258 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 5 - mai 2009
Résumé
Les anthracyclines sont à l’origine d’une toxicité cardiaque cumulative, dose-dépendante. La surveillance
(essentiellement échographique) a pour but de déceler l’apparition d’altérations de la fonction systolique
ventriculaire gauche. La prévention par le dexrazoxane, qui s’est montrée efficace dans de nombreuses
études cliniques, n’est pas complète. Le trastuzumab majore le risque de dysfonction ventriculaire gauche.
Les antimétabolites exposent surtout à un risque coronaire, principalement chez les malades ayant des
antécédents de coronaropathie.
Mots-clés
Toxicité cardiaque
Médicaments
anticancéreux
Anthracyclines
Inhibiteurs de tyrosine
kinase
Summary
Anthracyclins induce a dose-
dependent cardiac toxicity,
which may been detected
by serial echocardiography.
Prevention with dexrazoxane
has been shown effective in
many studies, but has also
failed in other instances.
Trastuzumab may impair left
ventricular function, especially
when combined with anthra-
cyclins. Antimetabolite drugs
may promote acute coronary
events, mainly in patients with
a past history of coronary artery
disease.
Keywords
Cardiac side effects
Cancer drugs
Anthracyclins
Tyrosine kinase inhibitors
rapport onde E/onde A et un allongement du temps
de relaxation isovolumétrique, paramètres décrits
par M.F. Stoddart (3). La dysfonction systolique,
lorsqu’elle atteint le seuil classique d’une diminu-
tion de plus de 20 % de la fraction de raccourcis-
sement, peut s’aggraver rapidement et expose au
risque d’insuffisance cardiaque symptomatique.
La plupart des travaux ayant indiqué, pour une
anthracycline donnée, les seuils au-delà desquels
le risque de toxicité devient significatif ont surtout
pris en compte la survenue de signes d’insuffisance
cardiaque clinique, et non les paramètres échogra-
phiques. Le seuil de 550 mg/m² a été établi
par M.R. Bristow, qui a analysé le suivi de
3 941 patients traités par doxorubicine (88 cas
d’insuffisance cardiaque). Si, en dessous d’une
dose cumulative de 400 mg/m
2
, 0,14 % seule-
ment des patients sont touchés, cette proportion
passe à 7 % pour 550 mg/m
2
et à 18 % au-delà
de 700 mg/m
2
. L’augmentation rapide de cette
courbe dose-toxicité à partir de 500-550 mg/ m2
a permis de fixer à 550 mg/m2 le seuil de toxicité à
ne pas dépasser.
La prise en compte du seuil de toxicité doit être
complétée par celle des facteurs potentialisant la
cardiotoxicité, en fait fréquemment présents et
réunis chez un même malade :
autres antimitotiques : cyclophosphamide, tras-
➤
tuzumab, taxanes (docétaxel, paclitaxel) ;
radiothérapie médiastinale ; ➤
jeune âge : les enfants sont particulièrement
➤
à risque, notamment après un traitement pour
leucémie (la moitié des enfants en rémission de
leucémie aiguë lymphoblastique ayant reçu de la
doxorubicine présente des signes échographiques
de dysfonction ventriculaire gauche tardive) ;
cardiopathie sous-jacente. ➤
La toxicité cardiaque peut enfin se manifester tardi-
vement, plusieurs années après la fin d’un traitement
au décours immédiat duquel la fonction ventriculaire
gauche systolique était préservée. Ces dysfonctions
tardives grèvent l’évolution de 5 à 10 % des patients.
Ainsi, parmi les 115 enfants étudiés par S.E. Lips-
hultz (3), 5 ont développé une insuffisance cardiaque
patente dans les 11 ans qui ont suivi le traitement
et 57 % ont présenté une dysfonction ventriculaire
gauche à l’échographie. L.J. Steinherz (3) retrouve le
même phénomène chez l’adulte, avec une ampleur
toutefois moindre : 9 cas d’insuffisance cardiaque et
18 % de cas de dysfonction systolique asymptoma-
tique chez 201 patients suivis de 4 à 10 ans.
Surveillance
La surveillance du traitement par anthracyclines a
pour but de dépister l’atteinte précoce et d’éviter sa
progression vers la dysfonction ventriculaire gauche
et l’insuffisance cardiaque. Plusieurs méthodes sont
utilisées : l’échocardiographie, l’imagerie isotopique
(voir “Imagerie des complications cardiaques des
traitements anticancéreux”, p. 252) et, depuis peu,
les marqueurs plasmatiques.
Échographie cardiaque
◆
La surveillance ne doit pas se limiter à mesurer l’alté-
ration de la fraction de raccourcissement (FR) des
fibres circulaires, que le seuil d’interruption théra-
peutique retenu soit une FR inférieure à 26 % ou une
diminution de la FR de plus de 20 %, car ces deux
critères, longtemps utilisés, peuvent être tardifs.
Les premiers paramètres atteints en échographie
conventionnelle sont ceux de la “relaxation” : ralen-
tissement de la décroissance de l’onde E transmitrale
et allongement du temps de relaxation isovolumé-
trique. Survenant dès la dose cumulative équivalente
de 200 mg/ m² de doxorubicine, ces phénomènes
précèdent habituellement l’atteinte de la fonction
systolique (> 400 mg/m²). La surveillance devrait
probablement donner une place plus importante à
l’étude de la fonction diastolique, aux pressions de
remplissage, au doppler tissulaire et à l’étude du
strain. Ainsi, dans l’étude de S. Tassan-Mangina, le
suivi de 20 patients ayant reçu une dose cumulative
moyenne de 227 mg de doxorubicine en 6 mois n’a
pas montré d’altération de la fonction systolique
ventriculaire gauche, alors que le doppler tissulaire
a objectivé un trouble de la relaxation myocardique
radiale et longitudinale (onde E myocardique [Em]
de la paroi postérieure et de la paroi latérale du VG
respectivement). La vélocité maximale de l’onde
systolique myocardique a diminué parallèlement,
témoignant d’une atteinte débutante de la fonction
systolique (4).