Les séquelles fonctionnelles de la chirurgie pelvienne Séquelles digestives des rectopexies ! L. Siproudhis* L * Clinique des maladies de l’appareil digestif, hôpital Pontchaillou, 35033 Rennes Cedex. e-mail : [email protected] a rectopexie est une fixation du rectum aux structures fixes du pelvis postérieur (structures aponévrotiques du promontoire et de la concavité sacrée) (1, 2). Ce geste est le plus souvent effectué par voie abdominale à l’occasion d’une laparotomie médiane sousombilicale, d’une incision de Pfannenstiel ou lors d’un abord cœlioscopique. La fixation nécessite un matériel prothétique le plus souvent disposé autour du rectum (intervention de Ripstein), sous forme de bandelettes en tension relative de part et d’autre du rectum (intervention de Orr-Loygue, méthode la plus fréquemment effectuée en France) (3), ou par l’interposition de tissu synthétique dans la concavité sacrée (Ivalon®, Marlex®) (4-6). La durée de l’intervention varie de 45 à 198 mn, la durée d’hospitalisation de 4 à 20 jours. Afin de diminuer le risque de complications, notamment septiques, induites par l’interposition de matériel prothétique, une suture simple du rectum dans la concavité sacrée permet d’obtenir un résultat fonctionnel et anatomique comparable dans une étude contrôlée ayant un recul de 4 ans (7). L’abord laparoscopique est possible et particulièrement intéressant dans cette chirurgie fonctionnelle (8). Dans une étude non contrôlée, la durée d’hospitalisation après chirurgie cœlioscopique est diminuée de 40 % par rapport à l’approche laparotomique, la consommation d’antalgiques et les complications (notamment iléus) de moitié (9). Les gestes de rectopexie permettent donc de corriger durablement le prolapsus rectal avec une proportion de récidives de prolapsus complet inférieure à 10 %. La mortalité est quasi nulle, notamment dans les études récentes, et la morbidité relève principalement d’un iléus postopératoire prolongé (3 à 13 %) et de complications infectieuses (3 à 16 %) (10). L’efficacité fonctionnelle est nette en termes d’incontinence : l’amélioration ou la disparition de l’incontinence concerne plus de 2 patients sur 3. Il est important de noter que l’incontinence disparaît complètement dans 30 à 88 % des cas. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2-3, vol. II - septembre 2002 Parallèlement, la correction des anomalies manométriques du canal anal est le plus souvent absente ou incomplète : dans une étude non contrôlée, elle apparaît un peu supérieure après un geste de rectopexie par suture simple quand elle est comparée aux rectopexies par interposition prothétique (11). Le geste de rectopexie s’accompagne habituellement d’une amélioration des paramètres de compliance rectale (1214), élément physiologique qui doit contribuer à la qualité de la continence postopératoire. SÉQUELLES FONCTIONNELLES : CONSTIPATION ET DYSCHÉSIE L’insatisfaction globale du patient varie de 15 à 66 % et concerne le plus habituellement 1 patient sur 3. Elle est le plus souvent liée à la survenue de troubles de l’évacuation (10). Le traitement chirurgical isolé du prolapsus rectal peut induire ou aggraver une constipation préexistante (1). La prévalence de la constipation postopératoire et l’incidence d’une constipation de novo postopératoire surviennent respectivement dans 31 à 88 % et 17 à 43 % des cas (10). Ces symptômes peuvent être liés à deux types d’anomalies fonctionnelles : soit un trouble de l’évacuation rectale, soit un trouble de la motricité colique. Les manifestations dyschésiques persistent, notamment après rectopexie postérieure et interposition de matériel prothétique (11, 1517). Les manifestations douloureuses abdominales basses ou pelviennes persistent dans 17 à 100 % des cas, le plus souvent chez plus d’1 patient sur 2. Certains auteurs suggèrent en effet que la qualité de l’évacuation rectale postopératoire jugée par des tests objectifs (expulsion barytée) est insuffisante dans plus de la moitié des cas (16, 18) : elle est caractérisée par un allongement de la durée de l’évacuation rectale (18) et par une rétention plus marquée du produit de contraste (19) par rapport aux données préopératoires. 25 d o s s i e r Ce trouble de l’évacuation pourrait être lié à des lésions iatrogènes de l’innervation rectale induit par le geste chirurgical (18) et expliquer également l’incidence accrue des anomalies neurophysiologiques associées (électrosensibilité du canal anal et du rectum, sensibilité subjective rectale à la distension) (11, 18, 20). La section des ailerons latéraux du rectum au cours de la dissection par voie abdominale pourrait être responsable de cette hypokinésie rectale et des troubles fonctionnels qui y sont associés (20). Il existe avant cure chirurgicale d’un prolapsus une mauvaise adaptation rectale à la distension (21). Cette anomalie est aggravée après section des ailerons latérorectaux (22). Ces anomalies sont néanmoins très inconstantes chez les patients ayant une constipation après rectopexie (23, 24) et il n’est pas certain que les troubles de l’adaptation rectale expliquent les symptômes de constipation postopératoire (22). Lors de la dissection ou lors de l’interposition de matériel prothétique, les lésions du parasympathique sacré sont également responsables des troubles moteurs observés, non pas au niveau du rectum, mais en amont du montage chirurgical. Cette hypothèse explique pourquoi on observe un allongement du temps de transit colique après rectopexie : l’allongement du temps de transit segmentaire rectosigmoïdien est doublé par rapport aux données préopératoires. Ces anomalies ne sont pas influencées par la section des ailerons latérosacrés (22). Des troubles de la motricité sigmoïdienne avec une inversion de gradient aboral pourraient être responsables de l’allongement du temps de transit colique observé et des symptômes de constipation de novo (23, 24). STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE : COLECTOMIE SEGMENTAIRE PROPHYLACTIQUE ? La gravité de la constipation impose parfois le recours à une colectomie segmentaire ou totale secondaire (25). La prévalence de la constipation et l’apparition d’une constipation de novo semblent plus élevées après rectopexie postérieure qu’après intervention de Ripstein (81 versus 40 %, 38 versus 0 % respectivement). La réalisation d’une colectomie segmentaire associée réduit l’incidence des symptômes de constipation postopératoire. Deux études 26 ouvertes (26, 27) et deux études contrôlées (19, 28) suggèrent : I) l’amélioration des symptômes de constipation dans 50 à 80 % des cas après sigmoïdectomie associée ; II) une prévalence de la constipation postopératoire dans 8 à 22 % des cas en cas de sigmoïdectomie contre 19 à 88 % quand un geste de rectopexie simple est effectué ; III) l’absence de constipation postopératoire de novo contre dans 29 à 31 % des cas lorsque le geste de sigmoïdectomie n’est pas effectué. CONCLUSION Les symptômes de constipation constituent les séquelles digestives les plus préoccupantes des rectopexies. Ils sont probablement en rapport avec des anomalies de la motricité rectosigmoïdienne favorisées par la mobilisation du rectum et par les lésions neurologiques induites. La réalisation d’une résection colique associée diminue l’incidence de ces symptômes. Des études plus convaincantes sur le plan méthodologique sont nécessaires pour conforter cette attitude thérapeutique. 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