Hémorragies digestives dues aux cirrhoses : ne pas transfuser

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EVIDENCE-BASED MEDICINE
Hépatologie
Hémorragies digestives dues
aux cirrhoses : ne pas transfuser
tant que le taux d’hémoglobine
est supérieur à 7 g/dl
Arnaud Pauwels, Gonesse.
Ce qu’il faut retenir
À partir de données expérimentales et hémodynamiques, la conférence
de consensus de 2003 sur les complications de l’hypertension portale
recommandait une stratégie transfusionnelle restrictive, avec un seuil
d’hémoglobine de 7 g/dl pour décider d’une transfusion sanguine. Un
grand essai clinique espagnol vient de démontrer que cette stratégie est
bénéfique et sans risques.
niveau
de preuve
D
ans ses conclusions sur la prise en charge des
hémorragies par rupture de varices œsophagiennes, la conférence de consensus de 2003
indiquait que “la transfusion de concentrés érythrocytaires est recommandée lorsque l’hématocrite est
inférieur à 25 % et l’hémoglobine inférieure à 7 g/dl.
L’objectif est d’obtenir un hématocrite entre 25 et 30 %
et d’atteindre un taux d’hémoglobine de 7 g/dl” (1).
Cette recommandation reposait sur les résultats
d’études, expérimentales chez l’animal et hémo-
1
100
99
98
Survie (%)
97
96
95
Stratégie restrictive
94
93
p = 0,02
92
91
Stratégie libérale
90
0
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
Jours
Figure. Survie en fonction de la stratégie transfusionnelle.
10 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XVII - n° 1 - janvier-février 2014
dynamiques chez l’homme, ayant montré qu’une
correction trop importante de la perte sanguine
s’accompagne d’un rebond de la pression portale
favorisant la persistance ou la récidive du saignement. Si l’objectif proposé apparaissait raisonnable,
il restait cependant empirique. Une étude publiée en
janvier 2013 dans le New England Journal of Medicine
l’a validé (2).
Cette étude randomisée et monocentrique a
comparé 2 stratégies transfusionnelles dans la
prise en charge des hémorragies digestives hautes :
d’une part, une stratégie dite restrictive, avec un
seuil à 7 g/dl d’hémoglobine pour décider d’une
transfusion sanguine, et un objectif de remontée
du taux d’hémoglobine entre 7 et 9 g/dl ; et, d’autre
part, une stratégie dite libérale, avec un seuil à
9 g/dl et un objectif entre 9 et 11 g/dl. Dans cette
étude, 889 patients ont été inclus et randomisés
en 2 groupes, avec une stratification en fonction de
l’existence ou non d’une cirrhose. Les patients cirrhotiques ne représentaient que 31 % de cet effectif,
mais c’est dans leur sous-groupe que les résultats
sont les plus intéressants.
Fort logiquement, il y a eu moins de patients transfusés dans le groupe stratégie restrictive que dans le
groupe stratégie libérale : 49 versus 86 %, avec une
différence moyenne entre les 2 groupes de 2 culots
globulaires par patient (1,5 ± 2,3 versus 3,7 ± 3,8 ;
p < 0,001). La mortalité a été significativement
réduite dans le groupe stratégie restrictive : 5 versus
9 % ; p = 0,02 (figure). Dans le sous-groupe des
patients cirrhotiques, la mortalité était de 11 % avec
la stratégie restrictive versus 18 % avec la stratégie
libérale. Ce bénéfice concernait les patients avec un
score de Child-Pugh A et B (4 versus 12 % ; p = 0,02).
En revanche, il n’y avait pas de différence pour les
patients avec un score de Child-Pugh C (38 versus
41 % ; NS). Pour toute une série de critères secondaires (taux de récidive hémorragique, survenue de
Hépatologie
complications pendant l’hospitalisation, durée de
séjour), la différence était à chaque fois en faveur
de la stratégie restrictive.
Ces résultats suggèrent que, chez les patients présentant une hémorragie digestive haute, une stratégie
transfusionnelle consistant à ne pas transfuser tant
que le taux d’hémoglobine est supérieur à 7 g/dl est
sûre et bénéfique. Bien évidemment, cette stratégie
doit s’ajuster à l’état du patient (âge, antécédents
cardiovasculaires, etc.). Par ailleurs, si elle est valable
à la phase aiguë de l’hémorragie, la correction ulté-
EVIDENCE-BASED MEDICINE
rieure d’une anémie sévère peut être justifiée chez
les patients fragiles (par exemple, les cirrhotiques
avec un score de Child-Pugh C).
■
Références bibliographiques
1. Conférence de consensus. Complications de l’hypertension
portale chez l’adulte. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:B324-34.
2. Villanueva C, Colorno A, Bosch A et al. Transfusion strategies for acute upper gastrointestinal bleeding. N Engl J Med
2013;368(1):11-21.
Antibioprophylaxie primaire
de l’infection du liquide d’ascite : oui,
mais seulement en cas de cirrhose grave
Arnaud Pauwels, Gonesse.
D
Ce qu’il faut retenir
L’antibioprophylaxie primaire permet de prévenir la survenue d’une infection du liquide d’ascite (ILA) chez les patients cirrhotiques ascitiques
avec un taux bas de protéines dans l’ascite (< 15 g/l), mais elle favorise
l’émergence de bactéries résistantes. Les recommandations actuelles
sont d’en réserver l’indication aux patients présentant une insuffisance
hépatique sévère et un état hémodynamique précaire, tout particulièrement s’ils sont en attente d’une transplantation hépatique.
ou un syndrome hépatorénal (28 versus 41 % ;
p = 0,02). À 3 mois, la survie était améliorée (94
versus 62 % ; p = 0,003), tandis qu’à 1 an, le bénéfice
était moindre, à la limite de la significativité (60
versus 48 % ; p = 0,05). Des résultats comparables
ont été obtenus avec la ciprofloxacine (3).
Si un taux bas de protéines dans l’ascite est prédictif
de la survenue d’une ILA (20 % à 1 an), ce paramètre
est jugé insuffisant pour définir le sous-groupe de
patients devant bénéficier d’une antibioprophylaxie
primaire. Les dernières recommandations de l’European Association for the Study of the Liver (EASL)
niveau
de preuve
ans une enquête de pratique récente, 72 %
des hépatologues français déclaraient prescrire une antibioprophylaxie primaire de l’ILA
– par exemple, par l’administration à long terme
d’un antibiotique chez un patient cirrhotique ascitique sans antécédent d’ILA – dès lors que le taux de
protéines dans l’ascite était inférieur à 10-15 g/l (1).
Pour la moitié d’entre eux, cette prescription était
courante. Les quinolones, et tout particulièrement
la norfloxacine, étaient de loin les plus utilisées. Les
recommandations des sociétés savantes sont pourtant prudentes sur le sujet, car une telle prophylaxie
favorise l’émergence de bactéries résistantes.
La question est de trouver le meilleur compromis
entre le bénéfice clinique de l’antibioprophylaxie et
son impact sur l’épidémiologie microbienne, mais
pour cela nous ne disposons que de peu d’études
conparatives. Dans l’essai rapporté par J. Fernandez
et al. en 2007 (2), tous les patients inclus avaient
une cirrhose grave, définie par un score de ChildPugh supérieur ou égal à 9, une insuffisance rénale
(créatininémie > 105 μmol/l) ou une hyponatrémie
(< 130 mmol/l). Chez ces patients, la norfloxacine,
comparée au placebo, diminuait la probabilité à 1 an
de développer une ILA (7 versus 61 % ; p < 0,001)
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