M I S E A U P O I N T Prise en charge médico-chirurgicale des traumatisés crâniens graves à la phase aiguë Early management of traumatic brain injury ● P. Trouiller*, J. Mantz* P O I N T S P O I N T S F O R T S F O R T S ■ Le traumatisme crânien grave est défini par un score de Glasgow ≤ 8. ■ L’ischémie, les altérations membranaires, la réaction inflam- matoire et l’œdème cérébral entraînent une aggravation secondaire des lésions. ■ La réanimation préhospitalière (intubation, ventilation, support hémodynamique) conditionne le pronostic. ■ La prise en charge d’un choc hémorragique dans le cadre d’un polytraumatisme doit rester une priorité. ■ Il existe des indications neurochirurgicales urgentes à la phase précoce. ■ Le monitoring de la pression intracrânienne est recommandé en cas de traumatisme crânien grave. ■ La neuroréanimation a pour but de lutter contre les agres- sions cérébrales secondaires d’origine systémique. ■ L’optimisation du rapport besoins en O2 /débit sanguin cérébral nécessite la diminution de la pression intracrânienne, l’augmentation de la pression de perfusion cérébrale et la baisse de la consommation cérébrale en O2. ■ Le traitement de l’hypertension intracrânienne post-traumatique réfractaire comprend l’osmothérapie et les barbituriques. ■ Le rapport bénéfice/risque de l’hypothermie et de la crâniec- tomie décompressive doit être précisé par des études prospectives. Mots-clés : Hypertension intracrânienne traumatique – Neuroréanimation. * Département d’anesthésie réanimation, hôpital Beaujon, Clichy. La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 2 - février 2006 SUMMARY SUMMARY Severe brain injury occurs often in a context of multiple trauma. Any injury causing haemorrhage must be adressed first before the need for any neurosurgical intervention. Thereafter, specific neurologic critical care must be undertaken. By decreasing intracranial pressure, increasing cerebral perfusion pressure and optimisation of oxygen consumption to cerebral blood flow, neurologic critical care aims to decrease secondary insults caused by cellular ischemia, inflammatory cascade and brain swelling. Systemic factors of secondary cerebral damage have to be carefully considered. After basic rules of critical care like ventilation, fluid resuscitation, cardiovascular support and seizure prophylaxis, cerebrospinal fluid drainage, barbiturates and osmotherapy with mannitol or hypertonic saline can be used in case of refractory intracranial hypertension. Hyperventilation can induce ischemic damages; mild hypothermia and decompressive craniectomy failed to improve neurological outcome. An aggressive approach to brain injury management focusing on control of intracranial pressure may improve outcome. However several clinical prospective studies must be carried out to specify the usefulness of neurological care strategies. Keywords: Traumatic intracranial hypertension – Neurological critical care. e traumatisme crânien est une agression cérébrale par une force externe qui provoque une altération de l’état de conscience. Grave lorsqu’il s’accompagne d’un score de Glasgow (Glasgow coma score [GCS]) inférieur ou égal à 8, il constitue un challenge médical en raison de son pronostic sévère et du bouleversement personnel, familial et professionnel qu’il entraîne. La richesse de la littérature disponible contraste avec la pénurie d’essais thérapeutiques randomisés contrôlés. Rares sont les recommandations de haut grade qui figurent dans les guidelines françaises publiées en 1998 par l’Agence nationale d’accréditation L 55 M I S E A et d’évaluation en santé (1) et celles publiées en 2000 par la Brain Trauma Foundation (2), regroupement de sociétés savantes de neurotraumatologie nord-américaines. Après un rappel des particularités épidémiologiques, nous aborderons la physiopathologie puis les principes de la prise en charge, multidisciplinaire. Nous envisagerons les nouvelles pistes thérapeutiques qui nous permettront, peut-être, de diminuer l’importance des séquelles post-traumatiques. ÉPIDÉMIOLOGIE ET MÉCANISMES LÉSIONNELS Les traumatismes crâniens (TC) graves représentent la première cause de mortalité chez l’enfant et l’adulte jeune et sont responsables d’environ 40 % des décès chez les 15-25 ans. Leur incidence en France est estimée à environ 155 000 nouveaux patients par an (3), avec une prédominance masculine (70 %). Les étiologies sont dominées par les accidents de la voie publique (50 à 60 % ; accidents mettant en cause des véhicules légers [60 à 80 %], des deux-roues [10 à 20 %], des piétons [15 %]), les chutes accidentelles ou volontaires (20 à 30 %) et les accidents de sports loisirs (10 à 20 %) (3). Les facteurs de risque reconnus sont les troubles du comportement (prise d’alcool, conduites à risque) et un milieu social défavorisé. Cependant, en raison de la diminution des accidents graves secondaires à la mise en place d’une politique de sécurité routière, nous constatons une augmentation relative des accidents domestiques survenant chez les sujets âgés. La mortalité globale est estimée entre 25 % et 35 %, soit 20 à 30 décès annuels pour 100 000 habitants en France ; 60 à 70 % des décès ont lieu dans les 24 premières heures. Le coût estimé de la prise en charge initiale est de 60 000 euros par patient (3). Dans 75 % cas, il existe d’autres lésions associées faisant du patient un polytraumatisé. PHYSIOPATHOLOGIE Les lésions Les lésions peuvent être extracérébrales (hématome extradural [HED], hématome sous-dural aigu [HSD], hémorragie méningée [HM]) ou intracérébrales. La contusion s’observe là où le parenchyme a été violemment projeté contre l’os (lésion de coupcontrecoup). Elle est un foyer de déchirure parenchymateuse, avec des pétéchies hémorragiques visibles sous forme d’hyperdensités spontanées diffuses, associées ou non à l’hyperdensité d’un hématome intracérébral et/ou à l’hypodensité d’un œdème. Les lésions axonales diffuses (LAD) résultent d’un étirement des fibres nerveuses responsable de lésions multiples et graves affectant l’ensemble de l’encéphale. Le scanner cérébral est souvent normal. Elles doivent être différenciées des lésions du tronc cérébral, auparavant incriminées à l’excès, et qui peuvent avoir une symptomatologie proche. L’IRM a une meilleure 56 U P O I N T spécificité pour le diagnostic de ces deux types de lésions. Enfin, la plaie crâniocérébrale et les embarrures peuvent également coexister. À l’échelon cellulaire, quatre phénomènes clés interviennent (4) : – l’ischémie, provoquée par la perte de vasodilatateurs endogènes comme le monoxyde d’azote (NO) et la présence de vasoconstricteurs comme l’endothéline 1, est responsable d’une chute locale de la pO2 du pH et de l’ATP, et d’une augmentation de la pCO2 (5) ; – il va s’ensuivre une accumulation de glutamate (5) [acide aminé excitateur agoniste du récepteur NMDA] entraînant une altération de l’homéostasie calcique (augmentation du Ca++ intracellulaire) et une activation d’enzymes Ca dépendantes (protéases, endonucléases) responsables de la formation de radicaux libres et d’altérations membranaires conduisant à la mort neuronale ; – ces lésions de stress oxydatif s’associent aux lésions endothéliales secondaires à la libération de cytokines pro-inflammatoires ; – la conjonction de ces mécanismes explique l’association d’un œdème cérébral cellulaire et vasogénique lorsque les lésions de la barrière hémato-encéphalique sont constituées (6). Retentissement sur l’hémodynamique intracérébrale L’encéphale est un organe fragile (2 % de la masse corporelle) consommant 15 % du débit cardiaque (soit 50-55 ml/mn/100 g) et 20 % de la consommation totale en O2. Le principal substrat est le glucose ; les stocks de glycogène sont très faibles et il n’existe pas de possibilité de métabolisme cellulaire en anaérobie. On appelle pression de perfusion cérébrale (PPC) la différence entre la pression artérielle moyenne (PAM) et la pression intracrânienne (PIC) [PPC = PAM – PIC]. La circulation cérébrale est dotée d’une autorégulation, c’està-dire d’un maintien du débit sanguin cérébral (DSC) à un niveau constant lors de variations de PPC au sein d’un intervalle appelé plateau d’autorégulation. Cette autorégulation se fait par des modifications du diamètre des artères corticales et pie-mériennes. Elle est dépendante du tonus myogénique, du métabolisme et de la demande en O2, du tonus sympathique et de la fonction endothéliale. Toute augmentation de la pCO2 tissulaire, toute acidose ou hypoxie tissulaire, toute hypotension artérielle entraîne ainsi une vasodilatation afin de maintenir constant le DSC. En deçà du point d’inflexion inférieur (capacités de vasodilatation dépassées), le DSC diminue passivement avec la chute de pression artérielle, exposant ainsi à l’ischémie cérébrale. Au-delà du point d’inflexion supérieur (capacités de vasoconstriction dépassées), toute augmentation de pression artérielle entraîne une élévation parallèle du DSC (cas des encéphalopathies hypertensives), avec les risques associés de lésions de la barrière hémato-encéphalique et d’œdème. Environ 60 % des patients perdent leur autorégulation cérébrale au décours d’un TC, ce qui rendra plus difficile la gestion de l’hémodynamique intracérébrale. L’effet de masse post-traumatique peut s’accompagner d’une hypertension intracrânienne (HTIC) définie par une PIC supérieure à 15 mmHg. L’HTIC entraîne une compression des microvaisseaux et une baisse de la PPC, et expose aux risques La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 2 - février 2006 d’ischémie et d’engagement. L’ischémie entraîne à son tour une majoration de l’œdème, et donc une augmentation de l’effet de masse, une élévation supplémentaire de la PIC, une nouvelle diminution de la PPC, et donc une aggravation de l’ischémie. Cette boucle rend compte de l’autoaggravation des lésions. Cela peut encore être amplifié par des facteurs systémiques comme l’hypotension artérielle (hypovolémie sur saignement extracrânien), l’anémie, l’hypoxémie, l’hypercapnie ou l’hyperthermie, qui vont entraîner une vasodilatation réflexe, une majoration du volume sanguin cérébral et de la PIC, et donc d’une baisse de la PPC responsable d’une aggravation de l’ischémie. Une hyponatrémie, une hyper- ou hypoglycémie aggravent également les lésions. Cette cascade, décrite par Rosner (7), est à l’origine de la notion d’ACSOS (agression cérébrale secondaire d’origine systémique). La neuroréanimation repose sur des manœuvres visant à abaisser la PIC, rétablir la PPC et contrôler les ACSOS (1, 6, 7). Elle doit être entreprise dès la phase préhospitalière (1). DSC ml/mn/100 g DSC = PPC/RVC 50 150 PPC Figure. Autorégulation cérébrale. DSC : débit sanguin cérébral ; PPC : pression de perfusion cérébrale ; RVC : résistances vasculaires cérébrales ; cercles : calibre des vaisseaux. PRISE EN CHARGE PRÉHOSPITALIÈRE La mortalité accrue des traumatisés crâniens graves souffrant d’hypotension artérielle et/ou d’hypoxémie a été démontrée par les travaux de Chesnut (8). L’intubation orotrachéale est fortement recommandée afin de protéger les voies aériennes, d’assurer une oxygénation (saturation en O2 > 96 %) et d’éviter une hypercapnie. Le remplissage vasculaire (solutés macromoléculaires ou sérum salé isotonique) puis les catécholamines sont la base de la réanimation circulatoire, dont l’objectif est de maintenir une PAM à 70-80 mmHg (1, 2, 8). En cas de signes cliniques évoquant d’emblée un engagement cérébral, une osmothérapie par mannitol ou sérum salé hypertonique (SSH) et une hyperventilation (cf. infra) sont recommandées (6). Outre l’initialisation de la réanimation, l’équipe médicale mobile et le médecin régulateur décideront du transport du patient vers un service de neurochirurgie ou un centre de polytraumatologie La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 2 - février 2006 possédant un plateau technique polyvalent (chirurgie générale, imagerie, neurochirurgie, radiologie interventionnelle, réanimation) pouvant offrir une prise en charge multidisciplinaire. PRISE EN CHARGE HOSPITALIÈRE Investigation et monitoring En dehors des examens biologiques habituels, le scanner cérébral est le premier examen à réaliser. Il permet d’évaluer les lésions, leur caractère chirurgical ou non et leur retentissement (engagement sous-falcoriel, temporal, diencéphalique central ou cérébelleux), et de détecter la présence d’un œdème cérébral. Si l’examen est réalisé dans les trois premières heures, un contrôle dans les 24 heures doit être effectué (lésions potentiellement retardées). La réalisation de coupes du rachis cervical avec reconstructions doit être systématique. Un angioscanner cérébral est indiqué en cas de suspicion de dissection artérielle traumatique (traumatisme par décélération). Le moindre doute sur l’existence de lésions extracrâniennes associées doit conduire à la réalisation d’un body scanner, examen radiologique de référence chez les polytraumatisés. Bien que le bénéfice sur la survie ne soit pas formellement établi, la mise en place d’un monitorage de la PIC est indiquée par la plupart des experts (1, 2) en cas de : – GCS ≤ 8 et scanner anormal ; – GCS ≤ 8 et scanner normal si présence d’au moins deux critères parmi les suivants : âge ≥ 40 ans, hypotension, déficit moteur, lésions traumatiques empêchant le réveil. Dans les autres cas, l’indication est à discuter. L’association à un cathéter artériel est indispensable. La ventriculostomie est la technique de référence pour mesurer la PIC. Elle permet ainsi un drainage de liquide céphalorachidien (LCR) en cas d’HTIC. Les cathéters intraparenchymateux sont une alternative, surtout si les ventricules sont collabés ; ils exposent au risque de dérive du zéro, et la fiabilité de la mesure est donc discutable. Il n’y a plus d’indication aux cathéters sous- ou extraduraux. Différentes équipes ont montré que la présence d’un neurochirurgien n’était pas indispensable pour la mise en place d’un capteur de PIC intraparenchymateux. Cependant, à ce jour, il semble raisonnable de confier les victimes de TC grave avec HTIC aux centres disposant d’une équipe médicochirurgicale de neurotraumatologie. Le Doppler transcrânien est une technique non invasive permettant l’évaluation du DSC par la mesure des vélocités de l’artère sylvienne. L’étude des variations du DSC permet de suivre l’efficacité thérapeutique. Son apprentissage rapide et sa reproductibilité en font un outil appréciable. L’électroencéphalogramme (EEG) doit être effectué régulièrement, à la recherche d’activité comitiale. Son intérêt pronostique est médiocre. La saturation veineuse jugulaire en O2 (SvjO2) (6) peut être monitorée par cathétérisme de la veine jugulaire interne. Elle reflète l’adéquation du DSC à la consommation cérébrale en O2 et ses variations sous traitement permettent l’étude des variations 57 M I S E A du DSC. Son caractère invasif et l’absence de bénéfices prouvés sur le pronostic font proposer cette technique aux patients atteints d’HTIC réfractaire. La microdialyse permet l’analyse de métabolites cellulaires (lactates) reflétant l’ischémie. L’IRM fonctionnelle et la tomographie par émission de positrons sont des techniques expérimentales. Principes thérapeutiques Le traumatisé crânien grave est fréquemment un patient polytraumatisé. En présence d’un choc hémorragique, un geste d’hémostase (chirurgical ou radiologique interventionnel) doit rester une priorité absolue. Il faut ensuite reconnaître les indications neurochirurgicales formelles et urgentes que sont l’HED symptomatique, l’HSD de plus de 5 mm ou associé à une déviation de la ligne médiane de plus de 5 mm, l’hydrocéphalie aiguë et l’embarrure ouverte (1). Une embarrure fermée compressive ou un hématome intracérébral (ou contusion) de plus de 15 ml [recommandations françaises (1)] ou de plus de 25 ml [recommandations américaines (2)] sont également des indications neurochirurgicales, d’autant qu’il existe une déviation de la ligne médiane de plus de 5 mm et une oblitération des citernes de la base. L’indication neurochirurgicale étant éliminée, la conduite d’une neuroréanimation spécialisée est recommandée afin de prévenir au maximum l’aggravation secondaire des lésions (pronostic vital engagé à quelques heures en cas de poussée œdémateuse ou ischémique). Les principes en sont : – la réduction du volume intracérébral (évacuation de l’hématome, dérivation de LCR, osmothérapie) pour diminuer la PIC (objectif : < 20-25 mmHg) ; – le maintien d’une hémodynamique systémique (maintien de la PAM et de la PPC, objectif : > 65-70 mmHg) ; – la réduction de la consommation cérébrale en O2 à son minimum (sédation, antiépileptique, hypothermie) afin de maintenir l’adéquation des besoins en O2 par rapport au DSC ; – le contrôle des ACSOS (tableau). Tableau. ACSOS : agression cérébrale secondaire d’origine systémique. ACSOS PPC > 65-70 mmHg Hb = 9-10 g/dl SpO2 > 95 %, PaO2 > 90 mmHg pCO2 = 35-38 mmHg Normothermie Normoglycémie Natrémie : 140-145 mmol/l Différents traitements sont à notre disposition (1, 2). Pris individuellement, aucun n’a fait la preuve formelle de son efficacité par un essai de puissance méthodologique satisfaisante. Cependant, de nombreuses études de cohorte sont en faveur d’une amélioration du pronostic lorsqu’une procédure standardisée de neuroréanimation est mise en place. 58 U P O I N T Moyens thérapeutiques La sédation (1), par la narcose et l’analgésie, diminue la consommation cérébrale en O2 et permet l’adaptation du patient à son ventilateur. L’hypercapnie étant délétère, une pCO2 de 35 mmHg est habituellement recherchée. La durée de sédation nécessaire fluctue entre 2 et 7 jours selon l’évolution de l’HTIC. Il semble raisonnable d’obtenir 48 heures de PIC stable et inférieure à 20 mmHg avant de commencer une phase de réveil. L’hyperthermie (> 38 °C) est délétère par effet vasodilatateur (augmentation de la PIC) et par augmentation du métabolisme. Les antipyrétiques doivent être largement utilisés. En l’absence de lésions rachidiennes instables, la surélévation de la tête (proclive de 30°) optimise le retour veineux jugulaire et contribue à la diminution du volume sanguin cérébral. En phase d’HTIC, l’hémodynamique systémique doit être adaptée afin de maintenir une PPC satisfaisante en augmentant la PAM [remplissage, catécholamines de type noradrénaline] (2, 6). L’hémoglobinémie doit être maintenue à au moins 9 g/dl afin d’optimiser le transport artériel en O2. La PIC peut être abaissée par soustraction de LCR lorsqu’un cathéter de ventriculostomie est présent (1). L’utilisation d’anticonvulsivants en prévention de l’épilepsie précoce est recommandée pendant 7 jours pour tous les TC graves (1). Le choix de la molécule est fonction des habitudes de chacun. Il n’existe pas à ce jour d’indication à une prévention systématique des crises tardives, sauf après intervention neurochirurgicale ou embarrure. Le contrôle glycémique doit être strict, en évitant les apports glucosés hypotoniques dans les 24 premières heures et en utilisant secondairement de l’insuline durant la nutrition entérale, l’hyperglycémie pouvant aggraver les lésions. Les anomalies de l’hémostase doivent être corrigées afin de limiter le saignement intracrânien. Les traitements complémentaires et spécifiques suivants sont proposés lorsque, à ce stade, l’HTIC persiste. Le mannitol (9), glucide non métabolisé, est utilisé pour ses propriétés osmotiques mais surtout rhéologiques. Son administration (0,5-1 g/kg en 20 minutes) améliore la PPC (par augmentation de la PAM : effet volume), mais aussi la microcirculation en abaissant la viscosité plasmatique (par hémodilution) et en optimisant la déformabilité des érythrocytes. L’effet de déshydratation intracellulaire par hyperosmolarité n’est que secondaire et permet la prolongation de l’effet (entre 1 et 8 heures). Son utilisation est donc préconisée, d’autant que la barrière hémato-encéphalique est intacte, ce qui est difficile à évaluer en pratique clinique. L’osmolarité plasmatique ne doit cependant pas dépasser 320 mOsm/l. Une alternative proposée est l’utilisation du sérum salé hypertonique (4) [SSH : NaCl 7,5 % 250 ml], qui possède des effets équivalents ou supérieurs à ceux du mannitol. Il permet une diminution du contenu cérébral en eau si la barrière hémato-encéphalique est intacte et améliore la microcirculation cérébrale. Son intérêt se manifeste surtout à la phase initiale et en cas de choc hémorragique associé au TC, en raison de ses effets bénéfiques sur la circulation systémique. La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 2 - février 2006 Le Pentothal® (2) [dose de charge de 5-10 mg/kg, puis perfusion continue de 3-5 mg/kg/h], bien que responsable d’une baisse du DSC par vasoconstriction cérébrale et par diminution du débit sanguin systémique (effets inotropes négatifs et hypotenseurs), permet d’abaisser la PIC en diminuant la consommation cérébrale en O2 : les barbituriques permettent ainsi d’optimiser le couplage DSC/consommation en O2. Quatre-vingt-cinq pour cent des patients sont répondeurs. Les posologies sont adaptées pour obtenir des burst suppressions à l’EEG. Un monitoring du DSC par SvjO2 ou Doppler transcrânien est alors indiqué afin de dépister une ischémie cérébrale secondaire. Les effets indésirables autres sont une dégradation de l’hémodynamique systémique, une majoration du risque de pneumopathie sous ventilation mécanique (par effet immunosuppresseur), l’hypothermie, une dysfonction hépatique ou rénale, une hypokaliémie. Les barbituriques ne sont pas indiqués en prophylaxie de l’HTIC (1). L’hyperventilation, par effet vasoconstricteur cérébral, diminue le volume sanguin cérébral et donc la PIC, mais sans diminuer la consommation cérébrale en O2 (risque d’ischémie). Son efficacité n’est pas prouvée dans l’HTIC réfractaire. Elle n’est donc pas recommandée en dehors de la présence de signes d’engagement dès la phase préhospitalière (6) [utilisation transitoire]. En cas d’HTIC réfractaire associée à un hyperdébit sanguin cérébral, l’hypercapnie est proposée par certains auteurs sous réserve d’un monitoring par SvjO2 ou Doppler transcrânien. La contre-indication est formelle en cas de SvjO2 inférieure à 50 %. L’hypothermie (33 °C) a été testée dans le but de réduire le métabolisme cérébral et le volume sanguin cérébral (4, 6). Des effets immunomodulateurs anti-inflammatoires lui sont attribués. Une méta-analyse récente a regroupé 748 patients de 8 études randomisées contrôlées aux résultats contradictoires et a conclu à l’absence de bénéfice de l’hypothermie (10). Elle reste néanmoins utilisable en cas d’HTIC rebelle, associée à une curarisation afin de supprimer les frissons, très consommateurs d’énergie. Elle majore le risque infectieux par immunosuppression. La crâniectomie décompressive peut être proposée en dernière intention. Uni- ou bilatérale, elle peut être associée à une lobectomie (4, 9). Cette technique a été évaluée par des études non randomisées, souvent rétrospectives, mais aux résultats encourageants (entre 30 et 55 % de devenir favorable), d’autant qu’elle est effectuée précocement et chez des patients jeunes, dont le tableau neurologique initial ne paraît pas d’emblée gravissime [GCS 3 avec signes d’engagement] (11). Les corticoïdes ont été proposés pour leurs effets anti-inflammatoires. L’indication n’est actuellement plus reconnue. L’association neuroréanimation intensive et chirurgie de décompression doit nous conduire à une réflexion éthique permanente sur l’opportunité des soins et la qualité de vie espérée. Différentes études évaluant le bénéfice de protocoles de soins médicochirurgicaux standardisés semblent en faveur d’une amélioration de la survie et d’une augmentation du pourcentage de patients gardant des séquelles légères ou modérées. La proportion de patients en état végétatif ou avec des séquelles lourdes semble diminuer. La mise en place de protocoles issus des guidelines de la Brain Trauma Fundation semble même être bénéfique chez des traumatisés crâniens graves dont le La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 2 - février 2006 GCS initial est très bas [moyenne 3,6, écart 3-8] (12). Ces données concernent également les patients bénéficiant d’un volet décompressif. Plusieurs auteurs semblent cependant ne pas retenir cette indication chez des patients avec un GCS initial à 3 ou 4 ou en cas de lésions bilatérales ou touchant le tronc cérébral. On estime actuellement que 28 % des patients vont garder une dépendance sévère, 41 % un handicap modéré et 75 % des troubles du comportement. Seuls 32 % n’ont pas de séquelles physiques et 72 % peuvent vivre à domicile (3). Thérapeutiques expérimentales Différentes molécules (antagonistes calciques, antagonistes du glutamate, piégeurs de radicaux libres) ont été testées sans succès dans le but de réduire le stress oxydatif et les effets de l’accumulation de glutamate. Les derniers espoirs se tournent vers les cannabinoïdes de synthèse comme le dexanabinol, inhibiteur non compétitif du récepteur NMDA, inhibiteur de la production de TNF et piégeur des radicaux hydroxyl et peroxyl. Une récente étude de phase II a montré une tendance à améliorer la PIC, la PPC et le pronostic (4). L’utilisation de mannitol 20 % à fortes doses (500 ml) est en cours d’étude par certaines équipes. Des résultats encourageants doivent être confirmés. COMPLICATIONS EXTRACRÂNIENNES La prise en charge de TC graves concerne également le traitement des traumatismes associés, des pneumopathies acquises sous ventilation mécanique et de la dénutrition, fréquente chez ces patients en situation d’hypercatabolisme, ainsi que la prévention des complications thromboemboliques ou digestives (13). Les complications hydroélectrolytiques, et notamment les dysnatrémies, sont fréquentes : hypernatrémie par diabète insipide nécessitant une compensation des pertes d’eau libre et hormonothérapie substitutive par Minirin®, hyponatrémie par sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique ou par syndrome de perte de sel. CONCLUSION Devant tout patient traumatisé crânien, la recherche de lésions associées doit être complète. En cas de polytraumatisme, le traitement de lésions hémorragiques responsables d’un état de choc est une priorité. C’est avant tout une prise en charge multidisciplinaire qui permet l’amélioration du pronostic. La sévérité des TC graves (mortalité d’environ 30 %, séquelles lourdes dans environ 40 % des cas) justifie l’organisation de réseaux de soins allant de la prise en charge préhospitalière jusqu’à la rééducation en passant par la réanimation et la chirurgie. La réanimation est une étape clé. En effet, la lésion primaire, en l’absence d’une neuroréanimation spécifique, va s’autoaggraver et être à l’origine de lésions secondaires assombrissant le pronostic. 59 M I S E A U Le traitement de l’HTIC post-traumatique est multimodal et associe réanimation circulatoire, hydroélectrolytique, contrôle de la ventilation et des ACSOS, traitement anti-œdémateux et baisse de la consommation cérébrale en O2. Différentes armes thérapeutiques sont proposées dans les recommandations mais les études ciblées, de méthodologie rigoureuse et de puissance statistique satisfaisante sont rares. De prochaines études devraient tenter de préciser et de hiérarchiser la place respective des différents traitements disponibles de l’HTIC post-traumatique, notamment concernant l’osmothérapie par SSH, l’hypothermie contrôlée, dont certaines études sont prometteuses, et la chirurgie de décompression, dont nous pouvons attendre des résultats attractifs chez les patients jeunes. ■ R É F É R E N C E S 1. Recommandation pour la pratique clinique. Prise en charge des traumatisés crâniens graves à la phase précoce. ANAES. 1998. 2. The Brain Trauma Foundation, the American Association of Neurological Surgeons. The joint section on neurotrauma and critical care. J Neurotrauma 2000;17:471-91. U U T T O O - É É V V 1. Lors de la neuroréanimation d’un traumatisé crânien grave : a. les catécholamines permettent de diminuer la PIC si l’autorégulation est conservée b.le drainage du LCR améliore la pression de perfusion cérébrale c. le décubitus dorsal strict optimise la pression de perfusion cérébrale d. l’hyperthermie majore l’HTIC e. l’hyperventilation expose au risque d’ischémie O I N T 3. Mathé JF, Richar I, Rome J. Serious brain injury and public health, epidemiologic and financial considerations, comprehensive management and care. Ann Fr Anesth Reanim 2005;24(6):688-94. 4. Bayir H, Clark RS, Kochanek PM. Promising strategies to minimize secondary brain injury after head trauma. Crit Care Med 2003;31(Suppl. 1):S112-7. 5. Pinard E, Engrand N. Physiopathology of cerebral ischemia. Ann Fr Anesth Reanim 1999;18(5):574-82. 6. Vincent JL, Berre J. Primer on medical management of severe brain injury. Crit Care Med 2005;33(6):1392-9. 7. Rosner MJ, Rosner SD, Johnson AH. Cerebral perfusion pressure: management protocol and clinical results. J Neurosurg 1995;83:949-62. 8. Chesnut RM. Avoidance of hypotension: condition sine qua non of successful severe head-injury management. J Trauma 1997;42(Suppl. 5):S4-9. 9. Forster N, Engelhard K. Managing elevated intracranial pressure. Curr Opin Anesthesiol 2004;17:371-6. 10. Henderson WR, Dhingra VK, Chittock DR et al. Hypothermia in the management of traumatic brain injury. A systematic review and meta-analysis. Intensive Care Med 2003;29(10):1637-44. 11. Piek J. Decompressive surgery in the treatment of traumatic brain injury. Curr Opin Critical Care 2002;8:134-8. 12. 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