Que faire vis-à-vis du traitement anticoagulant à la phase aiguë d’une hémorragie cérébrale ou d’un infarctus cérébral massif ? Chez des patients porteurs d’une prothèse valvulaire cardiaque mécanique ou d’une fibrillation auriculaire chronique non valvulaire Mise au point M ise au point Management of anticoagulant therapy for patients with mechanical prosthetic heart valves or non valvular atrial fibrillation and intracranial hemorrhage or large cerebral infarction IP P. Garnier* PoInTS FoRTS Arrêt des antivitamines K. Correction de l’effet anticoagulant par PPSB et vitamine K si hématome cérébral. Reprise précoce ou différée de l’anticoagulation en fonction du risque thromboembolique et des facteurs prédictifs du risque hémorragique encouru par le patient. Surveillance de l’évolution de l’hématome et de l’héparinémie. Mots-clés : Risque thromboembolique - Risque hémorragique - Anticoagulation. Keywords: Thromboembolic risk - Bleeding risk - Anticoagulation. pour les prothèses à bille que pour celles à disque oscillant et à double ailette. En cas de FANV chronique, certains sous-groupes de patients ont un risque annuel élevé de faire un accident ischémique cérébral (AIC). Il est de 12 % par an chez les patients aux antécédents d’AIC et de 5 à 8 % par an chez ceux de plus de 65 ans présentant un des facteurs de risque suivants : hypertension artérielle (HTA), dysfonction du ventricule gauche, diabète, coronaropathie. Quelle attitude faut-il adopter vis-à-vis du traitement anticoagulant à la phase aiguë d’une hémorragie cérébrale ou d’un infarctus cérébral massif survenant chez ces patients anticoagulés en raison d’un RTE élevé ? Nous n’aborderons pas ici le problème posé par la reprise de l’anticoagulation au long cours chez ces patients ayant présenté une hémorragie cérébrale sous antivitamine K (AVK). à lA PHASe AIguË D’une HéMoRRAgIe CéRébRAle L e risque thromboembolique (RTE) attribué aux prothèses valvulaires cardiaques mécaniques (PVméca) et à certains sous-groupes de fibrillation auriculaire non valvulaire (FANV) est tel qu’un traitement anticoagulant oral au long cours s’impose. Pour les PVméca, le risque de thrombose de valve et d’embolie, cérébrale le plus souvent, est respectivement de 1,8 % et 6,8 % par an sans traitement antithrombotique (1). Ce risque est plus élevé pour les PVméca mitrales que pour les PVméca aortiques. Il est également plus important * Service de neurologie, CHU de Saint-Étienne, hôpital Bellevue, Saint-Étienne. © La Lettre du Neurologue 2006;X(8):265-8. La Lettre du Cardiologue - n° 401 - janvier 2007 Si la nécessité d’un traitement anticoagulant est indiscutable chez ces patients à haut risque thromboembolique (70 % de réduction du RTE), ils n’en restent pas moins exposés à des complications hémorragiques. La plus grave est l’hématome cérébral, responsable d’un taux de mortalité élevé d’environ 50 %. Le risque d’hématome cérébral sous AVK est de 0,5 % par an en cas de PVméca et de 1,3 % par an en cas de FANV. Données de la littérature Nous disposons de peu d’études sur la prise en charge de ces patients dans les jours qui suivent l’hémorragie. Nous ne décrirons que les plus représentatives et les mieux documentées. Sont inclus dans ces études les patients admis pour une hémorragie intracrânienne. Deux attitudes sont débattues : l’une préconisant la reprise précoce de l’anticoagulation et l’autre sa reprise différée. 1 Mise au point M ise au point I Prothèses valvulaires mécaniques et reprise précoce de l’anticoagulation ✓ L’étude de M. Bertram et al. (2) rapporte une série de 10 patients porteurs d’une PVméca (moyenne d’âge : 61 ans) admis pour une hémorragie intracrânienne sous AVK (hématome cérébral dans 8 cas, hémorragie méningée dans 2 cas). Après arrêt des AVK et correction en urgence de l’anticoagulation (vitamine K et/ou plasma frais congelé et/ou PPSB), l’héparine était commencée dès J1. Deux patients (20 % des cas) avec PVméca aortique, dont l’international normalized ratio (INR) était insuffisamment corrigé (> 1,5) et le temps de céphaline activé (TCA) était à 2 fois le témoin, présentèrent à J3 une récidive hémorragique cérébrale. Deux patients (20 % des cas) avec PVméca mitrale dont l’INR était corrigé et le TCA normal (anticoagulation inefficace) développèrent un infarctus cérébral embolique symptomatique à J4 et J5. Tous les patients dont le TCA était entre 1,5 et 2 fois le témoin et dont l’INR était corrigé (< 1,5) n’eurent aucune complication. Les patients furent suivis pendant un mois. I Prothèses valvulaires mécaniques et reprise différée de l’anticoagulation ✓ Dans la cohorte de T.G. Phan et al. (3), 52 patients porteurs d’une PVméca (moyenne d’âge : 68 ans) ont été admis pour une hémorragie intracrânienne (62 % avaient un hématome cérébral, 30 % un hématome sous-dural, 6 % une hémorragie méningée, 2 % une hémorragie intraventriculaire). Ils avaient un haut risque thromboembolique puisque les deux tiers avaient un antécédent d’AIC (associé à une FA dans un tiers des cas) et des anomalies échocardiographiques potentiellement emboligènes (dilatation de l’oreillette gauche, fraction d’éjection inférieure à 40 %, hypokinésie ou thrombus). Les AVK ont été interrompues pendant une durée médiane de 10 jours (0 à 30 jours). Une correction de l’INR à la phase aiguë par vitamine K et plasma frais congelé a été réalisée chez tous les patients. Le risque thromboembolique a été évalué au cours du premier mois. Un patient (2 % des cas) porteur d’une PVméca aortique à disque oscillant a présenté un AIC symptomatique au cinquième jour après l’arrêt des AVK. Ces résultats s’opposent à un taux de mortalité précoce élevé (42 % de patients, la médiane se situant au 3e jour), lié en grande partie à l’hémorragie initiale. Les auteurs concluent que l’interruption des anticoagulants pendant une à deux semaines s’accompagne d’un faible risque embolique chez les patients porteurs d’une PVméca et à haut risque thromboembolique. I Fibrillation auriculaire non valvulaire et reprise différée de l’anticoagulation Nous ne disposons pas de données sur la reprise précoce de l’anticoagulation. Une étude a évalué la reprise différée de l’anticoagulation chez 53 patients (moyenne d’âge : 76,5 ans) porteurs d’une FANV, admis pour une hémorragie intracrânienne sous AVK, issus de la cohorte de T.G. Phan et al. citée ci-dessus (3). Ces patients étaient à haut risque thromboembolique, puisque 92 % avaient des antécédents d’AIC et la moitié des anomalies échocardiographiques potentiellement emboligènes. Le traite- 18 ment AVK a été arrêté pendant 10 jours environ et neutralisé en urgence par de la vitamine K et du plasma frais congelé. Le risque thromboembolique a été évalué au cours du premier mois. Un seul patient (2 % des cas) a présenté un AIC symptomatique au 5e jour après l’arrêt des AVK. En revanche, 42 % des patients sont également décédés précocement (la médiane se situant au 3e jour), en rapport avec l’hémorragie initiale. Les auteurs concluent que l’interruption des anticoagulants pendant une à deux semaines s’accompagne d’un faible risque embolique chez les patients porteurs d’une FANV à haut risque thromboembolique. Que retenir de ces études et quelles conséquences pratiques ? I Arrêt des AVK et neutralisation en urgence de l’effet anticoagulant induit par les AVK Les hématomes cérébraux sous AVK ont la particularité d’augmenter de volume durant les 48 voire les 60 premières heures, ce qui explique en grande partie leur gravité par rapport aux hématomes spontanés (3, 4). C’est la raison pour laquelle l’arrêt des AVK et la neutralisation de l’effet anticoagulant sont recommandés en urgence même s’il n’a pas été démontré que la correction de l’INR apportait un bénéfice (5). Il est intéressant de noter que, dans l’étude de Bertram, les 2 patients ayant développé une récidive hémorragique cérébrale à J3 avaient un INR insuffisamment corrigé (> 1,5), contrairement aux 8 autres indemnes de complications hémorragiques (2). Les recommandations actuelles font appel à l’administration de concentrés de PPSB, qui permettent une correction rapide de l’INR, et de vitamine K par voie intraveineuse, dans le but d’obtenir un INR < 1,4 (5). I Quand faut-il reprendre l’anticoagulation ? Pour les PVméca, certains auteurs préconisent une reprise rapide en raison de la possibilité de complications emboliques dès le jour qui suit l’arrêt des AVK (2, 6), d’autres préférant une reprise différée pour limiter le risque hémorragique cérébral (3). Aucune de ces deux attitudes ne peut cependant être validée. En effet, dans la série de Bertram, 2 patients sur 10 (20 % des cas) dont l’INR n’était pas corrigé ont eu une récidive d’hémorragie cérébrale les premiers jours après la reprise précoce de l’héparine (2). À l’inverse, une reprise différée de l’anticoagulation à partir du 10e-14 e jour s’est accompagnée de complications emboliques cérébrales (3). Si les auteurs ont considéré que leur fréquence était suffisamment faible (2 % sur un mois) pour envisager une reprise tardive de l’anticoagulation (3), ce risque pourrait être plus élevé car, dans l’étude de Bertram, 2 patients sur 10 (20 % des cas sur un mois) ont présenté un AIC précoce sous héparine, du fait d’une anticoagulation inefficace (2). Il s’agissait de patients porteurs d’une PVméca mitrale. Pour les patients en FANV, nous ne disposons que de l’étude de T.G. Phan et al., qui estiment que le risque de faire un AIC à 30 jours est faible (2 %) en cas de reprise tardive de l’anticoagulation (3). La Lettre du Cardiologue - n° 401 - janvier 2007 Ces études ne permettent donc pas d’établir des recommandations précises sur le délai optimal de reprise de l’anticoagulation. L’objectif doit passer par une meilleure connaissance du RTE immédiat des patients à l’arrêt des AVK et des facteurs de risque (FR) prédictifs du risque d’aggravation ou de récidive de l’hémorragie à la phase aiguë. Si nous connaissons un certain nombre de ces FR, le poids relatif à attribuer à chacun n’est pas établi ; c’est pourquoi il est difficile de faire des recommandations. Le but est d’envisager une approche au cas par cas qui, en l’état actuel des connaissances, ne peut être qu’empirique en essayant d’identifier les facteurs de risque thromboemboliques et hémorragiques présentés par le patient. Pour le RTE, particulièrement élevé en cas de PVméca, les principaux facteurs de risque à considérer sont l’âge, l’état cardiaque sous-jacent, évalué si possible par échographie transœsophagienne, les antécédents d’AIC (en particulier ceux survenus en raison d’une anticoagulation insuffisante). Pour les PVméca, il faudra tenir compte, en plus de la position de la prothèse, mitrale ou aortique, du type de prothèse utilisé et d’une association à une FA. Pour le risque hémorragique, il faudra déterminer les paramètres qui pourraient être prédictifs d’un risque d’aggravation précoce. Parmi ces facteurs de gravité, on retient les troubles de conscience, le volume initial de l’hématome et son éventuelle extension intraventriculaire, ainsi qu’une HTA mal contrôlée (7). Sur un plan pratique, on pourrait schématiquement envisager deux types de situation. ✓ Troubles de conscience/hématome de grande taille/extension intraventriculaire. ● Les patients porteurs d’une FANV qui sont le plus à même de bénéficier d’une anticoagulation ont un risque hémorragique cérébral important. En effet, un certain nombre de facteurs témoignant d’un RTE élevé constituent aussi des facteurs de risque hémorragique (âge avancé, HTA, antécédent d’ischémie cérébrale). Comme il s’agit de sujets souvent âgés, le risque d’avoir des lésions cérébrales prédisposant au saignement, tels une leucoaraïose, des microbleeds ou une angiopathie amyloïde révélée à l’occasion de l’hématome, est également plus grand. C’est pourquoi une reprise retardée de l’anticoagulation (14e jour) pourrait être proposée, d’autant que le risque de faire un AIC dans le mois qui suit l’arrêt des AVK semble faible (2 % à un mois) [3]. ● Pour les patients porteurs de PVméca, le risque d’AIC immédiat après arrêt des AVK pourrait être supérieur à celui des patients en FANV (20 % le premier mois) [2]. Ainsi, une reprise précoce de l’anticoagulation pourrait être justifiée la première semaine s’il s’agit d’une prothèse mitrale, de surcroît si elle est à bille et associée à une souffrance de l’oreillette gauche et/ou à une FA et/ou à des lésions ischémiques récentes infracliniques sur l’IRM de diffusion et/ou à des antécédents d’AIC. Pour les patients porteurs d’une PVméca aortique, potentiellement moins emboligène que la PV mitrale, la reprise de l’anticoagulation pourrait être La Lettre du Cardiologue - n° 401 - janvier 2007 différée à la 2e semaine, sauf s’il s’y associe un dysfonctionnement du ventricule gauche ou des lésions ischémiques asymptomatiques sur l’IRM de diffusion. ✓ Absence de trouble de vigilance/hématome de petite taille. ● En cas de FANV, pour les patients ayant un thrombus dans l’oreillette gauche, des lésions ischémiques silencieuses récentes sur l’IRM de diffusion, des antécédents d’AIC, un dysfonctionnement du ventricule gauche, une reprise précoce pourrait être proposée (1re semaine). Pour les autres, dont les sujets âgés, l’anticoagulation pourrait être retardée à la 2e semaine. Pour les patients porteurs d’une PVméca mitrale ou aortique, une anticoagulation précoce peut s’envisager. Mise au point M ise au point Dans tous les cas, la reprise précoce de l’anticoagulation doit se faire une fois l’INR corrigé (< 1,4) et après les 2 ou 3 premiers jours, qui sont à risque d’augmentation du volume de l’hématome. Une surveillance clinique et par imagerie (fondée sur l’IRM si possible) régulière est indispensable pour s’assurer que l’hématome ne grossit pas et que de nouvelles lésions ischémiques n’apparaissent pas en IRM de diffusion, ce qui pourrait modifier la stratégie thérapeutique en cours. Sur le plan biologique, il faut s’assurer du maintien de l’héparinémie à 0,3 et préférer l’utilisation d’héparine non fractionnée. La place de la chirurgie peut être discutée en urgence après correction de l’INR pour évacuation d’un hématome sousdural ou drainage ventriculaire en cas d’inondation ventriculaire (2, 3). En cas de PVméca, mitrale notamment, il sera nécessaire de réévaluer la cardiopathie à distance de l’hémorragie intracrânienne. Il faut en effet s’assurer, en cas d’interruption de l’anticoagulation, de l’absence de thrombose valvulaire par une échographie transthoracique et transœsophagienne. en CAS D’InFARCTuS CéRébRAl MASSIF Il est habituellement conseillé de retarder d’au moins une semaine la mise en route du traitement anticoagulant lorsqu’il existe un infarctus de grande taille, en raison du risque de transformation hémorragique. Cependant, certains auteurs estiment que la taille de l’infarctus ne serait pas une contreindication à l’instauration précoce d’héparine, à condition de maintenir une héparinémie à 0,3 (8). Ainsi, pour les patients avec PVméca ou avec une FANV, à très haut RTE (PVméca mitrale, à bille, oreillette gauche dilatée, PVméca aortique avec dysfonction du ventricule gauche, antécédent d’AIC, thrombus intracavitaire), l’instauration d’héparine non fractionnée pourrait se justifier sous couvert d’une surveillance clinique, radiologique et stricte de l’héparinémie. Pour les patients à moindre RTE, âgés ou développant un infarctus œdémateux, l’instauration de l’héparine pourrait être retardée après la première semaine. 19 Mise au point M ise au point ConCluSIon RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Il est actuellement difficile d’établir des recommandations sur la conduite à tenir vis-à-vis du traitement anticoagulant dans les suites immédiates d’une hémorragie cérébrale chez les patients porteurs d’une PVméca ou d’une FANV. Cela tient au fait que le RTE à l’arrêt des AVK et les facteurs prédictifs du risque d’aggravation hémorragique ne sont pas précisément connus (9), tout en rappelant que le RTE est particulièrement élevé en cas de PVméca mitrale. L’idéal serait d’arriver à établir de façon individuelle un risque quantifié prenant en compte le RTE à l’arrêt des AVK et le risque hémorragique à la reprise de l’héparine. Ainsi, pour chaque patient, il serait possible d’établir un rapport bénéfice/risque permettant de définir l’instant propice pour réintroduire le traitement anticoagulant. À défaut d’un essai comparatif difficile à réaliser dans ce type de pathologie, l’établissement d’un registre prospectif serait intéressant. Il permettrait d’avoir une base de données à partir desquelles on pourrait mieux étudier les variables prédictives du RTE et du risque hémorragique, à condition d’utiliser des paramètres d’évaluation cliniques et paracliniques pertinents et communs aux différents centres. ■ 1. Cannegieter SC, Rosendaal FR, Briët E. Thromboembolic and bleeding com- plications in patients with mechanical heart valve prostheses. Circulation 1994; 89:635-41. 2. Bertram M, Bonsanto M, Hacke W et al. Managing the therapeutic dilemma: patients with spontaneous intracerebral hemorrhage and urgent need for anticoagulation. J Neurol 2000;247:209-14. 3. Phan TG, Koh M, Wijdicks EF. Safety of discontinuation of anticoagulation in patients with intracranial hemorrhage at high thromboembolic risk. Arch Neurol 2000;57:1710-3. 4. Flibotte JJ, Hagan N, O’Donnell J et al. Warfarin, hematoma expansion, and outcome of intracerebral hemorrhage. Neurology 2004;63:1059-64. . Ansell J, Hirsh J, Poller L et al. The pharmacology and management of the vitamin K antagonists. Chest 2004;126:204S-233S. . Leker RR, Abramsky O. Early anticoagulation in patients with prosthetic heart valves and intracerebral hematoma. Neurology 1998;50:1489-91. . Sjöblom L, Hardemark HG, Lindgren A et al. Management and prognostic features of intracerebral hemorrhage during anticoagulant therapy. A Swedish Multicenter Study. Stroke 2001;32:2567-74. 8. Chamorro A, Vila N, Saiz A et al. Early anticoagulation after large cerebral embolic infarction: a safety study. Neurology 1995;45:861-5. 9. Hacke W. The dilemna of reinstituting anticoagulation for patients with cardioembolic sources and intracranial hemorrhage. Arch Neurol 2000;57: 1682-4. n o u ve l l e s d e l ’i n d u s t r i e p h a r m a ce u t i q u e Abaisser la fréquence cardiaque pour vivre plus longtemps Une élévation à long terme de la fréquence cardiaque de repos accroît de près de 50 % le risque de mortalité dans une population d’hommes d’âge moyen, tandis qu’une baisse à long terme le réduit de près de 20 %. Des travaux préalables avaient déjà montré le lien entre une fréquence cardiaque de repos élevée et un risque de mortalité accru. Aujourd’hui, cette étude, présentée au congrès de l’American Heart Association (Chicago, 12-15 novembre 2006) par l’équipe de X. Jouven, est la première à mettre en lumière l’influence de l’évolution de la fréquence cardiaque au repos sur le risque de mortalité au cours du temps. La fréquence cardiaque au repos est un indicateur des capacités d’effort du cœur pour adapter le débit cardiaque aux besoins de l’organisme. X. Jouven et son équipe (unité Inserm 780 et hôpital européen Georges-Pompidou) se sont intéressés à l’évolution sur cinq ans de la fréquence cardiaque au repos chez 4 320 hommes âgés de 42 à 53 ans, recrutés entre 1967 et 1972, examinés annuellement pendant cinq ans (examen physique, électrocardiogramme, questionnaire, analyses sanguines). La mesure de 20 la fréquence cardiaque reposait sur la prise du pouls radial, enregistré sur une minute, après cinq minutes de repos en position allongée. Les chercheurs ont analysé les tendances individuelles sur cinq années, et ont identifié trois groupes d’hommes, caractérisés par une fréquence cardiaque de repos stable, augmentée ou diminuée au cours de cette période. Leur mortalité a ensuite été suivie pendant 20 ans : il y eut 1 018 décès de causes variées, incluant des étiologies cardiovasculaires. Le risque de mortalité, comparativement à celui observé chez les hommes dont la fréquence cardiaque de repos restait stable au cours de ces cinq années, était abaissé de 18 % chez les hommes dont la fréquence cardiaque de repos avait diminué de plus de sept battements par minute. Tout autre facteur de risque classique, tel que l’âge, l’activité physique, la consommation tabagique, l’indice de masse corporelle, la pression artérielle systolique, la glycémie et le niveau de cholestérol, était par ailleurs ajusté. À l’inverse, les hommes dont la fréquence cardiaque avait augmenté au cours des cinq années connaissaient une élévation de 47 % de leur risque de mortalité. L’équipe conclut que la fréquence cardiaque de repos et son évolution, observées au cours de ces cinq années, sont des facteurs de risque importants de mortalité dans la population générale. Même si “on ne sait pas pourquoi la fréquence cardiaque de repos fluctue au cours du temps, explique X. Jouven, la mesure qui permet le plus d’abaisser le pouls au repos est la pratique régulière d’un exercice physique”, à condition, bien sûr, de (re)commencer progressivement. En effet, si une fréquence cardiaque de repos comprise entre 60 et 80 battements par minute est considérée comme normale, on estime que les athlètes ou les sujets en excellente condition physique peuvent avoir des fréquences cardiaques de l’ordre de 40 ou 50 battements par minute. “L’arrêt du tabac et l’adoption d’un régime alimentaire adapté en cas de surcharge pondérale peuvent également permettre d’abaisser la fréquence cardiaque”. L’auteur souligne aussi que l’on ne sait pas si la fréquence cardiaque de repos est seulement le marqueur d’un autre processus pathologique, ou si elle est directement associée à la mortalité. Le rôle et la mesure de la fréquence cardiaque de repos comme indicateur de santé ont longtemps été sous-estimés. A. Lavergne La Lettre du Cardiologue - n° 401 - janvier 2007