Téléchargez le PDF - Revue Médicale Suisse

publicité
34098_858.qxp
9.4.2009
10:06
Page 1
avancée thérapeutique
Mystérieuses «cardiomyopathies
de stress»
P
1
eut-on mourir de chagrin ? Peutcoronaire significative et sans thrombose
on mourir de peur ? Le cœur hudécelable sur le réseau coronarien.
main a certes ses raisons que la
«La dysfonction ventriculaire est réverraison ignore. A l’inverse, ce même cœur
sible sans séquelle majeure en quelques
peut-il être victime d’une trop grande
semaines et le pronostic est dans l’ensouffrance qui ne soit pas d’origine myosemble bon, soulignent les auteurs de la
cardique ? Sous l’intitulé des «cardiocommunication. La mortalité est faible –
myopathies de stress», la question était
de l’ordre de 1,5% des cas – due à une
traitée il y a quelques jours à Paris par
arythmie ventriculaire immédiate ou à un
choc cardiogénique. Les récidives sont
Jean-Paul Bounhoure, professeur éméripossibles. La physiopathologie est controte à la Faculté de médecine de Toulouversée, multifactorielle, évoquant soit une
se.1 La cardiomyopathie de stress a été
sidération myocardique due à la libération
isolée en 1991 par des auteurs japonais.
brutale de catéchoDe nombreux cas ont
lamines, soit à des
été rapportés au Ja«… Comment comprendre
pon, puis aux Etatsspasmes des artéles liens pouvant se nouer
Unis et finalement en
rioles coronaires. Ce
entre les fonctions sensoriel- syndrome doit être
Europe ce qui laisse
les et le cœur dans des cirpenser que cette paconnu comme un
constances effrayantes ? …» diagnostic différenthologie, rare mais
non exceptionnelle,
tiel de l’infarctus du
myocarde, spécialement pour le sexe féa été longtemps méconnue. Elle se caracminin. Il fait discuter les conséquences
térise par la survenue brutale d’une dysmyocardiques des atteintes neurologifonction ventriculaire gauche dans les
suites d’un événement dramatique bruques ou des traumatismes psychologital. Elle peut être désignée de diverses
ques aigus.»
manières : «ballonisation apicale du venLa littérature spécialisée indique que
les signes cardiaques sont consécutifs à
tricule gauche», «broken heart syndrome»
des traumatismes psychologiques souet «Tako-Tsubo» pour les auteurs japodains et intenses, comme la mort brutanais (référence à la déformation aiguë du
le et inattendue de proches parents ou
ventricule gauche ressemblant à un piège
des phénomènes de terreurs soudaines
à pieuvre utilisé au Japon).
dans des circonstances dramatiques. Les
L’objectif premier de la présentation
symptômes cardiaques surviennent dans
parisienne consistait, à partir de l’exposé
les suites immédiates du choc psychod’une collection personnelle d’observalogique ou affectif. L’hospitalisation est
tions des auteurs (associée à une revue
décidée devant un intense syndrome doude la littérature), à rappeler les principaux
loureux thoracique évoquant soit une crise
aspects cliniques, angiographiques et évoangineuse, soit un infarctus du myocarde
lutifs de ce syndrome ; un syndrome observé dans 2% environ des cas de patients
brutal.
hospitalisés pour un syndrome coronarien
«Six de nos patientes furent hospitaliaigu.
sées pour un syndrome douloureux préCette cardiomyopathie prédomine très
cordial intense, trois autres pour une
largement chez le sexe féminin. Elle prend
dyspnée aiguë avec subœdème pulmole plus souvent l’aspect d’une douleur thonaire, enfin pour une syncope précédée
racique ou d’une dyspnée intense, assode palpitations dans le dernier cas», préciée à des anomalies majeures de la recisent les auteurs toulousains.
polarisation ventriculaire, un sus-décalage
Point important : les patients n’ont jadu segment ST sur le tracé électrique et
mais d’obstruction ou de thrombose d’un
une élévation modérée des biomarqueurs
tronc principal coronaire supérieure à 50%
cardiaques. D’une manière générale, la
de la lumière artérielle. Dans 80% des cas
dysfonction ventriculaire gauche se traduit
publiés, le réseau artériel est angiograpar une hypercontractilité des segments
phiquement normal. Dans la série toubasaux et une akinésie des segments de
lousaine, tous les patients présentent en
l’apex du ventricule. Les artères coronaires
revanche «une dyskinésie ventriculaire gauont alors un aspect normal, sans lésion
che plus ou moins prononcée, avec une
anomalie caractéristique définie par une
ballonisation apicale due à une akinésie
Communication présentée le 7 avril à l’Académie nationale
des deux tiers de l’apex du ventricule gaufrançaise de médecine par Jean-Paul Bounhoure, professeur
che, associée à une hypercontractilité,
émérite à la Faculté de médecine de Toulouse et un groupe
de spécialistes de cardiologie du CHU de Toulouse-Rangueil
une hypercinésie des parois antéro ou
et de la Clinique Pasteur de la même ville.
inférobasales.» Pour les auteurs, ces ano-
858
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 15 avril 2009
malies de la contractilité à la phase aiguë
ne correspondent pas à un territoire coronarien systématisé.
Dans un tel contexte, l’IRM cardiaque
apporte une information morphologique
et fonctionnelle qui, associée aux autres
arguments cliniques et paracliniques, permet de poser le diagnostic positif de syndrome de Tako-Tsubo et d’éliminer les principaux diagnostics différentiels d’infarctus
du myocarde et de myocardite aiguë.
La répétition des explorations montre
dans la plupart des cas une réversibilité
de l’atteinte ventriculaire avec une amélioration rapide en trois à cinq semaines.
Lorsqu’elle survient, la mortalité est la
conséquence de complications dramatiques initiales, fibrillations ou tachycardies ventriculaires, blocs auriculo-ventriculaires, choc cardiogénique.
Comment comprendre les liens pouvant se nouer entre les fonctions sensorielles et le cœur dans des circonstances
perçues comme effrayantes ? La physiopathologie de tels syndromes est encore
controversée. On évoque plusieurs hypothèses plus ou moins crédibles : sidération myocardique brutale liée à la libération importante de catécholamines lors
d’un stress brutal, un événement soudain
bouleversant ; sidération ischémique myocardique entraînée par un spasme coronarien ou des microspasmes touchant la
distalité de plusieurs artères coronaires ;
infarctus du myocarde «avorté» après
une thrombose coronaire spontanément
résolutive sur un réseau coronarien d’aspect angiographique sain…
On ajoutera enfin que le traitement de
ces affections est empirique, fondé sur la
suppression de la douleur et de l’ischémie
myocardique ainsi que sur la correction
la plus rapide possible de la dysfonction
ventriculaire gauche. En toute hypothèse,
l’angoisse, l’hyperémotivité des malades
justifient la prescription dès leur hospitalisation de sédatifs, d’anxiolytiques et une
prise en charge psychologique ou psychiatrique.
Pourquoi donc faudrait-il mourir de
peur ? Pourquoi donc faudrait-il que le
chagrin l’emporte ?
Jean-Yves Nau
[email protected]
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2009
00
Téléchargement