L’OBJECTIF DES JEUX METHODOLOGIQUES Alain ANCIAUX UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES INTRODUCTION L’action interculturelle et intergénérationnelle présentent à la fois des dénominateurs communs (aspect méthodologique et virtuel) et des spécificités (aspect pratique et réel). Des « jeux méthodologique et d’écriture », destinés à une participation active des personnes présentes se centrent sur trois éléments complémentaires et furent utilisés pendant le colloque CEFUTS à Saragosse en 2010. Ces jeux méthodologiques furent les suivants : le jeu de quizz : son objectif est de montrer le dénominateur commun d’une action internationale et interculturelle. Ce jeu est basé sur l’application de « questions à choix multiples » ; le jeu d’écriture : son objectif est de montrer la qualité internationale et interculturelle d’une action potentielle. Ce jeu d’écriture est basé sur l’application de propositions d’écritures centrées sur le développement social. Et, enfin, le jeu centré sur des photos : son objectif est de montrer ce que vous voyez, ce que vous comprenez, ce que vous aimez ou n’aimez pas à propos des représentations visuelles. Des jeux semblables ont été (ou sont) utilisés en 2008, 2009, 2010 et 2011 à Braine-l’Alleud et à Farciennes (Belgique) dans le cadre régional du Plan de Cohésion Sociale. Grâce à ces jeux1 sont exposées des données centrées sur les valeurs de l’interculturalité et de l’intergénérationnalité. JEUX D’INTERCULTURALITE ET D’INTERGENERATIONNALITE : a.les effets repérables grâce à des jeux : Les différents exemples d’effets repérables sont dotés de critères de valeurs (positifs et/ou négatifs) qui provoquent un impact favorable ou même parfois défavorable sur les valeurs en question : j’appelle ce mouvement le processus de « valeur dynamique », c’est-à-dire la volonté de valoriser ou revaloriser les valeurs. Dans cette optique, par exemple, chaque valeur est potentiellement un objet d’étude pour comprendre quel est son impact potentiel sur d’autres éléments. Cette réflexion est pertinente à partir du moment où l’on considère les effets comme des variables à court terme et les valeurs comme des variables à 1 Sur les jeux cités : L'évaluation de la socialité (Manuel d'anthropologie appliquée au travail social) (Introduction : Pierre SALENGROS), Éditions De Boeck Université, Bruxelles, 1994, 304 p. moyen terme. Cela voudrait dire qu’existent d’autres variables à long terme qui peuvent produire des impacts Plus concrètement parlant, un objet social en mouvement (une action sociale) engendre des effets qui impactent des valeurs. La nouvelle version serait : l’action sociale engendre des effets qui impactent des valeurs qui atteignent d’autres variables à déterminer. Un lien déductif provenant des équations fondamentales de la mécanique quantique pourrait permettre de dire que les valeurs impactées indirectement par l’action sociale « n’existent pas en soi mais seulement de manière relative »2, ce qui crée un lien logique avec l’anthropologie alternative où un quelconque objet social est étudié dans son impact informatif de virtualité par le biais d’effets (dans une néguentropie provenant de l’étude de la thermodynamique des systèmes) pour rejoindre un impact de relativité sur des valeurs (dans une pratique philosophique dérivée de la mécanique quantique). b.la polysémie des valeurs : Les douze valeurs choisies pour illustrer l’impact d’un objet social en mouvement (une action sociale) ne sont que des sous-systèmes par rapport à l’ensemble potentiel des valeurs qui existent. Ils apparaissent dans des jeux comme les quizz, l’analyse d’images et les exercices d’écriture. Chacune des douze valeurs prônées par cette approche systémique (à titre d’exemples) présente un ensemble de synonymes utilisables. S’attarder sur la polysémie (les significations multiples) des signifiés revient à proposer les versions suivantes (non exhaustives) de certaines valeurs : (1) allocation universelle : bien-être, stabilité économique, sécurité, travail, emploi… (2) perception de l’histoire et du futur : respect, historicité, intergénérationnalité… (3) liberté de circulation : liberté, mobilité, indépendance… (4) respect de l’environnement: propreté, hygiène, économie énergétique… (5) esthétique : beauté, harmonie, style… (6) expressionniste : comportement, tournure, incarnation… (7) impressionniste : idée, valeur, rêve, conception… (8) création d’objet ou d’organisme: physique, matière, concrétisation… (9) esprit ouvert : libre-examen, aspiration… (10) variété : changement, innovation… (11) choix annexe ou intermédiaire : transition, alternative, médiation… (12) la liaison sociale : statut, rôle, amour, relation, caritatif, social… Dans le même ordre d’esprit, il serait possible d’étudier l’impact des effets sur des contre-valeurs, c’est-à-dire sur des croyances, des dogmes, des idées reçues, des éléments négatifs valorisés par 2 L.NOTTALE. « Relativité, être ou ne pas être ». Société psychanalytique de Paris. In : http://www.spp.asso. fr/main / PsychanalyseCulture/Scien (décembre 2009). certains. Il serait dans ce cadre possible d’étudier la manière de diminuer ces effets négatifs et ces valeurs à rejeter, à condamner, à oublier… Prenons des exemples de contre-valeurs (ou d’antonymes) sur base des douze valeurs précitées : (1) versus exploitation, escroquerie, paupérisation... (2) versus égocentrisme, égoïsme… (3) versus exil, ghéttoïsation, discrimination… (4) versus pollution, dénaturation, gâchis, (5) versus conformisme, classicisme… (6) versus immobilisme, apathie, repli… (7) versus dogmatisme, extrêmisme, ignorance… (8) versus intellectualisme, spiritualisme, abstraction… (9) versus limitation, fermeture d’esprit… (10) versus répétition, statu quo… (11) versus dialectique, dualité… (12) versus racisme, xénophobie, sexisme… Les différents synonymes cités sont des éléments que je perçois comme « négatifs », mais qui traduisent bien entendu un choix polysémique et/ou un positionnement personnel (weltanschauung) qui n’est peut-être pas le vôtre. Mais je suis certain que vous trouverez rapidement les synonymes qui répondent le mieux à votre « pattern », c’est-à-dire à votre fondement idiosyncrasique que je respecte s’il ne contrevient nullement à la liberté virtuelle et réelle d’autrui. Certes, il est possible de construire des jeux éducatifs ou une étude sur l’interculturalité et l’intergénérationnalité en relevant des effets s’opposant à ces contre-valeurs, à ces valeurs négatives. Un jeu ou une étude sur l’action sociale pourraient porter comme titre « Comment lutter contre l’isolement et la violence » ou « Comment une action sociale peut combattre la destruction des valeurs ». Je préfère avoir une vision positive mettant en valeur le fait de promouvoir des actions positives plutôt que de lutter contre des faits négatifs. L’impact est le même, mais cette vision positive s’inscrit dans une idée de « constructivisme social ». c.La création avec des jeux d’éléments de l’anthropologie alternative La création de jeux ou d’autres pratiques est « la recherche et l’emploi de techniques permettant d’exercer et de développer les aptitudes créatives et, dans la mesure où elles ne sont pas innées, de les former»3. Cette approche par l’anthropologie alternative parle d’une action sociale ou d’un objet social parmi d’autres. J’ai le sentiment que nous vivons à une époque clef, que le nouveau millénaire n’a pas encore commencé réellement. Nous vivons une époque semblable à celle de la fin des années Michel DEMAREST / Marc DRUEL. 1970. La créatique (psycho-pédagogie de l’invention). Paris : Editions Clé : 12-13. 3 50 et 60…la guerre en Irak, en Afghanistan, les problèmes du Tibet…cela rappelle la période de la guerre du Viet Nam, des marches à Washington DC pour les droits civils, des messages libertaires des hobos et des beatnicks, de l’opposition culturelle entre les mods et les rockers, de l’apparition de la contre-culture… Nous nous trouvons probablement dans les prémisses d’une nouvelle ère, d’un âge nouveau qui viendra dans quinze ans, dans vingt ans…et à cette époque-là, certains sociologues centrés sur l’historicité de ce monde nouveau écriront : « Vous voyez, déjà dans les années 90 et au début du nouveau millénaire, le jeu électronique parmi d’autres faits sociaux nous indiquait la piste à suivre, ce que la société allait devenir à un moment où la « hip hop culture » (hip hop, rap, graph et dejaying) coexistait avec la cyberculture (Internet, GSM, Ipod, jeux électroniques…) ». Cette approche des jeux doit, bien entendu, tenir compte du fait que de nombreux « objets sociaux » peuvent faire l’objet d’une étude : les mêmes réflexions sur la virtualité et sur la relativité par exemple pourraient prendre comme applications des pratiques culturelles marginales et/ou émergentes (les « arts mineurs ») telles le karaoké4, l’impro, le slam, le tagging, le djembe, le free hugs, le pillow fights (batailles d’oreillers), le street war (pistolets à eau), le gum boot (claquettes avec des bottes), le speed dating… LES STRATÉGIES GÉNÉRALES DES JEUX EDUCATIFS ET D’AUTRES ACTIVITÉS CULTURELLES : Par "stratégie", il convient de comprendre un mode de fonctionnement (logique d'action) ou parfois une volonté d'action .Une stratégie peut être le fait d'un individu, parfois celui d'un groupe ou d'une organisation. Il est difficile d'établir une typologie des stratégies. La liste des dix stratégies qui suit n'est pas exhaustive et a comme objectif principal de répertorier certaines stratégies courantes dans le champ de jeux centrés, par exemple, sur l’interculturalité et l’intergénérationnalité : 1. la stratégie conflictuelle : certaines réalisations dans le domaine de l'action sociale découlent de conflits ou débouchent sur des conflits, des oppositions ou une crise provoquée volontairement par un ou différents partenaires impliqués dans l'action. La stratégie conflictuelle vise à l'émergence d'une tension libératrice ou révélatrice d'enjeux. 2. la stratégie consensuelle : l'action sociale est souvent l'objet d'un accord entre, d'une part, les pouvoirs publics et, d'autre part, une ou des organisations représentant la population. Le travailleur social ou socio-médical opte pour une stratégie consensuelle lorsqu'il vise essentiellement la recherche 4 Alain ANCIAUX. 2009. Ethno-anthropologie du karaoké. Paris : Editions L’Harmattan, Paris d'accords, de compromis et de partages (par exemple, de pouvoir ou d'argent) en utilisant la négociation comme arme principale. 3. la stratégie d'appropriation : une action sociale est parfois récupérée par un groupe ou par une organisation. Elle peut être récupérée par un échelon supérieur de la société. Par exemple, un Ministère s'approprie les résultats d'une action entreprise sur le terrain par une association qui, par la mise en oeuvre de méthodes originales, a obtenu des résultats supérieurs aux actions qui étaient auparavant cautionnées par ce même Ministère. 4. la stratégie d'autodétermination : l'action sociale peut être le résultat d'une poussée de l'opinion publique ou d'une action de la part d'une partie de la population voulant participer d'une façon plus démocratique à des actions la concernant. 5. la stratégie d'imitation : un projet d'action sociale se modèle, par exemple, sur une autre action. Il ne s'agit pas, dans ce cas, d'une "récupération", mais bien d'une transposition d'une action continuant par ailleurs (mais organisée par un autre groupe). 6. la stratégie d'innovation : l'action sociale engendre parfois des actions nouvelles, alternatives et originales. Toutes ne débouchent pas sur des résultats convaincants et durables, mais elles fonctionnent comme des "bancs d'essai". 7. la stratégie d'intégration : l'action sociale est parfois utilisée, non pas pour réaliser la seule redistribution des ressources disponibles, mais bien pour désamorcer des revendications provenant d'une partie de la population. La stratégie d'intégration peut également viser à gommer la distinction ou la disjonction existant entre différents groupes sociaux. 8. la stratégie de conscientisation : c'est le cas, par exemple, d'expériences de travail social par rapport à la violence ou à la toxicomanie. Par l'action de prévention, le travailleur social a la possibilité de se centrer sur la formation politique d'un groupe de base afin qu'il prenne conscience des déterminants politiques, sociaux, économiques, culturels...qui freinent sa libération ou l'avancement de ses projets . 9. la stratégie de décloisonnement : une action sociale peut être organisée pour faciliter le rapprochement entre des groupes en situation de distinction ou de disjonction. C'est le cas, par exemple, des projets intergénérationnels. 10. la stratégie de délocalisation : la mise en oeuvre d'une action sociale concrétise parfois une volonté de la base ou du pouvoir central de décentraliser les lieux du pouvoir, de la prise de décision ou même certaines réalisations. Cette énumération de stratégies des jeux n'est certainement pas exhaustive et, sur le terrain, des tactiques spécifiques en concrétisent parfois la poursuite pour permettre d'élaborer un partenariat efficient et efficace. CONCLUSION : LE DECLOISONNEMENT, LA MEILLEURE SOLUTION DES JEUX ET D’AUTRES ACTIVITES INTERCULTURELLES ET INTERGENERATIONNELLES : Le décloisonnement du social est l'objectif central d'une volonté ou d'une possibilité de partenariat étudiée, par exemple, par certains jeux éducatifs. Il concerne les variables suivantes : les perspectives, les problèmes, les pôles d'intervention, les secteurs, les partenaires, les particularismes professionnels, les méthodes, les techniques, les supports et les interventions financières. Par "décloisonnement", j'entends le partage, la coordination, le partenariat, l'intégration, la synergie, c'est-à-dire l'utilisation plus rationnelle des ressources humaines, techniques et financières : 1) les perspectives : une action sociale ne peut se concevoir qu'en vertu de trois niveaux temporels (court terme, moyen terme et long terme) présentant chacun des perspectives d'action. 2) les problèmes : l'action sociale ne peut émerger que par la synergie découlant d'une enquête sur les besoins et les déterminants et d'une action chargée de réduire les carences constatées. 3) les pôles d'intervention : par "pôles d'intervention", j'entends le psychologique, le social, l'économique, le politique...Toute action sociale doit intégrer ces différentes composantes et ne pas agir sur l'une d'entre elles exclusivement. 4) les partenaires : toute action sociale devrait être à la fois multidisciplinaire et interdisciplinaire. C'est la possibilité d'obtenir une complémentarité et un partage des compétences de différents intervenants. 5) les secteurs : le secteur privé et le secteur public oeuvrent souvent séparément. Décloisonner le social, c'est aussi encourager le développement d'actions mixtes unissant les efforts de ces deux secteurs (par exemple, les pouvoirs locaux et le milieu associatif). 6) les particularismes professionnels : des spécificités professionnelles se croisent sur le terrain de l'action sociale en termes de formation, de méthodes, de rémunérations...touchant, par exemple les médecins, les assistants sociaux, les éducateurs, les psychologues... Décloisonner le social, c'est dépasser ces particularismes et travailler ensemble sans jalousie, sans volonté de prendre le pouvoir et, parfois, en oubliant son statut (privilégié ou non privilégié) pour se tourner avant tout vers l'intérêt des personnes concernées par l'action entreprise. 7) les méthodes : se polariser sur une seule méthode, c'est cloisonner le social.Une polyvalence méthodologique vise à utiliser différentes méthodes, soit dans un ordre chronologique (aider, assister, informer et, ensuite, former), soit dans un ordre séquentiel (plusieurs actions combinant l'aide, l'assistance, l'information et la formation). 8) les techniques : l'action sociale idéale, c'est enclencher conjointement une action individuelle, groupale et communautaire, c'est-à-dire agir sur l'individu (pour l'aider à mieux s'insérer), agir sur son groupe de référence, par exemple la famille (pour mieux l'appuyer dans son effort d'insertion) et sur le milieu social comme, par exemple, le quartier, afin que cet individu puisse s'insérer dans un environnement plus accueillant socialement parlant. 9) les supports : une action intégrée doit s'appuyer sur un grand nombre de supports afin d'épauler les méthodes et les techniques. Le jeu, l’activité culturelle, les photos, la réunion, l'affiche, la diapositive, l'informatique, la radio, la télévision...Tout travailleur social, tout agent de changement, se doit d'être aussi un médiateur, un "communicateur". La formation au décloisonnement par l’intermédiaire de jeux ou d’autres activités culturelles permet de faciliter la résolution des problèmes liés à l’interculturalité et à l’intergénérationnalité comme, par exemple, dans certaines perspectives, une analyse prospective permettant d’améliorer l a vie sociale d’une communauté5. 5 Alain ANCIAUX. 2010. Slamtown (ethnographie alternative d’une métropole eurasienne). Bruxelles : maelstrÖm éditions