DOSSIER THÉMATIQUE Toxicité cardiovasculaire des traitements anticancéreux Complications cardiaques des chimiothérapies anticancéreuses : aspects cliniques Cardiac side effects of anticancer drugs: clinical perspectives Jean-Jacques Monsuez* L a chimiothérapie des cancers a évolué très rapidement au cours des dernières années, avec une place croissante donnée aux associations d’antimitotiques, dont les actions se potentialisent, l’apparition des thérapies dites “ciblées”, qui constituent une véritable révolution thérapeutique, et la possibilité de traiter des malades plus longtemps, sur plusieurs “lignes” de chimiothérapies successives, cela avec des résultats en progression constante, y compris pour les plus âgés d’entre eux. Ces innovations découlent de la rapidité avec laquelle la connaissance de la biologie de la cellule cancéreuse s’est traduite en applications pharmacologiques (voir “Mécanismes de la toxicité cardiaque des chimiothérapies anticancéreuses”, p. 11), ce qui, pour le cardiologue, a eu pour corollaire l’apparition de nouveaux effets indésirables, en particulier cardiaques, dont la physiopathologie s’est, elle aussi, beaucoup compliquée. La prise en charge cardiologique du malade traité par chimiothérapie anticancéreuse et sa compréhension physiopathologique ont donc changé. La nature et la fréquence des complications cardiaques rencontrées dépendent de l’agent antimitotique administré, de sa posologie cumulative, mais aussi des associations dans lesquelles il est inclus (potentialisation). Anthracyclines Risque cardiaque * Consultation de cardiologie, département des maladies infectieuses et tropicales, médecine interne et addictologie, hôpital Paul-Brousse, Villejuif. L’administration d’anthracyclines expose environ 3 % des malades à un risque de complications aiguës, représentées essentiellement par des troubles rythmiques (fibrillation atriale, extrasystoles, plus 16 | La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 fréquentes en cas de cardiopathie préalable), une insuffisance cardiaque aiguë, plus fréquente et souvent particulièrement grave chez l’enfant, plus rarement une ischémie myocardique (1, 2). Les administrations répétées entraînent une toxicité cardiaque dépendante de la dose cumulative, variable d’un malade à l’autre, d’une anthracycline à l’autre, majorée par certaines associations (radiothérapie, cyclophosphamide, trastuzumab) et réduite par le dexrazoxane (prévention). Elle se manifeste d’abord par une altération de la fonction diastolique ventriculaire pour des doses cumulatives de doxorubicine de 200 mg/m2, puis par une atteinte de la fonction systolique, à partir de 450-600 mg/­m2 ; ce seuil varie d’un patient à l’autre et est parfois plus élevé. L’altération de la fonction diastolique, habituellement asymptomatique, se traduit, du point de vue de la surveillance échographique, par un ralentissement de la décroissance de l’onde E de remplissage du ventricule gauche, une inversion du rapport onde E/onde A et un allongement du temps de relaxation isovolumétrique, paramètres décrits par M.F. Stoddart (3). La dysfonction systolique, lorsqu’elle atteint le seuil classique d’une diminution de plus de 20 % de la fraction de raccourcissement, peut s’aggraver rapidement et expose au risque d’insuffisance cardiaque symptomatique. La plupart des travaux ayant indiqué, pour une anthracycline donnée, les seuils au-delà desquels le risque de toxicité devient significatif ont surtout pris en compte la survenue de signes d’insuffisance cardiaque clinique, et non les paramètres échographiques. Le seuil de 550 mg/m² a été établi par M.R. Bristow, qui a analysé le suivi de 3 941 patients traités par doxorubicine (88 cas d’insuffisance cardiaque). Si, en dessous d’une Résumé Les anthracyclines sont à l’origine d’une toxicité cardiaque cumulative, dose-dépendante. La surveillance (essentiellement échographique) a pour but de déceler l’apparition d’altérations de la fonction systolique ventriculaire gauche. La prévention par le dexrazoxane, qui s’est montrée efficace dans de nombreuses études cliniques, n’est pas complète. Le trastuzumab majore le risque de dysfonction ventriculaire gauche. Les antimétabolites exposent surtout à un risque coronaire, principalement chez les malades ayant des antécédents de coronaropathie. dose cumulative de 400 mg/m 2, 0,14 % seulement des patients sont touchés, cette proportion passe à 7 % pour 550 mg/m2 et à 18 % au-delà de 700 mg/m 2. L’augmentation rapide de cette courbe dose-toxicité à partir de 500-550 mg/­m2 a permis de fixer à 550 mg/m2 le seuil de toxicité à ne pas dépasser. La prise en compte du seuil de toxicité doit être complétée par celle des facteurs potentialisant la cardiotoxicité, en fait fréquemment présents et réunis chez un même malade : – autres antimitotiques : cyclophosphamide, trastuzumab, taxanes (docétaxel, paclitaxel) ; – radiothérapie médiastinale ; – jeune âge : les enfants sont particulièrement à risque, notamment après un traitement pour leucémie (la moitié des enfants en rémission de leucémie aiguë lymphoblastique ayant reçu de la doxorubicine présente des signes échographiques de dysfonction ventriculaire gauche tardive) ; – cardiopathie sous-jacente. La toxicité cardiaque peut enfin se manifester tardivement, plusieurs années après la fin d’un traitement au décours immédiat duquel la fonction ventriculaire gauche systolique était préservée. Ces dysfonctions tardives grèvent l’évolution de 5 à 10 % des patients. Ainsi, parmi les 115 enfants étudiés par S.E. Lipshultz (3), 5 ont développé une insuffisance cardiaque patente dans les 11 ans qui ont suivi le traitement et 57 % ont présenté une dysfonction ventriculaire gauche à l’échographie. L.J. Steinherz (3) retrouve le même phénomène chez l’adulte, avec une ampleur toutefois moindre : 9 cas d’insuffisance cardiaque et 18 % de cas de dysfonction systolique asymptomatique chez 201 patients suivis de 4 à 10 ans. Surveillance La surveillance du traitement par anthracyclines a pour but de dépister l’atteinte précoce et d’éviter sa progression vers la dysfonction ventriculaire gauche et l’insuffisance cardiaque. Plusieurs méthodes sont utilisées : l’échocardiographie, l’imagerie isotopique (voir “Imagerie des complications cardiaques des traitements anticancéreux”, p. 14) et, depuis peu, les marqueurs plasmatiques. ◆◆ Échographie cardiaque La surveillance ne doit pas se limiter à mesurer l’altération de la fraction de raccourcissement (FR) des fibres circulaires, que le seuil d’interruption thérapeutique retenu soit une FR inférieure à 26 % ou une diminution de la FR de plus de 20 %, car ces deux critères, longtemps utilisés, peuvent être tardifs. Les premiers paramètres atteints en échographie conventionnelle sont ceux de la “relaxation” : ralentissement de la décroissance de l’onde E transmitrale et allongement du temps de relaxation isovolumétrique. Survenant dès la dose cumulative équivalente de 200 mg/­m² de doxorubicine, ces phénomènes précèdent habituellement l’atteinte de la fonction systolique (> 400 mg/m²). La surveillance devrait probablement donner une place plus importante à l’étude de la fonction diastolique, aux pressions de remplissage, au doppler tissulaire et à l’étude du strain. Ainsi, dans l’étude de S. Tassan-Mangina, le suivi de 20 patients ayant reçu une dose cumulative moyenne de 227 mg de doxorubicine en 6 mois n’a pas montré d’altération de la fonction systolique ventriculaire gauche, alors que le doppler tissulaire a objectivé un trouble de la relaxation myocardique radiale et longitudinale (onde E myocardique [Em] de la paroi postérieure et de la paroi latérale du VG respectivement). La vélocité maximale de l’onde systolique myocardique a diminué parallèlement, témoignant d’une atteinte débutante de la fonction systolique (4). L’échographie de strain permettrait de dépister précocement le retentissement myocardique. L’étude de G. Mercuro (5), qui porte sur 16 patients traités par épirubicine et suivis de façon séquentielle, montre que le strain rate (SR) est altéré dès la dose cumulative de 200 mg/m², alors que les autres paramètres dits “précoces”, dérivés du doppler à l’anneau mitral (Em au septum interventriculaire basal, Em/onde A myocardique [Am]), ne le sont qu’à partir de 300 mg/m² (tableau I). Mots-clés Toxicité cardiaque Médicaments anticancéreux Anthracyclines Inhibiteurs de tyrosine kinase Summary Anthracyclins induce a dosedependent cardiac toxicity, which may been detected by serial echocardiography. Prevention with dexrazoxane has been shown effective in many studies, but has also failed in other instances. Trastuzumab may impair left ventricular function, especially when combined with anthracyclins. Antimetabolite drugs may promote acute coronary events, mainly in patients with a past history of coronary artery disease. Keywords Cardiac side effects Cancer drugs Anthracyclins Tyrosine kinase inhibitors Tableau I. Échographie de strain dans le dépistage précoce (p < 0,05 pour tous les items sauf les items inchangés). Épirubicine cumulative Avant traitement 200 mg/m² 300 mg/m² inchangé inchangé Strain rate (s– 1) 1,82 ± 0,5 1,45 ± 0,44 Rapport E/A 1,16 ± 0,25 inchangé Em (cm/s) 8,86 ± 1,73 inchangé 7,51 ± 2,3 Rapport Em/Am 1,09 ± 0,51 inchangé 0,83 ± 0,51 Strain 0,93 ± 0,24 La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 | 17 DOSSIER THÉMATIQUE Toxicité cardiovasculaire des traitements anticancéreux Complications cardiaques des chimiothérapies anticancéreuses : aspects cliniques ◆◆ Marqueurs plasmatiques Le brain natriuretic peptide (BNP) a été le premier exploré. Il a été dosé de façon séquentielle chez 107 patients recevant des anthracyclines, mais ne s’est pas révélé prédictif de la survenue d’une dysfonction ventriculaire gauche (observée chez 19 % des patients) [3]. En revanche, la mesure de la troponine I au décours immédiat de chaque cycle d’administration (5 dosages en 3 jours, la valeur la plus élevée étant retenue), puis un mois après la fin de la chimiothérapie, apporte dans une étude portant sur 703 patients, des informations très discriminantes (3). Trois profils cinétiques sont observés. Dans un premier groupe (495 patients), la troponine I reste normale, inférieure à 0,08 ng/ml, après chaque cure et au décours du traitement. La fonction ventriculaire gauche ne se modifie pas au cours du suivi ultérieur (1 an), et le taux d’événements cardiovasculaires est très faible, de l’ordre de 1 %. À l’inverse, les 145 patients dont la troponine initiale est supérieure à 0,08 ng/ml mais dont la troponine en fin de traitement est normale ont un risque d’événements cardiaques plus élevé (37 %), qui reste par ailleurs en deçà de celui des 63 malades dont les troponines initiales et tardives sont élevées, le risque atteignant dans ce cas 84 %. Ainsi l’élévation de la troponine I permet-elle de dépister dès la première cure le patient à risque de développer une toxicité myocardique. Prévention Le dexrazoxane (Cardioxane ®, Zinecard ®) est un chélateur du fer qui prévient la survenue d’une cardiotoxicité dans la majorité des modèles animaux sans compromettre l’efficacité antitumorale. Il agit en captant un atome de fer Fe3+ de la ferritine, de la transferrine ou d’un complexe fer-anthracycline. L’expérience clinique est maintenant bien établie. Le prétraitement par dexrazoxane de patientes atteintes de cancer du sein et recevant des cycles de chimiothérapie adjuvante comprenant de la doxorubicine à la Tableau II. Risque de cardiotoxicité des anthracyclines en fonction de l’administration ou non d’un traitement associé par dexrazoxane. Patients (n) Dexrazoxane – (%) Dexrazoxane + (%) J.L. Speyer 74 14,7 2,7 S.M. Swain 534 8 1 S.M. Swain 200 22 3 M. Venturini 160 23 7,3 F. Testore 318 – 1,57 18 | La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 dose de 50 mg/­m2 tous les 21 jours montre ainsi, dans l’une des premières séries publiées par J.L. Speyer et al. en 1991, que la diminution de la fraction d’éjection (suivie par ventriculographie isotopique) est moins importante, à dose cumulative égale (400-500 mg/m2), dans le groupe recevant le dexrazoxane (2,7 %) que dans le groupe témoin (14,7 %) [tableau II] (3). Une étude rapportant l’expérience d’un centre recourant systématiquement au dexrazoxane retrouve même un taux encore plus bas de cardiotoxicité (1,57 %) [6]. Au cours du traitement de 534 femmes atteintes de cancer du sein à un stade avancé, la probabilité de développer des signes de dysfonction ventriculaire gauche à l’échographie ou une insuffisance cardiaque clinique a été de 2 à 2,63 fois plus élevée lorsque le dexrazoxane n’était pas administré que lorsqu’il l’était (3). Une indication privilégiée du médicament pourrait naître du maintien de son bénéfice lorsqu’il est débuté chez des patients ayant déjà reçu une dose de 300 mg/m2 et dont le traitement par anthracyclines reste indispensable. Ainsi, dans cette situation, parmi les 102 patientes atteintes de cancer du sein avancé ayant reçu le dexrazoxane, seules 3 % ont évolué vers la dysfonction ventriculaire gauche, versus 22 % des 99 sujets n’en ayant pas reçu. Le pourcentage de malades ayant terminé le cycle de 15 séances de chimiothérapie atteint 26 % chez les premières et 5 % chez les secondes (3). Dans l’étude de M. Venturini, au cours de laquelle le dexrazoxane prévient également la toxicité de l’épirubicine (7,3 % versus 23,1 %), des résultats similaires sont obtenus pour 160 femmes atteintes de cancer du sein avancé ayant déjà été traitées (3). L’utilisation chez l’enfant prévient également l’apparition d’altérations de la contraction en échographie. L.H. Wexler, en comparant l’évolution de 18 enfants traités par doxorubicine pour sarcome, a montré une meilleure tolérance échographique avec le dexrazoxane (22 % de cas d’atteintes asymptomatiques) que sans (67 %) [3]. Ce bénéfice permet l’administration de doses cumulatives plus élevées (410 mg/m2 versus 310 mg/m2). Le risque important de cardiotoxicité (immédiate et différée) des anthracyclines à forte dose chez l’enfant fait de sa prévention l’une des priorités thérapeutiques dans le cadre des leucémies aiguës. Dans l’étude de S.E. Lipshultz, les 101 enfants atteints de leucémie aiguë lymphoblastique traités, en 10 cures espacées de 3 semaines, par 30 mg/m2 de doxorubicine ont été randomisés entre un groupe avec dexrazoxane (n = 82) et un groupe sans dexrazoxane (n = 76), et suivis par dosage séquentiel de la troponine T (3). L’augmentation de la troponine T (> 0,01 ng/ml), qui DOSSIER THÉMATIQUE survient chez 35 % des enfants, est plus fréquente en l’absence de dexrazoxane (50 % versus 21 %), sans que soit cependant constatée de différence en termes de survenue d’événements cardiovasculaires majeurs, de mortalité et surtout d’efficacité anti-tumorale. Le retentissement sur la fonction ventriculaire gauche, en cours d’étude, sera quantifié à distance compte tenu de sa révélation souvent tardive chez l’enfant. Un travail tchèque portant sur 75 enfants atteints d’hémopathie montre cependant déjà que cette toxicité tardive, recherchée 8 ans après la fin du traitement, est réduite par le dexrazoxane (3). Agents alkylants Le cyclophosphamide (Endoxan®) est un agent alkylant qui expose, lorsqu’il est administré à forte dose (dans le cadre d’une greffe de moelle par exemple), à la survenue d’une insuffisance cardiaque aiguë, habituellement régressive en plusieurs jours ou semaines, liée à une nécrose hémorragique des myocytes cardiaques.L’ifosfamide (Holoxan ®), peut aussi entraîner, en plus d’une dysfonction ventriculaire gauche, des troubles rythmiques supraventriculaires. Dans une série de 52 patients traités à forte dose (10 à 18 g/m2) pour lymphome ou carcinome, 17 % développent une insuffisance cardiaque aiguë (8 œdèmes pulmonaires traités en réanimation, 5 décès), compliquée deux fois de troubles rythmiques ventriculaires graves. En revanche, lorsque cette phase aiguë peut être surmontée, la dysfonction ventriculaire est réversible, comme avec le cyclophosphamide. Par ailleurs, les troubles de repolarisation observés à l’ECG sont fréquents, mais leur signification est encore imprécise (3). Inhibiteurs des tyrosine kinases L’expérience actuelle porte surtout sur le trastuzumab et l’imatinib, mais elle concerne probablement tous les médicaments de ce large groupe, dont le développement aujourd’hui rapide comporte une analyse du retentissement cardiovasculaire potentiel. Trastuzumab et autres inhibiteurs des RTK (anticorps monoclonaux) Dans les essais cliniques réalisés jusqu’à présent, le trastuzumab entraîne une insuffisance cardiaque chez 1 à 4 % des patients traités et une dysfonction Tableau III. Cardiotoxicité de la chimiothérapie combinée ou non au trastuzumab chez 202 patients. Avec trastuzumab Sans trastuzumab Anthracycline 27 % 8 % Paclitaxel 13 % 1 % ventriculaire gauche chez 10 % d’entre eux. Ce risque, majoré par l’âge et la présence d’une cardiopathie préexistante, est potentialisé par les anthracyclines et le cyclophosphamide. Dans l’analyse de 7 études de phases II et III du trastuzumab, A.D. Seidman a montré que l’incidence de la cardiotoxicité, observée chez 202 patients, dépendait de l’association avec d’autres médicaments anticancéreux : anthracyclines et cyclophosphamide (27 %), paclitaxel (13 %). Cette cardiotoxicité est rare lorsque le trastuzumab est employé seul (3 à 7 %). Le plus souvent (75 % des patients), elle est symptomatique, se manifestant par des épisodes d’insuffisance cardiaque (tableau III) [3]. Le suivi sur 4 ans de 48 patients ayant présenté une insuffisance cardiaque induite par le trastuzumab a montré la fréquente réversibilité de cette complication. Si la FEVG diminue dans les jours qui suivent l’administration de l’anticorps lorsque les patients ont déjà reçu l’anthracycline (la FE passe de 61 à 43 %), l’interruption du trastuzumab entraîne un retour vers la normale de la contraction (FE : 56 %) dans un délai moyen de 1,5 mois. La biopsie endomyocardique, réalisée chez 9 patients, n’a pas montré de lésions ultrastructurales. Parmi les 25 patients traités ultérieurement avec la même association, 3 présentent à nouveau une insuffisance cardiaque, mais 22 en restent indemnes (3). Les autres inhibiteurs des tyrosine kinases liés à un récepteur membranaire (anticorps monoclonaux inhibant les RTK) entraînent fréquemment des modifications tensionnelles. C’est le cas en particulier du bévacizumab (Avastin®), IgG1 antagoniste du VEGF-A humain, qui élève les chiffres de pression artérielle de près de la moitié des malades traités, et entraîne des poussées d’hypertension, sévères chez 5 % des malades. La dysfonction ventriculaire gauche, rapportée dans une proportion voisine (4 %), serait plus fréquente lorsqu’une anthracycline est associée (14 %) ou quand une radiothérapie médiastinale a eu lieu. Un des points particuliers de l’atteinte cardiaque est de ne concerner que les malades qui ont présenté une HTA sous traitement, suggérant un mécanisme commun (inhibition de la tyrosine kinase). De la même façon, M. Scartozzi et al. ont démontré récemment que la survenue d’une HTA sous traitement est corrélée à l’efficacité antitumorale chez des patients atteints de cancers colorectaux métastasés traités par irinotécan, 5-FU et bévacizumab en première intention (7) [tableau IV]. La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 | 19 DOSSIER THÉMATIQUE Toxicité cardiovasculaire des traitements anticancéreux Complications cardiaques des chimiothérapies anticancéreuses : aspects cliniques Tableau IV. Corrélation entre activité antitumorale du bévacizumab et HTA induite (6). Sans HTA induite sévère HTA induite grade 2-3 Proportion de patients 80 % 20 % Rémission partielle 20 % 75 % 3,1 14,5 Survie sans progression (mois) Références bibliographiques 1. Monsuez JJ, Charniot JC,Vignat N. Complications cardiaques des maladies malignes et de leur traitement. Paris: EMC (Elsevier Masson SAS), Cardiologie 2008, 11-048-C-10. 2. Minotti G, Menna P, Salvatorelli E, Cairo G, Gianni L. Anthracyclines: molecular advances and pharmacologic developments in antitumor activity and cardiotoxicity. Pharmacol Rev 2004, 56: 185-229. 3. Traité EMC. Paris: EMC (Elsevier Masson), Cardiologie 2008. 4. Tassan-Mangina S, Codorean D, Metivier M et al. Tissue Doppler imaging and conventional echocardiography after anthracycline treatment in adults: early and late alterations of left ventricular function during a prospective study. Eur J Echocardiogr 2006;7:141-6. 5. Mercuro G, Caddeddu C, Piras E et al. Early epirubicin myocardial dysfunction revealed by serial tissue doppler echocardiography. Correlation with inflammatory and oxidative stress markers. Oncologist 2007;12:1124-33. 6. Testore F, Milanese S, Ceste M. Cardioprotective effect of dexrazoxane in patients with breast cancer treated with anthracyclins in adjuvant setting. Am J Cardiovasc Drugs 2008;8:257-63. 7. Scartozzi M, Galizia E, Chiorrini S. Arterial hypertension correlates with clinical outcome in colorectal cancer patients treated with first line bevacizumab. Ann Oncol 2008; oct 7. [Epub ahead of print] 8. Chu TF, Rupnick MA, Kerkelä R. Cardiotoxicity associated with tyrosine kinase inhibitor sunitinib. Lancet 2007;370:2011-9. 9. Zhu X, Stergiopoulos K, Wu S. Risk of hypertension and renal dysfunction with angiogenesis inhibitor sunitinib: systematic review and meta-analysis. Acta Oncol 2008;20:1-9. Deux autres anticorps monoclonaux peuvent déclencher des hypotensions orthostatiques parfois sévères, accompagnées de manifestations allergiques du type urticaire, bronchospasme ou angio-œdème : le cétuximab (Erbitux®), antagoniste du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGF) humain, administré dans le traitement du cancer colorectal métastasé, et le rituximab (MabThera ®), antiCD20 adjuvant du traitement des lymphomes non hodgkiniens. L’alemtuzumab (MabCampath®), IgG1 anti-CD52 actif dans les lymphomes cutanés et certaines hémopathies, expose aussi à des défaillances cardiaques. Le plus souvent, cependant, ses effets secondaires se limitent à l’hypotension artérielle. Imatinib et autres inhibiteurs moléculaires des NRTK Une dysfonction ventriculaire gauche a été rapportée chez 10 patients traités par imatinib. Sa fréquence et les risques du traitement sont encore mal connus ; de même, sa physiopathologie reste incertaine, mais est liée à l’inhibition des NRTK. Les patients traités par sunitinib (Sutent®) développent une HTA une fois sur deux et une insuffisance cardiaque une fois sur dix. Dans une série publiée récemment, portant sur 75 sujets, 35 patients (47 %) présentaient des chiffres tensionnels s’élevant au-delà de 150/100 mmHg, 6 (8 %) souffraient d’une insuffisance cardiaque, et 10 autres (28 %) d’une diminution de la FE supérieure à 10 % (8). Dans une méta-analyse étudiant 4 999 sujets traités par sunitinib pour cancer colorectal, issus de 13 essais randomisés, l’HTA survenait chez 21,6 % d’entre eux (6,8 % d’HTA sévère) [9]. Antimétabolites La toxicité cardiaque du 5-fluoro-uracile (5-FU) concerne une proportion non négligeable des patients traités. L’âge souvent avancé de ceux-ci expose au risque de pathologie cardiovasculaire 20 | La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 sous-jacente, qui majore lui-même le risque de toxicité cardiaque du médicament. L’incidence de cette complication, qui atteint 1,6 à 7,6 % des malades, quadruplerait (passant, dans une étude, de 1,1 % à 4,5 %) en présence d’une cardiopathie préalable (3). Plusieurs types de manifestations ont été rapportés, comprenant des cas d’insuffisance cardiaque aiguë réversible, des hypotensions plus ou moins sévères, associées ou non à des troubles de repolarisation à l’ECG. Les complications les plus fréquemment rencontrées avec les posologies de 1 000 mg/m2/j répétées 4-5 jours de suite, que l’on utilise couramment, sont une ischémie myocardique, des douleurs angineuses, des troubles de repolarisation plus ou moins sévères, un infarctus myocardique. Ces complications ont concerné 7,6 % des 367 patients de l’étude de M. De Formi et sont responsables de 2,2 % de décès (3). Plus fréquentes chez les patients coronariens, elles s’observent aussi régulièrement chez des sujets indemnes de coronaropathie, à coronaires normales à l’angiographie. Deux mécanismes physiopathologiques ont été proposés : déclenchement d’un spasme coronaire et/ou toxicité myocardique directe, et non secondaire à l’ischémie. Lorsqu’une cardiotoxicité est survenue lors d’une première cure, elle a deux chances sur trois de se reproduire à la cure suivante, et son évolution peut être défavorable. Aucun traitement du type vasodilatateurs (nitrés) ou antispastiques (dérivés calciques) n’a montré jusqu’à présent d’efficacité préventive sur les récidives lors des traitements ultérieurs. Aussi la meilleure prévention consiste-t-elle à recourir à un autre antimitotique au décours d’un épisode de cardiotoxicité, à éviter le 5-FU chez le patient coronarien avéré et à dépister la maladie coronaire avant le traitement chez les patients à risque. La capécitabine, qui appartient à la classe des fluoropyrimidines, est en fait le précurseur métabolique du 5-FU. Elle peut, elle aussi, entraîner des complications cardiaques ischémiques et des troubles du rythme ventriculaire. Le plus souvent, ces manifestations sont réversibles à l’arrêt du traitement. Le risque est majoré chez les coronariens et lorsque le traitement est associé à l’oxaliplatine. Dans une série publiée récemment, une complication cardiaque est survenue ainsi chez 10 des 153 patients (6,5 %) traités par cette association, 8 fois sur 10 au cours du premier cycle : une mort subite, une tachycardie ventriculaire, une insuffisance cardiaque avec élévation de la troponine et 7 syndromes coronaires aigus (4,6 %) [3]. ■