Alzheimer et sexualité

publicité
Ils le font
Alzheimer et sexualité
par Dr Eliane Abraham, gériatre à Nancy
Qu'attend-on d'un regard médical ?
Un médecin a-t-il un droit de regard sur la sexualité du grand âge ? Et s’il regarde, si cela le regarde, ou si on
l’amène à regarder, qu’en attend-on ? Comment se comporter professionnellement ? Comment justifier une
prescription ou au contraire l'absence de prescription ? Attend-on parfois autre chose du médecin, un regard
normatif, une application de la morale ou du règlement intérieur ? Le médecin est-il le bon professionnel à
solliciter ? Quand ? Peut-il refuser de répondre aux difficultés rencontrées ?
Le fait est que l’on donne souvent au médecin le devoir de décider : "Bon, là, qu’est-ce qu’on fait, docteur ?".
Quand la question concerne une personne atteinte d'une maladie d'Alzheimer ou apparentée, de fait, la
"maladie" regarde le médecin lorsqu’on fait appel à lui. Lorsqu’il est sollicité en tant que médecin, alors il doit
répondre.
Le désir affectif ou sexuel peut-il être pathologique ?
La maladie d’Alzheimer est une pathologie chronique, évolutive, dite neuro-dégénérative, qui affecte la
transmission neuronale et l’efficacité cérébrale. Ainsi, elle touche peu à peu tous les aspects de la personnalité
du patient, mais aussi de son entourage, et entraine une redéfinition globale des relations du couple, de la
famille et de tout l’entourage. Cette pathologie affecte également "tous les actes de la vie courante", alors que
le physique, lui, reste intact !
Dans le contexte de cette maladie, la sexualité peut évoluer dans plusieurs directions :
-
-
-
1
vers une libido accrue et l'augmentation du besoin de relations sexuelles. Il peut exister un
comportement désinhibé. On parle alors de perte du contrôle de l’inhibition, de syndrome frontal,
de syndrome dysexécutif. On peut parler aussi de trouble du comportement ou de
comportement inadapté. L’énergie sexuelle est exprimée de façon inhabituelle, ou dans des
endroits inappropriés, ou elle est dirigée vers des personnes non consentantes : la souffrance est
alors ressentie le plus souvent essentiellement par l’entourage du malade ;
vers un désir en voie de disparition. À l’inverse, une baisse de libido peut être rapportée à un
contexte dépressif ou dans celui de la maladie elle-même. Elle est alors un élément d'une cohorte
de symptômes. De plus, certains médicaments ont comme effet indésirable une atteinte des
performances et des désirs sexuels. Le retentissement est moins "explosif", moins dérangeant, et
on est beaucoup moins souvent alerté par ce qui est considéré comme plus "normal" avec l’âge.
Une souffrance existe pourtant, mais elle peut être ressentie différemment, plus par le malade
que par son entourage.
vers un désir détourné. Lorsque la personne malade ne reconnaît plus son partenaire, ses
proches, il peut arriver que le besoin affectif et sexuel se tourne vers d’autres personnes. C’est
assez rare, mais il faut garder à l’esprit que ce désir est avant tout impulsif et ne constitue pas une
marque d’amour telle qu’on la conçoit dans nos sociétés. La souffrance des proches est cependant
ici intense.
Quelles "réponses" médicales possibles ?
Face à ces situations, le médecin peut réagir de différentes manières, au cas par cas.
-
-
-
Refuser la sexualité : la situation peut être qualifiée de choquante, anormale, risquée - avec sa
pathologie cardiaque -, voire dangereuse, perturbante, dégradante, honteuse, etc. Le médecin
peut alors parfois se voir attribuer un rôle de "castrateur réparateur" par les soignants, les
familles, l’entourage voire la personne elle-même. En effet, que répondre lorsqu’on est face à un
patient, très pudique toute sa vie durant, qui se met à avoir une attitude incompatible avec sa
propre notion d’être humain ? L’idée est ici de l’aider à retrouver sa dignité.
Déléguer à la famille, à la direction de l’établissement, aux soignants impliqués, la tâche de gérer.
Les actes rapportés n’entrant pas dans le cadre d’une pathologie, ils ne concerne pas le corps
médical au sens strict. Une telle attitude peut permettre de dédramatiser une situation montée
en épingle par un entourage prenant trop peu de recul.
Accepter, voire valoriser cette capacité persistante de relation à l’autre. Dans le même sens que
l'institution se donne pour mission de favoriser la resocialisation, la renarcissisation. Les résidents
entendent "Faites comme chez vous", "Vous êtes ici chez vous", etc. Certaines activités favorisent
le rapprochement physique, la danse, la piscine, etc. Le morceau de musique sur lequel on invite
le patient à danser est peut-être celui sur lequel il a embrassé de multiples conquêtes. Sa
mémoire affective peut alors se réveiller et déclencher des réactions bien compréhensibles de
recherche de plaisir.
Quand devient-il nécessaire de prescrire ?
Une prescription médicale me semble justifiée, quelles que soient les circonstances, dans trois cas.
-
-
Il existe une souffrance du patient, une régression de la libido à un niveau anal ou buccal qui peut
mettre la personne en danger.
Il existe un trouble du comportement avéré, et non une connotation sexuelle attribuée à un
symptôme d’un autre ordre comme, par exemple, une personne démente ne pouvant plus exprimer
des douleurs mictionnelles ou le besoin d’uriner autrement que par l’exhibition de ses parties
génitales.
La nécessité de protéger des personnes vulnérables, dans l’incapacité d’exprimer leur consentement.
La prescription médicale n’est pas que médicamenteuse mais prise au sens large. Cela commence par
une reconnaissance par l’équipe de l’existence de la personne. Il s'agit de replacer le patient, ainsi que
la souffrance des proches - à ne pas minimiser - au centre du dispositif.
Que devrait être le rôle du médecin ?
Le rôle fondamental du médecin est de redonner à chacun sa place et de détacher le tolérable de l’intolérable.
Cela est dépendant du contexte socio-culturel global (famille, établissement, etc.), du stade d’évolution de la
maladie. Comprendre le contexte clinique et social, les enjeux, les ressentis et les conséquences demande du
temps, facteur essentiel dans notre discipline. La décision, quelle qu’elle soit, est alors prise de façon
concertée, interdisciplinaire et dans le but de soulager une souffrance.
Dans cette optique, le médecin se doit d'être attentif à éviter certains pièges. Celui de l'urgence à réagir à
l’application stricte d’un règlement intérieur, à la nécessité de permettre aux personnels la réalisation de soins
techniques rapidement (toilette intime, sonde urinaire, traitement d’une constipation, réfection de pansement,
etc.), au désarroi des familles qui ne donnent plus au vieillard qu’un rôle « parental ». Celui de la place du
soignant. Entrer chaque jour dans l’intimité du patient peut amener le soignant à le considérer, même
inconsciemment, comme un "objet de soin", jusqu'au jour où, le sens du toucher étant longtemps conservé,
une réaction survient !
Pour conclure, le regard médical doit être bienveillant à l’égard de tous, avec la nécessité d’accompagner les
décisions, les actes et les messages (rôle de la main, premier et dernier médiateur d’affect).
2
Téléchargement