Complications cardiaques des chimiothérapies anticancéreuses

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DOSSIER THÉMATIQUE
Toxicité cardiovasculaire
des traitements anticancéreux
Complications cardiaques des
chimiothérapies anticancéreuses :
aspects cliniques
Cardiac side effects of anticancer drugs:
clinical perspectives
Jean-Jacques Monsuez*
L
a chimiothérapie des cancers a évolué très rapidement au cours des dernières années, avec une
place croissante donnée aux associations d’antimitotiques, dont les actions se potentialisent, l’apparition des thérapies dites “ciblées”, qui constituent une
véritable révolution thérapeutique, et la possibilité de
traiter des malades plus longtemps, sur plusieurs “lignes”
de chimiothérapies successives, cela avec des résultats
en progression constante, y compris pour les plus âgés
d’entre eux. Ces innovations découlent de la rapidité
avec laquelle la connaissance de la biologie de la cellule
cancéreuse s’est traduite en applications pharmacologiques (voir “Mécanismes de la toxicité cardiaque
des chimiothérapies anticancéreuses”, p. 11), ce qui,
pour le cardiologue, a eu pour corollaire l’apparition de
nouveaux effets indésirables, en particulier cardiaques,
dont la physiopathologie s’est, elle aussi, beaucoup
compliquée. La prise en charge cardiologique du malade
traité par chimiothérapie anticancéreuse et sa compréhension physiopathologique ont donc changé.
La nature et la fréquence des complications cardiaques rencontrées dépendent de l’agent antimitotique administré, de sa posologie cumulative,
mais aussi des associations dans lesquelles il est
inclus (potentialisation).
Anthracyclines
Risque cardiaque
* Consultation de cardiologie, département des maladies infectieuses
et tropicales, médecine interne et
addictologie, hôpital Paul-Brousse,
Villejuif.
L’administration d’anthracyclines expose environ 3 %
des malades à un risque de complications aiguës,
représentées essentiellement par des troubles
rythmiques (fibrillation atriale, extrasystoles, plus
16 | La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 fréquentes en cas de cardiopathie préalable), une
insuffisance cardiaque aiguë, plus fréquente et
souvent particulièrement grave chez l’enfant, plus
rarement une ischémie myocardique (1, 2).
Les administrations répétées entraînent une toxicité
cardiaque dépendante de la dose cumulative, variable
d’un malade à l’autre, d’une anthracycline à l’autre,
majorée par certaines associations (radiothérapie,
cyclophosphamide, trastuzumab) et réduite par le
dexrazoxane (prévention). Elle se manifeste d’abord
par une altération de la fonction diastolique ventriculaire pour des doses cumulatives de doxorubicine
de 200 mg/m2, puis par une atteinte de la fonction
systolique, à partir de 450-600 mg/­m2 ; ce seuil varie
d’un patient à l’autre et est parfois plus élevé. L’altération de la fonction diastolique, habituellement
asymptomatique, se traduit, du point de vue de la
surveillance échographique, par un ralentissement de
la décroissance de l’onde E de remplissage du ventricule gauche, une inversion du rapport onde E/onde A
et un allongement du temps de relaxation isovolumétrique, paramètres décrits par M.F. Stoddart (3).
La dysfonction systolique, lorsqu’elle atteint le seuil
classique d’une diminution de plus de 20 % de la fraction de raccourcissement, peut s’aggraver rapidement
et expose au risque d’insuffisance cardiaque symptomatique. La plupart des travaux ayant indiqué, pour
une anthracycline donnée, les seuils au-delà desquels
le risque de toxicité devient significatif ont surtout
pris en compte la survenue de signes d’insuffisance
cardiaque clinique, et non les paramètres échographiques. Le seuil de 550 mg/m² a été établi
par M.R. Bristow, qui a analysé le suivi de
3 941 patients traités par doxorubicine (88 cas
d’insuffisance cardiaque). Si, en dessous d’une
Résumé
Les anthracyclines sont à l’origine d’une toxicité cardiaque cumulative, dose-dépendante. La surveillance (essentiellement échographique) a pour but de déceler l’apparition d’altérations de la fonction systolique ventriculaire
gauche. La prévention par le dexrazoxane, qui s’est montrée efficace dans de nombreuses études cliniques, n’est
pas complète. Le trastuzumab majore le risque de dysfonction ventriculaire gauche. Les antimétabolites exposent
surtout à un risque coronaire, principalement chez les malades ayant des antécédents de coronaropathie.
dose cumulative de 400 mg/m 2, 0,14 % seulement des patients sont touchés, cette proportion
passe à 7 % pour 550 mg/m2 et à 18 % au-delà
de 700 mg/m 2. L’augmentation rapide de cette
courbe dose-toxicité à partir de 500-550 mg/­m2
a permis de fixer à 550 mg/m2 le seuil de toxicité à
ne pas dépasser.
La prise en compte du seuil de toxicité doit être
complétée par celle des facteurs potentialisant la
cardiotoxicité, en fait fréquemment présents et
réunis chez un même malade :
– autres antimitotiques : cyclophosphamide, trastuzumab, taxanes (docétaxel, paclitaxel) ;
– radiothérapie médiastinale ;
– jeune âge : les enfants sont particulièrement à risque,
notamment après un traitement pour leucémie (la
moitié des enfants en rémission de leucémie aiguë
lymphoblastique ayant reçu de la doxorubicine
présente des signes échographiques de dysfonction
ventriculaire gauche tardive) ;
– cardiopathie sous-jacente.
La toxicité cardiaque peut enfin se manifester tardivement, plusieurs années après la fin d’un traitement
au décours immédiat duquel la fonction ventriculaire
gauche systolique était préservée. Ces dysfonctions
tardives grèvent l’évolution de 5 à 10 % des patients.
Ainsi, parmi les 115 enfants étudiés par S.E. Lipshultz (3), 5 ont développé une insuffisance cardiaque
patente dans les 11 ans qui ont suivi le traitement
et 57 % ont présenté une dysfonction ventriculaire
gauche à l’échographie. L.J. Steinherz (3) retrouve le
même phénomène chez l’adulte, avec une ampleur
toutefois moindre : 9 cas d’insuffisance cardiaque et
18 % de cas de dysfonction systolique asymptomatique chez 201 patients suivis de 4 à 10 ans.
Surveillance
La surveillance du traitement par anthracyclines a
pour but de dépister l’atteinte précoce et d’éviter sa
progression vers la dysfonction ventriculaire gauche
et l’insuffisance cardiaque. Plusieurs méthodes sont
utilisées : l’échocardiographie, l’imagerie isotopique
(voir “Imagerie des complications cardiaques des
traitements anticancéreux”, p. 14) et, depuis peu,
les marqueurs plasmatiques.
◆◆ Échographie cardiaque
La surveillance ne doit pas se limiter à mesurer l’altération de la fraction de raccourcissement (FR) des fibres
circulaires, que le seuil d’interruption thérapeutique
retenu soit une FR inférieure à 26 % ou une diminution
de la FR de plus de 20 %, car ces deux critères, longtemps utilisés, peuvent être tardifs. Les premiers paramètres atteints en échographie conventionnelle sont
ceux de la “relaxation” : ralentissement de la décroissance de l’onde E transmitrale et allongement du temps
de relaxation isovolumétrique. Survenant dès la dose
cumulative équivalente de 200 mg/­m² de doxorubicine,
ces phénomènes précèdent habituellement l’atteinte de
la fonction systolique (> 400 mg/m²). La surveillance
devrait probablement donner une place plus importante
à l’étude de la fonction diastolique, aux pressions de
remplissage, au doppler tissulaire et à l’étude du strain.
Ainsi, dans l’étude de S. Tassan-Mangina, le suivi de
20 patients ayant reçu une dose cumulative moyenne
de 227 mg de doxorubicine en 6 mois n’a pas montré
d’altération de la fonction systolique ventriculaire
gauche, alors que le doppler tissulaire a objectivé un
trouble de la relaxation myocardique radiale et longitudinale (onde E myocardique [Em] de la paroi postérieure
et de la paroi latérale du VG respectivement). La vélocité
maximale de l’onde systolique myocardique a diminué
parallèlement, témoignant d’une atteinte débutante
de la fonction systolique (4).
L’échographie de strain permettrait de dépister précocement le retentissement myocardique. L’étude de
G. Mercuro (5), qui porte sur 16 patients traités par épirubicine et suivis de façon séquentielle, montre que le strain
rate (SR) est altéré dès la dose cumulative de 200 mg/m²,
alors que les autres paramètres dits “précoces”, dérivés
du doppler à l’anneau mitral (Em au septum interventriculaire basal, Em/onde A myocardique [Am]), ne le
sont qu’à partir de 300 mg/m² (tableau I).
Mots-clés
Toxicité cardiaque
Médicaments
anticancéreux
Anthracyclines
Inhibiteurs de tyrosine
kinase
Summary
Anthracyclins induce a dosedependent cardiac toxicity,
which may been detected
by serial echocardiography.
Prevention with dexrazoxane
has been shown effective in
many studies, but has also
failed in other instances.
Trastuzumab may impair left
ventricular function, especially
when combined with anthracyclins. Antimetabolite drugs
may promote acute coronary
events, mainly in patients with
a past history of coronary artery
disease.
Keywords
Cardiac side effects
Cancer drugs
Anthracyclins
Tyrosine kinase inhibitors
Tableau I. Échographie de strain dans le dépistage précoce (p < 0,05 pour tous les items sauf
les items inchangés).
Épirubicine
cumulative
Avant traitement
200 mg/m²
300 mg/m²
inchangé
inchangé
Strain rate (s– 1)
1,82 ± 0,5
1,45 ± 0,44
Rapport E/A
1,16 ± 0,25
inchangé
Em (cm/s)
8,86 ± 1,73
inchangé
7,51 ± 2,3
Rapport Em/Am
1,09 ± 0,51
inchangé
0,83 ± 0,51
Strain
0,93 ± 0,24
La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 | 17 DOSSIER THÉMATIQUE
Toxicité cardiovasculaire
des traitements anticancéreux
Complications cardiaques des chimiothérapies
anticancéreuses : aspects cliniques
◆◆ Marqueurs plasmatiques
Le brain natriuretic peptide (BNP) a été le premier
exploré. Il a été dosé de façon séquentielle chez
107 patients recevant des anthracyclines, mais
ne s’est pas révélé prédictif de la survenue d’une
dysfonction ventriculaire gauche (observée chez
19 % des patients) [3].
En revanche, la mesure de la troponine I au décours
immédiat de chaque cycle d’administration (5 dosages
en 3 jours, la valeur la plus élevée étant retenue), puis
un mois après la fin de la chimiothérapie, apporte dans
une étude portant sur 703 patients, des informations
très discriminantes (3). Trois profils cinétiques sont
observés. Dans un premier groupe (495 patients), la
troponine I reste normale, inférieure à 0,08 ng/ml,
après chaque cure et au décours du traitement. La
fonction ventriculaire gauche ne se modifie pas au
cours du suivi ultérieur (1 an), et le taux d’événements
cardiovasculaires est très faible, de l’ordre de 1 %.
À l’inverse, les 145 patients dont la troponine initiale
est supérieure à 0,08 ng/ml mais dont la troponine
en fin de traitement est normale ont un risque d’événements cardiaques plus élevé (37 %), qui reste par
ailleurs en deçà de celui des 63 malades dont les
troponines initiales et tardives sont élevées, le risque
atteignant dans ce cas 84 %. Ainsi l’élévation de la
troponine I permet-elle de dépister dès la première
cure le patient à risque de développer une toxicité
myocardique.
Prévention
Le dexrazoxane (Cardioxane ®, Zinecard ®) est un
chélateur du fer qui prévient la survenue d’une
cardiotoxicité dans la majorité des modèles animaux
sans compromettre l’efficacité antitumorale. Il agit
en captant un atome de fer Fe3+ de la ferritine, de la
transferrine ou d’un complexe fer-anthracycline.
L’expérience clinique est maintenant bien établie. Le
prétraitement par dexrazoxane de patientes atteintes
de cancer du sein et recevant des cycles de chimiothérapie adjuvante comprenant de la doxorubicine à la
Tableau II. Risque de cardiotoxicité des anthracyclines en fonction de l’administration ou non
d’un traitement associé par dexrazoxane.
Patients (n)
Dexrazoxane – (%)
Dexrazoxane + (%)
J.L. Speyer
74
14,7
2,7
S.M. Swain
534
8
1
S.M. Swain
200
22
3
M. Venturini
160
23
7,3
F. Testore
318
–
1,57
18 | La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 dose de 50 mg/­m2 tous les 21 jours montre ainsi, dans
l’une des premières séries publiées par J.L. Speyer et
al. en 1991, que la diminution de la fraction d’éjection
(suivie par ventriculographie isotopique) est moins
importante, à dose cumulative égale (400-500 mg/m2),
dans le groupe recevant le dexrazoxane (2,7 %) que
dans le groupe témoin (14,7 %) [tableau II] (3). Une
étude rapportant l’expérience d’un centre recourant
systématiquement au dexrazoxane retrouve même un
taux encore plus bas de cardiotoxicité (1,57 %) [6].
Au cours du traitement de 534 femmes atteintes de
cancer du sein à un stade avancé, la probabilité de
développer des signes de dysfonction ventriculaire
gauche à l’échographie ou une insuffisance cardiaque
clinique a été de 2 à 2,63 fois plus élevée lorsque le
dexrazoxane n’était pas administré que lorsqu’il l’était
(3). Une indication privilégiée du médicament pourrait naître du maintien de son bénéfice lorsqu’il est
débuté chez des patients ayant déjà reçu une dose de
300 mg/m2 et dont le traitement par anthracyclines
reste indispensable. Ainsi, dans cette situation, parmi
les 102 patientes atteintes de cancer du sein avancé
ayant reçu le dexrazoxane, seules 3 % ont évolué
vers la dysfonction ventriculaire gauche, versus 22 %
des 99 sujets n’en ayant pas reçu. Le pourcentage
de malades ayant terminé le cycle de 15 séances de
chimiothérapie atteint 26 % chez les premières et 5 %
chez les secondes (3). Dans l’étude de M. Venturini, au
cours de laquelle le dexrazoxane prévient également
la toxicité de l’épirubicine (7,3 % versus 23,1 %), des
résultats similaires sont obtenus pour 160 femmes
atteintes de cancer du sein avancé ayant déjà été
traitées (3).
L’utilisation chez l’enfant prévient également l’apparition d’altérations de la contraction en échographie. L.H. Wexler, en comparant l’évolution de
18 enfants traités par doxorubicine pour sarcome, a
montré une meilleure tolérance échographique avec
le dexrazoxane (22 % de cas d’atteintes asymptomatiques) que sans (67 %) [3]. Ce bénéfice permet
l’administration de doses cumulatives plus élevées
(410 mg/m2 versus 310 mg/m2).
Le risque important de cardiotoxicité (immédiate et
différée) des anthracyclines à forte dose chez l’enfant
fait de sa prévention l’une des priorités thérapeutiques dans le cadre des leucémies aiguës. Dans l’étude
de S.E. Lipshultz, les 101 enfants atteints de leucémie
aiguë lymphoblastique traités, en 10 cures espacées
de 3 semaines, par 30 mg/m2 de doxorubicine ont
été randomisés entre un groupe avec dexrazoxane
(n = 82) et un groupe sans dexrazoxane (n = 76), et
suivis par dosage séquentiel de la troponine T (3).
L’augmentation de la troponine T (> 0,01 ng/ml), qui
DOSSIER THÉMATIQUE
survient chez 35 % des enfants, est plus fréquente en
l’absence de dexrazoxane (50 % versus 21 %), sans
que soit cependant constatée de différence en termes
de survenue d’événements cardiovasculaires majeurs,
de mortalité et surtout d’efficacité anti-tumorale. Le
retentissement sur la fonction ventriculaire gauche,
en cours d’étude, sera quantifié à distance compte
tenu de sa révélation souvent tardive chez l’enfant.
Un travail tchèque portant sur 75 enfants atteints
d’hémopathie montre cependant déjà que cette toxicité tardive, recherchée 8 ans après la fin du traitement,
est réduite par le dexrazoxane (3).
Agents alkylants
Le cyclophosphamide (Endoxan®) est un agent alkylant qui expose, lorsqu’il est administré à forte dose
(dans le cadre d’une greffe de moelle par exemple),
à la survenue d’une insuffisance cardiaque aiguë,
habituellement régressive en plusieurs jours ou
semaines, liée à une nécrose hémorragique des
myocytes cardiaques.L’ifosfamide (Holoxan ®),
peut aussi entraîner, en plus d’une dysfonction
ventriculaire gauche, des troubles rythmiques
supraventriculaires. Dans une série de 52 patients
traités à forte dose (10 à 18 g/m2) pour lymphome
ou carcinome, 17 % développent une insuffisance
cardiaque aiguë (8 œdèmes pulmonaires traités en
réanimation, 5 décès), compliquée deux fois de troubles rythmiques ventriculaires graves. En revanche,
lorsque cette phase aiguë peut être surmontée, la
dysfonction ventriculaire est réversible, comme avec
le cyclophosphamide. Par ailleurs, les troubles de
repolarisation observés à l’ECG sont fréquents, mais
leur signification est encore imprécise (3).
Inhibiteurs des tyrosine kinases
L’expérience actuelle porte surtout sur le trastuzumab
et l’imatinib, mais elle concerne probablement tous
les médicaments de ce large groupe, dont le développement aujourd’hui rapide comporte une analyse
du retentissement cardiovasculaire potentiel.
Trastuzumab et autres inhibiteurs
des RTK (anticorps monoclonaux)
Dans les essais cliniques réalisés jusqu’à présent, le
trastuzumab entraîne une insuffisance cardiaque
chez 1 à 4 % des patients traités et une dysfonction
Tableau III. Cardiotoxicité de la chimiothérapie combinée ou non au trastuzumab
chez 202 patients.
Avec trastuzumab
Sans trastuzumab
Anthracycline
27 %
8 %
Paclitaxel
13 %
1 %
ventriculaire gauche chez 10 % d’entre eux. Ce risque,
majoré par l’âge et la présence d’une cardiopathie
préexistante, est potentialisé par les anthracyclines
et le cyclophosphamide. Dans l’analyse de 7 études de
phases II et III du trastuzumab, A.D. Seidman a montré
que l’incidence de la cardiotoxicité, observée chez
202 patients, dépendait de l’association avec d’autres
médicaments anticancéreux : anthracyclines et cyclophosphamide (27 %), paclitaxel (13 %). Cette cardiotoxicité est rare lorsque le trastuzumab est employé
seul (3 à 7 %). Le plus souvent (75 % des patients), elle
est symptomatique, se manifestant par des épisodes
d’insuffisance cardiaque (tableau III) [3].
Le suivi sur 4 ans de 48 patients ayant présenté une
insuffisance cardiaque induite par le trastuzumab a
montré la fréquente réversibilité de cette complication.
Si la FEVG diminue dans les jours qui suivent l’administration de l’anticorps lorsque les patients ont déjà reçu
l’anthracycline (la FE passe de 61 à 43 %), l’interruption
du trastuzumab entraîne un retour vers la normale de la
contraction (FE : 56 %) dans un délai moyen de 1,5 mois.
La biopsie endomyocardique, réalisée chez 9 patients,
n’a pas montré de lésions ultrastructurales. Parmi
les 25 patients traités ultérieurement avec la même
association, 3 présentent à nouveau une insuffisance
cardiaque, mais 22 en restent indemnes (3).
Les autres inhibiteurs des tyrosine kinases liés à un
récepteur membranaire (anticorps monoclonaux
inhibant les RTK) entraînent fréquemment des modifications tensionnelles. C’est le cas en particulier du
bévacizumab (Avastin®), IgG1 antagoniste du VEGF-A
humain, qui élève les chiffres de pression artérielle
de près de la moitié des malades traités, et entraîne
des poussées d’hypertension, sévères chez 5 % des
malades. La dysfonction ventriculaire gauche, rapportée
dans une proportion voisine (4 %), serait plus fréquente
lorsqu’une anthracycline est associée (14 %) ou quand
une radiothérapie médiastinale a eu lieu. Un des points
particuliers de l’atteinte cardiaque est de ne concerner
que les malades qui ont présenté une HTA sous traitement, suggérant un mécanisme commun (inhibition de
la tyrosine kinase). De la même façon, M. Scartozzi et al.
ont démontré récemment que la survenue d’une HTA
sous traitement est corrélée à l’efficacité antitumorale chez des patients atteints de cancers colorectaux
métastasés traités par irinotécan, 5-FU et bévacizumab
en première intention (7) [tableau IV].
La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 | 19 DOSSIER THÉMATIQUE
Toxicité cardiovasculaire
des traitements anticancéreux
Complications cardiaques des chimiothérapies
anticancéreuses : aspects cliniques
Tableau IV. Corrélation entre activité antitumorale du bévacizumab et HTA induite (6).
Sans HTA induite sévère
HTA induite grade 2-3
Proportion de patients
80 %
20 %
Rémission partielle
20 %
75 %
3,1
14,5
Survie sans progression (mois)
Références
bibliographiques
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review and meta-analysis. Acta
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Deux autres anticorps monoclonaux peuvent déclencher des hypotensions orthostatiques parfois sévères,
accompagnées de manifestations allergiques du
type urticaire, bronchospasme ou angio-œdème :
le cétuximab (Erbitux®), antagoniste du récepteur
du facteur de croissance épidermique (EGF) humain,
administré dans le traitement du cancer colorectal
métastasé, et le rituximab (MabThera ®), antiCD20 adjuvant du traitement des lymphomes non
hodgkiniens.
L’alemtuzumab (MabCampath®), IgG1 anti-CD52
actif dans les lymphomes cutanés et certaines hémopathies, expose aussi à des défaillances cardiaques.
Le plus souvent, cependant, ses effets secondaires
se limitent à l’hypotension artérielle.
Imatinib et autres inhibiteurs
moléculaires des NRTK
Une dysfonction ventriculaire gauche a été rapportée
chez 10 patients traités par imatinib. Sa fréquence et
les risques du traitement sont encore mal connus ;
de même, sa physiopathologie reste incertaine, mais
est liée à l’inhibition des NRTK.
Les patients traités par sunitinib (Sutent®) développent une HTA une fois sur deux et une insuffisance
cardiaque une fois sur dix. Dans une série publiée
récemment, portant sur 75 sujets, 35 patients (47 %)
présentaient des chiffres tensionnels s’élevant
au-delà de 150/100 mmHg, 6 (8 %) souffraient
d’une insuffisance cardiaque, et 10 autres (28 %)
d’une diminution de la FE supérieure à 10 % (8). Dans
une méta-analyse étudiant 4 999 sujets traités par
sunitinib pour cancer colorectal, issus de 13 essais
randomisés, l’HTA survenait chez 21,6 % d’entre eux
(6,8 % d’HTA sévère) [9].
Antimétabolites
La toxicité cardiaque du 5-fluoro-uracile (5-FU)
concerne une proportion non négligeable des
patients traités. L’âge souvent avancé de ceux-ci
expose au risque de pathologie cardiovasculaire
20 | La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 sous-jacente, qui majore lui-même le risque de
toxicité cardiaque du médicament. L’incidence
de cette complication, qui atteint 1,6 à 7,6 % des
malades, quadruplerait (passant, dans une étude,
de 1,1 % à 4,5 %) en présence d’une cardiopathie
préalable (3).
Plusieurs types de manifestations ont été rapportés,
comprenant des cas d’insuffisance cardiaque aiguë
réversible, des hypotensions plus ou moins sévères,
associées ou non à des troubles de repolarisation
à l’ECG. Les complications les plus fréquemment
rencontrées avec les posologies de 1 000 mg/m2/j
répétées 4-5 jours de suite, que l’on utilise couramment, sont une ischémie myocardique, des douleurs
angineuses, des troubles de repolarisation plus
ou moins sévères, un infarctus myocardique. Ces
complications ont concerné 7,6 % des 367 patients
de l’étude de M. De Formi et sont responsables de
2,2 % de décès (3). Plus fréquentes chez les patients
coronariens, elles s’observent aussi régulièrement
chez des sujets indemnes de coronaropathie, à coronaires normales à l’angiographie. Deux mécanismes
physiopathologiques ont été proposés : déclenchement d’un spasme coronaire et/ou toxicité myocardique directe, et non secondaire à l’ischémie.
Lorsqu’une cardiotoxicité est survenue lors d’une
première cure, elle a deux chances sur trois de se
reproduire à la cure suivante, et son évolution peut
être défavorable. Aucun traitement du type vasodilatateurs (nitrés) ou antispastiques (dérivés calciques)
n’a montré jusqu’à présent d’efficacité préventive
sur les récidives lors des traitements ultérieurs. Aussi
la meilleure prévention consiste-t-elle à recourir
à un autre antimitotique au décours d’un épisode
de cardiotoxicité, à éviter le 5-FU chez le patient
coronarien avéré et à dépister la maladie coronaire
avant le traitement chez les patients à risque.
La capécitabine, qui appartient à la classe des fluoropyrimidines, est en fait le précurseur métabolique du
5-FU. Elle peut, elle aussi, entraîner des complications
cardiaques ischémiques et des troubles du rythme
ventriculaire. Le plus souvent, ces manifestations
sont réversibles à l’arrêt du traitement. Le risque est
majoré chez les coronariens et lorsque le traitement
est associé à l’oxaliplatine. Dans une série publiée
récemment, une complication cardiaque est survenue
ainsi chez 10 des 153 patients (6,5 %) traités par cette
association, 8 fois sur 10 au cours du premier cycle :
une mort subite, une tachycardie ventriculaire, une
insuffisance cardiaque avec élévation de la troponine
et 7 syndromes coronaires aigus (4,6 %) [3].
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