CP Décembre 23/01/02 14:45 Page 135 D i s s e n s u s Pour l’association d’une sigmoïdectomie à la rectopexie dans le traitement chirurgical du prolapsus rectal P.A. Lehur, C. Tison* P R D ans la prise en charge OU chirurgicale du prolapsus rectal (PR), la correction anatomique a longtemps été l’unique préoccupation des thérapeutes, et l’absence de récidive leur seul critère de jugement postopératoire. C’est au début des années 1990 que l’intérêt s’est porté sur les conséquences fonctionnelles des interventions pour PR, et notamment sur l’apparition ou l’aggravation d’une constipation au décours de la chirurgie, comme en attestent les nombreuses publications consacrées au sujet. Les unes rapportent les résultats fonctionnels obtenus après différentes modalités opératoires de rectopexie associant ou non une résection colique ; les autres s’interrogent sur les causes et mécanismes physiopathologiques à l’origine des troubles de la motricité colique et rectale observés après cure de PR. Bien avant, pourtant, dans le courant des années 1970, Frykmann et Goldberg avaient proposé une intervention à laquelle leurs noms ont été associés (1). Elle comporte une rectopexie au fil dans la concavité sacrée et une résection-anastomose de l’anse sigmoïde (R + S pour rectopexie-sigmoïdectomie). Cette attitude, suivie par un certain nombre dont nous sommes, reste encore discutée (2). Associer une sigmoïdectomie à la rectopexie n’a évidemment aucun effet sur la correction anatomique du PR, ni sur son maintien dans le temps. Son objectif est essentiellement “fonctionnel”. L’amélioration du résultat fonctionnel après R + S passe par une limitation du * Clinique chirurgicale II. Pôle digestif du CHU, Nantes. risque de constipation postopératoire dont on connaît la gravité potentielle, bien évaluée dans l’étude récente d’Aitola et al. (3). Ce travail, portant sur plus de 100 patients suivis 85 mois en moyenne, analyse, entre autres, les conséquences de la rectopexie seule sur la constipation, la prise de laxatifs et les difficultés d’exonération avec les résultats suivants en pré- et en postopératoire respectivement : 32 versus 56 % [p < 0,02], 14 versus 35 % [p < 0,0001], 52 versus 45 % [p = 0,19]. Des arguments anatomiques ont été initialement invoqués pour soutenir la R + S : suppression d’une anse sigmoïde excessivement longue se prolabant dans un cul-de-sac de Douglas trop profond, disparition de l’angulation entre le rectum suspendu au promontoire et le côlon sigmoïde mobile. Des données physiopathologiques plus convaincantes produites par différentes équipes ont pris ensuite le relais. Ces études font état de l’existence de troubles significatifs de la motricité du sigmoïde chez les patients souffrant de PR (tableau I) (4). La mobilisation et la fixation chirurgicale du rectum contribuent à aggraver ces troubles de la motricité, notamment l’activité motrice coordonnée entre côlon sigmoïde et rectum, troubles également observés après hystérectomie. En termes d’évidence, aucune étude définitive n’a été produite en faveur de la R + S, mais les petites séries publiées, parfois randomisées, se sont toujours montrées en faveur de la sigmoïdectomie (tableau II) (4-11). Madoff et al. ont cependant jeté le trouble en indiquant qu’il existait un risque d’incontinence ou de diarrhée à long terme chez les patients traités par R + S (7). Cette conclusion se fondait cependant sur un travail de méthodologie discutable. Et il faut bien reconnaître qu’à l’heure Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 4 - décembre 2001 135 actuelle, aucune preuve scientifiquement solide ne conforte ni ne réfute la R + S dans le traitement du prolapsus rectal extériorisé. C’est pourquoi un essai multicentrique européen de grande ampleur se met en place sous l’égide de l’Association of Coloproctology of Great Britain and Ireland (ACPGBI) et l’European Association of Coloproctolgy (EACP). Initié par M. Keighley (Birmingham, Royaume-Uni), cet essai, nommé PROSPER, a pour objectifs, d’une part, la comparaison de façon pragmatique (avec randomisation des seuls patients pour lesquels le chirurgien n’a pas d’orientation thérapeutique spécifique, mais avec recueil de l’ensemble des prises en charge randomisées Tableau I. Troubles de la motricité sigmoïdienne dans le prolapsus du rectum (4). Patients Contrôles À jeun Contractions de basse amplitude + - Contraction de haute amplitude + - Ondes propagées - + Ondes propagées - + Activité motrice - + Après repas Cette étude démontre l’existence d’une activité motrice colique anormale (désinhibée, excessive et non propulsive) dans une population de patients ayant un PR, lorsqu’elle est comparée à celle d’un groupe contrôle. CP Décembre 23/01/02 14:45 Page 136 D i s s e n s u s PO R U les indications de cette technique par rapport à celles de la rectopexie seule, mais également de celles des gestes périnéaux. ■ Tableau II. Évaluation des résultats de la rectopexie + sigmoïdectomie. Données de la littérature. Auteur McKee (1992) Duthie (1992) Madoff (1992) Deen (1994) Huber (1995) Stevenson (1998) N 9 29 47 10 39 30 Chirurgie R+S R+S R+S R+S+PFR R+S Lap. (R+S) Amélioration (%) Constipation Incontinence 50 Oui 50 Oui 42 64 0 78 38 90 65 70 R 1. Frykman H, Goldberg S. The surgical treatment od rectal procidentia. Surg Gynecol Obstet 1969 ; 129 : 1225-30. 2. Lehur PA, Guiberteau-Canfrere V, Bruley des Varannes S et al. Rectopexie sacrée-sigmoïdectomie dans le traitement du syndrome du prolapsus rectal. Résultats anatomiques et fonctionnels. Gastroenterol Clin Biol 1996 ; 20 : 172-7. R+S : rectopexie + sigmoïdectomie. PFR : réparation du plancher pelvien. Lap. (R + S) : R + S par voie laparoscopique. ou non) des différentes approches dans le prolapsus rectal extériorisé, tant abdominales que périnéales, et, d’autre part, au sein de ces approches, la comparaison, pour l’approche abdominale, de la rectopexie seule versus la R + S, et pour l’approche périnéale de l’opération de Delorme versus Altemeier (11). Les résultats de cet essai sont attendus dans 5 ans, avec une période de recrutement de 3 ans, près de 1 000 patients étant espérés. Alors, le débat entre rectopexie seule et R + S est-il actuellement d’une acuité particulière ? Probablement moins qu’au cours de la décennie précédente, et ce pour les raisons suivantes : – tout d’abord parce que l’évalution fonctionnelle des patients ayant un PR est devenue systématique. Le symptôme “constipation” est pris en considération avant toute décision thérapeutique, et la mesure du temps de transit colique (TTC) s’est généralisée en préopératoire. Les grands constipés sont ainsi dépistés, et leur trouble de la motricité colique est intégré dans la décision thérapeutique : colectomie étendue, association d’une stomie, selon Malone, pour irrigation colique antérograde par exemple. Les 3. Atiola PT, Hiltunen KM, Matikainen MJ. Functional results of operative treatment of rectal prolapse over a 11-year period. Dis Colon Rectum 1999 ; 42 : 655-660. groupes à risque sont mieux identifiés : femmes jeunes, anorexiques, TTC au-delà de 90-100 heures, syndrome de l’ulcère solitaire et procidence interne ; – ensuite parce que les rectopexies sont réalisées avec le souci d’en limiter les conséquences fonctionnelles : mobilisation du rectum épargnant les nerfs à destinée pelvienne, conservation d’une partie des ailerons du rectum, fixation sans tension avec un rectum posé dans le pelvis et non tendu vers le promontoire... En résumé, on peut considérer à l’heure actuelle que, dans le prolapsus extériorisé du rectum, la R + S est une intervention fiable sur le plan anatomique (peu de récidives), sûre (risque anastomotique limité à nul), réalisable quelle que soit la voie d’abord (Pfannenstiel ou cœlioscopique) et probablement bénéfique sur le plan fonctionnel chez les patients normocontinents. La prudence est de mise en cas d’incontinence anale associée ou/et de périnée pathologique. La R + S est contreindiquée en cas de cure de prolapsus rectal précédemment réalisée par voie périnéale en raison du risque vasculaire sur le rectum restant (12). Les essais randomisés à venir permettront de préciser au mieux 136 É F É R E N C E S 4. Brown AJ, Horgan AF, Anderson JH et al. Colonic motility is abnormal before surgery for rectal prolapse. Br J Surg 1999 ; 86 : 263-6. 5. Mc Kee RF, Lauder JC, Poon FW et al. A prospective randomized study of abdominal rectopexy with and without sigmoidectomy in rectal prolapse. Surgery 1992 ; 174 : 145-8. 6. Duthie GS, Bartolo DCC. Abdominal rectopexy for rectal prolapse: a comparison of techniques. Br J Surg 1992 ; 79 : 107-13. 7. Madoff RD, Williams JG, Wong WD et al. Longterm functional results of colon resection and rectopexy for overt rectal prolapse. Am J Gastroenterol 1992 ; 87 : 101-4. 8. Deen KI, Grant E, Billingham C, Keighley MRB. Abdominal resection rectopexy with pelvic floor repair versus perineal rectosigmoidectomy and pelvic floor repair for full-thickness rectal prolase. Br J Surg 1994 ; 81 : 302-4. 9. Huber FT, Stein H, Siewert JR. Functional results after treatment of rectal prolapse with rectopexy and sigmoid resection. World J Surg 1995 ; 19 : 138-43. 10. Stevenson AR, Stitz RW, Lumley JW. Laparoscopic-assisted resection-rectopexy for rectal prolapse : early and medium follow-up. Dis Colon Rectum 1998 ; 41 : 46-54. 11. Lechaux JP, Atienza P, Husson E et al. Traitement du prolapsus rectal complet par rectopexie prothétique au plancher pelvien et sigmoïdectomie. Résultats anatomiques et cliniques d’une étude prospective. Chirurgie 1998 ; 123 : 351-7. 12. Madoff RD, Mellgren A. One hundred years of rectal prolapse surgery. Dis Colon Rectum 1999 ; 42 : 441-50. Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 4 - décembre 2001