C A S C L I N I Q U E Cardiomyopathie du péri-partum ● M. Arnoult, P. Gibelin* a cardiomyopathie du péri-partum est une maladie rare, mais grave, qui peut survenir pendant le dernier mois de la grossesse ou les cinq mois suivant l’accouchement. C’est une pathologie souvent sous-diagnostiquée en raison de son incidence faible (1/3 000 à 4 000 naissances) et de ses symptômes peu spécifiques. Elle est similaire aux cardiomyopathies dilatées en termes de symptômes et de traitement. L DYSPNÉE DU POST-PARTUM CHEZ UNE FEMME NOIRE DE 22 ANS Sur le plan biologique, on ne note ni trouble ionique (natrémie à 138, kaliémie à 4,1) ni insuffisance rénale, et le taux de BNP est retrouvé à 680 pg/ml. L’électrocardiogramme réalisé identifie une hypertrophie ventriculaire gauche électrique avec trouble de la repolarisation secondaire (figure 2). L’échographie cardiaque retrouve une cardiomyopathie dilatée hypokinétique avec une altération sévère de la fonction ventriculaire gauche. Le diamètre télédiastolique du ventricule gauche est mesuré à 61 mm, le diamètre télésystolique du ventricule gauche à 54 mm. On retrouve une fraction de raccourcissement à 10 % et une insuffisance mitrale de grade II vraisemblablement fonctionnelle (figure 3). Cette patiente, qui ne présente aucun antécédent cardiovasculaire, a une première grossesse en 1998 qui se déroule sans complication. Deux ans plus tard, elle présente une grossesse gémellaire marquée par une hypertension artérielle non traitée au troisième trimestre de la grossesse. L’accouchement provoqué en novembre 2000 est non compliqué et elle donne naissance à deux garçons de 2,7 kg et 2,8 kg. Elle présente dans le mois qui suit l’accouchement une toux avec une dyspnée de stade III associée à une orthopnée. Devant cette symptomatologie invalidante, elle consulte en janvier 2001. L’auscultation cardiaque retrouve un souffle systolique d’insuffisance mitrale 3/6 associé à un galop gauche protodiastolique. La réalisation d’une radiographie du thorax fait découvrir une cardiomégalie (figure 1). Figure 2. ECG 12 dérivations. Arythmie sinusale. Hypertrophie ventriculaire gauche électrique avec trouble de la repolarisation secondaire. Indice de Sokolov ≥ 35 mm. Ondes T négatives de V3 à V6. Figure 1. Radiographie du thorax de face. * CHU de Nice. La Lettre du Cardiologue - n° 380 - décembre 2004 Le diagnostic de cardiomyopathie du péri-partum est évoqué dans ce contexte bien que l’on ne connaisse pas l’état antérieur de son cœur avant la grossesse. L’altération de la fonction ventricule gauche est confirmée par ventriculographie isotopique avec une FEVG évaluée à 20 %. La patiente a bénéficié d’un traitement par diurétique de l’anse (furosémide 40 mg, 1 comprimé matin et soir) associé à un traitement par IEC (lisinopril 10 mg/j) ainsi qu’à un traitement par antiagrégant plaquettaire par aspirine à raison de 160 mg/j. D’autre part, elle suit un régime hyposodé à raison de 4 g de NaCL par jour. Afin d’évaluer la tolérance à l’effort et d’établir un pronostic, il a été réalisé un test de marche de 6 minutes qui a relevé une distance parcourue de 420 m. Cet examen a été complété par une ergométrie VO2 retrouvant un pic de VO2 à 22 ml/kg/mn la déterminant en classe A de Weber, soit une gêne fonctionnelle modeste et un rapport VE/VCO2 à 36. L’enregistrement Holter sur 24 heures a 29 C A S C L I N I Q U E indiqué quelques extrasystoles ventriculaires et l’étude de la variabilité un SDNN (écart type des RR normaux des 24 heures) à 80 ms (normale supérieure à 100 ms). La réadaptation à l’effort dont elle a bénéficié dans les mois suivants a permis une amélioration clinique, une augmentation du SDNN ainsi que de la VO2 de près de 20 %. L’augmentation de la fraction d’éjection a été quant à elle modeste. Après un suivi de près de deux ans, elle a présenté quatre épisodes de décompensation avec tableau œdème aigu du poumon. Elle est actuellement stable sous traitement médical avec une dyspnée de stade II de la NYHA. Cependant, elle présente une hypotension artérielle (85/55 mmHg) bien tolérée sans aucun malaise noté, mais qui rend difficile l’introduction d’un traitement par bêtabloquant. Une baisse du traitement par IEC peut être envisageable pour favoriser l’introduction du traitement par bêtabloquant. D’autre part, une contraception parfaite doit être mise en œuvre (pouvant même faire envisager une ligature des trompes) dans la mesure où elle a déjà eu trois enfants et que toute grossesse ultérieure est fortement déconseillée, sauf si elle bénéficie d’une transplantation cardiaque. En effet, cette patiente présente une cardiomyopathie du péri-partum qui semble définitive après un suivi de 2 ans, et elle devra bénéficier d’une greffe cardiaque dans un avenir plus ou moins proche. Il est possible de mal interpréter le tableau clinique initial et d’évoquer une embolie pulmonaire, mais le diagnostic est facilement corrigé par l’échographie transthoracique. L’autre diagnostic différentiel est la cardiomyopathie secondaire aux bêta 2 mimétiques mis en place pour une menace d’accouchement prématuré. Les principaux facteurs de risque identifiés pour cette pathologie sont d’abord un âge maternel supérieur à 30 ans, puis une multiparité, la race noire (principalement l’origine ethnique africaine), et enfin une grossesse gémellaire. UNE PHYSIOPATHOLOGIE ENCORE MAL CONNUE Plusieurs hypothèses ont été évoquées, à savoir une mauvaise adaptation aux modifications hémodynamiques de la grossesse liée à une augmentation du débit cardiaque, à une augmentation du volume plasmatique et à une altération des résistances vasculaires périphériques. L’autre hypothèse développée est une réponse auto-immune anormale à la grossesse avec l’expression d’autoanticorps cardiaques spécifiques. D’autres études suggèrent enfin l’implication de lésions de myocardite d’origine virale. QUELLES STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES ? Figure 3. Coupe apicale 2D 4 cavités. Dilatation du ventricule gauche. Contraste spontané intraventricule gauche. Cette observation permet de faire une mise au point concernant cette pathologie. QUATRE CRITÈRES DIAGNOSTIQUES Ils doivent être réunis selon Pearson (1) pour parler de cardiomyopathie du péri-partum : ✓ le développement d’une insuffisance cardiaque entre le mois précédant l’accouchement et les cinq mois du post-partum ; ✓ l’absence d’autre étiologie à l’insuffisance cardiaque retrouvée ; ✓ l’absence de cardiopathie avant le dernier mois de la grossesse ; ✓ l’altération de la fonction systolique ventriculaire gauche confirmée échographiquement, la FEVG devant être inférieure à 45 %. 30 Le traitement de la cardiomyopathie du péri-partum correspond au traitement classique de l’insuffisance cardiaque chronique. Il convient de souligner l’importance de l’éducation de la patiente pour l’observance tant du régime hyposodé que de la prise du traitement au long cours. Si la cardiomyopathie est diagnostiquée pendant la grossesse, l’arsenal thérapeutique utilisé comprend les diurétiques, les digitaliques et les vasodilatateurs avec les dérivés nitrés. Dans les formes sévères, il est parfois nécessaire d’avoir recours au traitement inotrope par voie intraveineuse. Compte tenu du risque de manifestations thromboemboliques, il est recommandé d’instaurer un traitement par anticoagulant. Au cours de la grossesse, le traitement par inhibiteur de l’enzyme de conversion est contre-indiqué (effet délétère sur la fonction rénale du fœtus). En cas de césarienne, des précautions doivent être prises avec un monitorage des pressions lors de la réalisation de l’anesthésie générale. Un traitement par immunoglobuline intraveineuse a été proposé chez des patientes en classes II à IV de la NYHA ayant une fraction d’éjection inférieure à 40 %, avec une amélioration rapide et significative de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (2). Ces données demandent à être confirmées par des études supplémentaires. UN PRONOSTIC QUI RESTE GRAVE L’évolution clinique des cardiomyopathies du péri-partum est variable, marquée par 15 à 50 % d’évolution défavorable menant à l’insuffisance cardiaque chronique ou à la mort précoce, et par 25 à 50 % de régression complète. En cas d’absence de récupération après un délai de six mois à un an, les séquelles sont le plus souvent irréversibles. La Lettre du Cardiologue - n° 380 - décembre 2004 C Les facteurs prédictifs d’une aggravation clinique qui ont été identifiés sont l’apparition tardive des symptômes après l’accouchement, la présence de trouble de la conduction à l’ECG ou encore une dilatation sévère du ventricule gauche. C L I N I Q U E y ait ou non récupération d’une fonction ventriculaire gauche normale. La cardiomyopathie du péri-partum est donc une pathologie qui requiert une prise en charge pluridisciplinaire impliquant à la fois les cardiologues et les obstétriciens. Elle nécessite un suivi régulier avec une bonne éducation des patientes associé à une prise en charge sociale adaptée. De nos jours, les avancées médicales dans le domaine des cardiomyopathies dilatées et de la transplantation cardiaque ont permis d’améliorer la qualité de vie et la survie de ces patientes. ■ ET EN CAS DE NOUVELLE GROSSESSE ? Les patientes porteuses d’une cardiomyopathie du péri-partum nécessitent des conseils concernant les risques liés à la survenue d’une grossesse ultérieure. Il faut souligner l’importance de la mise en place d’une contraception efficace. En effet, les patientes sans régression de leur cardiomyopathie ont un risque significatif de mortalité accru ou d’exacerbation de la maladie (3). Il faut donc contre-indiquer la grossesse chez une patiente atteinte d’une cardiomyopathie dilatée du péri-partum très symptomatique (classe III et/ou avec une altération sévère de la fonction systolique ventriculaire gauche FE < 40 %). Concernant les patientes ayant récupéré une fonction cardiaque normale, un risque de rechute est tout de même possible ; celles-ci doivent dès lors en être informées et une surveillance médicale attentive est préconisée. Enfin, il existe un risque d’accouchement prématuré qu’il ✂ A S Bibliographie 1. Pearson GD, Veille JC, Rahimtoola S et al. Peripartum cardiomyopathy: National Heart, Lung, and Blood Institute and Office of Rare diseases (National Institute of Health) workshop recommendations and review. JAMA 2000;283: 1183-8. 2. Bozkurt B, Villaneuva FS, Holubkov R et al. Intravenous immune globulin in the therapy of peripartum cardiomyopathy. J Am Coll Cardiol 1999;34:177-80. 3. Elkayam U, Tummala PP, Rao K et al. Maternal and fetal outcomes of subsequent pregnancies in women with peripartum cardiomyopathy. N Engl J Med 2001;344:1567-71. À découper ou à photocopier O UI, JE M’ABONNE AU MENSUEL Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. La Lettre ❐ ❐ ❐ à l’attention de .............................................................................. M., Mme, Mlle ................................................................................ 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