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Le Courrier de l’Arcol et de la SFA (3), n° 2, avril/mai/juin 2001
(figure 3a), remplaçant les tracés indéfec-
tibles des sujets à cœur sain (figure 3b) ;
–échelles chiffrant la “progression du
mal”, reflet de la gravité pronostique ;
–intersection d’axes (abcisses et ordon-
nées) en précisant que s’inscrivait là, pour
un patient, le “temps zéro” de son exis-
tence, entre “mort et renaissance” (le mo-
ment entre l’excision du cœur natif et la
mise en place du greffon pendant une chi-
rurgie de transplantation cardiaque).
Ces dessins veulent objectiver l’atteinte
hémodynamique mais, au-delà d’une
lecture quantitative, il s’agit d’autres
épreuves, dont la perte – métaphorique –
de l’énergie vitale, le vécu difficile d’un
déroulement temporel “compté” et d’une
“vie écourtée” ou “ressuscitée” au prix
d’un renoncement à son cœur natif.
Mais, il faut constater que l’esquisse du
“cœur d’amoureux” (
) domine, choisie
dans les deux tiers des cas (identique aux
sujets à cœur sain) comme support à :
–des ajouts à référence somatique (vais-
seaux, cavités, etc.) ;
–des flèches qui le transpercent et trahis-
sent le désarroi ;
–des inscriptions d’initiales pour affirmer
l’appropriation d’un greffon : “Voilà, c’est
un cœur à moi” s’est écrié un patient
transplanté en traçant J.C. (ses initiales)
sans faire de rapprochement avec l’entre-
lacs religieux, au sein d’un cœur dont
les vaisseaux rayonnent tel un Sacré-Cœur
(figure 4) ;
–des circuits interrompus suggérant une
“ligne de vie en pointillés” due à des
pauses rythmiques (avant pace-maker)
(figure 5).
Ces cumuls graphiques, souvent très ima-
ginatifs, personnalisent l’organe, signent
la double souffrance physique et psy-
chique. Le cœur dont parlent les cardio-
logues n’est pas toujours en congruence
avec celui qu’évoquent les patients.
D’une manière générale, le dessin spontané
du cœur vaut comme un cliché : il dévoile,
à un moment de la vie, la puissance de cer-
tains investissements psycho-émotionnels,
la part des dimensions pragmatique et ima-
ginaire du patient ; il révèle le sensible et
l’intelligible comme sur des épreuves pho-
tographiques. Le dessin aide encore à ap-
précier le décalage possible entre sa subjec-
tivité et l’objectivité médicale, laquelle est
moins niée que mal intégrée quand elle
est trop inquiétante. Toutes ces données
sont étayées consciemment sur des valeurs
socioculturelles et sur un savoir expert, et
plus inconsciemment sur un savoir profane
fait d’éléments sensoriels, fantasmatiques,
sublimatoires personnels.
Cet organe “d’amour”, qui abrite l’âme et
qui les “abandonne”, ne tient-il pas une
place aussi importante que la pompe car-
diaque ? La blessure somatique entraîne
toujours une blessure psychique et c’est le
degré de conscience que l’on en a qui est
variable. Car elle attaque le narcissisme
(Soi/son amour propre) en modifiant inti-
mement le corps avec des répercussions
sur le vécu du corps et des éléments qui
contribuent à la vie affective (Soi/autrui).
Une impasse du médical sur les épreuves
psychologiques engendrées par un organe
atteint – ici le cœur – risque de resurgir
inopinément et de transformer un acte
thérapeutique techniquement réussi en
échec. Mieux vaut donc s’accorder mu-
tuellement sur ce que véhicule ce formi-
dable “moteur de la vie”.
●
Pour en savoir plus...
❑
Vaysse J, Dulauroy J. Proposer une transplanta-
tion cardiaque. Revue de Médecine Psychosomatique
1989 ; 19 : 81-94.
❑
Vaysse J. Destins des organes. De l’éthique à
l’imaginaire. International Journal of Bioethics
1995 ; 6 (2) : 106-10.
❑
Vaysse J. Images du Cœur. Paris : Desclée de
Brouwer, 1996.
❑
Vaysse J. Petit Traité de médecine psychosomatique.
Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, 1996.
❑
Vaysse J. L’homme, malade de sa guérison. Le
Monde de l’éducation, de la culture et de la forma-
tion 1998 ; 260 : 34-35.
Figure 3a.
Figure 3b.
Figure 4. Figure 5.