La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 2 - mars-avril 2007
Vie professionnelle
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Le médecin, le malade et les proches [1]
 I. Moley-Massol*
* Médecin psychothérapeute, praticienne attachée à l’hôpital Cochin, Paris.
Auteur de L’annonce de la maladie. Une parole qui engage, aux Éditions DaTeBe.
[1] © Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2006.
RÉSUMÉ
Depuis quelques années, une attention particulière est portée aux
proches des malades atteints d’une maladie grave ou chronique.
Personne ne conteste aujourd’hui l’importance de l’environne-
ment du malade au cours de la maladie. Le soutien de l’entourage
fait partie des soins prodigués au patient.
Cette aide psychologique a été étudiée dans le cadre de certaines
maladies graves, en particulier dans celui du cancer du sein l’on a
pu démontrer que la vitalité de l’immunité était corrélée au soutien
du conjoint ou de toute personne affectivement liée au patient.
Mais ce soutien de l’entourage ne va pas de soi.
Les rapports qui unissent le patient à ses proches dans la maladie
sont toujours complexes, ambivalents et fluctuants. Il est impor-
tant pour tout médecin confronté à la maladie grave ou chronique
d’un patient : cancer, diabète, insuffisance coronarienne, maladie
neurologique dégénérative, etc., de décrypter ce qui se joue dans
la relation qui lie le malade à chacun de ses proches, de débus-
quer les pièges, tout en maintenant le malade à sa place centrale
dans la relation médicale.
La proximologie, discipline qui se développe depuis une dizaine
d’années, nous aide à mieux comprendre ce qui se joue d’essen-
tiel dans la relation malade-maladie-proches et l’importance de
l’attention à porter aux proches, dans l’intérêt du malade et de
la famille.
Comme l’explique le Pr P. Angel, psychiatre (Paris), spécialiste
des thérapies familiales et systémiques, l’apparition dune maladie
chronique, sévère, ou d’un handicap chez un membre d’une
famille, est susceptible d’engendrer une crise pour l’ensemble
du système familial.
Limpact de la maladie va dépendre de multiples facteurs :
la personne atteinte : enfant, adolescent, père, mère, grands-
parents, ou famille plus éloignée ;
l’âge de chacune des personnes concernées et la période de
vie qu’elle traverse, son histoire, ses expériences pases. A-
t-elle déjà été confrontée à la maladie, la sienne ou celle d’un
proche ?
le lien qui unit le malade au proche : parent ou ami, et le type
de relation préexistant à la maladie ;
le pronostic vital ;
la nature de la maladie et des représentations qui lui sont
attachées (maladie chronique, évolutive ou non, douloureuse ou
non, responsable à terme d’une dégradation inéluctable, maladie
génétique), avec toute la culpabilité qu’elle peut générer ;
la confi guration familiale : couple avec ou sans enfants, famille
monoparentale, famille recomposée, etc. ;
le réseau social et relationnel de la famille ;
le niveau de vie socio-économique, la situation profession-
nelle : période de chômage ou période de projets et de réali-
sations ;
le cycle de vie familial dans lequel s’inscrit la maladie : jeune
couple, période de relative tranquillité par rapport aux dynami-
ques familiales ou au contraire période de crise, divorce ;
les croyances de la famille sur la santé, la maladie et le monde
médical en général.
Toute famille fonctionne comme un système régi par des lois
qui lui sont propres et qui défi nissent la place de chacun et les
échanges entre les membres, dans un étayage mutuel.
La maladie fait irruption dans ce système familial et le boule-
verse. Un nouvel équilibre est à trouver qui dépend des capacités
de chaque famille à s’adapter au changement.
Quand le système familial est souple et ouvert, il est de nature
à favoriser l’adaptation à la maladie du patient et de ses proches
en leur permettant notamment de pouvoir se parler librement
et de partager des émotions souvent pénibles et douloureuses.
Pour ces familles, la maladie sera le plus souvent l’occasion d’un
renforcement des liens préexistants.
D’autres systèmes familiaux s’avèrent plus rigides et fermés, et
l’apparition de la maladie se traduit par des dysfonctionnements
dans l’équilibre familial. Les ruptures sont fréquentes : ruptures
des liens aff ectifs, de la communication, de la disponibilité et
du soutien apportés au patient, rupture de la prise en charge
médicale du patient ou parfois d’un équilibre psychique déjà
LA MALADIE BOULEVERSE LE SYSTÈME FAMILIAL,
UN NOUVEL ÉQUILIBRE EST À TROUVER
Bon gré, mal gré, les proches sont toujours impliqués dans l’his-
toire de la maladie qui vient bouleverser l’équilibre familial et
les rapports de force.
La maladie infl ige une profonde blessure narcissique au malade,
mais elle représente aussi un traumatisme psychique pour les
proches, en fonction du lien qui les unit au patient (conjoint,
enfants, parents, etc.), de leurs personnalités, de leur histoire
et du moment de vie qu’ils traversent.
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 2 - mars-avril 2007
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Qu’est-ce que la proximologie ?
Parallèlement à l’accompagnement psychologique du
sujet atteint de maladie chronique ou sévère, l’accent
est mis depuis plusieurs années sur le rôle, mais aussi
sur le vécu et la souff rance de son entourage.
Une ré exion est initiée dans les institutions, concernant
la place et la prise en charge des familles.
Actuellement, la proximologie “se consacre à l’étude des
relations entre le malade et ses proches. Cette approche
pluridisciplinaire au carrefour de la médecine, de la
sociologie, de la psychologie, de l’éthologie et de bien
d’autres disciplines fait de l’entourage des personnes
malades ou dépendantes un objet central d’étude et de
ré exion. Elle s’inscrit dans une ré exion globale sur nos
systèmes de soins et les diff érents acteurs de la santé. Elle
cherche notamment à mieux comprendre la nature du
lien et des relations qui unissent une personne atteinte
de pathologie chronique ou sévère et ses proches (fa-
mille, voisins, amis, etc.). En ce sens, et compte tenu des
évolutions démographiques et épidémiologiques de nos
populations, elle invite à porter un regard nouveau sur
le retentissement réel des pathologies et sur leur prise en
charge quotidienne.”
La notion d’“aidant naturel”, défi nie par une résolution
du Conseil de l’Europe, met également en lumière les
problématiques et les besoins spécifi ques de l’entourage
convoqué à cette place d’aidant, tant sur le plan phy-
sique que sur le plan psychique (anxiété majeure dans
50 % des cas et un risque dépressif multiplié par trois).
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fragile. Il nest pas rare non plus de voir la maladie devenir le
ciment familial dont la disparition mettrait en péril la structure
familiale...
Dans tous les cas, la maladie intervient comme une crise qui
vient exacerber les con its et les rivalités familiales, amplifi ant les
sentiments de culpabilité et de dette, les attitudes de soumission
ou d’agressivité. Elle fait voler en éclats les points de repères
préétablis. Du rejet à la surprotection, tous les comportements
sont susceptibles de se déployer autour du malade, qui infl uent
considérablement sur son psychisme et ses ressources face à
la maladie.
Confronà la maladie grave ou chronique, chaque membre de
la famille doit réaliser un deuil, celui de l’être bien portant et
souvent aussi de sa représentation de la personne malade et du
type de relation qui le liait à elle. C’est toute une nouvelle vision
de cette personne, de son rapport à elle et au monde parfois,
qui est à reconstruire. Le traumatisme psychique engendré par
l’annonce d’une maladie ou d’un handicap se propage de proche
en proche comme une véritable “onde de choc” (Bowen).
La communication entre le malade et les proches est souvent
diffi cile, biaisée, comme si le monde se divisait soudain en deux,
entre l’univers des bien portants et celui des malades, avec des
frontières infranchissables.
Pourtant, chacun a besoin de communiquer, d’exprimer ses
diffi cultés et sa souff rance.
Le malade a besoin de se sentir entouré, soutenu par des liens
aff ectifs immuables et inconditionnels. Il ne demande pas forcé-
ment à être compris”, mais accompagné et accepté dans lamour
et le respect de sa personne.
Or, nous savons aujourd’hui que les soins que l’on doit au patient
doivent tenir compte de son entourage et que c’est en aidant
l’aidant, quon aide aussi le malade à aller mieux, avec un
retentissement à la fois sur sa qualité de vie et sur celle de son
entourage.
COMMENT LE MÉDECIN PEUTIL SE REPÉRER
DANS LA RELATION MALADEMALADIEPROCHES ?
Pour le médecin, il s’agit de prendre en compte trois entités
distinctes : le malade, le proche dans son individualité et le type
de lien qui les unit, afi n daider chacun à exprimer sa souff rance,
ses besoins, ses envies, ses limites et à trouver sa “bonne” place,
à une distance acceptable par rapport à la maladie.
C’est à cette condition que les proches pourront jouer un le de
soutien, sans endosser une charge trop lourde, et accompagner
le malade dans cette épreuve qui est à traverser, ensemble.
La première démarche du médecin est celle du questionnement,
même s’il pense “bien connaître” le malade et sa famille. Face
au choc d’une maladie grave, on ne peut jamais présager des
réactions des uns et des autres et du bouleversement familial.
Il convient de se méfi er des apparences.
Concernant le malade
Quelle est sa place dans la famille ?
Que représente pour lui cette maladie ?
À quelle place est-il mis ? Cette place lui convient-elle ?
Existe-t-il une rupture dans son lien aux autres ? Se sent-il
rejeté ? Quelle est sa souff rance ?
Concernant l’accompagnant
Qui est-il ? Quelle est sa représentation de la maladie ? (Sa
vision est souvent diff érente du malade.)
Quelle relation entretient-il avec le malade et la maladie ?
Est-il en souff rance ?
Laccompagnant est aussi celui qui subit la maladie sans recevoir la
considérationdont le malade est lobjet. Il peut se sentir laissé-pour-
compte. Il peut être épui et dépressif. La recherche dun épuisement
physique et psychique chez un accompagnant est particulièrement
importante dans les pathologies qui mobilisent considérablement les
proches sans quils puissent recevoir la reconnaissance du malade.
C’est le cas notamment dans la maladie dAlzheimer.
Concernant la relation malade-proches
Existe-t-il une modifi cation des liens et des rapports de force
entre parents et enfants (l’autorité parentale est-elle menacée ?),
dans le couple, etc.
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Prise en charge difficile
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Existe-t-il des difficultés relationnelles, sexuelles ?
On constate souvent la coexistence de plusieurs souffrances
morales qui n’osent pas s’exprimer et qui conduisent à l’iso-
lement psychique du malade d’un côté et de chaque membre
de son entourage de l’autre. La parole et l’expression de cette
souffrance permettent de libérer les émotions et d’instaurer une
communication au sein du couple ou de la famille.
QUELS SONT LES PRINCIPAUX PIÈGES
À ÉVITER ?
Infantiliser le malade.
Exclure le malade par une collusion familiale, au nom d’une
prétendue protection du malade : “Surtout ne lui dites rien,
docteur, il ne le supporterait pas !”
Imposer au proche un fardeau trop lourd pour lui.
Le proche n’est pas un soignant, il na pas à tenir un rôle qu’il na
pas choisi. Il a aussi le droit de ne pas s’impliquer ou de prendre
de la distance quand elle lui est nécessaire, sans culpabilité.
Sous-estimer la souffrance du proche, sa fatigue physique
et morale.
Laisser l’accompagnant prendre toute la place au cours des
consultations.
On voit trop souvent des conjoints, parents ou enfants, mobiliser
toute lattention du decin et parler à la place du malade qui
ne tient plus qu’un rôle de figuration.
Exclure de toute information utile certains membres de la
famille : frères et sœurs, enfants, etc., ou au contraire donner
l’information à la famille et négliger le malade. Ce risque est
particulièrement important avec les sujets âgés.
Faire la morale.
Le médecin doit, au contraire, permettre de libérer les émotions,
sans culpabilité : la tristesse, l’abattement, la colère, la révolte,
etc.
QUE PEUT FAIRE LE MÉDECIN EN PRATIQUE ?
Le malade reste la personne centrale de la relation médecin-
malade.
Voir le malade seul, lui demander s’il souhaite la présence
d’un proche.
Proposer de voir l’accompagnant seul dans certains cas.
Aider chacun à s’exprimer et à communiquer.
Évaluer la souffrance de chacun, ses ressources, ses limites, ses
besoins et lincidence de la maladie dans les relations familiales.
Il est important pour le médecin d’apprécier l’aptitude du proche
et de la famille, en général, à soutenir le malade, que ce soit dans
l’éducation du patient (diabète, hypertension artérielle, etc.), les
handicaps ou les maladies graves, les cancers, les maladies neuro-
logiques dégénératives, les prises en charge de fin de vie, etc.
CONCLUSION
La maladie est un bouleversement individuel et familial qu’il
est important de reconnaître. Cette reconnaissance facilite l’ex-
pression des sentiments de chacun et aide à se reconstruire et à
traverser l’épreuve en préservant les liens familiaux.
Les proches peuvent jouer un rôle essentiel dans le soutien
nécessaire au malade à la condition qu’on les y aide. Souvent
en prise à des sentiments envahissants, ambivalents, fluctuants,
en particulier une forte culpabilité, les proches ont besoin de
trouver de nouveaux points de repère dans leur relation avec la
personne malade et dans leur rapport à la maladie qu’ils subissent
eux aussi dans toute sa violence. C’est en les écoutant et en les
autorisant à exprimer leurs émotions et leurs points de vue,
quels qu’ils soient, que les médecins et les institutions peuvent
aider ces proches et ces familles. Ils aideront d’autant mieux le
malade qu’ils se sentiront eux-mêmes soutenus.
Mais le soutien d’un malade ne va pas de soi, et il est indispen-
sable de respecter ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas
s’impliquer auprès du proche malade, ou bien, comme cest
souvent le cas, qui ont besoin de temps pour accepter l’an-
nonce de la maladie, pour dépasser le premier traumatisme
de cette annonce et se rendre disponible pour le malade. Les
discours moralisateurs et culpabilisants de l’entourage ou du
corps médical ne peuvent avoir que des effets délétères.
La parole, l’échange, l’information et la communication restent
les meilleurs outils pour que chacun trouve sa place dans l’his-
toire de la maladie, à la bonne distance, une place consentie,
reconnue et respectée.
P o u r e n s a v o i r P l u s . . .
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