DOSSIER THÉMATIQUE Oncoplastie et reconstruction mammaire immédiate dans la pratique quotidienne : acquis et perspectives Traitement des séquelles esthétiques du traitement conservateur Cosmetic sequelae treatment after conservative for breast cancer Igniacio Garrido*, Dimitri Gangloff*, Benoît Chaput*, Thomas Meresse* J * Institut Claudius-Regaud, Toulouse. usqu’au début des années 1970, la mastectomie était indiquée chaque fois que le diagnostic de cancer du sein était posé. Grâce aux travaux sur la radiosensibilité des cancers du sein, l’idée d’effectuer une chirurgie conservatrice associée à une irradiation adjuvante fit son chemin (1). L’équivalence, en termes de survie, entre le traitement conservateur et la mastectomie est maintenant formellement démontrée. Le traitement chirurgical du cancer du sein a ainsi été une succession d’améliorations pour diminuer les séquelles fonctionnelles et cosmétiques tout en préservant un résultat carcinologique optimal. Chaque année en France, 42 000 nouveaux cas de cancers du sein sont diagnostiqués. On estime qu’environ 70 à 80 % de ces patientes vont bénéficier d’un traitement conservateur et que les mauvais résultats du traitement conservateur se situent entre 15 et 25 %. D’après ces chiffres, on devrait s’attendre à avoir un mauvais résultat dans plus de 5 000 cas par an. Bien que toutes les patientes ne désirent pas forcément de correction, il s’agit d’un problème de santé publique important qui peut nécessiter une prise en charge complexe et coûteuse. Les séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein (SETC) se définissent par une déformation Tableau I. Classification des séquelles esthétiques du traitement conservateur (SETC) selon Clough et al. (2). SETC type I Le sein traité est de forme et de volume adaptés, mais il existe une asymétrie avec le sein controlatéral SETC type II Il existe une asymétrie associée à une déformation du sein traité pouvant être corrigée sans passer par une mastectomie SETC type III Il existe une déformation majeure du sein ne permettant pas d'envisager un remodelage de la glande : une mastectomie complémentaire est nécessaire disgracieuse du sein dans les suites de la prise en charge radiochirurgicale du cancer, qui peut être associée à une gêne fonctionnelle plus ou moins invalidante. Elles découlent le plus souvent d’une mauvaise évaluation des possibilités de remodelage du sein après l’exérèse de la tumeur. Le plus important est d’arriver à évaluer le volume du sein restant. Certaines localisations sont beaucoup plus à risque : quadrants inférieurs et quadrants internes en particulier. Elles bénéficient ces dernières années de l’expansion des techniques de chirurgie oncoplastique. Les SETC ont été bien codifiées par Clough et al. en 3 stades (2-4). Il s’agit de la classification la plus utilisée, car elle est simple, pragmatique et reproductible (tableau I). Les SETC de type I sont les formes les plus courantes. Il s’agit de déformations liées à la diminution de volume du sein traité. Celui-ci conserve une forme normale, mais il existe une asymétrie de volume qui va nécessiter un geste sur le sein opposé afin de lui donner une forme et un volume semblables à celui du sein traité. La correction de ce type de SETC nécessite donc une plastie mammaire sur le sein controlatéral, soit sous la forme d’une simple pexie, soit sous la forme d’une diminution mammaire (figure 1). Ces interventions requièrent paradoxalement la réalisation de cicatrices plus importantes sur le sein non opéré que sur le sein traité. Il s’agit cependant d’interventions assez simples, bien codifiées et peu morbides. Elles nécessitent une anesthésie générale de 1 à 2 heures avec une hospitalisation courte assez fréquemment en ambulatoire. Les mesures des différents éléments du sein traité 14 | La Lettre du Sénologue • n° 54 - octobre-novembre-décembre 2011 Séno 54 déc2011 - ok.indd 14 12/12/11 10:13 Points forts Mots-clés »» »» »» »» Séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein Cancer du sein Reconstruction mammaire partielle Les séquelles esthétiques du traitement conservateur surviennent dans 20 à 25 % des cas. Elles sont souvent liées à une mauvaise estimation du remodelage glandulaire. Elles doivent être anticiper par des techniques d’oncoplastie. La forme sévère de type III ne doit plus être vue aujourd’hui. permettent de les reporter sur le sein à réduire afin d’établir un dessin préétabli qui permettra de le simuler au mieux, en particulier de positionner l’aréole au bon emplacement par rapport au sein traité. La pince du segment inférieur permet de mieux régler le degré de ptose afin d’obtenir la meilleure symétrie possible. Toutefois, il faudra prévenir une ptose trop rapide du sein qui n’a pas été irradié. Pour cette raison, nous avons pour habitude “d’hypercorriger” légèrement le tracé obtenu par les différentes mesures du sein irradié. Le positionnement de la plaque aréolomamelonnaire (PAM) et la longueur du segment inférieur seront donc diminués de 0,5 à 1 cm en fonction de la taille et du poids du sein. Pour les seins de très petit volume, cette déformation prend un aspect différent, car le sein opposé est le plus souvent plat et légèrement “ptosé”. Une augmentation bilatérale avec des implants de volumes et de projections différentes est préférable. Ce geste est associé également à une cure de ptose du sein controlatéral. Le plus souvent par une cicatrice péri-aréolaire ou une cicatrice verticale dans les cas de ptose plus marquée (figure 2). Cette intervention est plus risquée en raison de la radiothérapie. Le résultat est parfois aléatoire et rarement très satisfaisant. Les patientes doivent être informées de cette possibilité avant de prendre la décision opératoire. Dans certains cas intermédiaires, en raison d’une asymétrie majeure, une réduction du sein non traité peut être associée à une augmentation du sein irradié. Dans les SETC de type II (38,8 % des cas), le sein traité est déformé. Il existe parfois des déformations très modérées, le plus souvent secondaires à un manque de remodelage glandulaire (figure 3). Ces séquelles sont le plus souvent bien acceptées par les patientes. Elles sont cependant moins bien supportées si elles sont localisées dans le décolleté. Le traitement de ce type de séquelles faisait appel à des lambeaux glandulaires de rotation et de comblement, toujours très risqués en territoire irradié. Grâce à l’avènement du transfert graisseux, le traitement des séquelles va sans doute être simplifié dans les années à venir (figure 4). C’est en grande partie grâce aux travaux de l’équipe de Delay (5, 6) sur les améliorations des reconstructions mammaires et sur le traitement du syndrome de Poland que ce transfert graisseux ou lipomodelage est maintenant étudié dans le traitement des séquelles du traitement conservateur du cancer du sein. Cependant, des études sont encore nécessaires pour évaluer les conséquences de cette chirurgie sur la surveillance du sein traité et surtout pour valider son innocuité sur le plan carcinologique. Une étude de phase III multicentrique (GRATSEC) est actuellement en cours pour évaluer cette double problématique. L’utilisation du lipomodelage dans cette Keywords Cosmetic sequelae treatment after conservative for breast cancer Breast cancer Partial breast reconstruction Figure 1. SETC de type I traitée par une plastie mammaire de diminution du sein droit avec une technique à pédicule supérieur et une cicatrice en T inversé. On peut remarquer que le sein gauche a été traité par une simple cicatrice périaréolaire. Figure 2. STEC de type I. L’asymétrie est traitée par une augmentation mammaire bilatérale avec pexie du sein gauche par technique verticale. Images avant et après à 5 ans de recul. La Lettre du Sénologue • n° 54 - octobre-novembre-décembre 2011 | Séno 54 déc2011 - ok.indd 15 15 12/12/11 10:13 DOSSIER THÉMATIQUE Oncoplastie et reconstruction mammaire immédiate dans la pratique quotidienne : acquis et perspectives Highlights – The cosmetic sequelae of conservative treatment occur in 20-25 % of cases. – They are often linked to poor estimation of breast remodeling. – They must be anticipated by oncoplastic techniques. – The severe form of type III should no longer be seen today. Figure 3. SETC de type II avec une déformation du quadrant supéro-externe. Tableau II. Principaux inconvénients des techniques de reconstruction partielle dans les séquelles esthétiques du traitement conservateur de type II. Lambeau de grand dorsal Lambeau de grand droit de l'abdomen Cicatrice supplémentaire avec risque d’élargissement Lymphocèle sur le site opératoire nécessitant des ponctions itératives Douleurs sur la zone donneuse Intervention longue Nécrose partielle du lambeau nécessitant des pansements longs Voussure abdominale, voire éventration Diminution de la force musculaire abdominale Risque de thrombose veineuse profonde et d’embolie pulmonaire Figure 4. SETC modérée du traitement conservateur du sein droit. Traitement par transfert graisseux avec resymétrisation périaréolaire. Résultat de face (A, B), en contre-plongée avant et à 3 mois (C, D). indication n’est pas recommandée aujourd’hui en France en dehors d’une étude clinique. Le plus souvent dans ce type de séquelle, le remodelage du sein est utopique, car il manque une partie importante du volume : fréquemment au niveau des quadrants inférieurs ou supéro-externes. Cette situation est ordinairement associée à une fibrose rétractile et adhérente qu’il faudra réséquer au large jusqu’au tissu sain. Dans ce cas, il est le plus souvent nécessaire de faire appel à des techniques de reconstruction mammaire partielle par lambeaux, en général le lambeau de grand dorsal ou le lambeau musculocutané de grand droit de l’abdomen (Transverse Rectus Abdominis Myocutaneous [TRAM]). Le lambeau de grand dorsal autologue est habituellement le plus adapté. Le lambeau abdominal est préférable lorsque le défect est important (figures 5 et 6). En fonction du résultat obtenu sur la forme, la ptose, et le volume du sein traité, on évaluera la nécessité d’une réduction ou d’un remodelage du sein non traité. Cette situation présente cependant plusieurs inconvénients : – dans le cas où il y a une récidive sur le sein restant, le lambeau doit être sacrifié et ne pourra plus être utilisé pour une reconstruction mammaire ; – en gardant une partie des tissus irradiés, on prend un risque sur la cicatrisation postopératoire ; – enfin, il s’agit d’interventions qui ne sont pas dénuées de risques (tableau II). Cela souligne encore l’intérêt potentiel majeur du lipomodelage dans ces situations. Pour Fitoussi et al. (12), on peut subdiviser le type 2 en 2 sous-types en fonction de l’importance de la séquelle du sein traité. En effet, dans certains cas, il persiste un bon volume et on peut être tenté de proposer une plastie de remodelage afin d’améliorer la forme du sein sans passer par une intervention lourde, mais en terrain irradié il faut rester très prudent, en particulier en ce qui concerne les décollements cutanéoglandulaires. Les gestes doivent être limités. Habituellement, il s’agit de reprises de cicatrices avec enfouissement des zones fibreuses, ou parfois du recentrage de la PAM (le plus souvent en bas et en dedans), voire son déplacement en greffe de peau totale. Plus rarement, une plastie mammaire “a minima” peut être consentie lorsque les séquelles de la radiothérapie sont minimes. Malheureusement, il n’existe aucun signe prédictif objectif pour apprécier le risque de cicatrisation après radiothérapie. Les mauvaises surprises ne sont pas rares (figure 7). Dans les SETC de type III (4,7 % des cas), il s’agit 16 | La Lettre du Sénologue • n° 54 - octobre-novembre-décembre 2011 Séno 54 déc2011 - ok.indd 16 12/12/11 10:13 DOSSIER THÉMATIQUE de cas d’asymétrie majeure, avec des seins impossibles à mobiliser en raison d’une fibrose prenant la quasi-totalité du sein et réalisant un “sein de marbre” (figure 8). Dans ces cas, la seule solution est l’ablation du sein traité avec reconstruction mammaire immédiate (selon le souhait de la patiente) par un lambeau de grand dorsal (souvent autologue pure) ou de grand droit de l’abdomen. Ce traitement est beaucoup plus agressif et les risques de complications postopératoires sont plus importants. Cette attitude paradoxale est difficile à faire accepter par les patientes indemnes de récidive. Conclusion Le traitement des SETC nécessite une bonne connaissance et une bonne expérience des techniques de chirurgie plastique du sein (diminution, pexie, augmentation mammaire, reconstruction partielle ou totale), mais aussi une grande humilité. La cicatrisation des tissus irradiés est parfois aléatoire, et il est facile de se laisser emporter sur des choix de facilité. Le traitement des déformations est souvent aisé dans les types I, car il est possible d’utiliser des Figure 5. SETC de type II avec déformation du quadrant supéro-externe associée à une fibrose douloureuse. Reconstruction partielle par un grand dorsal. Photos avant et après, de face et de trois quarts. Figure 6. SETC de type II avec reconstruction par TRAM et plastie mammaire de symétrisation. L’effet “patch” est beaucoup plus visible. Photos avant et après reconstruction. Figure 7. SETC de type II ayant nécessité une plastie mammaire de symétrisation avec une tentative simple de réétalement de la PAM en supéro-externe soldé par un échec. La Lettre du Sénologue • n° 54 - octobre-novembre-décembre 2011 | Séno 54 déc2011 - ok.indd 17 17 12/12/11 10:13 DOSSIER THÉMATIQUE Oncoplastie et reconstruction mammaire immédiate dans la pratique quotidienne : acquis et perspectives Figure 8. STEC de type III réalisant un “sein de marbre”. techniques simples et reproductibles. Dans les types II, le problème est plus complexe, car les gestes de remodelages du sein irradié ou l’interposition d’un lambeau musculocutané sont très délicats et source de complications non négligeables. Rappelons que le lipomodelage dans cette situation n’est pas encore une indication validée. Quant au type III, il représente l’échec absolu du traitement conservateur – aussi bien sur le plan cosmétique que sur le plan psychologique – puisqu’il nécessite une prise en charge “radicale” après un parcours déjà long. Il n’est donc pas rare que la patiente démotivée se décourage et n’accepte pas la reconstruction. Il faut donc insister sur la nécessité de prévenir ces complications afin d’éviter la multipliation de ces séquelles qui peuvent nécessiter un traitement chirurgical, parfois “lourd”. ■ Références bibliographiques 1. Baclesse F. Radiothérapie des cancers du sein. Radiol Clin 1950;19:284-93. 2. Clough KB, Baruch J. 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