18 | La Lettre du Sénologue • n° 41 - juillet-août-septembre 2008
Progestatifs et cancer du sein
DOSSIER THÉMATIQUE
Progestatifs et risque de cancer
du sein après la ménopause
L’impact des progestatifs sur le risque de cancer du
sein peut aussi être évalué indirectement grâce aux
résultats des études épidémiologiques analysant les
traitements de ménopause. Les résultats à la fois des
études épidémiologiques et des essais randomisés
sont assez concordants.
Les premiers grands résultats ont été publiés par ➤
le groupe d’Oxford en 1996, qui a effectué une méta-
analyse sur données individuelles (21). Cinquante deux
études ont ainsi été réunies, permettant d’estimer un
risque global évalué sur plus de 52 000 femmes présen-
tant un cancer du sein et plus de 100 000 femmes
témoins. Celles utilisant un traitement hormonal
depuis plus de 5 ans au moment du diagnostic de
cancer du sein ou l’ayant arrêté depuis moins de 5
ans ont une augmentation de risque évaluée à environ
30 % par rapport aux femmes n’ayant jamais utilisé
ce type de traitement. Plus la durée d’utilisation est
longue plus le risque augmente (p = tendance ≤ 0,003).
Cette métaanalyse ne montrait pas de différence
significative entre les traitements combinés estro-
progestatifs et les traitements estrogéniques seuls.
Les résultats de la Women Health Initiative (WHI)
ont ensuite apporté des informations extrêmement
importantes.
Deux essais thérapeutiques indépendants ont été
➤
menés dans le cadre de la WHI. Le premier (WHI-1) est
un essai randomisé contre placebo évaluant un traitement
comportant 0,625 mg d’estrogènes conjugués équins
associés à 2,5 mg d’acétate de médroxyprogestérone
(MPA) utilisé en continu (22). Le deuxième (WHI-2)
analyse, chez des femmes hystérectomisées, 0,625 mg
d’estrogènes conjugués équins (23). Les résultats montrent
une augmentation significative du risque de cancer du sein
(RR : 1,26 ; IC95 : 1,01-1,5) associée à l’utilisation du traite-
ment combiné alors que le traitement estrogénique seul
n’induit aucune augmentation significative de ce risque.
L’interprétation doit être prudente en raison des diffé-
rences existant entre ces deux essais. Les caractéristiques
des femmes ne sont pas identiques dans les deux études
et, en particulier, la proportion de femmes obèses était plus
élevée dans l’essai WHI-2. Or, le traitement hormonal de
la ménopause n’augmente pas ce risque chez les femmes
obèses qui sont de base à plus fort risque que les femmes
minces, sans doute par aromatisation exagérée. Cela pour-
rait expliquer l’absence apparente de surrisque avec les
estrogènes seuls dans cet essai. En effet, les autres études
épidémiologiques ont, pour la plupart, montré un effet
délétère des estrogènes seuls pris de manière prolongée
sur le risque de cancer du sein (21).
Une étude d’observation anglaise, la Million
➤
Women Study (MWS) [24] apporte des informations
sur les différents types de progestatifs. Les auteurs
rapportent une augmentation du risque de cancer
du sein avec les estrogènes seuls (RR : 1,30 ; IC
95
:
1,22-1,38) et les traitements combinés (RR : 2,00 ;
IC95 : 1,91-2,09). Il n’existe pas dans cette étude de
différence significative du risque en fonction des
différents progestatifs combinés à l’estrogénothé-
rapie.
L’étude française E3N a permis d’évaluer l’im-
➤
pact des traitements de ménopause plus spécifi-
quement utilisés en France (25). Elle a suivi 80 377
femmes pour une durée moyenne de 8,1 ans, et
2 354 cancers du sein ont été diagnostiqués lors du
suivi. Aucune augmentation n’a été observée avec
un traitement associant estradiol et progestérone
naturelle ou son dérivé proche, la dydrogestérone. En
revanche, la prise d’estradiol associée à un proges-
tatif de synthèse augmente le risque (RR : 1,69 ;
IC95 : 1,50-1,91). Ces risques correspondent à des
femmes n’ayant jamais changé de type de traite-
ment. Les auteurs ont calculé un risque de cancer
du sein (RR : 1,25 ; IC95 : 1,11-1,41) lié à l’utilisation
de différents traitements (pour une même femme
au cours de sa ménopause) correspondant à un suivi
de 130 594 années-femmes et 538 cas de cancer du
sein apparus lors du suivi. Ce type d’utilisation (avec
changement) reflète probablement mieux la “vraie
vie” du THS. Il ne s’agit pas d’une étude randomisée
et des biais de sélection sont toujours possibles.
Ainsi, les femmes supportant l’association estradiol +
progestérone pendant plusieurs années ont peut-être
un risque moindre de cancer du sein.
Il n’existe pas d’arguments physiopathologiques
bien clairs pour expliquer que la progestérone a un
effet plus favorable que les progestatifs de synthèse
sur le risque mammaire en dehors de propriétés
différentes liées à leur structure. Il est certain que
les progestatifs ne sont pas des ligands uniques du
récepteur de la progestérone. Selon leur structure, ils
se lient à d’autres récepteurs des hormones stéroïdes
(estrogènes pour les norstéroïdes, androgènes pour
les norstéroïdes et le MPA, glucocorticoïde pour la
plupart mais tout particulièrement le MPA, miné-
ralocorticoïde pour la progestérone).
Citons enfin, l’étude épidémiologique récente
➤
allemande (26) qui apporte de nouvelles informa-
tions sur les différents types de progestatifs. Il s’agit
d’une étude cas-témoins incluant 3 464 patientes
atteintes d’un cancer du sein âgées de 50 à 74 ans
au moment du diagnostic appariées à 6 657 femmes
témoins. Le risque de cancer du sein chez les utili-
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