D Le médecin, le malade et les proches c

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Le médecin, le malade
et les proches
■ I. Moley-Massol*
epuis quelques années, une attention particulière est portée aux proches des
malades atteints d’une maladie grave ou chronique.
Personne ne conteste aujourd’hui l’importance de l’environnement du malade au
cours de la maladie. Le soutien de l’entourage fait partie des soins prodigués au
patient.
Cette aide psychologique a été étudiée dans le cadre de certaines maladies graves, en
particulier dans celui du cancer du sein où l’on a pu démontrer que la vitalité de l’immunité était corrélée au soutien du conjoint ou de toute personne affectivement liée
au patient.
Mais ce soutien de l’entourage ne va pas de soi.
Les rapports qui unissent le patient à ses proches dans la maladie sont toujours
complexes, ambivalents et fluctuants. Il est important pour tout médecin confronté à
la maladie grave ou chronique d’un patient : cancer, diabète, insuffisance coronarienne, maladie neurologique dégénérative, etc., de décrypter ce qui se joue dans la
relation qui lie le malade à chacun de ses proches, de débusquer les pièges, tout en
maintenant le malade à sa place centrale dans la relation médicale.
La proximologie, discipline qui se développe depuis une dizaine d’années, nous aide
à mieux comprendre ce qui se joue d’essentiel dans la relation malade-maladieproches et l’importance de l’attention à porter aux proches, dans l’intérêt du malade
et de la famille.
D
LA MALADIE BOULEVERSE LE SYSTÈME
FAMILIAL, UN NOUVEL ÉQUILIBRE EST
À TROUVER
* Médecin psychothérapeute, praticienne
attachée à l’hôpital Cochin, Paris.
Auteur de L’annonce de la maladie.
Une parole qui engage, aux Éditions DaTeBe.
[email protected]
Bon gré, mal gré, les proches sont toujours
impliqués dans l’histoire de la maladie qui vient
bouleverser l’équilibre familial et les rapports de
force.
La maladie inflige une profonde blessure narcissique au malade, mais elle représente aussi un
traumatisme psychique pour les proches, en
fonction du lien qui les unit au patient (conjoint,
enfants, parents, etc.), de leurs personnalités,
de leur histoire et du moment de vie qu’ils traversent.
Comme l’explique le Pr P. Angel, psychiatre
(Paris), spécialiste des thérapies familiales et
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2006
systémiques, l’apparition d’une maladie chronique, sévère, ou d’un handicap chez un membre
d’une famille, est susceptible d’engendrer une
crise pour l’ensemble du système familial.
L’impact de la maladie va dépendre de multiples
facteurs :
✓ la personne atteinte : enfant, adolescent, père,
mère, grands-parents, ou famille plus éloignée ;
✓ l’âge de chacune des personnes concernées
et la période de vie qu’elle traverse, son histoire,
ses expériences passées. A-t-elle déjà été
confrontée à la maladie, la sienne ou celle d’un
proche ?
✓ le lien qui unit le malade au proche : parent
ou ami, et le type de relation préexistant à la
maladie ;
✓ le pronostic vital ;
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✓ la nature de la maladie et des représentations qui
lui sont attachées (maladie chronique, évolutive ou
non, douloureuse ou non, responsable à terme
d’une dégradation inéluctable, maladie génétique),
avec toute la culpabilité qu’elle peut générer ;
✓ la configuration familiale : couple avec ou
sans enfants, famille monoparentale, famille
recomposée, etc. ;
✓ le réseau social et relationnel de la famille ;
✓ le niveau de vie socio-économique, la situation professionnelle : période de chômage ou
période de projets et de réalisations ;
✓ le cycle de vie familial dans lequel s’inscrit la
maladie : jeune couple, période de relative
tranquillité par rapport aux dynamiques familiales ou au contraire période de crise, divorce ;
✓ les croyances de la famille sur la santé, la
maladie et le monde médical en général.
culpabilité et de dette, les attitudes de soumission ou d’agressivité. Elle fait voler en éclats les
points de repères préétablis. Du rejet à la surprotection, tous les comportements sont susceptibles de se déployer autour du malade, qui
influent considérablement sur son psychisme et
ses ressources face à la maladie.
Confronté à la maladie grave ou chronique,
chaque membre de la famille doit réaliser un
deuil, celui de l’être bien portant et souvent
aussi de sa représentation de la personne malade
et du type de relation qui le liait à elle. C’est
toute une nouvelle vision de cette personne, de
son rapport à elle et au monde parfois, qui est à
reconstruire. Le traumatisme psychique engendré par l’annonce d’une maladie ou d’un handicap se propage de proche en proche comme une
véritable “onde de choc” (Bowen).
Toute famille fonctionne comme un système régi
par des lois qui lui sont propres et qui définissent la place de chacun et les échanges entre les
membres, dans un étayage mutuel.
La maladie fait irruption dans ce système familial et le bouleverse. Un nouvel équilibre est à
trouver qui dépend des capacités de chaque
famille à s’adapter au changement.
Quand le système familial est souple et ouvert,
il est de nature à favoriser l’adaptation à la
maladie du patient et de ses proches en leur
permettant notamment de pouvoir se parler
librement et de partager des émotions souvent
pénibles et douloureuses. Pour ces familles, la
maladie sera le plus souvent l’occasion d’un renforcement des liens préexistants.
D’autres systèmes familiaux s’avèrent plus
rigides et fermés, et l’apparition de la maladie se
traduit par des dysfonctionnements dans l’équilibre familial. Les ruptures sont fréquentes : ruptures des liens affectifs, de la communication, de
la disponibilité et du soutien apportés au
patient, rupture de la prise en charge médicale
du patient ou parfois d’un équilibre psychique
déjà fragile. Il n’est pas rare non plus de voir la
maladie devenir le ciment familial dont la disparition mettrait en péril la structure familiale...
La communication entre le malade et les
proches est souvent difficile, biaisée, comme si
le monde se divisait soudain en deux, entre
l’univers des bien portants et celui des malades,
avec des frontières infranchissables.
Pourtant, chacun a besoin de communiquer,
d’exprimer ses difficultés et sa souffrance.
Le malade a besoin de se sentir entouré, soutenu par des liens affectifs immuables et inconditionnels. Il ne demande pas forcément à être
“compris”, mais accompagné et accepté dans
l’amour et le respect de sa personne.
Or, nous savons aujourd’hui que les soins que
l’on doit au patient doivent tenir compte de son
entourage et que c’est en aidant l’aidant, qu’on
aide aussi le malade à aller mieux, avec un
retentissement à la fois sur sa qualité de vie et
sur celle de son entourage.
Dans tous les cas, la maladie intervient comme
une crise qui vient exacerber les conflits et les
rivalités familiales, amplifiant les sentiments de
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COMMENT LE MÉDECIN PEUT-IL SE REPÉRER
DANS LA RELATION MALADE-MALADIEPROCHES ?
Pour le médecin, il s’agit de prendre en compte
trois entités distinctes : le malade, le proche
dans son individualité et le type de lien qui les
unit, afin d’aider chacun à exprimer sa souffrance,
ses besoins, ses envies, ses limites et à trouver
sa “bonne” place, à une distance acceptable
par rapport à la maladie.
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2006
Qu'est-ce que la proximologie ?
Parallèlement à l’accompagnement psychologique du sujet atteint de maladie
chronique ou sévère, l’accent est mis depuis plusieurs années sur le rôle, mais
aussi sur le vécu et la souffrance de son entourage.
Une réflexion est initiée dans les institutions, concernant la place et la prise en
charge des familles.
Actuellement, la proximologie “se consacre à l’étude des relations entre le
malade et ses proches. Cette approche pluridisciplinaire au carrefour de la
médecine, de la sociologie, de la psychologie, de l’éthologie et de bien d’autres
disciplines fait de l’entourage des personnes malades ou dépendantes un objet
central d’étude et de réflexion. Elle s’inscrit dans une réflexion globale sur nos
systèmes de soins et les différents acteurs de la santé. Elle cherche notamment
à mieux comprendre la nature du lien et des relations qui unissent une personne
atteinte de pathologie chronique ou sévère et ses proches (famille, voisins,
amis, etc.). En ce sens, et compte tenu des évolutions démographiques et épidémiologiques de nos populations, elle invite à porter un regard nouveau sur le
retentissement réel des pathologies et sur leur prise en charge quotidienne.”
La notion d’“aidant naturel”, définie par une résolution du Conseil de l’Europe,
met également en lumière les problématiques et les besoins spécifiques de
l’entourage convoqué à cette place d’aidant, tant sur le plan physique que sur
le plan psychique (anxiété majeure dans 50 % des cas et un risque dépressif
multiplié par trois).
C’est à cette condition que les proches pourront
jouer un rôle de soutien, sans endosser une charge
trop lourde, et accompagner le malade dans
cette épreuve qui est à traverser, ensemble.
La première démarche du médecin est celle du
questionnement, même s’il pense “bien connaître”
le malade et sa famille. Face au choc d’une maladie
grave, on ne peut jamais présager des réactions
des uns et des autres et du bouleversement familial. Il convient de se méfier des apparences.
Concernant le malade
✓ Quelle est sa place dans la famille ?
✓ Que représente pour lui cette maladie ?
✓ À quelle place est-il mis ? Cette place lui
convient-elle ?
✓ Existe-t-il une rupture dans son lien aux autres ?
Se sent-il rejeté ? Quelle est sa souffrance ?
Concernant l’accompagnant
✓ Qui est-il ? Quelle est sa représentation de la
maladie ? (Sa vision est souvent différente du
malade.)
✓ Quelle relation entretient-il avec le malade et
la maladie ?
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2006
✓ Est-il en souffrance ?
L’accompagnant est aussi celui qui subit la maladie sans recevoir la “considération” dont le malade
est l’objet. Il peut se sentir laissé-pour-compte. Il
peut être épuisé et dépressif. La recherche d’un
épuisement physique et psychique chez un
accompagnant est particulièrement importante
dans les pathologies qui mobilisent considérablement les proches sans qu’ils puissent recevoir
la reconnaissance du malade. C’est le cas notamment dans la maladie d’Alzheimer.
Concernant la relation malade-proches
✓ Existe-t-il une modification des liens et des
rapports de force entre parents et enfants (l’autorité parentale est-elle menacée ?), dans le
couple, etc.
✓ Existe-t-il des difficultés relationnelles,
sexuelles ?
On constate souvent la coexistence de plusieurs
souffrances morales qui n’osent pas s’exprimer
et qui conduisent à l’isolement psychique du
malade d’un côté et de chaque membre de son
entourage de l’autre. La parole et l’expression
de cette souffrance permettent de libérer les
émotions et d’instaurer une communication au
sein du couple ou de la famille.
QUELS SONT LES PRINCIPAUX PIÈGES
À ÉVITER ?
✓ Infantiliser le malade.
✓ Exclure le malade par une collusion familiale,
au nom d’une prétendue protection du malade :
“Surtout ne lui dites rien, docteur, il ne le supporterait pas !”
✓ Imposer au proche un fardeau trop lourd pour lui.
Le proche n’est pas un soignant, il n’a pas à tenir
un rôle qu’il n’a pas choisi. Il a aussi le droit de
ne pas s’impliquer ou de prendre de la distance
quand elle lui est nécessaire, sans culpabilité.
✓ Sous-estimer la souffrance du proche, sa
fatigue physique et morale.
✓ Laisser l’accompagnant prendre toute la place
au cours des consultations.
On voit trop souvent des conjoints, parents ou
enfants, mobiliser toute l’attention du médecin
et parler à la place du malade qui ne tient plus
qu’un rôle de figuration.
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✓ Exclure de toute information utile certains
membres de la famille : frères et sœurs, enfants,
etc., ou au contraire donner l’information à la
famille et négliger le malade. Ce risque est particulièrement important avec les sujets âgés.
✓ Faire la morale.
Le médecin doit, au contraire, permettre de libérer les émotions, sans culpabilité : la tristesse,
l’abattement, la colère, la révolte, etc.
QUE PEUT FAIRE LE MÉDECIN EN PRATIQUE ?
✓ Le malade reste la personne centrale de la
relation médecin-malade.
✓ Voir le malade seul, lui demander s’il souhaite
la présence d’un proche.
✓ Proposer de voir l’accompagnant seul dans
certains cas.
✓ Aider chacun à s’exprimer et à communiquer.
✓ Évaluer la souffrance de chacun, ses ressources, ses limites, ses besoins et l’incidence
de la maladie dans les relations familiales.
Il est important pour le médecin d’apprécier
l’aptitude du proche et de la famille, en général,
à soutenir le malade, que ce soit dans l’éducation du patient (diabète, hypertension artérielle,
etc.), les handicaps ou les maladies graves, les
cancers, les maladies neurologiques dégénératives, les prises en charge de fin de vie, etc.
eux aussi dans toute sa violence. C’est en les
écoutant et en les autorisant à exprimer leurs
émotions et leurs points de vue, quels qu’ils
soient, que les médecins et les institutions peuvent aider ces proches et ces familles. Ils aideront d’autant mieux le malade qu’ils se sentiront
eux-mêmes soutenus.
Mais le soutien d’un malade ne va pas de soi, et
il est indispensable de respecter ceux qui ne
veulent pas ou ne peuvent pas s’impliquer
auprès du proche malade, ou bien, comme c’est
souvent le cas, qui ont besoin de temps pour
accepter l’annonce de la maladie, pour dépasser
le premier traumatisme de cette annonce et se
rendre disponible pour le malade. Les discours
moralisateurs et culpabilisants de l’entourage
ou du corps médical ne peuvent avoir que des
effets délétères.
La parole, l’échange, l’information et la communication restent les meilleurs outils pour que
chacun trouve sa place dans l’histoire de la
maladie, à la bonne distance, une place consentie, reconnue et respectée.
POUR
EN SAVOIR PLUS
...
• Angel P, Mazet P. Guérir les souffrances familiales. Paris :
PUF, 2004.
• Faure C. Vivre auprès d’un proche très malade. Paris : Éd.
CONCLUSION
La maladie est un bouleversement individuel et
familial qu’il est important de reconnaître. Cette
reconnaissance facilite l’expression des sentiments de chacun et aide à se reconstruire et à
traverser l’épreuve en préservant les liens familiaux.
Les proches peuvent jouer un rôle essentiel
dans le soutien nécessaire au malade à la condition qu’on les y aide. Souvent en prise à des sentiments envahissants, ambivalents, fluctuants,
en particulier une forte culpabilité, les proches
ont besoin de trouver de nouveaux points de
repère dans leur relation avec la personne malade
et dans leur rapport à la maladie qu’ils subissent
62
Albin Michel, 1998.
• Goldbeter-Merinfeld E. Le deuil impossible. Paris : Éd. ESF,
1999.
• Guex P. Psychologie et Cancer. Lausanne : Éd. Payot, 1989.
• Guex P. Cancer et famille. Revue française de psycho-oncologie 2003:7-10.
• Moley-Massol I. L’annonce de la maladie. Une parole qui
engage. Paris : Éd. DaTeBe, 2004.
• Razavi D, Delvaux N. Le cancer, le malade et sa famille.
Paris : Éd. Masson, Coll. “Médecine et psychothérapie”, 2002.
• Schweicher MC. Environnement psychologique du patient
cancéreux : abord de la famille. Actualité en cancérologie.
Actes des journées consacrées au Cancer par les Centres de
santé de la province de Luxembourg, 1987.
• Siegel K, Raveis VH, Karus D. Pattern of communication
with children when a parent has cancer. In : Baider L,
Cooper CL, Kaplan De-Nour A, Eds. Cancer and the Family.
Chichester : Éd. Wiley, 1996, p. 109-128.
• Watzlawick P. Une logique de la communication. Paris : Éd.
Le Seuil, 1972.
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2006
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