Mots-clés Progestatifs Cancer du sein Épidémiologie Progestatifs et sein Keywords Progestin and breast disease Progestin Breast cancer Epidemiology G. Plu-Bureau, A. Gompel* L a France est le pays européen qui utilise le plus fréquemment les thérapeutiques progestatives. Ces molécules sont employées dans différentes indications en fonction à la fois de leur classe thérapeutique et de leur dose. La contraception des femmes présentant une contre-indication aux pilules classiques estroprogestatives et le traitement des pathologies estrogénodépendantes, qu’elles soient utérines ou mammaires, constituent les deux principales indications de ces thérapeutiques. Les récents résultats des grands essais thérapeutiques américains, analysant le risque de cancer du sein en fonction des différents traitements de ménopause, posent la question de l’effet des progestatifs sur le risque mammaire. En effet, le cancer du sein représente la première cause de mortalité par cancer de la femme (1). Cette incidence a considérablement augmenté au cours du temps et particulièrement au cours des deux dernières décennies. Le nombre de nouveaux cas a pratiquement doublé en 20 ans. Il existe une augmentation croissante à partir de 35 ans jusqu’à l’âge de la ménopause. Cette augmentation ralentit ensuite, atteignant 250 pour 100 000 femmes par an à l’âge de 65 ans. Le cancer du sein est une pathologie multifactorielle. Si le rôle des estrogènes est clairement admis dans la carcinogenèse mammaire, le rôle de la progestérone et des progestatifs est plus controversé (2, 3). L’impact à moyen et long terme des thérapeutiques progestatives sur le risque de cancer du sein doit donc être soigneusement évalué. Les différents progestatifs Les progestatifs sont divisés en quatre grandes classes (tableau I). Les effets de ces différentes molécules varient à la fois selon la classe à laquelle ils appartiennent, la molécule, la dose prescrite et le nombre de jours utilisé par cycle. Chaque molécule comporte une affinité spécifique pour le récepteur de la progestérone, mais interagit aussi, selon la classe, avec d’autres récepteurs stéroïdiens, comme celui de l’estradiol, de la testostérone, des gluco- Tableau I. Classification des différents progestatifs. Classe Molécules Nom commercial, doses Progestérone naturelle Progestérone Isomère de la progestérone Dydrogestérone Utrogestan® 100, 200 mg Estima® 100, 200 mg (existe en générique) Duphaston® 10 mg Dérivés de la progestérone Prégnanes Norprégnanes Médrogestone Acétate de chlormadinone Acétate de médroxyprogestérone Acétate de cyprotérone Colprone® 5 mg Lutéran® 2, 5, 10 mg Existe en générique Gestoral® (arrêt de commercialisation) Acétate de nomégestrol Promégestone Lutényl® 5 mg Androcur® 50 mg Kaliale® 50 mg (existe en générique) Surgestone® 0,125, 0,25, 0,5 mg Dérivés de la testostérone Norstéroïdes Acétate de noréthistérone Lynestrénol Norstéroïdes en contraception Acétate de noréthistérone Norgestriénone Lévonorgestrel Désogestrel Primolut-Nor® 10 mg (retiré du marché en 2008) Orgamétril® 5 mg Milligynon® 0,6 mg Ogyline® 0,35 mg (en voie d’arrêt de commercialisation) Microval® 0,03 mg Cérazette® 0,075 mg corticoïdes et minéralocorticoïdes. Si l’on prend par exemple les progestatifs norstéroïdes, trois schémas thérapeutiques peuvent être proposés : 1. Une utilisation à très faible dose quotidiennement. Ce schéma assure ainsi une contraception par le biais d’une action locale sur la glaire cervicale uniquement. 2. Une utilisation à doses plus élevées. a. Soit plus de 18 jours par cycle. On obtient ainsi une action antigonadotrope, qui peut être utile en contraception ou pour minimiser le taux d’estradiol * Hôpital Hôtel-Dieu, unité de gynécologie endocrinienne, 1, place du ParvisNotre-Dame, 75181 Paris Cedex 04. La Lettre du Sénologue • n° 41 - juillet-août-septembre 2008 | 13 DOSSIER THÉMATIQUE Progestatifs et cancer du sein endogène dans certaines circonstances cliniques d’hyperestrogénie. b. Soit 10 jours par cycle. On parle alors de traitement substitutif, mais sans aucune action ni contraceptive, ni antigonadotrope. La progestérone ou la rétroprogesterone ne possède pas ces types d’action antigonadotrope. Seul le schéma 2b peut être utilisé en période d’activité génitale. Par ailleurs, les progestatifs de type prégnane ou norprégnane ne sont pas utilisés selon le schéma 1. Progestatifs et risque de cancer du sein avant la ménopause Microprogestatifs et risque de cancer du sein Ce type de contraception reste globalement peu utilisé, 5 à 15 % des femmes ont ainsi rapporté une utilisation au cours de leur vie au niveau de l’Europe du Nord (4). L’indication repose essentiellement sur une contre-indication à l’utilisation d’estrogènes par voie orale (femmes ayant présenté un accident vasculaire thromboembolique ou présentant une maladie auto-immune, lupus par exemple). Du fait de cette faible utilisation, peu d’études ont analysé leur impact potentiel sur le risque de cancer du sein. Cependant, la métaanalyse d’Oxford a permis de réanalyser les données provenant de sept études épidémiologiques, essentiellement cas-témoins, fournissant des informations sur ce type de contraception (5). Cette métaanalyse a permis de comparer 725 cas de cancer du sein à 528 femmes témoins. Le risque relatif de cancer du sein estimé était de 1,12 ± 0,064 (déviation standard) avec un risque à 1,19 ± 0,153 pour les utilisatrices de plus de 4 ans. Les risques estimés sont tout à fait comparables à ceux observés avec les pilules classiques estroprogestatives. Deux études ont récemment été publiées dans ce domaine : NOWAC (cohorte norvégienne) [6] et The Swedish Women’s Lifestyle and Health Cohort Study (cohorte suédoise et norvégienne) [7]. Elles confirment les résultats précédents et ne mettent pas en évidence d’effet de la durée pour ce type de contraception. L’interprétation de l’ensemble de ces résultats doit bien sûr être prudente compte tenu des faibles effectifs analysés, entraînant une puissance probablement insuffisante pour obtenir une évaluation précise du risque de cancer du sein. 14 | La Lettre du Sénologue • n° 41 - juillet-août-septembre 2008 Contraception injectable ou par implant Cette contraception consiste en une injection trimestrielle d’acétate de médroxyprogestérone à la dose de 150 mg par injection. Elle est essentiellement indiquée pour les femmes ne pouvant s’astreindre à prendre quotidiennement un comprimé. La métaanalyse d’Oxford a estimé un risque poolé à partir des données de deux études. Ainsi, 339 cas de cancer du sein et 1 935 femmes témoins ont été analysés. Aucune augmentation significative du risque n’a été observée. Ces auteurs ne montraient pas d’effet durée de ce type de contraception. Trois autres études ont été plus récemment publiées. Celle de S. Shapiro analysant des données sud-africaines incluant 484 cas de cancer du sein et 318 femmes témoins confirme ces résultats (8). L’étude Care, cas-témoins, a comparé des femmes américaines, 4 574 cas de cancer du sein à 4 682 témoins (9). Dans cette étude, seuls 2,25 % avaient déjà utilisé ce type de contraception. Aucune augmentation significative du risque de cancer du sein n’a été observée. Il existe cependant un effet durée significatif, mais il est dû probablement à un risque significativement abaissé pour les femmes ayant utilisé ce type de contraception moins de 6 mois (0,60 ; IC95 : 0,37-0,98). Ce calcul repose sur 26 cas et 44 femmes témoins. Enfin, la 4 Corners Study, cas-témoins, vient tout récemment de publier ses résultats (10), analysant 2 318 cas de cancer du sein comparés à 2 515 femmes témoins. Ainsi, 73 cas et 79 témoins avaient utilisé une contraception injectable conduisant à un odds-ratio (OR) de 1,23 (IC95 : 0,881,73). Dans le sous-groupe des femmes ayant utilisé pour la première fois ce type de contraception après 35 ans (35 cas et 19 témoins), il existe une discrète augmentation significative du risque de cancer du sein (OR : 1,98 ; IC95 : 1,12-3,52). Concernant la contraception par implant (tableau II), deux études épidémiologiques sont publiées. L’étude Care a analysé l’utilisation du Norplant® (implant de 6 batonnets délivrant de faibles doses de lévonorgestrel pour une durée de 5 ans) [9]. Malheureusement, les données concernent très peu de femmes utilisatrices (5 cancers du sein et 7 femmes témoins). L’odds-ratio de cancer du sein est de 0,67 (IC95 : 0,21-2,13). La surveillance postmarketing du Norplant® a fait l’objet de publications (11). Aucune augmentation significative du risque de cancer du sein n’a été retrouvée, mais le recul est probablement très insuffisant pour pouvoir conclure. Enfin, la 4 Corners Study a aussi recueilli ce type d’utilisation (10). Sur 15 cas et 2 témoins utilisatrices de Norplant®, les auteurs observent une très forte augmentation, significative, du risque de cancer DOSSIER THÉMATIQUE Progestatifs et cancer du sein du sein liée à cette utilisation (OR : 8,59 ; IC95 : 1,9238,39). Ces résultats, fondés sur très peu de femmes, sont les plus récents et doivent conduire à une certaine prudence bien que la puissance statistique de l’étude, pour cette utilisation, soit relativement faible. Il existe un autre type d’implant contraceptif. Il s’agit d’un implant unique délivrant de petites doses d’étonogestrel (3-kéto-désogestrel), métabolite actif du désogestrel, pour une période de 3 ans (12). À notre connaissance, aucune étude épidémiologique n’a analysé le risque de cancer du sein de ce produit. Contraception par dispositif intra-utérin bioactif Cette contraception, mise sur le marché relativement récemment, se diffuse largement en raison de la meilleure tolérance endométriale de ce type de dispositif intra-utérin (DIU) [13]. Une seule étude épidémiologique a évalué le risque de cancer du sein chez les utilisatrices de ce type de DIU (14). Il s’agit d’une étude postmarketing finlandaise ayant évalué l’incidence du cancer du sein chez 17 360 femmes utilisatrices. Celle-ci a ensuite été comparée à l’incidence nationale finlandaise. Aucune différence significative du taux d’incidence n’a été observée entre les deux populations. Cependant, ce type d’étude est de niveau de preuve assez faible, car elle ne permet pas de prendre en compte les principaux facteurs de risque de cancer du sein. Très récemment, une étude de cohorte rétrospective analysant le risque de récidive de cancer du sein chez les utilisatrices de ce type de dispositif a été publiée (15). Les auteurs ont analysé les données concernant 79 femmes présentant toutes un cancer du sein infiltrant et utilisatrices de ce type de DIU, appariées à 120 femmes présentant aussi le même Tableau II. Synthèse des résultats des études épidémiologiques analysant la relation progestatif injectable ou implant et risque de cancer du sein. Études-Pays Cas utilisatrices versus total Témoins utilisatrices versus total Odds-ratio (IC95) Progestatif injectable (acétate de médroxyprogestérone) CGHFBC, 1996 (5) 339/17 300 1 935/36 313 1,05 ± 0,083 Shapiro, 2000 (Afrique Sud) (8) 318/484 1 161/1 625 0,9 (0,7-1,2) Care Study, 2004 (États-Unis) [9] 94/4 575 110/4 682 0,87 (0,66-1,15) 4 Corners Study, 2007 (États-Unis) [10] 79/2 224 73/2440 1,23 (0,88-1,73) Care Study, 2004 (États-Unis) [9] 5/4 575 7/4 682 0,67 (0,21-2,13) 4 Corners Study, 2007 (États-Unis) [10] 15/2 303 2/2 513 8,59 (1,92-38,39) Implant (lévonorgestrel) 16 | La Lettre du Sénologue • n° 41 - juillet-août-septembre 2008 type de cancer du sein, mais non utilisatrices. Les critères d’appariement étaient l’âge au diagnostic, le stade et le grade de la tumeur et les modalités thérapeutiques. Après un suivi moyen d’environ 3 ans, 17 récidives sont survenues dans le groupe des utilisatrices (21,5 %) versus 20 dans le groupe des non-utilisatrices (16,6 %). Cette différence est non significative (p = 0,11). Deux sous-groupes de femmes utilisatrices ont été identifiés : A : celles qui utilisaient déjà au moment du diagnostic ce type de DIU (n = 38) et B : celles qui ont commencé cette utilisation après le traitement de leur tumeur (n = 41). Dans le sous-groupe A, le risque de récidive est à la limite de la significativité (RR : 3,39 ; IC95 : 1,01-11,35) tandis que dans le sous groupe B, ce risque est de 1,48 (IC95 : 0,62-3,49). Il faut cependant noter que dans le sous-groupe A les patientes avaient plus fréquemment un envahissement ganglionnaire que dans le groupe B (47,4 % versus 29,3 %, respectivement). L’interprétation de ces résultats doit être prudente en fonction à la fois du type d’étude et surtout du faible nombre de sujets analysés. Cependant, comme le soulignent très clairement les auteurs, d’autres études sont absolument indispensables pour confirmer ou infirmer ces premiers résultats. En effet, l’utilisation de ce DIU bioactif devient de plus en plus importante. Son évaluation à la fois en termes de risque de cancer du sein et son impact chez les femmes présentant un cancer du sein est indispensable, même si une contraception non hormonale est le plus souvent préférée chez ces dernières. Il existe cependant une littérature assez importante concernant cette utilisation chez les femmes traitées par tamoxifène visant à minimiser son impact délétère sur l’endomètre. Macroprogestatifs et risque de cancer du sein Sur la base des éléments impliquant un déséquilibre hormonal avec insuffisance en progestérone et hyper-estrogénie relative dans la genèse des mastopathies bénignes, l’utilisation d’un traitement progestatif à doses antigonadotropes en France est fréquente. Dans les années 1970, la prescription de progestatifs reposait donc sur l’hypothèse que cette thérapeutique, en particulier les dérivés 19-nortestostérone utilisés à une dose antigonadotrope, pouvait réduire le risque de cancer du sein. Dans ce contexte, une étude de cohorte a été initiée à la fin des années 1970 à partir des consultations de deux centres de sénologie (hôpital Necker et Institut Gustave-Roussy) [16, 17]. Cette cohorte est constituée de 1 150 femmes présentant une DOSSIER THÉMATIQUE mastopathie bénigne ou une mastodynie essentielle recrutées entre 1976 et 1979. Le risque de cancer du sein, après 10 ans de suivi (cumulant un total de 12 462 personnes-années) a été estimé en tenant compte des principaux facteurs de risque du cancer du sein. Les progestatifs étaient divisés en deux classes selon leur potentiel hormonal : les dérivés de la 19-nortestostérone et les autres progestatifs. L’utilisation de dérivés de la 19-nortestostérone était significativement associée à une diminution du risque de cancer du sein, d’autant plus importante que la durée d’utilisation était longue (test de tendance linéaire p ≤ 0,02). L’utilisation des autres progestatifs n’était pas associée à une modification de risque de cancer du sein. Le recul d’utilisation n’était pas suffisant pour obtenir une bonne estimation de ce risque. Ces résultats suggèrent donc que certaines catégories de progestatifs, utilisées à doses antigonadotropes, pourraient avoir un effet bénéfique sur le risque de cancer du sein, chez des femmes présentant une mastopathie bénigne. Cette première étude épidémiologique analysant l’effet controversé des progestatifs sur le risque de cancer du sein chez des femmes présentant une mastopathie bénigne, montre des résultats intéressants. Ils indiquent que l’utilisation de progestatifs chez les femmes non ménopausées, quel que soit leur type, n’augmente pas le risque de cancer du sein et que les norstéroïdes semblent avoir, dans cette indication, un effet bénéfique. Le suivi de cette cohorte se poursuit pour tenter d’évaluer à plus long terme l’effet et les autres catégories de progestatifs utilisés sur le risque de cancer du sein. Les premières analyses des données à 20 ans vont dans le même sens que celles à 10 ans de suivi. Il est à noter qu’il s’agit d’une étude épidémiologique d’observation, dont les résultats doivent être idéalement confirmés par des essais randomisés, dont on sait qu’ils sont extrêmement difficiles à réaliser sur d’aussi longues périodes de suivi, compte tenu du délai de la carcinogenèse mammaire. Plus récemment, l’étude de cohorte E3N vient de publier des résultats concernant l’utilisation de macroprogestatifs dans la période 40-50 ans (18). Les auteurs ont sélectionné uniquement les femmes ayant utilisé un traitement progestatif entre la période 40-50 ans ou les patientes non utilisatrices. Un sous-groupe de 73 664 femmes sélectionnées a été suivi en moyenne 9 ans et a répondu très régulièrement à un autoquestionnaire concernant l’utilisation des différentes thérapeutiques hormonales et des pathologies associées. Au cours du Tableau III. Différences d’interprétation des deux études françaises analysant les thérapeutiques progestatives et le risque de cancer du sein. Méthodologie Puissance statistique Indication du traitement Données Niveau de base de cancer du sein IGR-Necker (16) Cohorte Faible Oui Médicale Élevé : mastopathie bénigne E3N (18) Cohorte Correcte Non Autorapportée Population générale suivi, 2 390 cas de cancer du sein sont apparus. Globalement, l’utilisation de progestatifs n’est pas associée dans cette étude au risque de cancer du sein (RR : 1,01 ; IC95 : 0,93-1,11). Cependant, plus la durée d’utilisation est longue, plus le risque de cancer du sein augmenterait pour atteindre un risque à 1,13 pour une durée d’utilisation supérieure à 4,5 ans (p = tendance 0,012). Par ailleurs, pour les femmes en cours d’utilisation au moment du diagnostic, le risque de cancer du sein est de 1,44 (IC95 : 1,03-2,00) pour celles ayant utilisé plus de 4,5 ans un traitement progestatif. Ces résultats sont donc en apparente contradiction avec ceux de l’étude de Necker. Cependant, la comparaison est probablement très difficile à effectuer pour différentes raisons (tableau III). La population étudiée n’est pas identique et les doses et la durée d’utilisation par cycle des progestatifs ne sont pas documentées. Le fait de ne pas connaître ces deux dernières informations ne permet pas d’évaluer de façon précise l’éventuelle action antigonadotrope de ces différents produits. Par ailleurs, l’indication de ces thérapeutiques progestatives n’est pas clairement précisée (information toutefois probablement difficile à obtenir par autoquestionnaire), ce qui pourrait en théorie entraîner un biais de sélection. Le choix de n’inclure que les femmes utilisatrices entre 40 et 50 ans, ignorant donc l’histoire antérieure, pourrait induire le même type de biais de sélection. Enfin, le niveau de risque de base des deux populations n’est pas identique, ce qui ne permet pas une comparaison directe des risques relatifs de ces deux études. Les hypothèses actuellement discutées pour comprendre ces différences reposent sur les susceptibilités individuelles au cancer du sein. Les voies de recherche à la fois sur la longueur des triplets CAG du récepteur des androgènes (19) ou la présence de certains polymorphismes PGR331A (20) sont probablement intéressantes dans ce contexte pour contribuer à expliquer les différences observées en fonction du type de progestatif utilisé. 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Percutaneous progesterone use and risk of breast cancer: results from a French cohort study of premenopausal women with benign breast disease. Cancer Detect Prev 1999;23:290-6. 18. Fabre A, Fournier A, Mesrine S et al. Oral progestagens before menopause and breast cancer risk. Br J Cancer 2007;96:841-4. 19. Rebbeck TR, Kantoff PW, Krithivas K et al. Modification of BRCA1-associated breast cancer risk by the polymorphic androgenreceptor CAG repeat. Am J hum Genet 1999;64:1371-7. 20. Rebbeck TR, Troxel AB, Norman S et al. Pharmacogenetic modulation of combined hormone replacement therapy by progesterone-metabolism genotypes in postmenopausal breast cancer risk. Am J Epidem 2007;166:1392-9. Progestatifs et cancer du sein Progestatifs et risque de cancer du sein après la ménopause L’impact des progestatifs sur le risque de cancer du sein peut aussi être évalué indirectement grâce aux résultats des études épidémiologiques analysant les traitements de ménopause. Les résultats à la fois des études épidémiologiques et des essais randomisés sont assez concordants. ➤➤ Les premiers grands résultats ont été publiés par le groupe d’Oxford en 1996, qui a effectué une métaanalyse sur données individuelles (21). Cinquante deux études ont ainsi été réunies, permettant d’estimer un risque global évalué sur plus de 52 000 femmes présentant un cancer du sein et plus de 100 000 femmes témoins. Celles utilisant un traitement hormonal depuis plus de 5 ans au moment du diagnostic de cancer du sein ou l’ayant arrêté depuis moins de 5 ans ont une augmentation de risque évaluée à environ 30 % par rapport aux femmes n’ayant jamais utilisé ce type de traitement. Plus la durée d’utilisation est longue plus le risque augmente (p = tendance ≤ 0,003). Cette métaanalyse ne montrait pas de différence significative entre les traitements combinés estroprogestatifs et les traitements estrogéniques seuls. Les résultats de la Women Health Initiative (WHI) ont ensuite apporté des informations extrêmement importantes. ➤➤ Deux essais thérapeutiques indépendants ont été menés dans le cadre de la WHI. Le premier (WHI-1) est un essai randomisé contre placebo évaluant un traitement comportant 0,625 mg d’estrogènes conjugués équins associés à 2,5 mg d’acétate de médroxyprogestérone (MPA) utilisé en continu (22). Le deuxième (WHI-2) analyse, chez des femmes hystérectomisées, 0,625 mg d’estrogènes conjugués équins (23). Les résultats montrent une augmentation significative du risque de cancer du sein (RR : 1,26 ; IC95 : 1,01-1,5) associée à l’utilisation du traitement combiné alors que le traitement estrogénique seul n’induit aucune augmentation significative de ce risque. L’interprétation doit être prudente en raison des différences existant entre ces deux essais. Les caractéristiques des femmes ne sont pas identiques dans les deux études et, en particulier, la proportion de femmes obèses était plus élevée dans l’essai WHI-2. Or, le traitement hormonal de la ménopause n’augmente pas ce risque chez les femmes obèses qui sont de base à plus fort risque que les femmes minces, sans doute par aromatisation exagérée. Cela pourrait expliquer l’absence apparente de surrisque avec les estrogènes seuls dans cet essai. En effet, les autres études épidémiologiques ont, pour la plupart, montré un effet délétère des estrogènes seuls pris de manière prolongée sur le risque de cancer du sein (21). 18 | La Lettre du Sénologue • n° 41 - juillet-août-septembre 2008 ➤➤ Une étude d’observation anglaise, la Million Women Study (MWS) [24] apporte des informations sur les différents types de progestatifs. Les auteurs rapportent une augmentation du risque de cancer du sein avec les estrogènes seuls (RR : 1,30 ; IC95 : 1,22-1,38) et les traitements combinés (RR : 2,00 ; IC95 : 1,91-2,09). Il n’existe pas dans cette étude de différence significative du risque en fonction des différents progestatifs combinés à l’estrogénothérapie. ➤➤ L’étude française E3N a permis d’évaluer l’impact des traitements de ménopause plus spécifiquement utilisés en France (25). Elle a suivi 80 377 femmes pour une durée moyenne de 8,1 ans, et 2 354 cancers du sein ont été diagnostiqués lors du suivi. Aucune augmentation n’a été observée avec un traitement associant estradiol et progestérone naturelle ou son dérivé proche, la dydrogestérone. En revanche, la prise d’estradiol associée à un progestatif de synthèse augmente le risque (RR : 1,69 ; IC95 : 1,50-1,91). Ces risques correspondent à des femmes n’ayant jamais changé de type de traitement. Les auteurs ont calculé un risque de cancer du sein (RR : 1,25 ; IC95 : 1,11-1,41) lié à l’utilisation de différents traitements (pour une même femme au cours de sa ménopause) correspondant à un suivi de 130 594 années-femmes et 538 cas de cancer du sein apparus lors du suivi. Ce type d’utilisation (avec changement) reflète probablement mieux la “vraie vie” du THS. Il ne s’agit pas d’une étude randomisée et des biais de sélection sont toujours possibles. Ainsi, les femmes supportant l’association estradiol + progestérone pendant plusieurs années ont peut-être un risque moindre de cancer du sein. Il n’existe pas d’arguments physiopathologiques bien clairs pour expliquer que la progestérone a un effet plus favorable que les progestatifs de synthèse sur le risque mammaire en dehors de propriétés différentes liées à leur structure. Il est certain que les progestatifs ne sont pas des ligands uniques du récepteur de la progestérone. Selon leur structure, ils se lient à d’autres récepteurs des hormones stéroïdes (estrogènes pour les norstéroïdes, androgènes pour les norstéroïdes et le MPA, glucocorticoïde pour la plupart mais tout particulièrement le MPA, minéralocorticoïde pour la progestérone). ➤➤ Citons enfin, l’étude épidémiologique récente allemande (26) qui apporte de nouvelles informations sur les différents types de progestatifs. Il s’agit d’une étude cas-témoins incluant 3 464 patientes atteintes d’un cancer du sein âgées de 50 à 74 ans au moment du diagnostic appariées à 6 657 femmes témoins. Le risque de cancer du sein chez les utili- DOSSIER THÉMATIQUE satrices en cours est du même niveau de risque que celui de la MWS (OR : 1,73 ; IC95 : 1,55-1,94) et plus important pour les carcinomes lobulaires que pour les carcinomes canalaires. Ce risque est plus important pour les traitements combinés estroprogestatifs que pour les traitements estrogéniques seuls (OR : 1,99 ; IC95 : 1,77-2,23) versus 1,15 (IC95 : 0,99-1,34). Le risque semble significativement plus important pour les utilisatrices de traitements continus (OR : 2,10 ; IC95 : 1,85-2,38) que pour les traitements cycliques (OR : 1,64 ; IC95 : 1,39-1,93 ; p = 0,01 [hétérogénéité entre ces deux risques]). Les analyses en fonction du type de progestatifs permettent de distinguer les progestatifs à plus haut risque (noresthistérone et lévonorgestrel) [OR : 2,27 ; IC95 : 1,98-2,62] de ceux dérivés de la progestérone semblant à plus faible risque (OR : 1,47 ; IC95 : 1,12-1,93). Par ailleurs, il semble qu’il existe une meilleure survie des cancers diagnostiqués sous traitements combinés. Une publication récente (27) des données d’une étude américaine prospective de suivi (10,3 ans en moyenne) de 12 269 femmes de plus de 50 ans atteintes de cancer du sein a montré que le pronostic des cancers diagnostiqués sous THS combiné était significativement meilleur (risque de décès : 0,73 ; IC95 : 0,59-0,91) que ceux diagnostiqués chez des femmes qui n’avaient pris aucun traitement ou ayant pris un traitement par estrogènes seuls. Discussion L’ensemble de ces études suggère qu’il existe un effet du traitement substitutif de ménopause sur le risque de cancer du sein, qui peut varier en fonction des traitements utilisés. L’augmentation du risque semble être liée à la durée du traitement puisque dans la WHI, aucune augmentation n’est observée en 5 ans chez les femmes qui n’avaient pas pris un traitement avant l’entrée dans l’essai. Seules les femmes ayant pris un traitement au moins 7 ans avaient un surrisque de cancer du sein. Cette augmentation du risque s’exercerait par un effet promoteur et disparaît en quelques années à l’arrêt du traitement. Les tumeurs diagnostiquées sous traitements seraient mieux différenciées et de meilleur pronostic soit car l’effet promoteur s’exerce sur tumeurs très hormonosensibles, soit par biais de dépistage, les femmes qui sont sous traitement étant mieux suivies. En effet, dans l’étude de Newcomb et al. (27), il est rapporté que les femmes sous THS ont significativement plus de mammographies que celles qui n’ont pas pris de traitements. Ce biais n’est en fait pas tout à fait éliminé dans la WHI malgré la randomisation, car il ne s’agis- sait pas vraiment d’une étude en double aveugle (les femmes traitées et les médecins les suivant pouvant savoir si elles recevaient un traitement hormonal). Cette observation amène aussi à considérer que l’arrêt des traitements par une majorité de femmes diminuerait potentiellement le recours aux consultations de surveillance annuelle et ferait ainsi perdre sans doute le bénéfice du suivi régulier. Enfin, ce qui est important pour la pratique clinique est d’essayer d’évaluer les facteurs de risques des femmes chez qui se pose l’indication d’un THS : femmes symptomatiques dont la qualité de vie est compromise par les signes fonctionnels climatériques. La forte densité mammaire, les mastodynies, les antécédents familiaux de cancer du sein, des antécédents de mastopathie bénigne, en particulier de maladie proliférante, doivent inciter à une plus grande prudence. Enfin, il est extrêmement important d’éduquer les femmes quant à leur poids, l’activité physique et l’ingestion d’alcool, qui constituent des facteurs modifiables de risque de cancer du sein, même sous THS. Conclusion L’estradiol et la progestérone sont synergiques et antagonistes au niveau du tissu mammaire. La progestérone ne peut agir que si le tissu mammaire a été préalablement soumis à l’action de l’estradiol, et la glande mammaire n’est véritablement différenciée qu’après intervention de la progestérone. Un équilibre entre ces deux hormones est nécessaire à l’eutrophie mammaire. Le rôle des progestatifs est probablement très différent lorsqu’ils sont utilisés seuls en préménopause ou lorsqu’ils sont combinés à un estrogène, notamment après la ménopause. Par ailleurs, les doses et le type de molécule des différents progestatifs paraissent fondamentaux à évaluer vis-à-vis du risque de cancer du sein. Peu d’études épidémiologiques ont analysé la grande variété des thérapeutiques progestatives utilisées en France. Aucune ne permet actuellement de faire la part des interactions éventuelles entre l’effet à long terme des progestatifs, pris en préménopause à titre contraceptif ou pour traiter des pathologies estrogénodépendantes de cette période de la vie de la femme, et les différentes thérapeutiques hormonales, utilisées en début de vie génitale (contraception orale estroprogestative) ou après la ménopause (traitement hormonal de ménopause). La recherche à la fois dans le domaine fondamental et épidémiologique doit donc se poursuivre afin d’améliorer nos connaissances et d’optimiser les indications de ces différentes thérapeutiques. ■ Références bibliographiques 21. Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. Breast Cancer and hormone replacement therapy: collaborative reanalysis of data from 51 epidemiological studies of 52 705 women with breast cancer and 108 411 women without breast cancer. Lancet 1997;350:1047-59. 22. Chlebowski R, Hendrix S, Langer R et al. Influence of estrogen plus progestin on breast cancer and mammography in healthy postmenopausal women. The Women’s Health Initiative randomized trial. JAMA 2003; 289:3243-53. 23. Anderson GL, Limacher M, Assaf AR et al. Effects of conjugated equine estrogen in post menopausal women with hysterectomy: the Women’s Health Initiative randomised controlled trial. JAMA 2004;291:1701-12. 24. Million Women Study Collaborators. Breast cancer and hormone-replacement therapy in the Million Women Study. Lancet 2003;362:419-27. 25. Fournier A , Berrino F, ClavelChapelon F. Unequal risks for breast cancer associated with different hormone replacement therapies: results from the E3N cohort study. Breast Cancer Res Treat. 2008;107:103-11. 26. Flesch-Janys D, Slanger T, Mutschelknauss E et al. Risk of different histological types of postmenopausal breast cancer by type and regimen of menopausal hormone therapy. Int J Cancer 2008;123:933-41. 27. Newcomb PA, Egan KM, Trentham-Dietz A et al. Prediagnostic use of hormone therapy and mortality after breast cancer. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2008;17:864-71. La Lettre du Sénologue • n° 41 - juillet-août-septembre 2008 | 19