I M A G E R I E Une diarrhée glairosanglante chez un patient constipé : évoquez l’ulcère rectal traumatique ! ● H. Hudziak* ien que l’administration d’un traitement par lavement soit fréquente, et jugée souvent anodine, elle peut être à l’origine de lésions anorectales du fait d’un mécanisme de toxicité directe des molécules ou d’un traumatisme de la muqueuse (1). Ces lésions, dont la fréquence est volontiers sousestimée, ont certaines caractéristiques endoscopiques qui doivent être connues afin de rechercher par l’anamnèse la notion d’une administration de lavements et/ou de suppositoires qui n’est pas toujours reconnue ou avouée par le patient. B Nous rapportons un cas d’ulcération rectale de nature traumatique après réalisation itérative de lavements évacuateurs (Normacol®). Il s’agissait d’une patiente âgée de 97 ans, atteinte d’une démence d’Alzheimer évoluée, vivant en institution, et qui nous avait été adressée pour la réalisation d’une rectosigmoïdoscopie devant la survenue récente d’une diarrhée glairo-sanglante. L’exploration endoscopique avait permis d’objectiver, à la partie antérieure et moyenne du rectum, un vaste ulcère en carte de géographie, se prolongeant de manière linéaire vers la charnière rectosigmoïdienne et entouré par une réaction inflammatoire avec des suffusions hémorragiques sous-muqueuses (photos). L’examen histologique retrouvait une rectite aiguë ulcérée avec des suffusions hémorragiques du chorion et sans anomalie de la musculaire muqueuse. Les deux principaux diagnostics évoqués au décours de la rectosigmoïdoscopie ont été l’ulcère de nature traumatique et le syndrome de l’ulcère solitaire du rectum (SUSR), en raison de la localisation antérieure de la lésion. Les étiologies néoplasiques, ischémiques, radiques, infectieuses, vénériennes ou inflammatoires ont été facilement infirmées dans un premier temps par l’anamnèse et les caractéristiques endoscopiques des lésions et, dans un deuxième temps, par l’examen anatomopathologique. L’aspect endoscopique du SUSR est très polymorphe : il peut s’agir d’une véritable lésion ulcéreuse rectale antérieure, habituellement de forme ronde ou ovalaire avec des bords nets et discrètement * Service d’hépato-gastroentérologie, CHU Nancy-Brabois, Vandœuvre-lès-Nancy. Photos. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 6 - vol. VIII - novembre-décembre 2005 293 I M A G E R I E surélevés, d’un simple aspect érythémateux et congestif de la muqueuse rectale, d’une formation sous-muqueuse obstruant partiellement la lumière rectale et mimant un adénocarcinome rectal (colite kystique profonde), ou d’un simple polype (hamartome polypoïde inversé) (2). Le SUSR est fréquemment associé à des troubles de la statique rectale (prolapsus rectal muqueux ou total), avec une dyschésie liée, en particulier, à une contraction paradoxale du muscle puborectal à la défécation (anisme) (3). L’examen histologique permet de confirmer le diagnostic en objectivant des signes caractéristiques, mais il est nécessaire d’attirer l’attention de l’anatomopathologiste sur ce diagnostic, à la recherche d’une hyperplasie de la muqueuse avec distorsion des glandes, d’une prolifération fibromusculaire du chorion avec des fibres musculaires lisses perpendiculaires à la muscularis mucosae et d’un épaississement de la musculaire muqueuse. Enfin, une entité pathologique récemment décrite aurait également pu être évoquée : le syndrome de l’ulcère rectal hémorragique aigu (4). Il s’agit de patients âgés, hospitalisés pour une pathologie évolutive sévère et qui présentent, après une moyenne de 9 jours d’hospitalisation, des rectorragies massives. L’exploration endoscopique, si possible, avec une rétrovision dans l’ampoule rectale, permet d’objectiver une ou plusieurs ulcérations confluentes et circonférentielles du bas rectum, siégeant à une distance moyenne de 4 cm de la ligne pectinée. La physiopathogénie de ce syndrome n’est pas bien déterminée, mais l’examen histologique objective des lésions identiques à celles observées au niveau des muqueuses digestives dans les défaillances circulatoires, avec, en particulier, des thrombus des vaisseaux de la muqueuse. L’hypothèse d’une vasoconstriction des vaisseaux intramuqueux par une sécrétion de catécholamines, secondaire à l’état de stress, est ainsi émise. Dans notre observation, le diagnostic de SUSR a été infirmé par l’examen histologique, et l’origine traumatique de l’ulcération a été confortée par l’analyse du dossier infirmier dans lequel il était fait mention de lavements évacuateurs itératifs par Normacol®. La localisation antérieure de l’ulcère et sa forme linéaire reproduisant le frottement de la canule et/ou l’injection sous-muqueuse du lavement (substance hypertonique), responsable d’une nécrose avec ulcération de la paroi rectale, évoquent une origine traumatique. Le muscle puborectal qui vient cravater en arrière la jonction du canal anal et de l’ampoule rectale est à l’origine d’un angle anorectal de 90° ouvert en arrière. Cette particularité anatomique explique la localisation habituellement antérieure des lésions traumatiques du rectum : l’extrémité distale de tout objet pénétrant vient ainsi buter directement sur la face antérieure du rectum. L’intensité et l’étendue de la réaction inflammatoire satellite de l’ulcère et associée à des suffusions hémorragiques sous-muqueuses évoquent aussi une origine traumatique. En conclusion, une origine traumatique doit être facilement évoquée devant un ulcère rectal à localisation antérieure et confirmée par l’anamnèse, même si l’administration douloureuse d’un lavement n’est pas toujours retrouvée ni verbalisée chez certains patients grabataires, aphasiques et/ou déments, ce qui était le cas dans notre observation. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. De Parades V, Sultan S, Bauer P. Complications ano-rectales et coliques des suppositoires et des lavements. Gastroenterol Clin Biol 1996;20:446-52. 2. Conroy S. A case of misdiagnosis: solitary rectal ulcer misdiagnosed as a carcinoma at barium enema. Radiography 2004;10:303-9. 3. Morio O, Meurette G, Desfourneaux V et al. Ano-rectal physiology in solitary ulcer syndrome: a case-matched series. Dis Colon Rectum 2005;48:1917-22. 4. Tseng CA, Chen LT, Tsai KB et al. Acute hemorrhagic rectal ulcer syndrome: a new clinical entity? Report of 19 cases and review of the literature. Dis Colon Rectum 2004;47:895-905. EDIMARK S.A.S. © février 1998 Imprimé en France - EDIPS 21800 Quetigny - Dépôt légal : à parution. Les articles publiés dans La Lettre de l’hépato-gastroentérologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. 294 La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 6 - vol. VIII - novembre-décembre 2005