C O N G R È S Synthèse des 2es Rencontres de chirurgie du cancer du sein (RCCS) ● F. André-David, Paris L a deuxième édition des Rencontres de chirurgie du cancer du sein (RCCS) s’est déroulée à Paris les 2-3 juin 2005. Les objectifs de ces 2es RCS sont donc bien de pérenniser un partenariat avec les chirurgiens et d’alimenter une réflexion pluridisciplinaire et interactive, comme l’a souligné le Pr Moïse Namer. Cent cliniciens, principalement chirurgiens, étaient présents, dans un pourcentage représentatif de l’exercice de la profession : 47% de professionnels du public et 53% du secteur privé, âgés pour la moitié d’entre eux de plus de 45 ans et opérant entre 50 et 200 cancers du sein par an dans 67 % de l’ensemble. Ces deux journées ont permis à l’auditoire d’assister à une table ronde sur les changements dans la pratique de la chirurgie cancérologique et à plusieurs séances plénières portant sur des aspects plus thérapeutiques, tels que les traitements systémiques néoadjuvants et adjuvants du cancer du sein. Les quatre ateliers ouverts proposés ont abordé la chirurgie oncoplastique, celle du ganglion sentinelle, la chirurgie ambulatoire et celle du carcinome in situ. Figure 1. Modifications de la formation du chirurgien sénologue. TABLE RONDE : CHANGEMENTS DANS LA PRATIQUE DE LA CHIRURGIE CANCÉROLOGIQUE À L’HÔPITAL ET DANS LE SECTEUR PRIVÉ Le point sur la formation Le dispositif universitaire actuel et ses perspectives ont été présentés par le Pr Serge Uzan. Le cursus de formation d’un chirurgien sénologue passe désormais par l’obtention initiale d’un DES + DESC et d’un exercice entretenu comme le montre la figure 1. Le DESC de cancérologie comporte cinq options telles que la médecine, la biologie, les réseaux, l’imagerie et la chirurgie (quatre semestres dont deux post-internat et un en oncologie, huit modules dont quatre spécifiques de la discipline). La formation d’un futur chirurgien de gynéco-oncologie sera, elle aussi, solide comme le montre la figure 2. Enfin, la formation extra-universitaire est possible à l’École Européenne de Chirurgie fondée par le Pr G. Vallancien sur la base d’un partenariat public-privé. Située à Paris dans les locaux de la faculté de médecine de la rue des Saints-Pères, elle forme des chirurgiens, panseuses et administratifs. En 2004, 65 % de ses inscrits étaient français avec 5 % de gynécologues et 5 % de sénologues. D’après les communications rappportées par B. Flipo. La Lettre du Sénologue - n° 30 - octobre/novembre/décembre 2005 Figure 2. Formation en chirurgie gynéco-oncologique. Organisation des soins en cancérologie La circulaire DHOS (accréditation de la formation et des établissements, référentiels, nombre annuel minimal d’interventions, etc.) du 22/02/2005 du Plan Cancer qui organise les soins en cancérologie, n’a été lue en détail que par 16 % des participants de ces RCS, comme le mentionne le Dr Bernard Flipo : il semble donc étonnant que 45 % de ces mêmes participants trouvent difficile de les mettre en pratique. Il existe donc 35 C O N G R È S bien un réel besoin de communication et d’adhésion de la profession face à ces changements inéluctables de leur profession. Le Dr Christine Bara de l’Institut National du Cancer (INC) a présenté le rôle de cet institut. Elle a redéfini les notions d’autorisation générale avec ses trois éléments princeps : participation à un réseau, organisation garantissant au patient les principes du plan cancer, accès aux innovations et aux essais cliniques) et “d’autorisation spécifique” pour cinq pratiques thérapeutiques (chirurgie des cancers, radiothérapie externe, chimiothérapie et autres traitements médicaux spécifiques du cancer, curiethérapie, utilisation thérapeutique de radioéléments en sources non scellés). Elle rappelle les objectifs de cette autorisation : • Garantir dans les établissements autorisés un niveau de qualité correspondant à des pratiques considérées comme les bonnes pour la prise en charge des patients en cancérologie. • Augmenter le niveau de tous (standards minimums communs). • Ne pas accepter les établissements qui ne garantiraient pas ce niveau de qualité. Les critères actuellement discutés sont ceux concernant la compétence chirurgicale (formation initiale et continue, dont la réunion de concertation pluridisciplinaire : RCP), la pluridisciplinarité (fiche de traçabilité de la RCP dans le dossier – toujours enregistré et dossier présenté ou discuté), l’activité (interventions annuelles par chirurgien et ratio bénin/malin), le plateau technique (accès tumorothèque, spécificités par discipline), la qualité (RCP, CRO, délais, dossier médical), la permanence et continuité des soins et, enfin, l’accès à des compétences complémentaires si besoin. Les pôles régionaux de cancérologie répondent à une logique d’organisation de l’accès aux soins de cancérologie hyper spécialisés, de recours et d’expertise, de recherche clinique et d’innovation. Ils sont constitués par tous les établissements et les sites de cancérologie qui exercent ces missions au sein de la région. L’appartenance au pôle implique des engagements (coopérations entre les membres, cohérence et complémentarité des stratégies médicales), des modes d’organisation (3C et formalisation de leur participation aux soins de recours) et une dynamique dans la recherche clinique et l’innovation. Parler rapidement d’équipe pluridisciplinaire et du PPS peut concourir à rassurer. Les patientes en détresse psychologique, suite à cette annonce, pourront bénéficier d’un soutien psychologique approprié. Le point de vue du chirurgien : dans 80 % des cas, c’est lui qui réalise cette annonce, comme le rappelle le Dr. Edwige Bourstyn. Ce temps fort de la maladie est le début d’une relation soignante et humaine durable mais complexe : en effet, le chirurgien est celui qui va passer à l’acte (peur des mutilations et séquelles) et “voir le cancer”. La patiente lui demande à la fois “de bien l’informer et d’opérer au mieux” (judiciarisation des litiges). On gardera à l’esprit à ce propos la différence existant entre information et communication. RECOMMANDATIONS 2005 POUR LA PRATIQUE CLINIQUE (RPC) DE SAINT-PAUL-DE-VENCE (PR MOÏSE NAMER) Des experts reconnus pour leur compétence ont élaborés depuis plusieurs mois des recommandations, reposant sur la méthodologie utilisée pour l’élaboration des SOR de la Féderation des CAC et celle de l’ANAES. Les quatre sujets (cinq experts par sujet) abordés en 2005 ont été : – chimiothérapie (CT) adjuvante ; – hormonothérapie (HT) adjuvante ; – HER2 surexprimé ; – creux axillaire. La revue de la littérature (plus de 600 articles et plus de 7 500 abstracts) a permis de définir la force (grades) des recommandations en fonction du niveau de preuves scientifique apporté (tableau I). TRAITEMENTS SYSTÉMIQUES NÉOADJUVANTS (TNA) Facteurs prédictifs de réponse aux TNA (Dr Laurent Cals) Seuls les récepteurs hormonaux et HER2 (et son corollaire théTableau I. Grades des RCP de Saint-Paul-de-Vence. Problématique de l’annonce du cancer du sein et perspectives Depuis la loi du 4 mars 2004, l’information est un droit des patients et un devoir des médecins. Le dispositif d’annonce prévu dans le Plan Cancer a été présenté par Nicole Zernick, présidente d’EUROPA DONNA (France). Il comporte trois temps dont deux médicaux. Le médecin acteur du traitement oncologique est en charge d’une part, de l’annonce du diagnostic de cancer (consultation d’annonce) et d’autre part, de la proposition d’une stratégie thérapeutique et programme personnalisé de soin (PPS) après concertation pluridisciplinaire (RCP). Tous les rapports figurent au dossier et sont transmis au réseau. Cette annonce est difficile à entendre pour la patiente, qui passe du camp des bien-portants à celui des malades : la qualité de l’écoute s’effondre pour tout ce qui va être dit après. 36 La Lettre du Sénologue - n° 30 - octobre/novembre/décembre 2005 Tableau II. Niveaux de preuve des différents facteurs prédictifs de réponse aux TNA. Figure 3. Chirurgie après RC par TNA. rapeutique trastuzumab) accèdent à un niveau de preuve de niveau 1 comme le montre le tableau II. Pour ces deux facteurs, on se trouve dans une situation idéale, la lésion étant accessible et la réponse au traitement directement mesurable. La chirurgie après TNA (Pr Philippe Rouanet) Même en cas de RC histologique après TNA, la chirurgie reste indispensable : la réduction du taux de mastectomie (et donc l’augmentation du taux de conservation mammaire) est l’objectif premier des TNA. Le mode de réduction tumorale après TNA influence le type de chirurgie et le risque de récidive locale (RL d’environ 15 %). Même si les progrès de l’oncoplastie permettent aujourd’hui des exérèses larges et plus sécuritaires en termes de marges, il faut informer la patiente de la nécessité d’une réintervention en cas de marges positives (figure 3). Actualités sur les TNA à l’ASCO 2005 et au congrès de San Antonio 2004 (Dr Éric-Charles Antoine) Les résultats du protocole NSABP B-27 (2 200 patients incluses) ont été présentés en 2004 au congrès de San Antonio (1). Dans cette étude randomisée, les deux bras néoadjuvants comparaient doxorubicine + cyclophosphamide (AC) versus quatre cycles d’AC suivis de docétaxel (T). Un troisième bras comprenait un TNA de quatre cycles d’AC avec du docétaxel en adjuvant. La figure 4 illustre l’augmentation significative du taux de RC histologique obtenue dans le bras comprenant du T en néoadjuvant. En revanche, il n’y a pas de bénéfice en termes de survie globale (SG) entre les deux bras. Cependant, dès 2001 les résultats du protocole NSABP B-18 mettaient en évidence une corrélation entre réponse histologique complète et SG (figure 5). Le protocole Aberdeen a étudié chez des patientes traitées initialement par quatre cycles de polychimiothérapie à base d’anthracycline, l’effet chez les patientes en réponse objective initiale, d’une chimiothérapie par T vs la poursuite de la polychimiothérapie initiale avec anthracycline (figure 6) (2). Chez les 97 patientes en réponse initiale, la survie est significativement améliorée chez celles ayant reçu T comme le montre la figure 7. La Lettre du Sénologue - n° 30 - octobre/novembre/décembre 2005 Figure 4. Taux de RC histologique dans le protocole NSABP B-27 (1). Enfin, chez les patientes avec tumeurs surexprimant HER2, l’association taxanes-trastuzumab permet l’obtention de taux de RC histologique élevé de l’ordre de 50 % (3, 4) : des progrès devraient pouvoir être obtenus en pratique grâce à une meilleure sélection des patientes : femme jeune, tumeur RH -, proliférantes de grade 3 avec index mitotique élevé et surexprimant HER2. TRAITEMENTS ADJUVANTS Les résultats de l’enquête nationale sur la chimiothérapie adjuvante ont été rappelés par le Pr Didier Cowen : ils montrent une grande hétérogénéité des pratiques et des gains attendus, ce qui fait apparaître un besoin de clarification des recommandations. Les recommandations pour la pratique clinique (RPC) de Saint-Paul-de-Vence pour la chimiothérapie adjuvante Le Pr Pierre Fumoleau a résumé les recommandations, élaborées par le groupe de travail qu’il coordonnait : il rappelle qu’une chimiothérapie adjuvante est recommandée dès lors que le risque de 37 C O N G R È S Figure 5. Corrélation survie et RC histologique (protocole NSABP B18). Figure 6. Schéma du protocole Aberdeen (2). décès est supérieur à 10 % (source logiciel adjuvant online déjà partiellement caduque car n’incluant ni la surexpression d’HER2 ni la présence d’emboles vasculaires). Il n’y a pas en situation adjuvante de facteur prédictif de réponse de niveau 1 : au niveau 2, on trouve les facteurs de prolifération tels que l’index mitotique, le KI 67, le grade SBR et la négativité des RH. L’âge, l’histologie, la surexpression d’HER2 et de la topoisomérase ont un niveau de preuve classé 3. Les principales recommandations sur la chimiothérapie adjuvante sont présentées dans l’encadré ci-dessous : • Au minimum, prendre en compte l’existence d’un facteur de niveau 2. • Raccourcir idéalement le délai entre chirurgie et CR adjuvante en dessous de 21 jours. • Commencer par la CT adjuvante et clôturer par la radiothérapie ; pas de HT-CT concomitante. • Chez les patientes RH-/ N+, préférer une CT séquentielle avec un taxane ou 6 cycles de TAC avec G-CSF en prophylaxie primaire. • Dans la population, N+/RH+ : trois cycles de FEC 100 suivis de trois cycles de docétaxel ou six cycles de TAC avec G-CSF en prophylaxie primaire. • Chez les patientes N - : six cycles de FEC 100. • Pour les tumeurs surexprimant HER2, l’association taxane + trastuzumab réduit le risque de rechute de 50 %. L’hormonothérapie adjuvante (HTA) (Dr Jean-Paul Guastalla) La situation est plus simple car les facteurs décisionnels sont moins nombreux. Les traitements de référence suivants sont proposés en fonction du statut ménopausique (tableau III). Enfin, le Dr Jean-Paul Guastalla rappelle qu’il ne faut pas associer T et AA (ni T et raloxifène), qu’il n’existe pas de bénéfice à poursuivre T au-delà de 5 ans : un relais par AA est à prévoir chez les patientes N+. La radiothérapie (RXt) adjuvante Dans ce domaine, on assiste à une désescalade de la radiothérapie visant à simplifier la séquence d’irradiation, à réduire le 38 Figure 7. Bénéfice significatif de survie dans le bras traité par CVAP suivi de T chez les patientes répondeuses au anthracyclines (2). Tableau III. Recommandations concernant l’hormonothérapie adjuvante du cancer du sein. Type d’HT Bénéfice Femmes non Tamoxifène (T) Réduction des ménopausées seul rechutes (36 %) pour 5 ans. et décès (24%) Femmes ménopausées Anti-aromatases Bénéfice (AA) démontré vs T Niveau de preuve 2, grade B 1, grade A délai entre chirurgie et radiothérapie et à réaliser une irradiation plus partielle du sein. Trois méthodes sont en cours d’évaluation (Pr Jacques Bernier) : • La radiothérapie peropératoire donnerait des taux de rechutes locales (RL) aussi bas que la radiothérapie externe avec un recul actuel de 4 ans. • La curiethérapie est une technique souple, rapidement exécutable et dont la qualité est contrôlable. L’utilisation du matériel type Mammosite®‚ et le choix de critères de sélection rigoureux (en particulier la distance peau-tumeur) sont importants dans cette technique. • La radiothérapie externe d’intensité modulée. La Lettre du Sénologue - n° 30 - octobre/novembre/décembre 2005 Ces techniques d’irradiation partielle ne sont pas des standards (pas de recul pour une évaluation correcte de la survie) et restent du domaine des investigations testées dans des études cliniques (deux études de phase II en cours en France). Le Dr Yazid Belkacémi rappelle les limites et les inconnues de ces nouveaux types d’irradiation partielle : coût variable, imprécision et identification trop aléatoire du volume cible, compression indispensable et possible défaut d’oxygénation tissulaire… LE GANGLION SENTINELLE FACE AU CURAGE AXILLAIRE (DR KRISHNA CLOUGH) Le groupe de travail chargé des recommandations sur la stratégie optimale du traitement de l’aisselle pour les tumeurs opérables d’emblée a permis de mettre en avant les points suivants. • Globalement, le curage axillaire renseigne sur l’envahissement ganglionnaire qui reste un facteur pronostic irremplaçable. De plus, son objectif est le contrôle loco-régional visant à obtenir un taux de RL inférieur à 2 %. Cependant, aucun bénéfice en termes de survie globale n’a été à ce jour formellement démontré (une méta-analyse non encore publiée ferait état d’une tendance avec une amélioration de survie de l’ordre de 5 %). • La technique du ganglion sentinelle présente un taux de faux négatifs de 5 % qui doit être perfectible (technique plus rigoureuse et critères de sélection plus fins). Son taux de détection est supérieur à 90 %. • L’apprentissage de cette technique est essentiel et pendant cette période, il est indispensable de réaliser une double détection avec curage systématique. La courbe d’apprentissage nécessite une pratique de double détection sur 30-50 cas de toute taille tumorale. • Le site recommandé est la zone péritumorale. • L’histologie peropératoire avec cytologie est recommandée : en cas de négativité, des résultats demander une analyse en immunohistochimie. Toute présence de micro-métastase nécessite à ce jour une prise en charge identique à celle d’une métastase. • Les indications du ganglion sentinelle sont résumées dans l’encadré ci-dessous : des experts reconnus de questions importantes dans l’exercice de leur profession. Ce carrefour d’échanges multidisciplinaires est un exemple réussi de partenariat entre cliniciens et industriels du médi■ cament impliqués dans l’information d’une profession. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Bear HD et al. A randomized trial comparing preoperative doxorubicin/ cyclophosphamide (AC) to preoperative AC followed by preoperative docetaxel (T) and to preoperative AC followed by postoperative T in patients with operable carcinoma of the breast: results of NSABP B-27. San Antonio Breast Cancer Conference 2004. 2. Smith IC et al. Neoadjuvant chemotherapy in breast cancer significantly enhanced response with docetaxel. J Clin Oncol 2002;20(6):1456-66. 3. Buzdar AU et al. Significantly higher pathological complete remission rate after neoadjuvant therapy with trastuzumab, paclitaxel, and epirubicin chemotherapy: results of a randomized trial in human epidermal growth factor receptor2-positive operable breast cancer. J Clin Oncol 2005;23(16):3676-85. 4. Coudert B et al. Final pathological complete response with Herceptin and docetaxel primary systemic therapy in HER2-positive (IHC3+) localized breast cancer without primary conservative surgery. San Antonio Breast Cancer Conference 2004:abst 2092. • Cancer infiltrant, unifocal. • Taille clinique ou échographique inférieure à 2 cm. • N0 clinique ou en échographie. • Sein non antérieurement traité et/ou opéré. Enfin, face à cette nouvelle technique, les aspects médico-légaux ont été abordés par maître G. Lecœil : cette technique peut être considérée comme un standard légitimé et défendable sur le plan juridique, pour peu que les recommandations en matière de traçabilité, multidisciplinarité et qualification du praticien aient été appliquées. CONCLUSION Les 2es RCCS ont permis aux chirurgiens sénologues, issus du secteur public et privé de partager leurs expériences et de discuter avec La Lettre du Sénologue - n° 30 - octobre/novembre/décembre 2005 39