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Pour l’association d’une sigmoïdectomie
à la rectopexie dans le traitement chirurgical
du prolapsus rectal
P.A. Lehur, C. Tison*
P R
D ans
la prise
en
charge
OU
chirurgicale du
prolapsus rectal
(PR), la correction anatomique
a longtemps été l’unique préoccupation
des thérapeutes, et l’absence de récidive
leur seul critère de jugement postopératoire. C’est au début des années 1990 que
l’intérêt s’est porté sur les conséquences
fonctionnelles des interventions pour PR,
et notamment sur l’apparition ou l’aggravation d’une constipation au décours de la
chirurgie, comme en attestent les nombreuses publications consacrées au sujet.
Les unes rapportent les résultats fonctionnels obtenus après différentes modalités opératoires de rectopexie associant
ou non une résection colique ; les autres
s’interrogent sur les causes et mécanismes physiopathologiques à l’origine des
troubles de la motricité colique et rectale
observés après cure de PR.
Bien avant, pourtant, dans le courant des
années 1970, Frykmann et Goldberg
avaient proposé une intervention à laquelle leurs noms ont été associés (1). Elle
comporte une rectopexie au fil dans la
concavité sacrée et une résection-anastomose de l’anse sigmoïde (R + S pour rectopexie-sigmoïdectomie). Cette attitude,
suivie par un certain nombre dont nous
sommes, reste encore discutée (2).
Associer une sigmoïdectomie à la rectopexie n’a évidemment aucun effet sur
la correction anatomique du PR, ni sur
son maintien dans le temps. Son objectif est essentiellement “fonctionnel”.
L’amélioration du résultat fonctionnel
après R + S passe par une limitation du
* Clinique chirurgicale II.
Pôle digestif du CHU, Nantes.
risque de constipation postopératoire
dont on connaît la gravité potentielle,
bien évaluée dans l’étude récente
d’Aitola et al. (3). Ce travail, portant sur
plus de 100 patients suivis 85 mois en
moyenne, analyse, entre autres, les conséquences de la rectopexie seule sur la
constipation, la prise de laxatifs et les difficultés d’exonération avec les résultats
suivants en pré- et en postopératoire
respectivement : 32 versus 56 %
[p < 0,02], 14 versus 35 % [p < 0,0001],
52 versus 45 % [p = 0,19].
Des arguments anatomiques ont été initialement invoqués pour soutenir la
R + S : suppression d’une anse sigmoïde
excessivement longue se prolabant dans
un cul-de-sac de Douglas trop profond,
disparition de l’angulation entre le rectum
suspendu au promontoire et le côlon sigmoïde mobile. Des données physiopathologiques plus convaincantes produites par
différentes équipes ont pris ensuite le
relais. Ces études font état de l’existence
de troubles significatifs de la motricité du
sigmoïde chez les patients souffrant de PR
(tableau I) (4). La mobilisation et la fixation chirurgicale du rectum contribuent à
aggraver ces troubles de la motricité,
notamment l’activité motrice coordonnée
entre côlon sigmoïde et rectum, troubles
également observés après hystérectomie.
En termes d’évidence, aucune étude définitive n’a été produite en faveur de la R + S,
mais les petites séries publiées, parfois randomisées, se sont toujours montrées en
faveur de la sigmoïdectomie (tableau II)
(4-11). Madoff et al. ont cependant jeté le
trouble en indiquant qu’il existait un risque
d’incontinence ou de diarrhée à long
terme chez les patients traités par R + S
(7). Cette conclusion se fondait cependant
sur un travail de méthodologie discutable.
Et il faut bien reconnaître qu’à l’heure
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actuelle, aucune preuve scientifiquement
solide ne conforte ni ne réfute la R + S
dans le traitement du prolapsus rectal
extériorisé. C’est pourquoi un essai multicentrique européen de grande ampleur se
met en place sous l’égide de l’Association
of Coloproctology of Great Britain and
Ireland (ACPGBI) et l’European
Association of Coloproctolgy (EACP).
Initié par M. Keighley (Birmingham,
Royaume-Uni), cet essai, nommé PROSPER, a pour objectifs, d’une part, la comparaison de façon pragmatique (avec randomisation des seuls patients pour lesquels le
chirurgien n’a pas d’orientation thérapeutique spécifique, mais avec recueil de l’ensemble des prises en charge randomisées
Tableau I. Troubles de la motricité sigmoïdienne dans le prolapsus du rectum (4).
Patients Contrôles
À jeun
Contractions
de basse
amplitude
+
-
Contraction
de haute
amplitude
+
-
Ondes propagées
-
+
Ondes propagées
-
+
Activité motrice
-
+
Après repas
Cette étude démontre l’existence d’une
activité motrice colique anormale (désinhibée, excessive et non propulsive) dans
une population de patients ayant un PR,
lorsqu’elle est comparée à celle d’un
groupe contrôle.
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PO R
U
les indications de cette technique par
rapport à celles de la rectopexie seule,
mais également de celles des gestes périnéaux.
■
Tableau II. Évaluation des résultats de la rectopexie + sigmoïdectomie.
Données de la littérature.
Auteur
McKee (1992)
Duthie (1992)
Madoff (1992)
Deen (1994)
Huber (1995)
Stevenson (1998)
N
9
29
47
10
39
30
Chirurgie
R+S
R+S
R+S
R+S+PFR
R+S
Lap. (R+S)
Amélioration (%)
Constipation
Incontinence
50
Oui
50
Oui
42
64
0
78
38
90
65
70
R
1. Frykman H, Goldberg S. The surgical treatment od
rectal procidentia. Surg Gynecol Obstet 1969 ; 129 :
1225-30.
2. Lehur PA, Guiberteau-Canfrere V, Bruley des
Varannes S et al. Rectopexie sacrée-sigmoïdectomie
dans le traitement du syndrome du prolapsus rectal.
Résultats anatomiques et fonctionnels. Gastroenterol
Clin Biol 1996 ; 20 : 172-7.
R+S : rectopexie + sigmoïdectomie. PFR : réparation du plancher pelvien.
Lap. (R + S) : R + S par voie laparoscopique.
ou non) des différentes approches dans le
prolapsus rectal extériorisé, tant abdominales que périnéales, et, d’autre part, au sein
de ces approches, la comparaison, pour
l’approche abdominale, de la rectopexie
seule versus la R + S, et pour l’approche
périnéale de l’opération de Delorme versus Altemeier (11). Les résultats de cet
essai sont attendus dans 5 ans, avec une
période de recrutement de 3 ans, près de
1 000 patients étant espérés.
Alors, le débat entre rectopexie seule et
R + S est-il actuellement d’une acuité particulière ? Probablement moins qu’au
cours de la décennie précédente, et ce
pour les raisons suivantes :
– tout d’abord parce que l’évalution fonctionnelle des patients ayant un PR est
devenue systématique. Le symptôme
“constipation” est pris en considération
avant toute décision thérapeutique, et la
mesure du temps de transit colique (TTC)
s’est généralisée en préopératoire. Les
grands constipés sont ainsi dépistés, et
leur trouble de la motricité colique est
intégré dans la décision thérapeutique :
colectomie étendue, association d’une
stomie, selon Malone, pour irrigation
colique antérograde par exemple. Les
3.
Atiola PT, Hiltunen KM, Matikainen MJ.
Functional results of operative treatment of rectal
prolapse over a 11-year period. Dis Colon Rectum
1999 ; 42 : 655-660.
groupes à risque sont mieux identifiés :
femmes jeunes, anorexiques, TTC au-delà
de 90-100 heures, syndrome de l’ulcère
solitaire et procidence interne ;
– ensuite parce que les rectopexies sont
réalisées avec le souci d’en limiter les
conséquences fonctionnelles : mobilisation
du rectum épargnant les nerfs à destinée
pelvienne, conservation d’une partie des
ailerons du rectum, fixation sans tension
avec un rectum posé dans le pelvis et non
tendu vers le promontoire...
En résumé, on peut considérer à l’heure
actuelle que, dans le prolapsus extériorisé
du rectum, la R + S est une intervention
fiable sur le plan anatomique (peu de récidives), sûre (risque anastomotique limité à
nul), réalisable quelle que soit la voie
d’abord (Pfannenstiel ou cœlioscopique)
et probablement bénéfique sur le plan
fonctionnel chez les patients normocontinents. La prudence est de mise en cas
d’incontinence anale associée ou/et de
périnée pathologique. La R + S est contreindiquée en cas de cure de prolapsus rectal précédemment réalisée par voie périnéale en raison du risque vasculaire sur le
rectum restant (12). Les essais randomisés
à venir permettront de préciser au mieux
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É F É R E N C E S
4. Brown AJ, Horgan AF, Anderson JH et al. Colonic
motility is abnormal before surgery for rectal prolapse. Br J Surg 1999 ; 86 : 263-6.
5. Mc Kee RF, Lauder JC, Poon FW et al. A prospective randomized study of abdominal rectopexy
with and without sigmoidectomy in rectal prolapse.
Surgery 1992 ; 174 : 145-8.
6. Duthie GS, Bartolo DCC. Abdominal rectopexy
for rectal prolapse: a comparison of techniques. Br J
Surg 1992 ; 79 : 107-13.
7. Madoff RD, Williams JG, Wong WD et al. Longterm functional results of colon resection and rectopexy for overt rectal prolapse. Am J Gastroenterol
1992 ; 87 : 101-4.
8. Deen KI, Grant E, Billingham C, Keighley MRB.
Abdominal resection rectopexy with pelvic floor
repair versus perineal rectosigmoidectomy and pelvic floor repair for full-thickness rectal prolase. Br J
Surg 1994 ; 81 : 302-4.
9. Huber FT, Stein H, Siewert JR. Functional results
after treatment of rectal prolapse with rectopexy and
sigmoid resection. World J Surg 1995 ; 19 : 138-43.
10. Stevenson AR, Stitz RW, Lumley JW.
Laparoscopic-assisted resection-rectopexy for rectal
prolapse : early and medium follow-up. Dis Colon
Rectum 1998 ; 41 : 46-54.
11.
Lechaux JP, Atienza P, Husson E et al.
Traitement du prolapsus rectal complet par rectopexie prothétique au plancher pelvien et sigmoïdectomie. Résultats anatomiques et cliniques d’une
étude prospective. Chirurgie 1998 ; 123 : 351-7.
12. Madoff RD, Mellgren A. One hundred years of
rectal prolapse surgery. Dis Colon Rectum 1999 ;
42 : 441-50.
Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 4 - décembre 2001
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