DROIT DE RÉPONSE
5
La Lettre du Gynécologue - n° 237 - décembre 1998
ontribuer à un éditorial dans une revue profession-
nelle implique, tout naturellement, de la part des
auteurs, l’acceptation de réactions à la lecture de leurs
propos et donc la participation à un débat. Cependant, la virulence
de la forme et la nature des arguments utilisés par Monsieur Girard
nous rendent perplexes et nous incitent à livrer aux lecteurs les
raisons de cette perplexité, les laissant juges en dernier ressort.
Le fond de notre éditorial touchait les traitements progestatifs
chez la femme, pour lesquels il existe une diversité de pratiques
entre pays, régions, disciplines, voire écoles, témoignant très vrai-
semblablement du caractère encore parcellaire de nos connais-
sances dans le domaine, malgré l’ancienneté du concept.
Monsieur Girard nous accuse de favoriser “une préférence natio-
nale”. Au-delà de l’usage des mots, dont la connotation ne peut
être que blessante à notre endroit, nous ne voyons pas en quoi
s’interroger sur la nature des différences de pratique clinique, et
leurs conséquences éventuelles entre pays, constituerait une acti-
vité interdite au nom d’une connaissance qui serait déjà ferme-
ment établie. Notre titre n’avait pas d’autre prétention, l’histoire
de la médecine nous ayant amplement montré que des idées nou-
velles pouvaient souvent émerger de ces confrontations.
Notre interrogation tournait autour de la place faite aux proges-
tatifs, notamment dans le cadre du THS, et de leur rôle éventuel
dans la genèse du cancer du sein, sachant que les pratiques thé-
rapeutiques se sont développées, comme cela est souvent le cas
en clinique, sans qu’on ait les moyens de toujours bien en éva-
luer l’impact à long terme. Cette pratique de l’évaluation systé-
matique en thérapeutique est récente et reste encore difficile dès
lors qu’il s’agit de pathologies qui se développent sur le long
terme, rendant particulièrement complexe la mise en place de
véritables essais thérapeutiques. Dans le domaine des traitements
à base d’hormones sexuelles, ce type d’évaluation n’a commencé
que tardivement, surtout sous l’impulsion de nos collègues anglo-
saxons, sans doute plus sensibilisés à ce type d’approche. Ainsi,
en ce qui concerne le THS et sa composition, ce sont surtout les
domaines cardiovasculaires et rhumatologiques qui ont été étu-
diés. Aucun essai thérapeutique concernant l’effet du THS sur le
risque de cancer du sein n’ayant été publié, les niveaux de preuve,
dans le cadre d’“une médecine reposant sur les preuves” à laquelle
nous serions hermétiques selon notre contradicteur, reposent à
l’heure actuelle sur des études de laboratoire très limitées concer-
nant le tissu mammaire sain et sur des études épidémiologiques
de cohorte, ou leur synthèse (Oxford Group), dans lesquelles les
traitements progestatifs habituellement référencés sont à base
d’acétate de médroxy-progestérone, molécule peu utilisée dans
notre pays, à tort ou à raison.
Le clinicien français, qui s’interroge sur ses pratiques, ne peut
qu’appeler de ses vœux des essais contrôlés et randomisés concer-
nant les thérapeutiques qui sont effectivement prises par ses
patientes. Rien ne l’empêche, en attendant, de mettre au clair les
arguments qui justifieraient la mise en place de telles études
auprès d’instances publiques ou privées, dont les motivations sont
plus souvent liées à la possibilité d’obtenir une AMM qu’à une
modification des indications ou précautions d’emploi d’une
AMM existante, surtout dans le cas de risques potentiels à long
terme. Notre expérience en recherche méthodologique et notre
connaissance du domaine et de ses acteurs nous ont sans doute
rendues plus réalistes et moins polémiques (1, 2, 3). Tant pis si
Monsieur Girard, expert auprès des tribunaux, préfère n’y voir
qu’une “nonsense-based médecine”, et qu’il utilise notre absence
de renvoi à des références comme argument à charge, alors que
le genre éditorial ne le commande pas.
Très brièvement, rappelons l’essentiel de notre argumentation,
qui avait déjà donné lieu à diverses communications reconnues
par nos pairs étrangers (4, 5).
Concernant les progestatifs, nous nous contentions de rapporter
les faits suivants : les divers progestatifs diffèrent par la nature
de leurs actions pharmacologiques et leurs propriétés (6) ; les
types de progestatifs vendus en France diffèrent de ceux vendus
aux États-Unis ; les quantités globales de progestatifs ajustées sur
la population féminine, vendues en France, sont plus importantes
qu’aux États-Unis. Concernant le cancer du sein, nous rappor-
tions le fait objectif que, depuis de nombreuses années, son inci-
dence en France est inférieure à celle des États-Unis en valeur et
tendance. Nous proposions comme élément de réflexion (“weak
evidence”) d’établir une corrélation écologique entre cette
consommation de progestatifs et cette incidence de cancer du
sein, comme cela peut être fait dans d’autres domaines lorsque
des données plus fermes sont manquantes (pollution, environne-
ment, nucléaire, etc.), sans que cela n’occasionne de réactions
aussi méprisantes, dans la mesure où toute personne ayant un
minimum de connaissances statistiques en connaît les limites,
qu’il est inutile de rappeler ici.
Réponse à Monsieur Girard*
●
R. Sitruk-Ware**, G. Plu-Bureau***
C
* Voir l’Éditorial de
La Lettre du Gynécologue
n° 232 (p. 3), “Américaines,
Françaises, cherchez la différence !”, des Drs Sitruk-Ware et Plu-Bureau
auquel le Dr M. Girard, expert près la Cour d’Appel de Versailles, a réagi
dans “À propos de : Américaines, Françaises, cherchez la différence !” de
La Lettre du Gynécologue
n° 234 (p. 6).
** Service d’endocrinologie, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-
Saint-Antoine, 75012 Paris.
*** Service de médecine de la reproduction-endocrinologie, hôpital Nec-
ker, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris.