L Complications cardiaques des chimiothérapies anticancéreuses :

La Lettre du Cancérologue Vol. XVIII - n° 5 - mai 2009 | 257
DOSSIER THÉMATIQUE
Complications cardiaques
des chimiothérapies
anticancéreuses :
aspects cliniques1
Cardiac side effects of anticancer drugs:
clinical perspectives
J.J. Monsuez*
1 © La Lettre du Cardiologue 2009;
421:16-20.
* Consultation de cardiologie, dépar-
tement des maladies infectieuses
et tropicales, médecine interne et
addictologie, hôpital Paul-Brousse,
Villejuif.
L
a chimiothérapie des cancers a évolué très
rapidement au cours des dernières années,
avec une place croissante donnée aux asso-
ciations d’antimitotiques, dont les actions se
potentialisent, l’apparition des thérapies dites
ciblées”, qui constituent une véritable révolu-
tion thérapeutique, et la possibilité de traiter des
malades plus longtemps, sur plusieurs “lignes” de
chimiothérapies successives, cela avec des résul-
tats en progression constante, y compris pour les
plus âgés d’entre eux. Ces innovations découlent
de la rapidité avec laquelle la connaissance de la
biologie de la cellule cancéreuse s’est traduite
en applications pharmacologiques (voir “Méca-
nismes de la toxicité cardiaque des chimiothé-
rapies anticancéreuses”, p. 248), ce qui, pour
le cardiologue, a eu pour corollaire l’apparition
de nouveaux effets indésirables, en particulier
cardiaques, dont la physiopathologie s’est, elle
aussi, beaucoup compliquée. La prise en charge
cardiologique du malade traité par chimiothérapie
anticancéreuse et sa compréhension physiopatho-
logique ont donc changé.
La nature et la fréquence des complications
cardiaques rencontrées dépendent de l’agent anti-
mitotique administré, de sa posologie cumulative,
mais aussi des associations dans lesquelles il est
inclus (potentialisation).
Anthracyclines
Risque cardiaque
L’administration d’anthracyclines expose environ 3 %
des malades à un risque de complications aiguës,
représentées essentiellement par des troubles
rythmiques (fibrillation atriale, extrasystoles, plus
fréquentes en cas de cardiopathie préalable), une
insuffisance cardiaque aiguë, plus fréquente et
souvent particulièrement grave chez l’enfant, plus
rarement une ischémie myocardique (1, 2).
Les administrations répétées entraînent une toxi-
cité cardiaque dépendante de la dose cumulative,
variable d’un malade à l’autre, d’une anthracycline
à l’autre, majorée par certaines associations (radio-
thérapie, cyclophosphamide, trastuzumab) et réduite
par le dexrazoxane (prévention). Elle se manifeste
d’abord par une altération de la fonction diastolique
ventriculaire pour des doses cumulatives de doxo-
rubicine de 200 mg/m2, puis par une atteinte de la
fonction systolique, à partir de 450-600 mg/ m
2
;
ce seuil varie d’un patient à l’autre et est parfois
plus élevé. L’altération de la fonction diastolique,
habituellement asymptomatique, se traduit, du
point de vue de la surveillance échographique, par
un ralentissement de la décroissance de l’onde E de
remplissage du ventricule gauche, une inversion du
258 | La Lettre du Cancérologue Vol. XVIII - n° 5 - mai 2009
Résumé
Les anthracyclines sont à l’origine d’une toxicité cardiaque cumulative, dose-dépendante. La surveillance
(essentiellement échographique) a pour but de déceler l’apparition d’altérations de la fonction systolique
ventriculaire gauche. La prévention par le dexrazoxane, qui s’est montrée efficace dans de nombreuses
études cliniques, n’est pas complète. Le trastuzumab majore le risque de dysfonction ventriculaire gauche.
Les antimétabolites exposent surtout à un risque coronaire, principalement chez les malades ayant des
antécédents de coronaropathie.
Mots-clés
Toxicité cardiaque
Médicaments
anticancéreux
Anthracyclines
Inhibiteurs de tyrosine
kinase
Summary
Anthracyclins induce a dose-
dependent cardiac toxicity,
which may been detected
by serial echocardiography.
Prevention with dexrazoxane
has been shown effective in
many studies, but has also
failed in other instances.
Trastuzumab may impair left
ventricular function, especially
when combined with anthra-
cyclins. Antimetabolite drugs
may promote acute coronary
events, mainly in patients with
a past history of coronary artery
disease.
Keywords
Cardiac side effects
Cancer drugs
Anthracyclins
Tyrosine kinase inhibitors
rapport onde E/onde A et un allongement du temps
de relaxation isovolumétrique, paramètres décrits
par M.F. Stoddart (3). La dysfonction systolique,
lorsqu’elle atteint le seuil classique d’une diminu-
tion de plus de 20 % de la fraction de raccourcis-
sement, peut s’aggraver rapidement et expose au
risque d’insuffisance cardiaque symptomatique.
La plupart des travaux ayant indiqué, pour une
anthracycline donnée, les seuils au-delà desquels
le risque de toxicité devient significatif ont surtout
pris en compte la survenue de signes d’insuffisance
cardiaque clinique, et non les paramètres échogra-
phiques. Le seuil de 550 mg/m² a été établi
par M.R. Bristow, qui a analysé le suivi de
3 941 patients traités par doxorubicine (88 cas
d’insuffisance cardiaque). Si, en dessous d’une
dose cumulative de 400 mg/m
2
, 0,14 % seule-
ment des patients sont touchés, cette proportion
passe à 7 % pour 550 mg/m
2
et à 18 % au-delà
de 700 mg/m
2
. Laugmentation rapide de cette
courbe dose-toxicité à partir de 500-550 mg/ m2
a permis de fixer à 550 mg/m2 le seuil de toxicité à
ne pas dépasser.
La prise en compte du seuil de toxicité doit être
complétée par celle des facteurs potentialisant la
cardiotoxicité, en fait fréquemment présents et
réunis chez un même malade :
autres antimitotiques : cyclophosphamide, tras-
tuzumab, taxanes (docétaxel, paclitaxel) ;
radiothérapie médiastinale ;
jeune âge : les enfants sont particulièrement
à risque, notamment après un traitement pour
leucémie (la moitié des enfants en rémission de
leucémie aiguë lymphoblastique ayant reçu de la
doxorubicine présente des signes échographiques
de dysfonction ventriculaire gauche tardive) ;
cardiopathie sous-jacente.
La toxicité cardiaque peut enfin se manifester tardi-
vement, plusieurs années après la fin d’un traitement
au décours immédiat duquel la fonction ventriculaire
gauche systolique était préservée. Ces dysfonctions
tardives grèvent l’évolution de 5 à 10 % des patients.
Ainsi, parmi les 115 enfants étudiés par S.E. Lips-
hultz (3), 5 ont développé une insuffisance cardiaque
patente dans les 11 ans qui ont suivi le traitement
et 57 % ont présenté une dysfonction ventriculaire
gauche à l’échographie. L.J. Steinherz (3) retrouve le
même phénomène chez l’adulte, avec une ampleur
toutefois moindre : 9 cas d’insuffisance cardiaque et
18 % de cas de dysfonction systolique asymptoma-
tique chez 201 patients suivis de 4 à 10 ans.
Surveillance
La surveillance du traitement par anthracyclines a
pour but de dépister l’atteinte précoce et d’éviter sa
progression vers la dysfonction ventriculaire gauche
et l’insuffisance cardiaque. Plusieurs méthodes sont
utilisées : l’échocardiographie, l’imagerie isotopique
(voir “Imagerie des complications cardiaques des
traitements anticancéreux”, p. 252) et, depuis peu,
les marqueurs plasmatiques.
Échographie cardiaque
La surveillance ne doit pas se limiter à mesurer l’alté-
ration de la fraction de raccourcissement (FR) des
fibres circulaires, que le seuil d’interruption théra-
peutique retenu soit une FR inférieure à 26 % ou une
diminution de la FR de plus de 20 %, car ces deux
critères, longtemps utilisés, peuvent être tardifs.
Les premiers paramètres atteints en échographie
conventionnelle sont ceux de la “relaxation: ralen-
tissement de la décroissance de l’onde E transmitrale
et allongement du temps de relaxation isovolumé-
trique. Survenant dès la dose cumulative équivalente
de 200 mg/ m² de doxorubicine, ces phénomènes
précèdent habituellement l’atteinte de la fonction
systolique (> 400 mg/m²). La surveillance devrait
probablement donner une place plus importante à
l’étude de la fonction diastolique, aux pressions de
remplissage, au doppler tissulaire et à l’étude du
strain. Ainsi, dans l’étude de S. Tassan-Mangina, le
suivi de 20 patients ayant reçu une dose cumulative
moyenne de 227 mg de doxorubicine en 6 mois n’a
pas montré d’altération de la fonction systolique
ventriculaire gauche, alors que le doppler tissulaire
a objectivé un trouble de la relaxation myocardique
radiale et longitudinale (onde E myocardique [Em]
de la paroi postérieure et de la paroi latérale du VG
respectivement). La vélocité maximale de l’onde
systolique myocardique a diminué parallèlement,
témoignant d’une atteinte débutante de la fonction
systolique (4).
La Lettre du Cancérologue Vol. XVIII - n° 5 - mai 2009 | 259
DOSSIER THÉMATIQUE
Léchographie de strain permettrait de dépister
précocement le retentissement myocardique.
Létude de G. Mercuro (5), qui porte sur 16 patients
traités par épirubicine et suivis de façon séquen-
tielle, montre que le strain rate (SR) est altéré dès la
dose cumulative de 200 mg/m², alors que les autres
paramètres dits “précoces”, dérivés du doppler à
l’anneau mitral (Em au septum interventriculaire
basal, Em/ onde A myocardique [Am]), ne le sont
qu’à partir de 300 mg/ (tableau I).
Marqueurs plasmatiques
Le brain natriuretic peptide (BNP) a été le premier
exploré. Il a été dosé de façon séquentielle chez
107 patients recevant des anthracyclines, mais
ne s’est pas révélé prédictif de la survenue d’une
dysfonction ventriculaire gauche (observée chez
19 % des patients) [3].
En revanche, la mesure de la troponine I au
décours immédiat de chaque cycle d’administra-
tion (5 dosages en 3 jours, la valeur la plus élevée
étant retenue), puis un mois après la fin de la
chimiothérapie, apporte dans une étude portant
sur 703 patients, des informations très discrimi-
nantes (3). Trois profils cinétiques sont observés.
Dans un premier groupe (495 patients), la tropo-
nine I reste normale, inférieure à 0,08 ng/ml, après
chaque cure et au décours du traitement. La fonc-
tion ventriculaire gauche ne se modifie pas au cours
du suivi ultérieur (1 an), et le taux d’événements
cardiovasculaires est très faible, de l’ordre de 1 %.
À l’inverse, les 145 patients dont la troponine initiale
est supérieure à 0,08 ng/ml mais dont la troponine
en fin de traitement est normale ont un risque d’évé-
nements cardiaques plus élevé (37 %), qui reste par
ailleurs en deçà de celui des 63 malades dont les
troponines initiales et tardives sont élevées, le risque
atteignant dans ce cas 84 %. Ainsi l’élévation de la
troponine I permet-elle de dépister dès la première
cure le patient à risque de développer une toxicité
myocardique.
Prévention
Le dexrazoxane (Cardioxane
®
, Zinecard
®
) est un
chélateur du fer qui prévient la survenue d’une
cardiotoxicité dans la majorité des modèles animaux
sans compromettre l’efficacité antitumorale. Il agit
en captant un atome de fer Fe
3+
de la ferritine, de la
transferrine ou d’un complexe fer-anthracycline.
Lexpérience clinique est maintenant bien établie.
Le prétraitement par dexrazoxane de patientes
atteintes de cancer du sein et recevant des cycles
de chimio-thérapie adjuvante comprenant de
la doxorubicine à la dose de 50 mg/ m
2
tous les
21 jours montre ainsi, dans l’une des premières
séries publiées par J.L. Speyer et al. en 1991, que
la diminution de la fraction d’éjection (suivie par
ventriculographie isotopique) est moins impor-
tante, à dose cumulative égale (400-500 mg/m2),
dans le groupe recevant le dexrazoxane (2,7 %) que
dans le groupe témoin (14,7 %) [tableau II] (3). Une
étude rapportant l’expérience d’un centre recou-
rant systématiquement au dexrazoxane retrouve
même un taux encore plus bas de cardiotoxicité
(1,57 %) [6].
Au cours du traitement de 534 femmes atteintes de
cancer du sein à un stade avancé, la probabilité de
développer des signes de dysfonction ventriculaire
gauche à l’échographie ou une insuffisance cardiaque
clinique a été de 2 à 2,63 fois plus élevée lorsque
le dexrazoxane n’était pas administré que lorsqu’il
l’était (3). Une indication privilégiée du médica-
ment pourrait naître du maintien de son bénéfice
lorsqu’il est débuté chez des patients ayant déjà reçu
une dose de 300 mg/m
2
et dont le traitement par
anthracyclines reste indispensable. Ainsi, dans cette
situation, parmi les 102 patientes atteintes de cancer
du sein avancé ayant reçu le dexrazoxane, seules 3 %
ont évolué vers la dysfonction ventriculaire gauche,
Tableau II. Risque de cardiotoxicité des anthracyclines en fonction de l’administration ou non
d’un traitement associé par dexrazoxane.
Patients (n) Dexrazoxane – (%) Dexrazoxane + (%)
J.L. Speyer 74 14,7 2,7
S.M. Swain 534 8 1
S.M. Swain 200 22 3
M. Venturini 160 23 7,3
F. Testore 318 1,57
Tableau I. Échographie de strain dans le dépistage précoce (p < 0,05 pour tous les items sauf
les items inchangés).
Épirubicine
cumulative Avant traitement 200 mg/m² 300 mg/m²
Strain inchangé inchangé
Strain rate
(s– 1) 1,82 ± 0,5 1,45 ± 0,44
Rapport E/A 1,16 ± 0,25 inchangé 0,93 ± 0,24
Em (cm/s) 8,86 ± 1,73 inchangé 7,51 ± 2,3
Rapport Em/Am 1,09 ± 0,51 inchangé 0,83 ± 0,51
La Lettre du Cancérologue Vol. XVIII - n° 5 - mai 2009 | 261
DOSSIER THÉMATIQUE
versus 22 % des 99 sujets nen ayant pas reçu. Le
pourcentage de malades ayant terminé le cycle de
15 séances de chimiothérapie atteint 26 % chez les
premières et 5 % chez les secondes (3). Dans l’étude
de M. Venturini, au cours de laquelle le dexrazoxane
prévient également la toxicité de l’épirubicine (7,3 %
versus 23,1 %), des résultats similaires sont obtenus
pour 160 femmes atteintes de cancer du sein avancé
ayant déjà été traitées (3).
L’utilisation chez l’enfant prévient également l’ap-
parition d’altérations de la contraction en écho-
graphie. L.H. Wexler, en comparant l’évolution de
18 enfants traités par doxorubicine pour sarcome, a
montré une meilleure tolérance échographique avec
le dexrazoxane (22 % de cas d’atteintes asympto-
matiques) que sans (67 %) [3]. Ce bénéfice permet
l’administration de doses cumulatives plus élevées
(410 mg/m2 versus 310 mg/m2).
Le risque important de cardiotoxicité (immédiate et
différée) des anthracyclines à forte dose chez l’enfant
fait de sa prévention l’une des priorités thérapeu-
tiques dans le cadre des leucémies aiguës. Dans
l’étude de S.E. Lipshultz, les 101 enfants atteints
de leucémie aiguë lymphoblastique traités, en
10 cures espacées de 3 semaines, par 30 mg/ m
2
de doxorubicine ont été randomisés entre un
groupe avec dexrazoxane (n = 82) et un groupe
sans dexrazoxane (n = 76), et suivis par dosage
séquentiel de la troponine T (3). L’augmentation
de la troponine T (> 0,01 ng/ml), qui survient chez
35 % des enfants, est plus fréquente en l’absence
de dexrazoxane (50 % versus 21 %), sans que soit
cependant constatée de différence en termes de
survenue d’événements cardiovasculaires majeurs,
de mortalité et surtout d’efficacité antitumorale. Le
retentissement sur la fonction ventriculaire gauche,
en cours d’étude, sera quantifié à distance compte
tenu de sa révélation souvent tardive chez l’enfant.
Un travail tchèque portant sur 75 enfants atteints
d’hémopathie montre cependant déjà que cette toxi-
cité tardive, recherchée 8 ans après la fin du traitement,
est réduite par le dexrazoxane (3).
Agents alkylants
Le cyclophosphamide (Endoxan®) est un agent alky-
lant qui expose, lorsqu’il est administré à forte dose
(dans le cadre d’une greffe de moelle par exemple),
à la survenue d’une insuffisance cardiaque aiguë,
habituellement régressive en plusieurs jours ou
semaines, liée à une nécrose hémorragique des
myocytes cardiaques. L’ifosfamide (Holoxan
®
) peut
aussi entraîner, en plus d’une dysfonction ventri-
culaire gauche, des troubles rythmiques supraven-
triculaires. Dans une série de 52 patients traités à
forte dose (10 à 18 g/m
2
) pour lymphome ou carci-
nome, 17 % développent une insuffisance cardiaque
aiguë (8 œdèmes pulmonaires traités en réanima-
tion, 5 décès), compliquée deux fois de troubles
rythmiques ventriculaires graves. En revanche,
lorsque cette phase aiguë peut être surmontée, la
dysfonction ventriculaire est réversible, comme avec
le cyclophosphamide. Par ailleurs, les troubles de
repolarisation observés à l’ECG sont fréquents, mais
leur signification est encore imprécise (3).
Inhibiteurs
des tyrosines kinases
Lexpérience actuelle porte surtout sur le trastuzumab
et l’imatinib, mais elle concerne probablement tous
les médicaments de ce large groupe, dont le déve-
loppement aujourd’hui rapide comporte une analyse
du retentissement cardiovasculaire potentiel.
Trastuzumab et autres inhibiteurs
des RTK (anticorps monoclonaux)
Dans les essais cliniques réalisés jusqu’à présent, le
trastuzumab entraîne une insuffisance cardiaque
chez 1 à 4 % des patients traités et une dysfonction
ventriculaire gauche chez 10 % d’entre eux. Ce risque,
majoré par l’âge et la présence d’une cardiopathie
préexistante, est potentialisé par les anthracyclines
et le cyclophosphamide. Dans l’analyse de 7 études
de phases II et III du trastuzumab, A.D. Seidman a
montré que l’incidence de la cardiotoxicité, observée
chez 202 patients, dépendait de l’association avec
d’autres médicaments anticancéreux : anthracyclines
et cyclophosphamide (27 %), paclitaxel (13 %). Cette
cardiotoxicité est rare lorsque le trastuzumab est
employé seul (3 à 7 %). Le plus souvent (75 %
des patients), elle est symptomatique, se mani-
festant par des épisodes d’insuffisance cardiaque
(tableau III) [3].
Tableau III. Cardiotoxicité de la chimiothérapie combinée ou non au trastuzumab chez
202 patients.
Avec trastuzumab Sans trastuzumab
Anthracycline 27 % 8 %
Paclitaxel 13 % 1 %
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Complications cardiaques des chimiothérapies anticancéreuses :
aspects cliniques
DOSSIER THÉMATIQUE
Toxicité cardiovasculaire
des traitements anticancéreux
Le suivi sur 4 ans de 48 patients ayant présenté une
insuffisance cardiaque induite par le trastuzumab a
montré la fréquente réversibilité de cette complica-
tion. Si la FEVG diminue dans les jours qui suivent
l’administration de l’anticorps lorsque les patients
ont déjà reçu l’anthracycline (la FE passe de 61 à
43 %), l’interruption du trastuzumab entraîne un
retour vers la normale de la contraction (FE : 56 %)
dans un délai moyen de 1,5 mois. La biopsie endo-
myocardique, réalisée chez 9 patients, n’a pas montré
de lésions ultrastructurales. Parmi les 25 patients
traités ultérieurement avec la même association,
3 présentent à nouveau une insuffisance cardiaque,
mais 22 en restent indemnes (3).
Les autres inhibiteurs des tyrosines kinases liés à un
récepteur membranaire (anticorps monoclonaux
inhibant les RTK) entraînent fréquemment des modi-
fications tensionnelles. C’est le cas en particulier du
bévacizumab (Avastin®), IgG1 antagoniste du VEGF-A
humain, qui élève les chiffres de pression artérielle
de près de la moitié des malades traités, et entraîne
des poussées d’hypertension, sévères chez 5 %
des malades. La dysfonction ventriculaire gauche,
rapportée dans une proportion voisine (4 %), serait
plus fréquente lorsqu’une anthracycline est associée
(14 %) ou quand une radiothérapie médiastinale a eu
lieu. Un des points particuliers de l’atteinte cardiaque
est de ne concerner que les malades qui ont présenté
une HTA sous traitement, suggérant un mécanisme
commun (inhibition de la tyrosine kinase). De la
même façon, M. Scartozzi et al. ont démontré récem-
ment que la survenue d’une HTA sous traitement est
corrélée à l’efficacité antitumorale chez des patients
atteints de cancers colorectaux métastasés traités
par irinotécan, 5-FU et bévacizumab en première
intention (7) [tableau IV].
Deux autres anticorps monoclonaux peuvent déclen-
cher des hypotensions orthostatiques parfois sévères,
accompagnées de manifestations allergiques du
type urticaire, bronchospasme ou angio-œdème :
le cétuximab (Erbitux®), antagoniste du récepteur
du facteur de croissance épidermique (EGF) humain,
administré dans le traitement du cancer colorectal
métastasé, et le rituximab (MabThera
®
), anti-
CD20 adjuvant du traitement des lymphomes non
hodgkiniens.
L’alemtuzumab (MabCampath®), IgG1 anti-CD52
actif dans les lymphomes cutanés et certaines hémo-
pathies, expose aussi à des défaillances cardiaques.
Le plus souvent, cependant, ses effets secondaires
se limitent à l’hypotension artérielle.
Imatinib et autres inhibiteurs
moléculaires des NRTK
Une dysfonction ventriculaire gauche a été rapportée
chez 10 patients traités par imatinib. Sa fréquence et
les risques du traitement sont encore mal connus ;
de même, sa physiopathologie reste incertaine, mais
est liée à l’inhibition des NRTK.
Les patients traités par sunitinib (Sutent
®
) déve-
loppent une HTA une fois sur deux et une insuffisance
cardiaque une fois sur dix. Dans une série publiée
récemment, portant sur 75 sujets, 35 patients (47 %)
présentaient des chiffres tensionnels s’élevant
au-delà de 150/100 mmHg, 6 (8 %) souffraient
d’une insuffisance cardiaque, et 10 autres (28 %)
d’une diminution de la FE supérieure à 10 % (8). Dans
une méta-analyse étudiant 4 999 sujets traités par
sunitinib pour cancer colorectal, issus de 13 essais
randomisés, l’HTA survenait chez 21,6 % d’entre eux
(6,8 % d’HTA sévère) [9].
Antimétabolites
La toxicité cardiaque du 5-fluoro-uracile (5-FU)
concerne une proportion non négligeable des patients
traités. L’âge souvent avancé de ceux-ci expose au
risque de pathologie cardiovasculaire sous-jacente,
qui majore lui-même le risque de toxicité cardiaque
du médicament. L’incidence de cette complication,
qui atteint 1,6 à 7,6 % des malades, quadruplerait
(passant, dans une étude, de 1,1 % à 4,5 %) en
présence d’une cardiopathie préalable (3).
Plusieurs types de manifestations ont été rapportés,
comprenant des cas d’insuffisance cardiaque aiguë
réversible, des hypotensions plus ou moins sévères,
associées ou non à des troubles de repolarisation
à l’ECG. Les complications les plus fréquemment
rencontrées avec les posologies de 1 000 mg/m
2
/j
répétées 4-5 jours de suite, que l’on utilise couram-
ment, sont une ischémie myocardique, des douleurs
angineuses, des troubles de repolarisation plus
ou moins sévères, un infarctus myocardique. Ces
complications ont concerné 7,6 % des 367 patients
Tableau IV. Corrélation entre activité antitumorale du bévacizumab et HTA induite (6).
Sans HTA induite sévère HTA induite grade 2-3
Proportion de patients 80 % 20 %
Rémission partielle 20 % 75 %
Survie sans progression (mois) 3,1 14,5
1 / 6 100%

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