et de cohérence, l’intelligence émotionnelle étant une combinaison d’affectif et de cognitif. D’autre part, la marque doit être présente même en cas de crise… Donc, pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, pour éviter le désengagement si le consommateur est déçu, le service après-vente se doit d’être irréprochable. L’une des entreprises qui met parfaitement en œuvre cette idée est Zappos, l’un des filiales d’Amazon, dont l’une des salariés du service client aurait passé plus de neuf heures au téléphone avec une cliente. De la même manière que le ferait quelqu’un qui nous aime, cette entreprise a su être à l’écoute de son client et répondre à ses attentes. Les marques sont donc soumises à une certaine pression, et doivent d’évoluer pour atteindre une place de choix dans le cœur du consommateur. Mais au-delà de cette relation d’amour qui parait presque utopique, nous allons maintenant montrer quels sont les bénéfices qu’une marque peut tirer en devenant une lovemark. 32 2) Pourquoi une marque se doit d’être une lovebrand ? Aujourd’hui, une marque a tout intérêt à être considérée comme une lovebrand par les consommateurs, et les neurosciences sont un instrument essentiel dans cette nouvelle conception du branding et du marketing. a) Les bienfaits pour une marque d’être une lovebrand Comme cela a déjà été mentionné dans cette étude, les consommateurs subissent un matraquage publicitaire impressionnant. Le nombre de publicités auxquelles nous sommes confrontés chaque jour (environ 3000) est en partie dû au nombre de marques, toujours plus élevé parmi lesquelles nous pouvons choisir. Cependant, au lieu de nous donner plus de satisfaction, l’augmentation des alternatives peut activer dans notre cerveau un sentiment de frustration, comme le montrent les schémas suivants : 31 Selon Kevin Roberts, le consommateur est confronté en moyenne à 35 000 marques en supermarché. De ce fait, et particulièrement dans un contexte de crise, une marque a besoin de se différencier de ses concurrents si elle veut être choisie parmi cette multitude d’options qui s’offre aux consommateurs. Et “comme la différenciation sur les bénéfices fonctionnels est de moins en moins forte avec les progrès techniques […] la différenciation sur les bénéfices émotionnels devient de plus en plus cruciale » 32 . Premièrement, il s’agit donc pour une marque d’être l’élue du cœur du consommateur. Ensuite, si l’on s’appuie sur le vieux proverbe qui dit que « quand on aime, on ne compte pas », est-ce vrai pour les ventes des produits et services proposés par les lovemarks ? Il 31 Cerveau et Psycho n° 7 – sept / nov 2004 Pawle, J., & Cooper, P. (2006). Measuring emotion—Lovemarks, the future beyond brands. Journal of Advertising Research, 46(1), 38-48. 32 33 semblerait que oui, puisque les lovemarks ont 4 à 7 fois plus de chances d’être achetées que leurs concurrents ! De plus, lorsque les lovebrands élargissent leur gamme de produits ou créent une extension de marque, ces produits également ont plus de probabilités d’être choisie par le consommateur, qui souhaitera obtenir « absolument tout » de la marque, selon Richard Huntington. Enfin, au-delà de l’augmentation du panier moyen, c’est la longévité de la relation entre le consommateur et la marque qui représente un avantage puissant. Qu’est-ce qu’une marque peut souhaiter d’autre que des clients fidèles dans une société de consumérisme éphémère qui atteint son apogée ? Selon Kevin Roberts, la lovemark est créatrice d’une « fidélité au-delà de la raison ». Cette fidélité se traduit également par du bouche-à-oreille positif (c’est-à-dire que le consommateur va recommander la marque qu’il aime à tous ses pairs), qui nous influence à hauteur de 50% dans nos décisions d’achat selon une étude réalisée par McKinsey en 2015. Ainsi, les lovemarks possèdent trois avantages compétitifs substantiels : elles sont choisies par les consommateurs, génèrent beaucoup plus de ventes que leurs concurrents, et tout cela sur le long-terme. Cependant, toutes les marques existantes actuellement ne peuvent pas devenir des lovebrands, sans quoi la différenciation émotionnelle entre ces marques n’aurait pas lieu. Nous allons donc maintenant voir comment les neurosciences et la neuro-imagerie sont une aide significative dans la conception d’une lovemark. b) Les apports du neuromarketing dans la construction de la lovemark Tout d’abord, pour devenir une lovebrand, la marque doit être capable d’apporter une forte valeur ajoutée dans les produits et services qu’elle propose aux consommateurs. De ce fait, le neuromarketing est un outil puissant car comme nous l’avons déjà mentionné, il permet de mesurer les réponses neuronales positives envoyées par le cerveau du consommateur au stade de création du produit. De plus, nous avons démontré l’intérêt du neuromarketing dans la mise en place des actions de marketing sensoriel, qui contribuent à instaurer la « sensualité » d’une marque, l’un des trois éléments qui feront d’elle une lovebrand. Par ailleurs, la mesure des émotions, et plus particulièrement du sentiment d’amour qu’un consommateur peut ressentir pour une marque, est une mesure très complexe. Cela vient du vient que les consommateurs (et les individus de manière générale) ont du mal à exprimer leurs sentiments réels. Ainsi, il parait très difficile de savoir si une marque appartient à la catégorie des lovebrands avec une simple étude qualitative, qui intègrerait potentiellement des 34 techniques projectives dans le but de mesurer l’intensité de la relation entre une marque et ses consommateurs. A. K Pradeep, PDG de NeuroFocus Inc., l’une des plus grandes agences de neuromarketing, démontre l’intérêt de cette nouvelle science dans la mesure des lovemarks : « nous pensons que le neuromarketing est un meilleur moyen de trouver ce que les consommateurs ressentent à propos d’une marque que de passer par une étude, car bien souvent, les gens trouvent cela difficile d’exprimer leurs sentiments. A partir du moment où l’on pense au sentiment, le fait d’y penser altère ce sentiment. »33 Martin Lindstrom a réussi à prouver la véracité de cette phrase à travers les recherches qu’il a menées pour son ouvrage Buyology. En effet, grâce aux techniques d’IRM fonctionnelle, il a montré que l’utilisation de l’IPhone activait la zone de l’amour dans le cerveau des Apple addict. Cette zone est l’aire tegmentale ventrale, dont les neurones sont à l’origine de la production de dopamine, et fait partie du la région du cerveau responsable de la récompense. L’activation de cette zone explique donc le « bien-être » que certains consommateurs ressentent lorsqu’ils achètent des produits de leur lovebrand adorée, et qu’ils les utilisent. Par conséquent, la lovebrand semble donc être l’avenir du marketing et du branding, et le neuromarketing est la discipline qui permet d’aider à créer ces lovemarks, puis à mesurer si les émotions que le consommateur ressent pour la marque sont réelles ou non. Dans la seconde partie de ce mémoire, nous allons tenter de répondre aux questions suivantes : Jusqu’où cet amour pour la marque peut-il s’exprimer ? Jusqu’à quel point la marque peutelle engager le consommateur et comment ? Toujours en faisant le lien avec les neurosciences, et en considérant l’influence du rationnel et de l’irrationnel dans les décisions du consommateur, nous allons voir si, même dans la relation consommateur – marque, « l’amour a ses raisons, que la raison ignore ». PARTIE II – LE NEUROMARKETING ET LES COMMUNAUTES DE MARQUE Nous avons jusqu’à présent défini ce qu’était le neuromarketing, quelles étaient ses capacités à mesurer et à analyser l’intelligence émotionnelle du consommateur, et comment ce dernier, grâce à la puissance du marketing sensoriel et des émotions véhiculées par la communication, pouvait éprouver de réels sentiments pour une marque. En nous appuyant sur les 33 Varley, M. (2008). DO YOU REALLY LOVE ME? (cover story). Brand Strategy, (228), 26-32. 35 neurosciences et le neuromarketing, nous allons maintenant nous intéresser aux mutations sociales qui ont transformé les besoins des consommateurs durant les dernières décennies, afin de découvrir comment la relation entre les individus et les marques est devenue prédominante dans notre société… A tel point que les émotions se sont accumulées pour se transformer en sentiment, celui d’appartenance à une communauté de marque. A – Des émotions aux sentiments : l’appartenance à une communauté de marque 1) Qu’est-ce qu’une communauté de marque ? Une fois n’est pas coutume, de même que le neuromarketing, l’intelligence émotionnelle et les lovebrands, le concept de communauté de marque est relativement récent dans la littérature (années 1900 / 2000). Nous allons maintenant nous intéresser à ce concept plutôt nouveau, en illustrant nos propos à l’aide d’exemples concrets. a) Définitions et exemple : la marque Harley Davidson Dans le secteur du marketing, le nombre de spécialistes en communautés de marque semble assez restreint, mais l’on peut s’appuyer sur les travaux d’Albert Muñiz Jr., professeur et docteur en marketing à Chicago, pour définir ce concept : « une communauté de marque est une communauté spécialisée, sans limite géographique, basée sur un ensemble structuré de relations sociales parmi les admirateurs de cette marque »34. Selon Albert Muñiz Jr., comme n’importe quelle communauté, les communautés de marques possèdent trois caractéristiques : - Un sentiment d’appartenance (à la communauté) ; - Des rituels et des traditions ; - Un sens de la responsabilité morale. Cependant, même si la littérature sur les communautés de marque est récente, ce n’est pas un phénomène totalement nouveau. En effet, l’une des communautés de marque les plus célèbres du monde a vu le jour en 1983, avec la création du Harley Owners Group (H.O.G.), dont 40% des possesseurs de Harley Davidson font aujourd’hui partie dans le monde entier (soit environ un millions d’individus). D’ailleurs, les recherches sur les communautés de marques nous expliquent qu’il est essentiel d’avoir un endroit où les membres peuvent se retrouver (sans 34 Albert M. Muniz, Jr. and Thomas C. O’Guinn Journal of Consumer Research Vol. 27, No. 4 (March 2001), pp. 412-432 36 quoi la communauté ne peut pas se constituer). Cet endroit, Harley Davidson a su le créé audelà de ses points de vente, puisque la marque organise des rallyes régionaux de façon mensuelle, ainsi qu’un grand rassemblement annuel. Cela permet de mettre en place les « rituels et traditions » qui réunissent les membres de la communauté. Les premières études sur les communautés de marques montrent qu’il existe une « triade » au sein d’une communauté de marque, expliquée par ce schéma, établi par Muniz et O'Guinn's en 200135 : Entre la lovebrand et les membres de sa communauté, il s’agirait presque d’une relation polygame… Quoi qu’il en soit, les interactions entre ces différents acteurs sont donc essentielles à la construction d’une communauté de marque, au sein de laquelle la marque ne peut plus agir de manière bilatérale avec ses clients. Cela signifie que nous sommes passés d’un modèle one-to-one (relation linéaire entre le consommateur et la marque) à un modèle many-to-many (relations entre les consommateurs membres de la communauté, avec la marque comme socle commun), et ce changement de modèle est de plus en plus vrai avec le développement d’Internet et des réseaux sociaux. b) Les communautés de marque à l’ère du digital Comme cela a déjà été mentionné, pour qu’une communauté de marque puisse se construire, il lui faut un endroit où ses membres peuvent se rassembler. C’est ce qu’Internet et les réseaux sociaux ont permis, de manière immédiate et illimitée. Cet endroit peut être par exemple le site Internet de la marque, ou bien une plateforme dédiée à la communauté, ou encore une page Facebook. D’ailleurs le réseau social avait d’abord lancé des Fan pages (que n’importe quel utilisateur pouvait créer) pour finalement transformer cette fonction en 2010 en pages 35 Muniz. Albert and Thomas O'Guinn (1996). "Brand Community and the Sociology of Brands." in Advances in Consumer Research. Vol. 23 37 communautés, que seules les marques ont le droit de créer. Les membres passent donc du statut de « fan » à « membre d’une communauté » de marque virtuelle. La croissance fulgurante des communautés de marque en ligne se traduit également par l’arrivée de nouveaux métiers, tels que les community manager, qui prennent beaucoup d’ampleur dans le secteur du marketing, et sont de plus en plus valorisés. Car si les consommateurs aiment une marque, il faut qu’ils se sentent aimés en retour. Et on peut penser que c’est précisément le rôle du community manager d’ « orchestrer » les réponses à ce besoin qui est « vital »36, selon Olivier Droulers et Bernard Roullet, les. L’avantage d’Internet est que les consommateurs peuvent assouvir ce besoin immédiatement, partout, tout le temps, et de façon illimitée. Cependant, les communautés de marque en ligne ne sont pas toujours représentatives de la réalité. Par exemple, Apple et Harley Davidson, qui sont considérées comme les deux marques ayant les plus fortes communautés de consommateurs au monde, ne figurent pas dans le top 10 des communautés Facebook, que voici : Source : www.socialbakers.com (février 2016) Cela dit, Coca-Cola et McDonald’s, deux marques que nous avons déjà évoquées dans la première partie de ce mémoire, arrivent en tête de ce classement… 36 Droulers, O. & Roullet, B. (2010). Neuromarketing. Le marketing revisité par les neurosciences du consommateur, Ed. Dunod, p.48 38 Ainsi, nous défini la notion de communauté de marque, qu’elle soit réelle et/ou virtuelle. Partant de cette définition, quels sont les bénéfices qu’une marque peut tirer de cette communauté de consommateurs « amoureux d’elle ? c) Quels avantages compétitifs pour une marque qui a construit sa communauté ? Nous avons vu précédemment quels étaient les avantages générés par le statut de lovemark, nous allons maintenant compléter ces bénéfices avec les principaux bienfaits apportés par la constitution d’une communauté existante autour de la marque, que voici : - Appropriation de la marque par le consommateur : Comme l’explique Bernard Cova, spécialiste du marketing tribal (et par extension, de la communauté de marque), ce phénomène récent nous amène à nous demander « qui possède la marque »37 ? Pour les membres des communautés, la question ne se pose pas, ce sont eux qui la possèdent. Cela dit, il faut préciser qu’il existe différents types de membres au sein d’une même communauté, plus ou moins impliqués et passionnés, ce qui donne lieu à une structure hiérarchique au sein de la communauté. Quoi qu’il advienne, qu’ils soient « fanatiques » ou « gardiens du temple » de la marque, la constitution de cette communauté permet à ses membres de s’approprier la marque, ce qui renforce la lovebrand. En effet, l’idée fondamentale de l’ouvrage de Kevin Roberts, Lovemarks, est la suivante : la marque appartient aux consommateurs et non pas l’inverse. - Les membres de la communauté deviennent les ambassadeurs de la marque : Au-delà du simple statut de membre, certains consommateurs extrêmement impliqués dans la communauté deviennent des ambassadeurs de la marque, soit les porte-paroles de la marque. Ils sont capables de créer des contenus pertinents pour divertir le reste de la communauté, et l’idée de co-création avec le consommateur prend ici tout son sens. L’entreprise française lafourchette.com met en application cette pratique depuis quelques années sur ses différents canaux de communication ainsi que dans ses guides papiers, qui sont décrits comme communautaires (c’est-à-dire que le classement des meilleurs restaurants est établi selon les avis des internautes). Le principal avantage de cette technique est de donner un aspect authentique à la communication de la marque. Le consommateur actuel, à la recherche de vérité, peut alors s’identifier à ces ambassadeurs, et donc à la marque elle-même. De plus, le 37 Cova, B. (2006). DÉVELOPPER UNE COMMUNAUTÉ DE MARQUE AUTOUR D'UN PRODUIT DE BASE: L'exemple de my nutella The Community. Decisions Marketing, (42), 53-62. 39 bouche-à-oreille, comme nous l’avons déjà vu précédemment, est un facteur d’influence très important dans les décisions du consommateur. - Une modification des croyances en faveur de la marque et une réduction de la dissonance cognitive : Comme l’explique Lionel Sitz dans sa thèse sur les communautés de marque, on assiste à un partage des connaissances de chaque membre, ce qui va générer au fur et à mesure du temps une « mémoire communautaire »38. Les membres de la communauté s’appuient alors sur cette mémoire commune, et se créent de nouvelles croyances sur les produits et la marque qui ne sont pas forcément celles du marché. Les membres les plus importants, quant à eux, jouent un rôle d’expert de la marque et de ses produits, et cette expertise permet aux membres moins impliqués de potentiellement réduire la tension provoquée par la dissonance cognitive. L’interaction sociale avec d’autres membres de la communauté aide le consommateur à se rassurer sur ses propres choix, grâce au phénomène de « cognition distribuée », une approche des sciences cognitives selon laquelle la cognition et les processus neurologiques des individus se développent dans le cadre de leur environnement social, et pas uniquement au point de vue individuel. Ici, la liste des avantages que peut apporter une communauté de marque n’est pas exhaustive. Cependant, le dernier avantage présenté nous ramène à l’un des liens que l’on peut établir entre communauté de marque et neurosciences, liens que nous allons maintenant étudier en détails. 2) Communautés de marque et neuromarketing La constitution d’une communauté de marque semble être la continuité logique de la relation amoureuse que certains consommateurs entretiennent avec la marque. Nous avons déjà montré quels étaient les liens entre neurosciences et lovemark, et nous allons maintenant pousser cette recherche un peu plus loin en expliquant comment le neuromarketing peut aider à analyser, et donc à constituer, une communauté de marque. 38 Lionel Sitz, « Communauté de marque, Rôle des membres centraux dans son émergence, sa structuration et ses liens avec l’environnement », Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Sous la direction d’Abdelmajid Amine, Val de Marne, Université Paris XII, 2006, 532 p. 40 a) Intelligence émotionnelle : le cerveau programmé pour l’empathie Le dictionnaire Larousse définit l’empathie comme la « faculté de se mettre à place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent ». L’empathie peut donc être considérée comme un aspect de l’intelligence émotionnelle qui, rappelons-le ici, est la capacité à reconnaitre nos émotions ou celles d’autrui et à les gérer. Cette faculté est plus ou moins forte selon les individus, certaines personnes sont donc plus empathiques que d’autres. Mais quoi qu’il en soit, le phénomène d’empathie s’explique également par la connaissance du cerveau humain. En effet, comme nous l’avons déjà évoqué, si les individus sont capables de ressentir de l’empathie, c’est grâce au travail des « neurones miroirs » (voir définition page 15). D’ailleurs, Vilayanur Ramachandran les appelle également « neurones empathiques ». Dans son livre Buyology, Martin Lindstrom souligne l’importance de ces neurones dans nos réactions et nos comportements. Il donne de nombreux exemples concrets et quotidiens, comme le fait d’avoir envie de bailler lorsqu’on voit quelqu’un le faire, ou encore la compassion que l’on peut ressentir pour quelqu’un qu’on aime bien lorsqu’il lui arrive une mauvaise chose. Mais les neurones miroirs sont également en état de marche lorsqu’on lit un livre, qu’on regarde un film (empathie pour les personnages), ou encore lorsqu’on croise des gens dans la rue… En bref, l’IRM fonctionnelle et l’électroencéphalogramme ont prouvé que les neurones miroirs étaient actifs dès qu’un individu effectue une action, ou dès qu’une personne observe un autre individu en train de réaliser une action. Par conséquent, en termes de communication, il est essentiel pour une marque de mettre en scène des utilisateurs, qui ressentent des émotions positives lors de leur expérience avec le produi. En effet, le consommateur, à la simple vision de ce type de communication, pourra alors ressentir des émotions positives, grâce à l’activation des neurones miroirs. On peut citer en exemple la marque Apple (dont l’iPhone est capable d’activer la zone de l’amour dans le cerveau du consommateur), qui depuis la sortie de son fameux smartphone en 2007, a su mettre en place ce type de stratégie de communication de manière subtile. En effet, la campagne d’affichage pour l’iPhone 6 met en avant une série de clichés qui ont été faits avec le nouveau modèle de téléphone, dont voici un exemple : 41 On pourrait dire à première vue que la publicité a uniquement pour vocation de vanter la qualité de l’appareil photo de l’iPhone 6. Mais si l’on analyse un peu plus profondément cette affiche en tenant compte de ce que nous avons démontré jusqu’à présent sur les neurones miroirs, on peut également penser que le consommateur, lorsqu’il est face à cette publicité, s’imagine aisément lui aussi derrière un écran d’iPhone, en train de capturer un moment unique. Cette idée semble se confirmer avec les spots publicitaires réalisés par la marque pour l’iPhone 5, dont nous parlerons dans la troisième partie de ce mémoire. Avec ce type de publicités qui impactent nos neurones miroirs, la force d’Apple a été d’aider ses consommateurs à mieux se comprendre les uns les autres, à les pousser à partager leurs émotions, et donc à créer entre eux des relations basées autour de l’utilisation de leurs produits, fondements de la communauté de marque Apple. En effet, comme l’explique Giacomo Rizzolatti, expert en neurones miroirs, « la compréhension instantanée des émotions des autres, rendu possible par le système des neurones miroirs émotionnels, est une condition nécessaire à l’empathie, qui est à la base de la plupart des relations interindividuelles les plus complexes ». 39 Ainsi, à travers l’études des neurones miroirs, les neurosciences nous aident à comprendre un peu mieux la constitution des communautés de marque. Au-delà de ce premier apport, le neuromarketing nous permet également d’analyser les processus cognitifs à l’origine du besoin d’appartenance sociale, mais aussi des comportements inconscients qui animent le consommateur à atteindre ou à maintenir un statut social (via ce qu’il consomme). 39 Rizzolatti, G. Sinigaglia, C. Raiola, M., Neurones miroirs (Les), Ed. Odile Jacob 42 b) Besoins inconscients d’appartenance et enjeux sociaux Au-delà de l’empathie, l’autre facteur neurologique qui pousse les consommateurs à vouloir appartenir à une communauté est le besoin d’appartenance. En effet, comme l’expliquent Droulers et Roulet dans leur ouvrage, le fait de se sentir exclu d’un groupe auquel on a envie d’appartenir active dans notre cerveau l’aire cingulaire antérieure dorsale du sujet, qui correspond à notre système d’alarme interne. Ainsi, la crainte liée au fait de ne pas pouvoir assouvir ce besoin d’appartenance (également appelé besoin d’affiliation) est prouvée par les neurosciences. Par ailleurs, pour montrer à un groupe qu’il souhaite l’intégrer, un individu peut modifier sa consommation pour façonner son image de soi. En effet, on parle alors du concept de « soi étendu » (Belk, 1988), c’est-à-dire que l’individu consomme des produits ou des services qu’il perçoit comme une extension de lui-même. De ce fait, ces objets possèdent alors une valeur symbolique (et non pas uniquement marchande ou utilitaire). Ils confèrent alors un statut social au consommateur, à quatre niveaux : familial, individuel, en groupe et/ou… communautaire. Ce postulat provient de la théorie du « self-concept » (Belk, 1988), qui correspond à la composante cognitive du soi, et qui se définit comme l’ensemble des croyances et images que l’individu a de lui-même. L’individu va alors chercher à consommer des produits ou services en congruences avec ces croyances et ces images. Ainsi, cette idée que la perception de soi peut se façonner en fonction des objets et des marques est particulièrement vraie avec les marques de luxe. En effet, des IRM fonctionnelles ont montré que lorsque le consommateur était exposé à des logos de marques de voitures de luxe, la zone médiane de son cortex préfrontal s’activait, ce qui signifie que le cerveau du consommateur a envie d’intégrer ces marques luxueuses à son self-concept. Or, certains auteurs montrent que les consommateurs s’approprient les significations d’une marque grâce à des groupes de références (et donc à des communautés) pour construire leur concept de soi. Par conséquent, ces notions de concept de soi et de communauté de marque ne semblent pas pouvoir fonctionner l’une sans l’autre. Ainsi, la consommation semble avoir pris une place essentielle dans nos vies, en définissant ce que nous sommes, et à quelle communauté nous souhaitons appartenir. Nous allons maintenant tenter d’expliquer quels sont les phénomènes sociaux qui ont donné une telle importance à la consommation depuis plusieurs décennies. 43 B – Communautés de marque ou nouvelles religions ? 1) Postmodernité & accélération : le cerveau à la recherche de nouveaux repères Aujourd’hui, la phrase « je consomme, donc je suis » semble correspondre à la manière dont les individus vivent dans les sociétés occidentales développées. Quelles sont les mutations sociales qui ont poussé l’esprit du consommateur à se conditionner de cette façon ? Comment la consommation est-elle devenue ce qui fait notre identité ? Nous allons essayer de répondre à ces questions en montrant comment les phénomènes de postmodernité et d’accélération ont modifié et refaçonné les cerveaux des consommateurs, pour leur donner de nouveaux repères. a) La postmodernité : des consommateurs aux besoins imprévisibles et changeants Jusqu’à présent, nous avons montré ce qu’était une communauté de marque, et ses liens avec les neurosciences et le neuromarketing. Ce que nous allons maintenant essayer d’expliquer, c’est à quel moment ce besoin d’appartenir à une (ou plusieurs) communauté(s) de marque est apparu, et comment. Pour cela, il est important d’évoquer la fin de la période de modernité, qui a laissé place à celle de la postmodernité, et ses conséquences sur les comportements des consommateurs. Dans les années 1990, la modernité, définie comme « la construction d’une image rationaliste du monde qui intègre l’homme dans la nature, le microcosme dans le macrocosme, et qui rejette toutes les formes de dualisme du corps et de l’âme, du monde humain et de la transcendance »40 est donc remise en cause par l’approche sociologique de la postmodernité. Cette approche se caractérise par un rejet du rationalisme, ainsi que par la fin des grands mythes, notamment provoquée par le déclin du communisme. Selon les principaux auteurs de ce courant, la consommation postmoderne requiert cinq conditions : - L’hyperréalité : cette condition signifie que la réalité est illusoire. En effet, comme le dit Baudrillard, « tout ne serait qu’image, illusion et simulation »41 ; - La fragmentation du moi : ce concept traduit l’idée de plusieurs concepts de soi, car le consommateur postmoderne est poussé à modifier son image constamment et pour chaque rôle qu’il occupe, les produits qu’il consomme vont être différents ; 40 41 Touraine, A. (1992), Critique de la modernité, Ed. Fayard, p.45 AUBERT, N., (2004), L'individu hypermoderne, Ed. Eres 44 - La réversibilité de la consommation et de la production : traditionnellement, la production crée de la valeur et la consommation détruit cette valeur. Or, à l’ère de la postmodernité, c’est le consommateur postmoderne qui donne de la valeur aux produits et aux services via les expériences qu’il produit lui-même avec ce qu’il consomme ; - le décentrage du sujet : il s’agit ici de la confusion entre le consommateur (le sujet) et le produit ou service consommé (l’objet), ainsi que le contrôle de la relation entre les deux parties. On introduit d’ailleurs ici la notion de relation entre le consommateur et le produit, qui n’existait pas encore à l’ère de la modernité ; - la juxtaposition des contraires : cette condition se traduit par le fait que les individus souhaitent se différencier les uns des autres, et pour ce faire, ils vont agir à l’encontre des normes et valeurs traditionnelles, qui sont désormais rejetées. Ainsi, on assiste à des comportements qui pouvaient apparaitre comme strictement opposés, et qui rend le consommateur et ses choix paradoxaux. Ces paradoxes s’appuient sur des dimensions de la consommation inhérentes à la postmodernité, que sont par exemple le besoin de nostalgie (pas de croyance dans le futur), le besoin d’émotions (qui prouve le rejet de la raison et de la rationalité), ou encore le mélange des genres. Une autre dimension essentielle à ce nouveau type de consommation est le besoin d’expériences, fortement lié au tribalisme, défini comme ce qui est « relatif à la tribu comme forme d’organisation sociale » 42 . Et dans notre société postmoderne, il semble que les nouvelles organisations sociales soient… les communautés de marque. Ainsi, comme nous l’avons déjà mentionné et comme nous venons de l’expliquer en détails avec la postmodernité, le choix du consommateur n’est pas toujours rationnel, mais en plus de cela, il est souvent paradoxal. Le neuromarketing semble donc être la seule science capable d’étudier les processus de ces choix, presque incompréhensibles dans le cerveau du consommateur. Nous allons à présenter constater que cela est encore plus vrai avec le phénomène récent d’accélération sociale. b) Le phénomène d’accélération et l’accroissement du rythme de vie La postmodernité a engendré de nombreux paradoxes, et on peut presque affirmer que l’ultime paradoxe est le phénomène de l’accélération. Grossièrement, il se traduit par le fait 42 http://www.cnrtl.fr/ 45 (réel) que nous avons de plus en plus de temps à vivre (rallongement de la durée de la vie, réduction du temps de travail,…), mais l’impression que nous avons de moins en moins de temps à nous, et que nous sommes en permanence occupés, voire surbookés. L’homme à l’initiative de cette théorie est un sociologue et philosophe allemand, Hartmut Rosa. Dans son ouvrage Accélération : Une critique sociale du temps, l’auteur distingue trois formes d’accélération : - L’accélération technique : il s’agit de la faculté à effectuer une tâche plus rapidement. Par exemple, auparavant, lorsque nous cherchions la signification d’un mot inconnu, il fallait se lever de sa chaise, trouver le dictionnaire, chercher le mot dans le dictionnaire, et en comprendre la définition. Maintenant, eh bien… il y a Google ; - L’accélération du changement social : cette dimension concerne particulièrement le travail et la famille. Elle se traduit par le fait que les individus changent de travail beaucoup plus rapidement et plus fréquemment, et que les modèles familiaux et religieux ont changé (augmentation du nombre de divorces, fin des croyances religieuses…). C’est notamment cette dimension de l’accélération qui renforce l’émergence des communautés de marques, ces dernières se positionnant quasiment comme des substituts à la famille et/ou à la religion. - L’accélération du rythme de vie : à cause de l’accélération technique, nous sommes de plus en plus habitués à aller vite et à faire les choses rapidement. Cela créé chez les individus une aversion pour la lenteur, et donc une accélération du rythme de vie, qui se caractérise par plus de vitesse dans les transports, l’apparition des fast-foods, du speed recruiting, la fibre Internet, etc. Tout ce qui fait partie de notre vie quotidienne doit donc aller plus vite, et cela pousse les entreprises et les individus à créer des innovations technologiques, inhérentes à la dimension de « l’accélération technique ». Ainsi, le cercle (vertueux ou vicieux ?) de l’accélération est lancé. Les questions que l’on peut alors se poser dans le cadre de ce mémoire sont les suivantes : comment le cerveau s’adapte-t-il à ce phénomène d’accélération ? Notre activité cérébrale fonctionne-t-elle elle aussi à grande vitesse ? Comment le neuromarketing intervient-il dans le cadre de ce phénomène, qui touche directement les consommateurs et leur esprit ? 46 c) Comment le cerveau se crée-t-il de nouveaux repères ? Comme nous l’avons indiqué dans la première partie de ce mémoire, le neuromarketing se base sur le concept du mème, défini comme une « unité d'information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d'une société ». Avec le phénomène d’accélération, on la quantité d’informations et leur vitesse de circulation a augmenté. Par conséquent, avec cette vitesse et cette quantité, les informations sont plus accessibles par les techniques d’études marketing traditionnelles, et surtout par les consommateurs eux-mêmes. Encore une fois, notre cerveau est capable de faire le tri dans ces unités d’information. De la même manière que les gènes, les mèmes les plus forts (c’est-à-dire les plus séduisants aux yeux d’un individu) vont dominer les mèmes faibles. Par exemple, les individus (et donc les consommateurs) ont besoin de croire en quelque chose qui leur apporte des réponses, qu’il s’agisse de la religion, de la science, ou encore… de la performance des objets qu’ils consomment. Ainsi, en dépit des mutations sociales qui engendrent des transformations culturelles profondes, certains mèmes résistent dans nos cultures, à l’instar de certains gènes dans nos corps, du moment que ces mèmes constituent un intérêt pour notre cerveau : « la valeur de survie du mème Dieu provient de son énorme attrait psychologique. Il fournit en fait une réponse simple à des questions profondes et troublantes, à propos de la vie et de la mort »43. Cependant, les mèmes « résistants » dépendent fortement de l’environnement dans lequel ils évoluent. En effet, selon Richard Dawkins, il existe des ce qu’il appelle des méméplexes, c’est-à-dire un groupement de mèmes qui vont être plus efficaces et plus forts lorsqu’ils sont associés. On peut citer en exemple l’ensemble des traditions autour de la fête de Noël (les cadeaux et le sapin décoré, le repas et ses plats typiques, le Père Noël, etc.). Chacun de ces mèmes est renforcé par les autres, dans notre cerveau, et particulièrement dans notre mémoire. Rappelons que la croyance est définie comme « le processus mental expérimenté par une personne qui adhère à une thèse ou une hypothèse, de façon qu’elle les considère comme vérité, indépendamment des faits confirmant ou infirmant cette thèse ou cette hypothèse »44. Cette définition renvoie donc à un processus neurologique, et certains auteurs affirment ainsi que notre cerveau est programmé pour croire. Mais dans une société 43 Larivée S, Sénéchal C, Baril D. Santa Claus, Piaget, God and Darwin. Studies In Religion-Sciences Religieuses [serial online]. September 1, 2010;39(3):435-452. 44 https://fr.wikipedia.org/wiki/Croyance 47 consumériste postmoderne où Dieu et les religions prennent de moins en moins d’importance, quels sont les mèmes qui apparaissent ? Quels sont ceux qui subsistent en apportant aux consommateurs une réponse « simple » à une question devenue aujourd’hui essentielle : comment aller plus vite, tout en étant plus performant ? C’est ce que nous allons maintenant découvrir en étudiant l’univers de l’une des lovemarks les plus puissantes du monde : Apple. 2) Etude sémiologique de la marque Apple : rituels, croyances et mystères En Janvier 2010, lors du lancement de l’iPad, Steve Jobs affirmait : « La dernière fois qu’il y a eu autant d’excitation autour d’une tablette, il y avait des commandements écrits dessus. » Cette phrase signifierait-elle qu’Apple est devenue la nouvelle religion dans nos sociétés occidentales consuméristes ? Steve Jobs aurait-il été une sorte de prophète, à cheval entre deux millénaires ? Nous allons maintenant essayer de répondre à ces interrogations en étudiant la sémiosphère de la marque Apple, la sémiologie étant définie comme la science qui étudie les signes. a) Comment une lovemark s’est-elle hissée au rang de religion ? Apple, une marque profondément aimée par ses consommateurs, rassemblés par la communauté qu’ils ont formée autour d’elle, a pris une importance considérable au sein de notre société. Avant d’étudier la religiosité de la marque, on peut déjà affirmer que ses excellents résultats financiers sont loin d’être mystiques. Apple réalise un bénéfice net de 53,4 milliards de dollars sur l’exercice 2014-2015, un record historique 45 , qui fait d’elle l’entreprise qui a gagné le plus d’argent dans toute l’histoire du capitalisme. Cette compagnie est devenue un tel mythe que ses performances économiques ne nous surprennent plus. Il semble que dans la stratégie marketing de Steve Jobs, plusieurs actions menées peuvent s’apparenter à des signes religieux, que voici : - Le logotype Le logo de la marque Apple est une icône, c’est-à-dire un signe motivé par ressemblance. En l’occurrence, la ressemblance se fait avec une pomme, qui représente aussi le nom de la marque. Petites particularités du logo, la pomme est croquée, et une feuille est visible en haut du fruit. Le mystère autour de cette pomme reste entier encore aujourd’hui. Pour certains auteurs, il s’agirait du symbole de la connaissance, représentée par la théorie de la gravité 45 http://bfmbusiness.bfmtv.com/ 48 d’Isaac Newton. Pour d’autres, ce pourrait être la pomme remplie d’Arsenic dans laquelle Alan Turing (inventeur de l’ordinateur, et décodeur de la machine Enigma lors de la seconde guerre mondiale, une grande source d’inspiration pour Steve Jobs) aurait croqué pour se tuer. Par ailleurs, il n’y aurait aucune référence biblique dans ce logo, mais le mystère autour de la pomme Apple est si grand qu’aucune hypothèse ne peut être complètement écartée. Cela dit, il est possible que la signification de la pomme ait évoluée au cours du temps, en s’apparentant à sa création à la connaissance d’Isaac Newton, puis à l’esprit d’Alan Turing par la suite. Quoi qu’il en soit, ce logo peut être comparé à un signe presque mystique, dont les explications restent partielles, mais qui apparait sur tous les produits de la marque et qui est parfaitement identifiable, tout en symbolisant la simplicité. - L’importance du PDG La couverture de la revue The Economist parue en Janvier / Février 2010 (disponible en annexe) est extrêmement parlante, mettant en scène Steve Jobs en Jésus-Christ, et fait certainement référence à la citation de l’ancien PDG de l’entreprise lors du lancement de l’iPad. Apple serait donc une religion monothéiste, dont le Dieu à vénérer est Steve Jobs. Il est l’incarnation humaine de la marque, et son décès en octobre 2011 a suscité une forte émotion dans le monde entier. Les médias le qualifient de « gourou », de « prophète », ou encore de « messie »46, et ses discours à chaque lancement de produit y sont certainement pour quelque chose. - Les produits et leur lancement Chaque lancement de produit Apple constitue un véritable évènement. Pascal Lardellier, professeur en sciences de l’information et de la communication compare ces lancements à des « grands messes », ritualisés et solennels. Rien n’est laissé au hasard, et l’objectif de ces « cérémonies » est de faire véhiculer, via un storytelling travaillé, l’idée de grandeur qu’il y a derrière la marque et ses produits. Or, selon Martin Lindstrom, ces notions de storytelling et de grandeur sont capitales pour donner à la marque un aspect religieux. Ces événements permettent également de rappeler aux adeptes de la marque la vision d’Apple, sa mission, qui a été définie comme telle en 1982 : « L’homme est le créateur du changement dans ce monde. Ainsi, il devrait être au-dessus des structures et des systèmes, et non subordonné à eux ». 46 Lardellier Pascal, « Un anthropologue à l'Apple Store.. Notes de terrain sur le millénarisme d'Apple», Questions de communication 1/2013 (n° 23) , p. 121-144 49 - Les points de vente Le tout premier Apple Store a ouvert en Virginie il y a quinze ans. Il s’agit d’une véritable révolution dans la conception de l’experience shopper dans le secteur des nouvelles technologies. Steve Jobs est à l’origine du la création des Apple Store, car il ne supportait pas l’idée que ses produits (qu’il considérait comme plus premium que n’importe quel produit de la concurrence) soient vendus avec ceux des autres marques, dans des lieux qui ne sont pas à l’image de celle d’Apple, et par des vendeurs qui pourraient ne pas aimer la marque. Et comme nous l’avons déjà mentionné, il est nécessaire d’avoir un endroit où les membres de la communauté de marque peuvent se rassembler, ce qui peut également expliquer le coup de génie de Steve Jobs lorsqu’il a voulu lancer ses Apple Stores. Il existe aujourd’hui plus de 320 magasins dans le monde, qui ne désemplissent jamais. Le concept des Apple Stores est minimaliste, épuré, luxueux, et reconnaissable parmi n’importe quelle autre boutique. Elles sont implantées dans des endroits à forte connotation culturelle (dans le Carrousel du Louvre par exemple) et utilisent des signes quasi religieux. Selon Pascal Lardellier, « les Apple Stores sont délibérément conçus comme des dispositifs sacralisants ». Cette affirmation peut se prouver par le fait que des milliers de membres de la communauté Apple aient fait des « pèlerinages » vers les Apple Stores au lendemain du décès de Steve Jobs. Ces boutiques sont donc de véritables lieux de culte, où les fans de la marque se rendent pour vivre une expérience commune. - Le rapport à la concurrence Selon Martin Lindstrom, pour qu’une marque soit considérée comme une religion, il faut qu’elle ait un (ou plusieurs) ennemi(s). Comme le dit ce spécialiste du neuromarketing, « Imaginez Pepsi sans Coca ? Impossible, pas vrai ? ». Et il parait en effet difficile d’imaginer Apple sans l’existence de Microsoft ou de Samsung. Le fait d’avoir un ennemi commun permet de renforcer les liens entre les membres de la communauté de marque, mais c’est aussi ce qui permet à la marque de construire son identité, via sa différenciation par rapport à ses concurrents. Cela rend également plus facile l’évangélisation que les consommateurs de la marque entreprennent auprès des non-consommateurs, parfois sans même sans s’en rendre compte. Et comme nous l’avons déjà mentionné plusieurs fois, le bouche-à-oreille est une arme de persuasion… massive. Comme s’il s’agissait d’un péché de ne pas détenir le moindre appareil de la marque Apple. Et d’ailleurs, les non consommateurs de la marque se refusent à souvent à acheter un produit Apple, presque par conviction. Nous étudierons cela de plus près dans la partie étude exploratoire de ce mémoire. 50 Quoi qu’il en soit, si ces mystérieux symboles étaient peut-être une coïncidence à la création de la marque, Apple mène depuis quelques années une stratégie marketing délibérée, dont le but est de faire de la pomme une véritable religion, avec des consommateurs « adeptes ». Et pour revenir à l’importance du neuromarketing dans le déploiement de cette stratégie, nous allons maintenant découvrir ce qui passe dans le cerveau des Apple-addict. b) Religiosité de la marque, neuromarketing et consommation Nous avons déjà montré que le cerveau humain est programmé pour croire. Dans le cas que nous étudions, les fans d’Apple sont-ils programmés pour croire en la supériorité de la marque et de ses produits ? Selon A. K. Pradeep, les « fans d’Apple n’aiment pas simplement leurs iPads. Ils sont programmés pour les aimer »47. Qu’est-ce que cette phrase signifie d’un point de vue neuroscientifique ? Réponse avec Martin Lindstrom : le concepteur de la Buyologie a mené une étude en partenariat avec des neuroscientifiques, qui, à l’aide de l’IRM fonctionnelle, ont comparé l’activité cérébrale de fans d’Apple à celle de croyants Chrétiens. Les résultats de cette étude sont les suivants : la même zone du cerveau s’active lorsque les consommateurs Apple sont exposés à des images relatives à la marque (comme le logo par exemple) et lorsque les croyants Chrétiens sont face à des symboles religieux qui leur rappellent leur foi. Martin Lindstrom précise que ces résultats sont également dus au fait que la marque (en l’occurrence Apple) est une marque à résonnance émotionnelle. Cela ne fonctionnerait pas de la même manière au niveau neurologique avec une marque telle que McDonald’s par exemple. Ainsi, la relation avec la marque devient vitale aux yeux du consommateur. La marque et ses produits, de la même manière qu’une religion et ses écrits, le guide dans sa vie quotidienne. Il semble alors prêt à faire des « sacrifices » pour entretenir cette relation. Ces sacrifices peuvent être financiers : le prix de lancement de l’iPhone 6 oscillait entre 709 et 919 euros selon sa capacité de mémoire, ce qui représente un budget conséquent pour un smartphone. Mais la dévotion peut aussi prendre d’autres formes. Par exemple, certains brand-lovers voyagent aux quatre coins du monde pour assister aux ouvertures de chaque Apple Store, peu importe le temps de trajet et le coût du voyage. 47 Penenberg, A. L. (2011). THEY HAVE HACKED YOUR BRAIN. Fast Company, (158), 84-125. 51 Par ailleurs, le fait d’être séparé de son Mac, de son IPhone ou de son IPad peut s’avérer être insupportable pour certains consommateurs. Une nouvelle phobie a vu le jour ces dernières années, la nomophobie, soit la peur d’être éloigné de son smartphone. Cette peur serait encore plus prononcée chez les détenteurs d’IPhone, selon Martin Lindstrom. D’un point de vue neuroscientifique, le consommateur considère non seulement son IPhone comme une extension de lui-même, mais il a l’impression qu’il lui manque une partie de lui s’il en est séparé. En termes neurologiques, cela signifie que le complexe amygdalien (qui fait partie du système limbique), responsable de la zone de peur, s’active à cause de l’éloignement entre l’individu et son smartphone. De la même manière que deux individus peuvent se percevoir dans une relation amoureuse, l’IPhone est devenue « la moitié » de son détenteur. D’ailleurs, le seul naming des derniers produits conçus par Apple illustre cette stratégie de confusion. Toutes ces innovations commencent par « I », soit « Je » en anglais. Le consommateur s’identifie alors aux produits de la marque qu’il possède. Cette confusion n’est pas sans rappeler le décentrage du sujet, l’une des dimensions de la consommation à l’ère de la postmodernité. Cependant, il est utile de rappeler que sans un fort sentiment d’appartenance à la communauté de marque, la relation individuelle qu’entretient un consommateur avec les produits de la marque Apple ne serait pas aussi intense. En effet, Martin Lindstrom explique d’une part que ce sentiment d’appartenance est l’un des éléments essentiels qui fait la religiosité de la marque, et d’autre part, il renforce l’attachement du consommateur (en tant qu’individu) à Apple. C’est ce qui peut pousser des Apple addict à se rassembler devant des Apple Stores en communauté pour honorer Steve Jobs, tout en laissant des petits mots, où il est inscrit « Tu as changé ma vie. Je t’aime »48. En bref, Steve a fait le Jobs… Cela dit, à l’instar de la fin des mythes religieux, la dévotion d’un consommateur pour une marque peut-elle s’essouffler ? La puissance d’une lovemark est-elle vraiment infinie ? Nous allons maintenant répondre à ces questions en étudiant les potentielles limites de la lovebrand. 3) Les limites des pouvoirs de la lovebrand Nous avons donc démontré jusqu’à présent la puissance des lovemarks, dont l’influence quasi sacrée sur le comportement des consommateurs, parait presque sans limite. Cela dit, au sein d’une même communauté de marque, il peut exister plusieurs sous-groupes, plus ou moins 48 Michael S., R. (0010, August). Steve Jobs and the worship of Apple. Washington Post, The. 52 attachés à la marque, ou à certains produits de la marque. Ainsi, une lovemark, en dépit des sentiments qu’éprouvent les consommateurs à son égard, peut-elle connaitre un franc succès à chaque lancement de produit ? Et le fait qu’un consommateur s’équipe avec tous les produits de la marque ne peut-il pas engendrer une overdose ? Ou encore la fin du mythe religieux qui s’est instauré autour de la marque ? a) Les consommateurs sont-ils attachés à la marque… ou à ses produits ? Au sein même d’une communauté de marque, il existe des sous-cultures, se différenciant par leur intérêt particulier pour un produit de la marque plutôt que pour un autre. L’exemple le plus connu est certainement celui du groupe qui s’est formé autour du produit Apple Newton, constituant lui-même une « communauté de produit » si on peut l’exprimer en ces termes. Deux professeurs de marketing, Albert Muñiz et Hope Jensen Schau, se sont intéressés de près à cette communauté très particulière. L’Apple Newton est un assistant personnel numérique, lancé en 1993 et dont la commercialisation s’est arrêtée en 1998, notamment à cause des mauvais résultats financiers qu’à connu l’entreprise Apple durant cette décennie. Il s’agissait d’une certaine manière, de l’ancêtre de l’iPad, et le naming du produit nous laisse à penser qu’Isaac Newton a réellement influencé le nom de l’entreprise et de la marque. L’arrêt de la commercialisation de l’Apple Newton a généré un fort mécontentement de la part des consommateurs du produit, qui sont allés jusqu’à créer un mouvement social et manifester devant le siège de l’entreprise Apple en Californie. Chez ces consommateurs, le sentiment d’appartenance à la communauté était extrêmement fort, ce qui peut expliquer la création de ce mouvement social. Ainsi, la fidélité au-delà de la raison est-elle remise en cause par ces consommateurs, à la base fans de la marque ? Pas vraiment… En effet, au-delà de leur déception et de leur frustration, les membres de la communauté continuent d’y appartenir, via leur relation à la marque Apple : « Dans le cadre de la communauté Newton, nous avons découvert combien l’éthos du groupe est influencé par l’attachement à Apple, malgré des critiques parfois acerbes »49, l’éthos étant définie comme un système de valeurs propre à un groupe social. 49 Lionel Sitz, « Communauté de marque, Rôle des membres centraux dans son émergence, sa structuration et ses liens avec l’environnement », Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Sous la direction d’Abdelmajid Amine, Val de Marne, Université Paris XII, 2006, 532 p. 53 Et d’ailleurs, pour en revenir à l’aspect religieux, on pourrait presque parler d’un phénomène de disruption au sein de la communauté Apple, qui a pu également se produire au sein des religions monothéistes que nous connaissons. A titre de comparaison, il existe les catholiques et les protestants, qui ont pour socle commun le christianisme. On peut même se demander si finalement, cette subdivision n’aura pas pour effet de renforcer une communauté de marque déjà très puissante, en l’étoffant, en la diversifiant, puisque ses membres peuvent se différencier sans pour autant être exclus du groupe principal. Par ailleurs, certains Apple addict ont été déçus par l’Apple Watch, lancée le 24 avril 2015, considérée comme trop lente, parfois invasive, pas assez « fashion », ou encore incapable de télécharger certaines applications. Bref, ceux qui s’attendaient à retrouver les mêmes usages que ceux de leur iPhone, mais à leur poignet, ont légèrement déchanté. N’oublions pas que notre cerveau est devenu intolérant à la lenteur… Cela dit, cette déception doit être relativisée, et ne constitue pas un réel échec pour la marque. En effet, les ventes de l’Apple Watch dépassent celles de l’iPad et de l’iPhone à leurs débuts, et quelques quatre millions de produits se seraient écoulés durant le deuxième semestre 2015. Certains modèles coûtent environ 18 000 dollars, et plusieurs milliers s’en sont vendus lors de la première semaine de lancement du produit. D’ailleurs, l’Apple Watch détiendrait plus de la moitié du marché des montres connectées, alors que les produits concurrents (Androïd majoritairement) sont présents sur le marché depuis plus de deux ans. Cependant, la problématique principale autour de l’Apple Watch est constituée par ses conséquences sur l’image de marque globale d’Apple. D’une part, le produit n’a pas été conçu par le « Dieu » Steve Jobs, et cela peut expliquer (en partie) un manque d’attrait pour l’aspect potentiellement révolutionnaire du produit. D’autre part, certains articles sur Internet parlent d’une montre connectée réservée aux geeks, et qu’il serait préférable de ne pas être un novice en hautes technologies pour savoir comment optimiser cette smartwatch. Or, Apple, par opposition à Google ou à Microsoft, s’est toujours positionnée comme la marque hype, symbole libre de la contre-culture geek au sein de la Silicon Valley… Mais finalement, n’est-ce pas à cause de son aspect un peu trop envahissant que la marque pourrait finir par s’essouffler ? Jusqu’à quel point le cerveau des consommateurs peut-il supporter sa relation avec une marque ? 54 b) La captivité des consommateurs : du brand-lover à « loverdose » Depuis la fin de l’année 2015, les ventes d’iPhones seraient en baisse, et il s’agit là d’une première historique. Par ailleurs, le recul des ventes d’iPad atteint aujourd’hui 25%, et même si le marché des tablettes tactiles est en baisse, sa décroissance est moindre, puis qu’elle est d’environ 13%. Enfin, depuis le dernier trimestre 2015, Samsung est repassée en première position en termes de part de marché (sur le marché des smartphones), devant Apple. La passion qu’entretient la marque avec ses consommateurs serait-elle en train de décliner ? Christian Dussart, spécialiste du marketing digital, explique qu’Apple s’est construite dans « un écosystème unique et étouffant »50, évoqué par Steve Jobs lui-même. On peut également parler d’un système de verrouillage, ou d’une captivité des consommateurs. Les appareils Apple sont vendus dans des Apple Stores, où l’on se procure un iPhone, qui sera relié à son iMac et à son iPad, via le système iTunes et App Store. Et l’utilisateur n’a pas le choix quant au système d’exploitation des appareils, ou quant aux logiciels qui sont utilisables sur ces produits. Il ne peut pas non plus se munir d’un chargeur universel « USB » pour recharger la batterie de son smartphone, car Apple impose une connectique qui lui est propre. Cette stratégie de réseaux fonctionne extrêmement bien, car si les consommateurs de la marque abandonnent leurs produits Apple, ils perdraient alors de nombreuses données, et il est donc très difficile de sortir de l’écosystème de la marque. Encore une fois, les notions de contreculture et de liberté véhiculées par Apple semblent contredites par ses propres produits, La marque est aussi accusée de « snobisme »51, ou encore d’être réservée à une clientèle élitiste. Autre critique, et non des moindres : Apple aurait été nommée par certains articles sur la toile « championne de l’obsolescence programmée », produisant des appareils avec une durée de vie assez courte, et ralentissant volontairement les capacités des anciens modèles quand de nouveaux modèles sont lancés. Sendhil Mullainathan, professeur en économie à l’université de Harvard en est convaincu : Apple ne lance des mises à jour que dans le but de ralentir ses propres modèles de smartphones qui ont plus de deux ou trois ans d’existence. La frontière entre l’amour et la haine peut donc parfois se révéler très mince chez les consommateurs Apple… Ou bien, certains d’entre eux auraient-ils perdu la foi ? 50 Christian Dussart, Innovation et Asphyxie, Décisions Marketing N° 48 Octobre-Décembre 2007 – 89 PHILLIPS-MELANCON, J; DALAKAS, V. Brand Rivalry and Consumers’ Schadenfreude: The Case of Apple. Services Marketing Quarterly. 35, 2, 173-186, Apr. 2014 51 55 Quoi qu’il en soit, malgré quelques signes avant-coureurs d’un potentiel essoufflement de la marque, Apple (suivie de près par Google) est à la tête du classement Interbrand 201552, qui établit le palmarès des marques les plus valorisées dans le monde. L’amour que peut susciter Apple chez ses consommateurs est loin d’être terminé, et parallèlement, la colère que la marque peut provoquer chez ses détracteurs est de plus en plus intense. Qu’on l’adore ou qu’on la déteste, Apple semble toucher l’intégralité des consommateurs de ce monde. Qu’elle ait eu recours ou non aux techniques de neuromarketing, la marque parvient à activer des zones de notre cerveau, à toucher nos émotions, et à nous rassembler, pour la vénérer ou la critiquer. Mais les individus ont-ils conscience de ce qui se passe dans leur cerveau en tant que consommateurs ? Ont-ils conscience d’appartenir à une communauté qui s’est créée autour d’une marque ou à l’encontre d’une marque ? L’impact de l’intelligence émotionnelle sur la persuasion et sur les comportements d’achat est-il mesurable sans avoir recours au neuromarketing ? Nous allons maintenant essayer de donner des réponses à ces questions à travers la troisième partie de ce mémoire, l’étude exploratoire. PARTIE III – ÉTUDE EXPLORATOIRE : IMPACT DE L’ÉMOTION EN PUBLICITÉ, INFLUENCE DE LA COMMUNAUTÉ DE MARQUE ET NEUROMARKETING A - États des lieux et contexte de l’étude exploratoire 1) Situation Dans ce mémoire de recherche, nous nous sommes intéressés tout d’abord à définir ce qu’était le neuromarketing, pour comprendre quelle était la place de l’émotion en publicité et en communication. L’émotion étant quelque chose d’extrêmement difficile à mesurer, nous avons montré quels étaient les apports des neurosciences dans la construction de cette mesure, et notamment dans l’analyse de la relation marque – consommateur dans le cas des lovemarks. Par la suite, nous sommes passés de l’émotion au sentiment, en explorant le sentiment d’appartenance à une communauté de marque. La marque peut susciter tellement d’émotions auprès de ses fans, que dans un contexte d’accélération (sociale, technique et du rythme de 52 http://interbrand.com/best-brands/best-global-brands/2015/ranking/ 56 vie), elle remplace même les religions, dont les mythes se sont effondrés à l’ère de la postmodernité. Encore une fois, les neurosciences nous aident à appuyer ces faits, qui pourraient presque paraitre invraisemblables. Il semblerait que notre cerveau soit « programmé pour croire », et le cas que nous avons étudié (c’est-à-dire la marque Apple) a fait l’objet de nombreuses études réalisées par les neuromarketers, qui ont réussi à prouver que la même zone du cerveau s’activait chez des croyants chrétiens ou chez des Apple addict. A ce jour, la société Apple est tellement secrète qu’il est impossible d’affirmer avec certitude qu’elle a déjà eu elle-même recours à des techniques de neuromarketing. Pourtant, elle apparait comme la marque qui possède la meilleure connaissance du cerveau des consommateurs. Steve Jobs a-t-il simplement fait appel à ses neurones miroirs pour se mettre à la place de ses clients ? Ou bien l’entreprise a-t-elle déjà « hacké votre cerveau », comme l’exprime si bien l’expression d’A.K Pradeep, PDG de l’agence NeuroFocus ? Apple s’est toujours positionnée comme la marque qui symbolise la contre-culture et la libération des mœurs (et preuve en est, le fameux slogan « Think Different »). Mais paradoxalement, ne posséder aucun produit de la marque aujourd’hui apparait presque comme quelque chose d’hors-norme. La communauté de marque Apple a pris tellement d’ampleur que ne pas en faire partie reviendrait presque par extension, à se marginaliser de notre société de consommation. Qu’on soit « pro » ou « anti » Apple, on ne peut pas nier que la stratégie (neuro ?) marketing de cette entreprise est extrêmement puissante et maitrisée, et a rendu les clients à ce point fidèles qu’elle fonctionne réellement sur le long-terme. En parlant des clients, sont-ils conscients du pouvoir qu’Apple exerce sur eux et sur leurs comportements ? A quel point les émotions que la marque leur donne l’emportent-t-elle sur leur raison ? Comment sont-ils influencés par la communauté, ou plutôt la religion qui s’est constituée autour de la pomme croquée ? Et comment les individus qui ne font pas partie de cette communauté réagissentils ? Leurs comportements et leurs choix sont-ils également influencés par cette marque à laquelle ils n’adhèrent pas ? 2) Méthodologie de l’étude exploratoire a) Objectifs de l’étude Le principal objectif de cette étude exploratoire est découvrir si l’on est en mesure de trouver une alternative à la juridiction particulière sur le neuromarketing en France. En effet, la loi 57 française interdit les techniques d’imagerie cérébrale à des fins commerciales, mais on ne peut pas nier que l’être humain n’a jamais atteint de telles connaissances concernant son propre cerveau. Ainsi, peut-on utiliser ces connaissances sans pour autant placer des individus dans un IRM, tout en les exposant à une publicité ou à une marque ? Est-il possible de décoder le cerveau en menant des études qualitatives traditionnelles, ou la part inconsciente de notre cerveau dans nos comportements est-elle trop forte ? Par conséquent, l’objectif est de démontrer que la connaissance du cerveau permet de « mesurer » l’impact de l’émotion en communication et du sentiment d’appartenance à une communauté de marque, sans utiliser l’imagerie cérébrale. Pour cela, nous allons tenter de mesurer l’amour (ou encore « la fidélité au-delà de la raison ») des consommateurs, et surtout des Apple addict pour leur marque fétiche, via plusieurs outils de communication que nous avons fait testés. Par ailleurs, le grand thème de ce mémoire s’intitule « Neuromarketing : approche et éthique ». Il m’a donc semblé essentiel, même si je n’y ai pas accordé beaucoup d’importance tout au long de cette étude, d’avoir pour autre objectif l’analyse du ressenti des consommateurs quant au neuromarketing d’un point de vue éthique. b) Choix de la méthodologie et matériel testé Méthodologie L’étude qui a été menée est une étude qualitative concernant la perception de la marque Apple et de sa manière de communiquer auprès de consommateurs et des non-consommateurs de la marque. Les individus interrogés proviennent de différentes zones géographiques, et sont également hétérogènes en termes d’âge et de CSP. La technique utilisée est celle de l’entretien individuel semi-directif. Cette technique semble la plus adéquate pour remplir les objectifs de cette étude, précédemment évoqués, et ce pour différentes raisons, que voici : - Si les individus entretiennent réellement une relation avec une marque, et avec les produits de cette marque, une étude qualitative permet d’analyser les émotions et sentiments plus en profondeur, alors qu’une étude quantitative, qui comporte une majorité de questions fermées, ne le permet pas. 58 - Le neuromarketing étudie entre autres, les processus mentaux inconscients des consommateurs. Pour (tenter de) mesurer l’importance de la place de l’inconscient dans nos décisions d’achat, il était essentiel de pousser les interviewés à en dire toujours plus, à développer leurs réponses, et à les relancer. L’entretien semi-directif permet alors de comprendre si les individus se rendent compte ou non que s’ils aiment ou détestent un produit ou une marque, c’est aussi à cause de leurs émotions (conscientes ou non). - Enfin, un focus-group aurait été difficile à mettre en place, bien qu’intéressant, pour atteindre les objectifs de cette étude. En effet, ayant interrogé des « Apple addict » et des « anti », le débat aurait sûrement était sans fin. Les « pros » trouveront toujours une raison d’aimer Apple, et les « anti » de la détester. Par ailleurs, il était important de comprendre la place que tient la communauté de la marque Apple à un niveau individuel, sans le biais qui peut être provoqué par l’influence d’un tiers sur cette dimension. Au départ, je souhaitais filmer les gens interrogés, mais après une tentative (ratée), je m’en suis tenue à l’enregistrement audio. D’une part, n’étant pas spécialiste en PLN (Programmation Neuro-Linguistique, définie comme « un ensemble coordonné de connaissances et de pratiques dans le domaine de la psychologie fondées sur une démarche pragmatique de modélisation, en ce qui concerne la communication »53), je me suis rendue compte assez rapidement que mon analyse du non verbal de l’interview ne serait pas pertinente. D’autre part, la personne interviewée ne se sentait pas forcément à l’aise face à la caméra et je ne voulais pas que cela génère de biais. Matériel testé Pour tenter de mesurer le pouvoir de l’émotion en communication d’une part, et l’influence de la communauté de marque d’autre part, deux publicités Apple, (et plus précisément faisant la promotion de l’iPhone) ont été testées. La première est une publicité diffusée sur YouTube depuis avril 2013. Elle dure 1 minute et met en scène des possesseurs de l’iPhone 5, qui prennent des photos en toute situation : seuls, accompagnés, en famille, entre amis, ou encore en couple, dans la nature, à des concerts, dans la rue, etc. Ce spot a pour but de mettre en avant la supériorité qualitative (et quantitative) de l’iPhone sur la fonction photographie (le slogan final étant « Every day, more photos are 53 https://fr.wikipedia.org/wiki/Programmation_neuro-linguistique 59 taken with the iPhone than any other camera »). La transmission de l’émotion dans cette publicité est puissante : la musique se rajoute aux voix des individus, aux bruits de fond présents dans chaque scène, et rythme les trente-six séquences qui composent de cette publicité. Les variations de lumières et de couleurs s’adaptent parfaitement aux notes de piano utilisées. L’iPhone 5 n’apparait pas comme l’élément central de la publicité, mais comme un appareil qui naturellement fait partie du décor. Une extension de soi qui nous aide en toute facilité à conserver nos souvenirs, et à mieux les partager (notamment sur les réseaux sociaux, comme Instagram par exemple, que l’on voit dans cette publicité). Vous pouvez retrouver le lien URL de cette vidéo, ainsi que quelques captures d’écran en annexes. La seconde publicité testée a été diffusée massivement à la télévision française en mai 2011. Elle concerne l’iPhone 4, et en seulement 30 secondes, elle passe en revue de nombreuses applications que l’on peut utiliser sur l’appareil, et comment les utiliser. En effet, la publicité met en avant les avantages de l’ « App Store », c’est-à-dire la boutique d’applications que l’on peut télécharger sur l’iPhone (par opposition au système Google Play, que l’on va retrouver sur les smartphones utilisant le système d’exploitation Androïd, soit Samsung, Sony, HTC,…). Le spot commence par « Si vous n’avez pas un IPhone, vous n’avez pas l’App Store… », et se termine sur cette phrase : « Mais bon… si vous n’avez pas un iPhone, eh bien… vous n’avez pas un iPhone ». Le sous-entendu est évident : « si vous n’avez pas d’iPhone, vous êtes moins bien que ceux qui en ont un ». Par ailleurs, cette publicité rassure ceux qui ont déjà un iPhone quant à la facilité d’utilisation de leur appareil (et réduit potentiellement l’effet de dissonance cognitive). Quoi qu’il en soit, cette publicité renforce la puissance de la communauté de marque Apple (et particulièrement iPhone) en dénigrant les consommateurs qui achètent chez les concurrents, soit les « ennemis » de la religion Apple. Le spot a été d’ailleurs controversé, notamment sur les réseaux sociaux, créant une guéguerre entre « anti » et « pros » Apple. Vous pouvez retrouver le lien URL de cette vidéo, ainsi que quelques captures d’écran en annexes. B – Les entretiens individuels 1) Grille d’entretien La grille d’entretien diffère selon que l’interrogé est un « pro » ou un « anti » Apple. Le guide d’entretien se compose de 44 questions (dont 41 seulement seront posées aux anti-Apple), et étudie les cinq dimensions suivantes : 60 1. La perception de chaque publicité et leur compréhension 2. L’attitude à l’égard des publicités et de la marque 3. L’attitude à l’égard de la communauté de marque 4. La connaissance du neuromarketing et l’attitude quant à cette pratique 5. La relation entre le consommateur et les produits technologiques (Apple et marques concurrentes) Vous pourrez retrouver le guide d’entretien détaillé, ainsi que la retranscription intégrale d’une d’interview (pro-Apple) en annexes. 2) Description des échantillons Six entretiens ont été menés pour cette enquête. Au départ, je voulais mener neuf entretiens, composés de trois Apple addict, de trois consommateurs « lambda » Apple, et de trois anti Apple. Cela dit, je me suis rendue compte qu’il existait des consommateurs de Mac qui étaient anti-Apple (eh oui, cela existe), et des possesseurs d’un seul produit Apple qui étaient complètement accro à la marque. Il est donc réellement difficile de décrire ce qu’est un consommateur « lambda » Apple tant il y a d’individus qui sont clients de la marque. De plus, je ne suis pas certaine que les réponses de ce type d’échantillon auraient été pertinentes en vue des principaux objectifs à atteindre. J’ai volontairement interrogé des gens que je connaissais bien, des proches, afin qu’ils n’aient pas de gêne à m’exprimer leurs perceptions, leurs sentiments, à l’égard des publicités à tester, de la marque Apple, et du neuromarketing. Les six interviews ont donc été réalisées auprès de personnes possédant un smartphone et un ordinateur portable, qui connaissent la marque Apple, et ayant des profils différents en termes d’âge et de CSP. La moitié des interrogées sont des hommes, et l’autre moitié des femmes, dont voici la description en détails : Entretien n°1 Milena, Femme, 24 ans, Infirmière spécialisée en sophrologie – Apple addict Entretien n°2 Mattia, Homme, 20 ans, Vendeur en prêt-à-porter masculin – Anti Apple 61 Entretien n°3 Yannick, Homme, 45 ans, Restaurateur - Anti Apple Entretien n°4 Marlène, Femme, 34 ans, Comédienne et Professeure de Théâtre - Apple addict Entretien n°5 Frédérique, Femme, 52 ans, Professeure de Technologie au collège - Anti Apple Entretien n°6 Kevin, Homme, 26 ans, Intermittent du spectacle – Artiste / Musicien (scène électro française), Apple addict C – Résultats de l’étude Pour retranscrire au mieux les résultats des interviews qui ont été réalisées, l’analyse qui suit va s’axer autour des six dimensions traitées lors des entretiens. 1) Publicité numéro 1 : l’émotion en communication a) Perception et compréhension de la publicité Chez les « anti » comme chez les « pros » Apple, la première perception est très simple : ils décrivent ce qu’ils ont vu, c’est-à-dire des gens qui prennent des photos avec leur iPhone : « On te montre l'utilisation de l'appareil photo sur l'iPhone ». Par contre, aucun interviewé ne l’a déjà vue ou se rappelle l’avoir vue. Dans les deux groupes également, la publicité est perçue comme bien exécutée, bien faite : « Je trouve ça réussi ». Cependant, l’ensemble des Apple addict expriment déjà des sentiments positifs : la publicité « transporte », « touche les émotions », évoque des « choses positives », alors que les anti-Apple n’en parlent pas. Les images, et surtout la musique sont appréciées de tous, et les interviewés perçoivent de la cohérence entre l’identité visuelle et l’identité sonore de la publicité : « Le fait que ça se mêle aux bruits de fond, ça mélange vie réelle et monde de la pub, et ça c'est fort. » Cependant, la perception du slogan n’est clairement pas la même pour les deux groupes. Les fans d’Apple s’y reconnaissent parfaitement : « je vends mon Reflex parce que je considère que mon iPhone prendra des photos qui iront très bien », et le trouvent crédible « je veux bien 62 le croire ». Au contraire, les anti-Apple ne s’identifient pas à ce slogan et y voient plutôt un aspect commercial : « C'est vendeur », « ils te vantent le fait qu'ils en ont déjà vendus plein, partout dans le monde ». Mais chez les deux types d’interviewés, les évocations que véhiculent la publicité sont quasiment identiques. On retrouve surtout les notions de « voyage » et de « partage ». Cependant, lorsqu’on s’intéresse aux émotions et aux sentiments ressentis, l’écart entre les deux échantillons se creuse à nouveau : les pro-Apple ressentent des « sentiments positifs », de la « joie », une « émotion forte », et l’aspect démiurgique de la marque ressort déjà : « en fait la pub et Apple, ils m'atteignent parce que je reconnais leur surpuissance ». A l’inverse, les anti-Apple sont plus indifférents à la publicité : « pas de sentiment en particulier », « elle me laisse indifférent », ou éprouvent de l’agacement : « je ressens aussi de l'énervement. T'as pas besoin d'avoir un iPhone pour vivre ce genre de moments ». Dans les points d’agrément, on retrouve l’exécution de la publicité et le mélange des sens (ouïe et vue) chez tous les interviewés: « J’aime bien les couleurs, j’aime bien la musique », « y a des beaux plans, donc c'est agréable ». Les Apple addict apprécient particulièrement l’aspect réaliste du spot : « j'aime bien qu'ils aient fait style de filmer des gens euh… lambda, pas des acteurs », « tu peux vivre une part de ce rêve dans ta vie de tous les jours », et l’idée de communauté commence à ressortir : « j’aime bien l’effet de groupe aussi… Bon, je veux pas dire que c’est avec un téléphone qu’on est heureux, mais les gens sont regroupés. » Parmi les points de désagrément, rien ne ressort en particulier chez les pro-Apple, alors que deux tiers des anti-Apple interrogés n’apprécient pas l’image que véhicule Apple dans cette publicité : « l'image que la marque veut se donner. Comme si avoir un iPhone, c'était une fin en soi. », « Ils ont un peu le melon chez Apple, non ? » Concernant la compréhension de cette vidéo, les pro-Apple comprennent via cette publicité que l’iPhone est essentiel au quotidien, que les individus ne peuvent pas s’en passer : « ton iPhone maintenant finalement, c'est ton meilleur pote, tu l'as tout le temps sur toi, tu fais tout avec », « on est dans une génération où le téléphone, enfin le smartphone en tout cas est indispensable, et donc l’iPhone aussi ». Il est considéré comme une extension du cerveau : « ton iPhone, c'est devenu un peu ta propre mémoire », une aide à la création « on a tous une petite âme d'artiste, et l'iPhone te permet de l'exprimer », un compagnon : « Il partage les moments importants de ta vie ». 63 Les anti-Apple comprennent le même message, mais ils n’y adhèrent pas : « Il faut faire comme tout le monde, et prendre des photos avec un iPhone. Rentrer dans le moule Apple. » Pour eux, le produit n’est pas indispensable : « ils veulent absolument faire comprendre aux gens qu'un iPhone, c'est essentiel à ta vie », et n’est pas mis sur un piédestal : « faut pas oublier que ça reste des téléphones ». Enfin, lorsqu’on demande aux interviewés de se projeter dans l’univers véhiculé par la publicité, tous les interrogés parlent de société « occidentale », de « jeunes », plutôt « aisés ». Deux tiers dans pro-Apple parlent de « gens heureux ». Au sein de cet échantillon, l’identification aux personnages mis en scène dans la publicité est forte, et l’intégralité des pro-Apple explique cette identification par la norme, qui se traduit par la possession d’un iPhone : « je m’identifie à eux parce que j’ai un téléphone comme eux », « je me considère être dans la normalité de la société ». A l’inverse, un anti-Apple ne s’identifie pas du tout aux personnes mises en avant de ce spot, et va même jusqu’à les critiquer sur leur conformisme : « J'ai l'impression que c'est des moutons de panurge matérialistes (rires). » b) Attitude à l’égard de la publicité et de la marque Concernant la cohésion entre la publicité et la marque, l’ensemble des interviewés trouve que le spot est cohérent avec l’image d’Apple. Certains interrogés évoquent une communication « classe », « sobre », « simple », qui pour eux est à l’image de la marque. Encore une fois, l’influence de l’émotion est identifiée : « Le côté émotion, Apple ils aiment bien ça aussi », et les pro-Apple évoquent la puissance de la marque, qui ressort dans cette publicité : « j'ai conscience qu'on est en train de me faire subir du marketing, et je pense que ça, ils le savent, mais du coup, on se dit "Apple, ils sont trop forts". » Cependant, l’attitude à l’égard de la marque est évidemment très différente entre les deux échantillons. Les pro-Apple ne cachent pas leur attachement à la marque : « j’adore, j’adhère », « j'aime bien Apple ! Si je pouvais, si j'avais les moyens, j'aurais tout de chez Apple ». Ils expliquent leur amour pour la pomme par la simplicité d’utilisation des produits : « c’est facile d’accès », « c'est tellement simple », et par les performances de la marque : « Ils sont forts, c'est une incroyable réussite […] Tu peux pas mieux faire. » A l’inverse, les anti-Apple y sont indifférents ou n’aiment pas la marque : « c’est une marque comme les autres », « je ne suis vraiment pas fan ». Cette attitude à l’égard d’Apple s’explique par une impression de manipulation des consommateurs : « Ils sortent souvent des 64 nouveaux produits et j'ai l'impression qu'on t'oblige presque à avoir le dernier produit de chez eux », « ils manipulent un peu les gens, ils mettent leur clientèle en cage », mais également par une impression de supériorité que veut véhiculer la marque : « elle maintient cette volonté d'être la marque supérieure aux autres, elle donne aux gens ce côté "si t'as un iPhone, t'es supérieur aux autres" », et enfin leurs pratiques commerciales sont considérées comme « scandaleuses », et ayant pour objectif de « faire consommer à l’excès ». Ainsi, quand on leur demande les apports de la publicité à la marque, les pro-Apple évoquent une « continuité », une « harmonie », une qualité dont « il faudrait être bête pour s’en priver », mais également l’idée de « partage sur les réseaux sociaux », ou même d’ « album de famille Apple », qui s’inscrit dans la lignée des précédentes publicités réalisées par la marque. Chez les anti-Apple, l’apport de la pub à la marque est nul : « Rien de spécial, j'ai l'impression qu'on est bombardés de pubs pour la photo sur l'iPhone », ou négatif : « Une preuve de plus de sa volonté de supériorité. » Sans surprise, l’intention d’achat est forte parmi tous les pro-Apple, et nulle chez les antiApple. Chez les addict à la marque, cette intention d’achat est justifiée par la qualité des produits auprès de deux des trois interrogés : « parce qu’on voit la bonne qualité de leur photo », « c'est surtout les produits qui te font acheter », alors que la troisième personne sondée évoque déjà l’envie d’appartenir à la communauté de marque : « t’as envie de faire partie de la famille quoi ! Tu vois, ils sont au-dessus, ils sont classes, t'as envie de faire partie de ce truc-là. » Et c’est justement pour la même raison que les anti-Apple ne comptent pas se procurer de produits de la marque : « Moi, de base, j'ai pas envie d'acheter un iPhone […] à cause de leur image de marque et de comportements qui me gênent un peu. […] C'est peutêtre les utilisateurs qui me renvoient cette image-là. » Le frein à l’achat est également le coût d’acquisition de l’appareil : « Ce qui me donne pas envie, c'est pas la pub, c'est le prix ! » ou l’idée de dépendance à l’utilisation de l’iPhone : « quand je vois des gens incapables de se servir d'un autre téléphone parce qu'ils ont un iPhone, déjà ça me rebute ». Enfin, les interviewés recommandent en grande majorité de conserver le rythme et la musique de la publicité : « Le rythme de passage de photos, qui est pas linéaire, et en même temps, qui va très bien sur la musique », « la musique, encore une fois ». Quant aux éléments à modifier ou supprimer, un pro-Apple et un anti-Apple évoquent la relation « malsaine » que les enfants peuvent avoir avec l’iPhone : « La fin, où la petite fille 65 elle tient le téléphone, parce qu’il faut pas abuser non plus quoi ! Les enfants et les écrans ça fait pas bon ménage », « les enfants que tu voies utiliser sans cesse leur iPhone. En général, ils sont très accros aux smartphones. » Pour terminer, lorsqu’on demande aux interrogés quelle autre fonctionnalité aurait pu être mise en valeur à la place de l’appareil photo dans ce spot, trois évoquent « l’utilisation des applications », qui est « facile sur iPhone », et deux répondent « la musique ». 2) Publicité numéro 2 : l’influence de la communauté de marque a) Perception et compréhension de la publicité Ce qui ressort en premier chez tous les interrogés, qu’ils soient Apple addict ou bien qu’ils n’aiment pas la marque, c’est l’attribution à la marque : « C'est clairement iPhone », « c’est une publicité pro iPhone », « c'est vraiment ça quoi ! Leur publicité, c'est exactement le même concept que leur système d'utilisation intuitif. » Autre fait notable, tous les anti-Apple se rappellent avoir vu la publicité à la télé, alors qu’aucun des pro-Apple ne s’en souvient. Globalement, la publicité dès son visionnage, est critiquée par les deux groupes : « pour moi, c’est une publicité mensongère et un peu bourrage de crâne », « ils te prennent pour un con, quoi », « Je la trouve aberrante ». Cependant, deux des trois Apple-addict prennent la publicité sur le ton de l’humour et rigolent lorsqu’ils la visionnent. Les anti-Apple quant à eux, expliquent très rapidement que leurs smartphones peuvent faire exactement la même chose que le produit présenté dans la publicité : « je trouve que dans la concurrence, on peut clairement mettre en avant les mêmes qualités, sans pour autant se faire passer pour LE produit phare », « les autres téléphones peuvent le faire aussi ». Autre résultat étonnant, tous les Apple addict reconnaissent l’impact de cette publicité sur notre cerveau : « on entend le mot iPhone peut-être 15 fois, et d’ailleurs c’est un peu du bourrage de crâne », jusque dans son inconscient : « Pas besoin de te poser, et d'écouter pour comprendre. Non, tu l'entends, tu reçois le message et tu le comprends, même inconsciemment, j'en suis sûre ! Même si t'es de dos, au téléphone avec ta mère, je suis sûre que ça, ça t'atteint. ». Cet aspect de la publicité n’est pas perçu au départ par les anti-Apple. Quel que soit leur camp, les interrogés perçoivent la simplicité d’utilisation de l’iPhone véhiculée dans cette publicité : « ça montre la facilité d’accès », « c'est intuitif, et la voix, elle te dit ce que le gars fait, et l'image te montre ce que le gars fait… ». Mais on ressent toujours un ton critique de la part des anti-Apple : « c'est la simplicité, mais comme je t'ai dit, c'est le 66 cas aussi sur les autres smartphones qui ne sont pas Apple. » La musique, assez basique, ne provoque pas d’émotion forte chez les interviewés, mais elle est bien perçue de tous, et est considérée comme « simple » et « agréable ». Cependant, encore une fois, les anti-Apple ne peuvent pas s’empêcher d’être agacés : « c'est la musique idéale pour compenser les trucs qu'on te survend dans cette pub », ou moqueurs : « Ca fait un peu trop…promenade de santé ! (rires). » Passons maintenant à la perception du slogan, l’un des éléments centraux de cette publicité, quant au message qu’elle souhaite faire passer. Encore une fois, qu’on fasse partie des proApple ou des détracteurs de la marque, le slogan est perçu négativement dans sa compréhension : « Ben, si t'as pas un iPhone, t'es une merde en gros », « c'est mieux ça que de dire "si vous avez pas un iPhone, vous avez rien", mais je trouve que ça le sous-entend », « le slogan n’a absolument aucun sens, quoi… enfin, oui et non, en gros on te prend un peu pour une bille. » Cependant, on remarque encore une fois des différences de perception entre les deux groupes. Pour les pro-Apple, on reste quand même dans l’idée que « l’iPhone, c’est le mieux », et que finalement, le slogan n’est pas si mal pour ceux qui possèdent un iPhone : « disons que si j’en avais pas un, ça m’énerverait […] Bon, en l’occurrence j’ai un iPhone, donc ça m’évoque pas grand-chose en fait. » A l’inverse, les anti-Apple sont réellement perplexes face à ce slogan : « ça me gêne un peu », voire réellement énervés : « Pardon pour la vulgarité, mais j'avais envie de répondre à Apple : "ben oui, je n'ai pas d'iPhone, et je vous emmerde". » Concernant les évocations et les idées véhiculées par la publicité, la séparation est nette entre les deux groupes interrogés. Les Apple addict mentionnent « la simplicité », « l’efficacité », « l’utilité » de l’iPhone, alors que les anti-Apple parlent de « supériorité », d’une pub « hautaine », « élitiste », et même « mensongère ». Cet écart va plus loin lorsqu’on demande aux interviewés les émotions qu’ils ressentent à la vue de cette publicité. En effet, les proApple sont plutôt indifférents : « pas spécialement d’émotions positives », « je ressens absolument rien », alors que les anti-Apple sont gagnés par « des émotions négatives » et de la « colère ». En ce qui concerne l’agrément, ce qui ressort chez la majorité des interrogés est « la fluidité » de la publicité, le style « épuré », et un pro-Apple apprécie le fait que la publicité le valorise : « J'aime bien me dire que je pense la même chose. […] ils flattent mon égo », et explique que cette pub rassure car Apple a raison sur ce qu’elle y montre : « Ils ont trop raison, c'est 67 tellement facile. Ca me conforte dans mon choix, sachant qu'avant je savais même pas me servir d'un ordi… ». Dans les points de désagrément, quel que soit le groupe concerné, on notera « la répétition du mot "iPhone " », ainsi que le slogan, qui « éthiquement n’est pas génial », et qui véhicule l’idée d’une « espèce de manipulation publicitaire que la marque ne cherche même pas à cacher ! », selon un anti-Apple. Chez deux pro-Apple, ce désagrément est à relativiser car ils y voient également la puissance de la marque : « c'est des mecs trop intelligents qui font ces pubs donc ils savent très bien ce qu'ils font, et s'ils ont choisi ce slogan là, c'est pour une bonne raison. » La compréhension de la publicité n’est pas la même pour les deux camps. Les pro-Apple comprennent que l’iPhone est le meilleur smartphone qui existe sur le marché : « Elle montre pourquoi l'iPhone, c'est le mieux. Elle te dit pourquoi 80% des gens qui possèdent des smartphones, ils ont des iPhones. ». Ils sont d’accord avec l’idée qu’il faut absolument se procurer le produit : « On ne te vend pas un iPhone. On te dit qu’il te faut un iPhone. Mais c’est vrai, il t’en faut un, sinon t’es… bloqué en quelque sorte. » D’ailleurs, le concept de la communauté, et même de la « cause » Apple, est mentionnée : « Le message, c'est que soit tu choisis le mieux et tu rejoins leur cause, soit ben… tant pis pour toi… ». Pour les anti-Apple, cette pub supprime la notion de choix du consommateur, ce qui rend le message « vicieux » : « On veut te dire que t'as le choix, que si tu n'as pas d'iPhone, c'est ton choix, mais en réalité, c'est comme si on te faisait prendre partie. » Auprès de ce groupe aussi, le concept de communauté est compris, mais pour les anti-Apple, le message se traduit de cette manière : « Adhère à mon produit ou casse-toi ». Enfin, l’univers évoqué par la publicité est sensiblement le même que celui véhiculée par le premier spot : on imagine des « pays développés », des « grandes villes », « des personnes actives », « des jeunes qui peuvent pas vivre sans smartphone… donc sans iPhone ». Et chez une pro-Apple, une autre idée ressort à travers l’aspect luxueux engendré par la marque, celle « qu’avoir l’iPhone c’est toujours plus fun qu’avoir un autre téléphone, même si les autres ils sont bien aussi. » Quand on demande à cette personne interrogée pourquoi « c’est plus fun » d’avoir l’iPhone, elle répond : « Ben… ça je sais pas vraiment. Peut-être le design, et parce que ça coûte plus cher, et tout ce qui coûte plus cher ben ça attire tout le monde ». Puis elle va ensuite ajouter à cette première explication une autre raison, celle de la connexion entre les produits Apple : « L’iPhone, ça rejoint le monde Apple, tout est relié en fait. […] C’est ça qui 68 nous fait aimer Apple. » Et c’est aussi ça qui fait détester Apple à ses détracteurs : « c'est une société qui consomme à outrance, où tu dois acheter un premier produit, puis le deuxième qui va avec, etc., etc. ». D’ailleurs le « monde Apple » apprécié par les addict est rejeté par les anti-Apple : « Le fond blanc, ça donne un aspect... Matrix. Comme si y avait le néant, et juste l'iPhone qui venait combler ce néant. » Encore une fois, l’identification à l’homme mis en avant dans la publicité est plus forte chez les Apple addict, car ils ont « les mêmes besoins que cette personne », auxquels ils peuvent répondre avec leur iPhone. b) Attitude à l’égard de la publicité et de la communauté de marque A l’instar de la première publicité testée, les deux groupes interrogés évoquent une cohérence entre la publicité et la marque, mais pour des raisons différentes. Pour les pro-Apple, le spot va bien avec la marque car « ça montre la facilité d’utilisation », « la simplicité » et parce que « c’est épuré », à l’image « design » des Apple Stores. Mais pour les anti-Apple, la cohérence entre la publicité et la marque se traduit d’une toute autre manière : « Ils parlent un peu d'eux à la troisième personne… Ils se mettent vachement en avant. Comme l'iPhone, quoi. Enfin, comme Apple surtout ». C’est donc encore une fois l’impression de « supériorité » est perçue par ce groupe. Les apports de la publicité à la marque sont faiblement perçus par les Apple addict, qui s’en tiennent à la « cohérence », et à la « facilité d’utilisation » du produit que démontre la publicité. Pour les anti-Apple, les apports du spot à la marque sont différents. Pour eux, la publicité sert à « conforter les gens dans leurs choix » et à « les rassurer sur l'idée que le produit qu'ils ont payé plus cher que tous les autres est vraiment super », mais elle permet également de « dénigrer ceux qui n'ont pas ce produit », et « elle rabaisse les concurrents, ou plutôt les utilisateurs des produits concurrents ». Les recommandations des interviewés sont plutôt variées, mais un pro-Apple et un anti-Apple conserveraient le slogan, car même si celui-ci est n’est pas apprécié, ils reconnaissent la puissance de cette phrase. En effet, le pro-Apple donne raison à la marque : « même si je l'aime pas, ils pouvaient pas trouver mieux. […] Ca te laisse te poser des questions, donc si je travaillais pour Apple et qu'on me proposait ça, je dirais "banco" ! » et l’anti-Apple la critique : « Faut reconnaitre qu'ils ont été très forts sur ce coup, à presque faire culpabiliser 69 les gens de ne pas avoir leur iPhone. » Quant aux points à changer, il n’y a pas de réponse unanime parmi les sondés. En ce qui concerne l’intention d’achat, elle est encore une fois particulièrement forte auprès des pro-Apple, et nulle parmi les anti-Apple. Cependant, les pro-Apple disent que ce n’est pas grâce à la pub qu’ils ont envie d’acheter un iPhone : « Ce qui m'a donné envie d'acheter un iPhone, c'est pas les pubs, c'est d'utiliser ceux de mes potes ». L’idée que la publicité va générer l’envie de créer un écosystème entier avec les produits de la marque est également évoquée : « comme j'achète déjà des produits de la marque, ça me donne envie de continuer à acheter, parce que ça me réconforte dans mes choix ». Et pour les mêmes raisons que lors du visionnage de la première publicité, les anti-Apple ne souhaitent pas acheter de produits de la marque. Le prix est un obstacle : « ils font pareil que les autres, avec des prix plus élevés, et ça m'énerve un peu », ainsi qu’une impression de piège tendu par la marque : « les gens qui ont acheté un iPhone après avoir vu cette pub sont vraiment tombés dans le panneau… ». Par la suite, lorsqu’on demande aux interrogés comment ils perçoivent les consommateurs d’iPhone et de la marque Apple en général, les pro-Apple les considèrent comme « addict » (aux produits de la marque), comme des « gens qui aiment les belles choses », et des « artistes », ou encore des « créatifs ». Par contre, pour les anti-Apple, les consommateurs de la marque ont un « besoin de sécurité », ce sont « des gens à la recherche de fiabilité », au niveau des produits, mais aussi « dans le sens où socialement, ça bien d'avoir des produits Apple ». En effet, l’idée qui ressort est celle de personnes voulant se conformer aux normes, avec « l'impression qu'ils rentrent dans le moule en ayant des produits Apple, et surtout un iPhone ». Quant à la perception de la communauté de marque Apple par les répondants, au sein des proApple, le fait d’en faire partie cause des difficultés à répondre : « Ben je sais pas, parce que je suis dedans ». Il faut donc creuser un peu pour connaitre leur perception de cette tribu marketing. Finalement les points qui ressortent sont les suivants : les membres de cette communauté sont des « partageurs », ce ne sont pas « des gens isolés », et donc « c’est une communauté qui est dans le partage », notamment sur les réseaux sociaux : « les gens pour qui les réseaux sociaux comptent, ce sont des gens qui ont des iPhones, clairement. » Par ailleurs, l’idée d’une communauté gagnante est également évoquée : « y a pas de communauté Sony, et la communauté Samsung, elle est encore trop petite. Alors qu'iPhone... t'as l'impression d'être le winner. Tu te sens en position de force. » Alors que chez les anti-Apple, 70 la communauté de la marque à la pomme ne « se différencie pas des autres communautés de marque… », ou est composée de « gens qui ont besoin de ça pour donner du sens à leur vie ». Au sein de ce groupe, l’addiction aux réseaux sociaux est mal perçue : « Le problème, c'est quand tes appareils qui te font vivre dans un monde virtuel prennent plus de place que la vie réelle. Les gens passent leur temps sur Facebook, à exposer leur vie... » De toute évidence, les anti-Apple n’ont pas envie d’appartenir à la communauté Apple : « j'en ai aucune envie ! Comment tu peux en arriver à un tel stade où tu passes la nuit devant un Apple Store pour avoir le dernier iPhone ? Je comprends pas... ». Et lorsqu’on demande aux Apple addict ce qui leur plait dans le fait d’appartenir à cette communauté (car tous ont le sentiment d’y appartenir), ils évoquent notamment les « iMessages », une application de messagerie propre au système d’exploitation de l’iPhone. Selon eux, ceux qui n’auraient pas d’iPhone seraient alors « lésés » et « exclus » : « Moi je suis contente de pas être exclue de ça. Disons que si j’avais pas d’iPhone ben ça me ferait chier ». L’idée qui ressort est donc celle qu’on ne peut pas être avec ses amis si on ne fait pas partie de la communauté Apple : « à la fin au lieu de dire "si vous n'avez pas un iPhone, vous n'avez pas un iPhone", ils pourraient dire "si vous n'avez pas un iPhone, ben vous ne pouvez pas aller avec vos amis". Et c'est exactement ça ! ». Enfin, l’influence de la communauté comme norme sociale est également évoquée : « Finalement, ça me plait de me dire que je fais partie de la plus grande majorité de gens dans la détention de smartphones ». Enfin, pour mieux percevoir la résonance religieuse de la marque auprès de ses fans, lors de la dernière partie de l’enquête, on a demandé aux Apple addict à quelle fréquence ils se rendaient dans les Apple Stores, et quelles en étaient les raisons. Deux y vont « de temps en temps » pour « voir les nouveaux produits », ou même « toucher » les produits. L’un des interrogées considère l’endroit comme une véritable expérience : « Dès que j'en voie un, j'aime bien rentrer, parce que c'est beau […] ça me permet de rêver un peu. » et apprécie la population qu’elle retrouve dans ces boutiques : « Puis j'ai l'impression que les gens sont bien éduqués ». 3) La connaissance du neuromarketing et l’attitude à l’égard de cette discipline Premier constat notable : aucun des pro-Apple interrogés ne savait ce qu’était précisément le neuromarketing, alors que tous les anti-Apple pouvaient m’en donner une définition plus ou moins exacte : « Pour l'expliquer en termes assez simples, c'est l'analyse du comportement 71 humain et du cerveau face à des publicités, de la communication ou tout ce qui touche au marketing, aux comportements d'achat ». Deuxième fait à signaler : deux Apple addict sur trois considèrent le neuromarketing comme choquant et inquiétant d’un point de vue éthique : « Moi ça m’inquiète », « Je trouve ça très glauque », et perçoivent cette pratique comme de la manipulation : « Toi tu crois que t'es gagnant, mais tu l'es pas. Ils créent des besoins... ». A l’inverse, les anti-Apple n’y voient pas d’inconvénient, au contraire. Ils y voient une forme de progrès : « C'est l'évolution naturelle des choses […] pourquoi pas s'en servir » ou ne perçoivent pas de réelle évolution entre le marketing et le neuromarketing : « Sincèrement, je ne vois pas la différence avec le marketing, mise à part que la psychologie devient de la neurologie ». Concernant la juridiction française qui interdit l’imagerie cérébrale à des fins commerciales, les pro-Apple considèrent que la loi est rassurante : « Je pense que c’est une très bonne chose que ces pratiques soient interdites ici. » A l’inverse, pour deux anti-Apple sur trois, la loi française ne peut pas empêcher les entreprises d’avoir recours au neuromarketing : « Je pense que c'est pour donner l'impression qu'on est protégés, alors qu'on ne l'est pas », et au contraire, elle ne devrait pas freiner cette discipline : « ça fait un moment que ça existe le neuromarketing, donc il serait peut-être temps de s'y mettre... ». 4) La relation aux produits et l’importance que les sondés y accordent (marque Apple et concurrents) a) Résultats auprès des Apple addict Les trois interviewés présentent des réponses similaires quant à l’Apple Watch, et à l’iPhone 7, dont la sortie est prévue en septembre 2016. Aucun des trois n’a l’intention de se procurer la smartwatch de leur marque fétiche. En effet, l’usage du produit n’est pas compris : « je trouve que c’est leur pire produit », « ça me sert à rien », ou rend l’utilisateur « trop connecté. » En ce qui concerne l’iPhone 7, tous sont prêts à se le procurer dès que leur iPhone 6 arrêtera de fonctionner… C’est-à-dire dans un futur très proche selon eux : « Euh… si je casse le mien, je pense que d’une manière ou d’une autre, j’essaierai de me le procurer », « Vu que j’utilise très souvent le téléphone, il s’abime vite, donc je le change à chaque sortie d’iPhone en fait ». 72 Lorsque l’on demande à cet échantillon quelle est l’importance qu’ils accordent à leur iPhone, on comprend que le produit tient une place essentielle dans leur vie quotidienne. En effet, il tient une place d’enfant : « C’est mon bébé… (rires) », ou de quelque chose dont on ne peut se passer : « Mon iPhone, là je l'ai cassé à Noël, j'étais pas bien. Ca m'a tué ma soirée… Y a juste l'écran qui est fissuré, mais tous les jours, j'y pense », et ce, quel que soit le moment de la journée ou de la nuit : « je me lève avec et je me couche avec généralement ». Pour aller encore plus loin dans cette analyse, il était nécessaire de comprendre les émotions éprouvées par ce groupe d’interviewés lorsqu’ils étaient séparés de leur iPhone ou de leur Mac. Concernant l’iPhone, les émotions négatives lorsque l’appareil n’est pas utilisable sont très fortes : « c’est un peu un sentiment d’abandon ». On donne un aspect humain au produit : « j'y fais attention comme à la prunelle de mes yeux. S'il s'est cassé, c'est parce que je l'ai laissé dans les mains de quelqu'un qui n'y faisait pas attention, et s'il venait... à mourir (rires), je serai triste. » Cette même personne dont l’écran de l’iPhone est cassé rêve même de son produit… ou plutôt, cauchemarde : « Et même avant que je le casse pour de vrai, j'avais déjà fait des rêves dans lesquels je cassais l'écran, et c'était la fin de ma vie. » La relation à l’ordinateur d’Apple, le Mac, est moins intense : « C’est pas tout à fait pareil, mais je suis aussi beaucoup dessus… C’est plus un objet à utiliser à la maison pour moi, alors que le téléphone, t’es tout le temps avec ». Et d’ailleurs, si les sondés sont dans l’impossibilité de l’utiliser, ce n’est pas agréable, mais moins grave à leurs yeux : « C’est moins dramatique. Parce que si y a pas le Mac, y a le téléphone ». L’iPhone peut donc se substituer au Mac, en quelque sorte. Enfin, pour analyser le degré de fidélité aux produits de la marque, il fallait demander à ce groupe dans quelle mesure ils étaient prêts à passer des produits Apple à ceux d’une autre marque. Les réponses sont unanimes : « Jamais de la vie ». Les Apple addict sont même prets à faire des sacrifices financiers : « Je préfère mettre 200 ou 300 euros de plus et avoir un iPhone. ». Changer leurs comportements d’achats représenterait une réelle contrainte : « Faudrait vraiment que j’ai pas du tout le choix pour changer. Et encore plus pour le Mac ». b) Résultats auprès des anti-Apple Cet échantillon n’a pas été sondé sur les questions concernant l’Apple Watch, l’iPhone 7 et la fréquentation des Apple Stores. N’étant pas consommateurs de la marque, et ne souhaitant visiblement pas l’être, ces questions n’avaient pas d’intérêt. 73 Quoi qu’il en soit, les anti-Apple accordent moins d’importance à leurs smartphones que les Apple addict, peut-être par peur d’être dépendant au produit : « j’y suis pas spécialement accro ». Pour eux, l’appareil est importance car il aide à « vivre avec son temps », tout en gardant ses précautions car « vivre avec sont temps ne signifie être sur-connecté en permanence ». En revanche, leur ordinateur tient une place peut-être plus importante, dans leur vie privée ou professionnelle : « pour le boulot, ça m'aide beaucoup, mais dans la vie privée aussi… », « Mon PC, j'y accorde une grande importance, aussi parce que c'est un outil de travail. » Cependant, le fait de ne pas pouvoir utiliser ces produits, qu’il s’agisse du smartphone ou de l’ordinateur, ne les laisse pas indifférents. Concernant leurs smartphones, la frustration peut être sociale : « C'est assez embêtant, car on en a besoin pour communiquer aujourd'hui », ou financière : « Ca m'embête... C'est beaucoup d'argent, 500 ou 600 euros quand même ». Mais ce sentiment de frustration est relativisé par les anti-Apple : « je ne suis pas mal, comme certaines personnes peuvent l'être sans leur smartphone. » De la même manière, s’ils ne peuvent pas utiliser leur ordinateur, une sensation de frustration est éprouvée : « Quand ça arrive, c'est la même chose, tu te sens un peu lésé », et l’un des interrogés rappelle l’utilité des ordinateurs encore aujourd’hui : « Maintenant, on va très facilement sur Internet avec son téléphone, mais un ordinateur reste plus pratique pour plein de choses. Sinon, les ordinateurs n'existeraient même plus ». Enfin, quand on leur demande dans quelle mesure ils seraient prêts à changer de marque pour passer aux produits Apple, deux sur trois sont catégoriques : « Je pense que je passerai à l'iPhone ou au Mac quand Apple sera la seule marque qui aura survécu sur le marché (rires) », « C’est trop élitiste pour moi, ça me gonfle. Donc non, je changerai pas je pense », et l’un d’eux serait prêt à changer si le prix des produits baissait : « Donc si y a une forte baisse de prix, je pourrais peut-être passer au-dessus de leur manière de communiquer. » PARTIE IV – CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS Cette étude m’aura permis de mieux comprendre ce qu’était le neuromarketing, et de mieux comprendre comment mon cerveau (en tant que consommatrice, du moins) fonctionnait. Cependant, le débat éthique sur le neuromarketing reste entier, et il est très difficile de trancher entre d’une part, la manipulation à laquelle il peut être assimilé, et d’autre part, 74 l’incroyable avancée qu’il peut représenter dans les domaines du marketing et de la communication. Finalement, on se rend vite compte que ce que l’homme a le plus de mal à comprendre, c’est lui-même. Et la découverte des mécanismes de notre cerveau peut s’avérer inquiétante, car elle correspondrait à dévoiler un ultime secret : notre propre fonctionnement. Et à propos de ce fonctionnement, voilà les conclusions que je peux tirer de cette étude : L’émotion est en effet plus impactante que la raison dans nos décisions d’achat Qu’elles soient positives ou négatives, les émotions suscitées par la marque Apple dans le cerveau des interrogés influencent leurs comportements. Je n’ai pas été surprise par le fait que les anti-Apple se rappellent tous de la seconde publicité. C’est peut-être parce qu’elle les a interpellés, et d’une façon plutôt négative, qu’ils l’ont bien mémorisée. On dit que lorsqu’on est satisfaits de quelque chose, on en parle à deux ou trois personnes, mais que lorsqu’on est mécontents, on va en parler à une dizaine de personnes. Notre cerveau, à travers notre mémoire, a surtout tendance à retenir ce qui lui déplait. C’est pourquoi l’intégration de l’intelligence émotionnelle au sein des stratégies marketing et communication des entreprises est primordiale. Par ailleurs, l’émotion est plus forte que la raison également chez les pro-Apple. En effet, ceux-là reconnaissent que leur iPhone les rend accros, ou encore que la solidité du produit n’est pas sa première qualité, mais tous vont se procurer rapidement le prochain modèle à sa sortie. Ils aiment tellement le produit qu’ils sont prêts à lui pardonner ses défauts… La norme sociale et le besoin d’appartenance jouent un rôle prédominant dans nos comportements Les consommateurs d’iPhone affirment se sentir bien dans leur communauté de marque pour deux raisons : d’une part, ils se sentiraient « exclus » de quelque chose s’ils ne détenaient pas un iPhone, exprimant une peur de mal gérer leur vie sociale à cause de la non-possession de l’objet, et d’autre part, cela les rassure d’avoir le même smartphone que la majorité des gens qu’ils connaissent. Le fait d’être un consommateur Apple, et particulièrement iPhone, leur donne un sentiment de normalité. Cette idée a également été évoquée par les anti-Apple, pour qui les consommateurs Apple sont des gens plutôt conformistes, ou ayant un besoin de sécurité, notamment sur le plan 75 social. Certains choisissent même de ne pas être consommateur de la marque parce qu’ils auraient l’impression de rentrer dans le moule. Le cerveau est programmé pour croire… Une chose est certaine, les hommes ont besoin de donner du sens à leur vie, et quand ils n’ont plus la religion pour le faire, ils ont cette faculté à s’en créer une autre, rattachée au succès d’une marque, ou d’une entreprise. Ce dont je ne doute plus au terme de mon travail, c’est qu’en effet, nous sommes programmés pour croire, nous avons bel et bien besoin de croire en quelque chose, et les marques qui ont compris cela possèdent aujourd’hui un avantage non pas compétitif, mais absolu. Et parmi ces marques, je citerai bien sûr Apple, mais également Google, qui nous donne aujourd’hui l’espoir (ou le désespoir) de croire que l’homme pourra bientôt être immortel, avec le mouvement transhumaniste. … et nos croyances sur les marques sont façonnées par leur stratégie marketing Clairement, ces marques, et les produits et services qu’elles offrent, sont devenus indispensables à nos vies. S’agit-il du progrès de l’homme ou de son déclin ? Chacun a son idée sur la question, mais je ne peux que reconnaitre que certaines de ces entreprises facilitent mon quotidien, sans que l’on s’en rende toujours compte, et c’est ce qui fait toute leur puissance. Et on peut presque affirmer avec certitude que l’omniprésence de ces entreprises ne serait pas aussi puissante sans leurs campagnes de communication, sans le capital marque qu’elles ont réussi à créer, c’est-à-dire sans la valeur qu’elles ont aux yeux des consommateurs, et de toutes leurs parties prenantes. Par exemple, les détracteurs de la marque Apple la perçoivent comme « élitiste ». Mais n’estce pas l’image que la marque a toujours essayé de mettre en place ? Ses produits se retrouvent aujourd’hui dans les mains de nombreux consommateurs, mais c’est bien là la force d’Apple : avoir fait d’un produit premium (l’iPhone) un objet de consommation de masse, sans pour autant devoir réduire leur marge ou baisser leurs prix. En ce sens, le positionnement de la marque est extrêmement ambigu, mais c’est sûrement l’un des atouts de la pomme. La publicité a le pouvoir de réduire la dissonance cognitive Les deux publicités testées confortent les consommateurs Apple dans leurs décisions d’achat. En effet, elles leur rappellent pourquoi ils ont choisi la marque et ses produits au départ. En effet, la première publicité, qui a forte intensité émotionnelle, rappelle que l’iPhone permet à ses utilisateurs de vivre des moments de bonheur (en tout cas, c’est le message qu’elle souhaite véhiculer). La seconde publicité est plutôt dans un schéma cognitif, elle donne des 76 arguments sur le produit, et sur sa simplicité, mais elle a surtout pour vocation de rappeler aux détenteurs d’iPhone tout ce qu’ils peuvent faire avec l’appareil : l’un des objectifs de cette publicité est donc de réduire la dissonance cognitive du consommateur, qui a potentiellement dépensé une certaine somme d’argent pour se procurer l’iPhone 4. Il faut donc le rassurer sur le produit, mais aussi sur le fait qu’il appartient bien à la communauté Apple, et cela s’opère grâce au slogan. Pour survivre sur le long-terme, une marque a besoin de sa communauté Ce qui fait la force d’Apple, au-delà de ses produits, c’est visiblement sa capacité à rassembler les individus, que ce soit autour d’elle ou contre elle. Les membres de la communauté Apple sont en tout cas persuadés d’une chose : ils appartiennent au bon groupe. Impossible d’affirmer que c’est la vérité, qu’il s’agit effectivement du bon groupe, cela est trop subjectif. Mais Apple leur renvoie en tout cas cette image, flattant alors leur égo. L’idée même de se priver des produits de la marque apparait d’ailleurs comme absurde aux yeux de certains Apple addict. C’est bien ici un processus d’évangélisation en faveur de la marque qui se met en place. Le bouche-à-oreille est un facteur de communication très difficile à mesurer, mais pourtant, à l’heure actuelle, c’est certainement l’outil le plus puissant. Car pour faire la part des choses entre toutes les alternatives qui s’offrent à nous en tant que consommateurs, ce sont finalement nos neurones miroirs qui prennent le dessus. PARTIE V – LIMITES DE L’ETUDE ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE A – Limites de cette étude La première limite que j’ai rencontrée dans ce travail, et non des moindres, est celle-ci : à la question « est-il possible d’analyser de manière très précise les comportements du consommateur sans avoir recours aux techniques de neuromarketing ? », la réponse est… Peut-être. N’ayant pas eu la possibilité d’utiliser des IRM ou des électro-encéphalogrammes pour mener mon étude, il m’est impossible de répondre. Très honnêtement, si j’en avais eu l’occasion, je me serai bien rendue en Belgique pour faire tester les deux publicités avec une agence spécialisée en neuromarketing… Par contre, il est évident qu’une meilleure connaissance du cerveau, que j’ai en partie acquise lors de la construction des deux premières parties de ce mémoire (qu’il s’agisse de la découverte des neurones miroirs, ou encore de l’activation d’une zone cérébrale responsable 77 de la peur), m’a clairement aidée à mieux analyser les enquêtes que j’ai menées. Alors même que je les interviewais, je suis en effet parvenue à détecter certains processus mentaux (qui s’exprimaient parfois de manière inconsciente) chez les personnes que j’interrogeais, comme celui du besoin d’appartenance sociale, ou de la réduction de la dissonance cognitive. De ce fait, je dirai que le neuromarketing dans sa vision large (c’est-à-dire dans la vision que nous en ont donnée Droulers et Roullet) est une science utile, qui permet en effet de mieux comprendre les comportements du consommateur, les outils techniques (c’est-à-dire l’IRM, l’électroencéphalogramme, etc.) servant finalement à confirmer ce que l’on sait déjà sur une marque et sur ses produits. Cela dit, ayant étudié une marque déjà iconique, et la relation qu’ont les consommateurs avec ses produits phares, je dois reconnaitre que l’analyse a été plus facile. Ainsi, je rejoins également la conception que Bruno Teboul a du neuromarketing : son utilisation nous permettrait effectivement d’éviter bon nombre d’échecs liés à des lancements de produits ou à des campagnes publicitaires inadaptées. Car comme le disait Henry Ford : « si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides ». Deuxième limite de cette recherche : il m’est difficile de répondre aux problèmes éthiques que pose le neuromarketing, car finalement, je pense que ces limites éthiques proviennent du marketing lui-même. Faire de la publicité, n’est-ce pas déjà en soi « manipuler » le consommateur ? C’est-à-dire faire en sorte qu’il agisse comme on le désire ? Comme le dit si bien Martin Lindstrom, le neuromarketing ne correspond pas à modifier ce qui est dans notre cerveau, mais à découvrir ce qui y est déjà. La question est de savoir si les marques créent des nouveaux besoins, ou si elles répondent à ceux qui existent déjà, quelque part au fond de notre cerveau. En bref, cela revient à essayer de répondre à la question : « qui de la poule ou de l’œuf est arrivé en premier ? »… B – Perspectives de recherche Le neuromarketing, par définition, étudie le cerveau humain et appliquent les paradigmes des neurosciences au marketing. Je me suis volontairement placée du point de vue du consommateur dans cette recherche, mais j’aurais pu également n’étudier que l’aspect éthique de cette discipline, ou encore me focaliser uniquement sur le marketing sensoriel. 78 Ce qui m’intéressait dans ce travail était de comprendre comment une marque peut devenir presque toute-puissante, et donc comment elle peut influencer les comportements du consommateur. Etant moi-même ce qu’on peut appeler une « anti-Apple », je me dois cependant de reconnaitre la force de cette marque. Je me suis rendue compte, en écrivant ce mémoire, qu’elle avait la capacité de me toucher, de susciter des émotions dans mon esprit, bien que celles-ci soient plutôt négatives. Je dois donc avouer qu’inconsciemment, je me suis toujours efforcée d’acheter les produits de « ses ennemis », et que ce sont aussi les consommateurs comme moi (c’est-à-dire les nonconsommateurs convaincus) qui contribuent à renforcer le pouvoir d’Apple. Et je ne peux pas le nier, j’ai parfois eu envie de croquer dans la pomme… 79 PARTIE V – BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES AUBERT, N. (2004). L'individu hypermoderne, Eres. Darpy, D. (2012). Comportements du consommateur - 3e édition - Concepts et outils: Concepts et outils, Dunod. Dawkins, R., et al. (1978). Le gène égoiste, Mengès. Roullet, B., Droulers, O. (2010), Neuromarketing : Le marketing revisité par les neurosciences du consommateur, Dunod Gilbert, D. T. (1998). The Handbook of Social Psychology, McGraw-Hill. Gobe, M. (2013). Emotional Branding: The New Paradigm for Connecting Brands to People, Allworth Press. Goleman, D. and T. Piélat (1999). L'intelligence émotionnelle: comment transformer ses émotions en intelligence, France loisirs. Lehrer, J. and H. Dhifallah (2011). Proust était un neuroscientifique: ces artistes qui ont devancé les hommes de science, R. Laffont. Lindstrom, M. (2012). Buyology: How Everything We Believe About Why We Buy is Wrong, Random House. 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