Dissensus
Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 4 - décembre 2001
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Dans la prise
en charge
chirurgicale du
prolapsus rectal
(PR), la correc-
tion anatomique
a longtemps été l’unique préoccupation
des thérapeutes, et l’absence de récidive
leur seul critère de jugement postopéra-
toire. C’est au début des années 1990 que
l’intérêt s’est porté sur les conséquences
fonctionnelles des interventions pour PR,
et notamment sur l’apparition ou l’aggra-
vation d’une constipation au décours de la
chirurgie, comme en attestent les nom-
breuses publications consacrées au sujet.
Les unes rapportent les résultats fonc-
tionnels obtenus après différentes modali-
tés opératoires de rectopexie associant
ou non une résection colique ; les autres
s’interrogent sur les causes et méca-
nismes physiopathologiques à l’origine des
troubles de la motricité colique et rectale
observés après cure de PR.
Bien avant, pourtant, dans le courant des
années 1970, Frykmann et Goldberg
avaient proposé une intervention à laquel-
le leurs noms ont été associés (1).Elle
comporte une rectopexie au fil dans la
concavité sacrée et une résection-anasto-
mose de l’anse sigmoïde (R + S pour rec-
topexie-sigmoïdectomie). Cette attitude,
suivie par un certain nombre dont nous
sommes, reste encore discutée (2).
Associer une sigmoïdectomie à la rec-
topexie n’a évidemment aucun effet sur
la correction anatomique du PR, ni sur
son maintien dans le temps. Son objec-
tif est essentiellement “fonctionnel”.
L’amélioration du résultat fonctionnel
après R + S passe par une limitation du
risque de constipation postopératoire
dont on connaît la gravité potentielle,
bien évaluée dans l’étude récente
d’Aitola et al. (3).Ce travail, portant sur
plus de 100 patients suivis 85 mois en
moyenne, analyse, entre autres, les consé-
quences de la rectopexie seule sur la
constipation, la prise de laxatifs et les dif-
ficultés d’exonération avec les résultats
suivants en pré- et en postopératoire
respectivement : 32 versus 56 %
[p < 0,02], 14 versus 35 % [p < 0,0001],
52 versus 45 % [p = 0,19].
Des arguments anatomiques ont été ini-
tialement invoqués pour soutenir la
R+S: suppression d’une anse sigmoïde
excessivement longue se prolabant dans
un cul-de-sac de Douglas trop profond,
disparition de l’angulation entre le rectum
suspendu au promontoire et le côlon sig-
moïde mobile. Des données physiopatho-
logiques plus convaincantes produites par
différentes équipes ont pris ensuite le
relais. Ces études font état de l’existence
de troubles significatifs de la motricité du
sigmoïde chez les patients souffrant de PR
(tableau I) (4).La mobilisation et la fixa-
tion chirurgicale du rectum contribuent à
aggraver ces troubles de la motricité,
notamment l’activité motrice coordonnée
entre côlon sigmoïde et rectum, troubles
également observés après hystérectomie.
En termes d’évidence, aucune étude défini-
tive n’a été produite en faveur de la R + S,
mais les petites séries publiées, parfois ran-
domisées, se sont toujours montrées en
faveur de la sigmoïdectomie (tableau II)
(4-11).Madoff et al. ont cependant jeté le
trouble en indiquant qu’il existait un risque
d’incontinence ou de diarrhée à long
terme chez les patients traités par R + S
(7).Cette conclusion se fondait cependant
sur un travail de méthodologie discutable.
Et il faut bien reconnaître qu’à l’heure
actuelle, aucune preuve scientifiquement
solide ne conforte ni ne réfute la R + S
dans le traitement du prolapsus rectal
extériorisé. C’est pourquoi un essai multi-
centrique européen de grande ampleur se
met en place sous l’égide de l’Association
of Coloproctology of Great Britain and
Ireland (ACPGBI) et l’European
Association of Coloproctolgy (EACP).
Initié par M. Keighley (Birmingham,
Royaume-Uni), cet essai, nommé PROS-
PER, a pour objectifs, d’une part, la compa-
raison de façon pragmatique (avec rando-
misation des seuls patients pour lesquels le
chirurgien n’a pas d’orientation thérapeu-
tique spécifique, mais avec recueil de l’en-
semble des prises en charge randomisées
PPOOUURR
* Clinique chirurgicale II.
Pôle digestif du CHU, Nantes.
Patients Contrôles
À jeun
Contractions + -
de basse
amplitude
Contraction + -
de haute
amplitude
Ondes propagées - +
Après repas
Ondes propagées - +
Activité motrice - +
Tableau I. Troubles de la motricité sig-
moïdienne dans le prolapsus du rectum (4).
Cette étude démontre l’existence d’une
activité motrice colique anormale (désin-
hibée, excessive et non propulsive) dans
une population de patients ayant un PR,
lorsqu’elle est comparée à celle d’un
groupe contrôle.
Pour l’association d’une sigmoïdectomie
à la rectopexie dans le traitement chirurgical
du prolapsus rectal
P.A. Lehur, C. Tison*
CP Décembre 23/01/02 14:45 Page 135
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ou non) des différentes approches dans le
prolapsus rectal extériorisé, tant abdomi-
nales que périnéales, et, d’autre part, au sein
de ces approches, la comparaison, pour
l’approche abdominale, de la rectopexie
seule versus la R + S, et pour l’approche
périnéale de l’opération de Delorme ver-
sus Altemeier (11).Les résultats de cet
essai sont attendus dans 5 ans, avec une
période de recrutement de 3 ans, près de
1000 patients étant espérés.
Alors, le débat entre rectopexie seule et
R+S est-il actuellement d’une acuité par-
ticulière ? Probablement moins qu’au
cours de la décennie précédente, et ce
pour les raisons suivantes :
– tout d’abord parce que l’évalution fonc-
tionnelle des patients ayant un PR est
devenue systématique. Le symptôme
“constipation” est pris en considération
avant toute décision thérapeutique, et la
mesure du temps de transit colique (TTC)
s’est généralisée en préopératoire. Les
grands constipés sont ainsi dépistés, et
leur trouble de la motricité colique est
intégré dans la décision thérapeutique :
colectomie étendue, association d’une
stomie, selon Malone, pour irrigation
colique antérograde par exemple. Les
groupes à risque sont mieux identifiés :
femmes jeunes, anorexiques, TTC au-delà
de 90-100 heures, syndrome de l’ulcère
solitaire et procidence interne ;
– ensuite parce que les rectopexies sont
réalisées avec le souci d’en limiter les
conséquences fonctionnelles : mobilisation
du rectum épargnant les nerfs à destinée
pelvienne, conservation d’une partie des
ailerons du rectum, fixation sans tension
avec un rectum posé dans le pelvis et non
tendu vers le promontoire...
En résumé, on peut considérer à l’heure
actuelle que, dans le prolapsus extériorisé
du rectum, la R + S est une intervention
fiable sur le plan anatomique (peu de réci-
dives), sûre (risque anastomotique limité à
nul), réalisable quelle que soit la voie
d’abord (Pfannenstiel ou cœlioscopique)
et probablement bénéfique sur le plan
fonctionnel chez les patients normo-
continents. La prudence est de mise en cas
d’incontinence anale associée ou/et de
périnée pathologique. La R + S est contre-
indiquée en cas de cure de prolapsus rec-
tal précédemment réalisée par voie péri-
néale en raison du risque vasculaire sur le
rectum restant (12).Les essais randomisés
à venir permettront de préciser au mieux
les indications de cette technique par
rapport à celles de la rectopexie seule,
mais également de celles des gestes péri-
néaux.
RÉFÉRENCES
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Traitement du prolapsus rectal complet par recto-
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12. Madoff RD, Mellgren A. One hundred years of
rectal prolapse surgery. Dis Colon Rectum 1999 ;
42 : 441-50.
PPOOUURR
Auteur N Chirurgie Amélioration (%)
Constipation Incontinence
McKee (1992) 9 R+S 50 0
Duthie (1992) 29 R+S Oui 78
Madoff (1992) 47 R+S 50 38
Deen (1994) 10 R+S+PFR Oui 90
Huber (1995) 39 R+S 42 65
Stevenson (1998) 30 Lap. (R+S) 64 70
R+S : rectopexie + sigmoïdectomie. PFR : réparation du plancher pelvien.
Lap. (R + S) : R + S par voie laparoscopique.
Tableau II. Évaluation des résultats de la rectopexie + sigmoïdectomie.
Données de la littérature.
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