A Traitement néo-adjuvant dans le cancer du sein ÉDITORIAL

426 | La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 7 - septembre 2011
ÉDITORIAL
Traitement néo-adjuvant
dans le cancer du sein
Neoadjuvant treatment in breast cancer
A
près s’être imposée comme un standard de traite-
ment dans les formes localement avancées et donc
inopérables, y compris les formes infl ammatoires, la
chimiothérapie néo-adjuvante est progressivement devenue
une option reconnue dans les formes dites opérables au prix
d’une mastectomie. Pendant des années, le débat a été actif
entre les tenants de 2 théories :
la vision type d’Halsted, qui considérait que le contrôle
local de la maladie était primordial ; cette hypothèse, que
l’on pourrait schématiser comme chirurgicale, fendait
l’exérèse très large de la tumeur et un curage complet des
aires ganglionnaires ;
la vision de Bernard Fisher, qui, fondée sur des travaux sur
des modèles animaux, montrait une diffusion très précoce de
la maladie et justifi ait donc un traitement systémique précoce
pour éradiquer la maladie micrométastatique, qui peut être
déjà étendue au moment du diagnostic.
Plusieurs essais randomisés et des méta-analyses, dont la
syntse est présentée dans ce numéro, ont finalement
renvoyé dos à dos ces 2 visions, démontrant que le taux
de guérison (ou survie à long terme) était identique que la
chimio thérapie soit délivrée avant ou après l’opération, c’est-
à-dire en situation adjuvante.
Le bénéfi ce nalement obtenu et clairement démontré avec
la stratégie néo-adjuvante est l’augmentation des taux de
conservation mammaire pour des tumeurs qui relèveraient en
principe d’une mastectomie si la chirurgie avait été pratiquée
d’emblée. Cette option est maintenant intégrée dans la stra-
tégie de prise en charge initiale du cancer du sein et souligne,
s’il en était besoin, la nécessité de la prise en charge pluri-
disciplinaire des patientes, impliquant d’emblée chirurgien,
oncologue médical, oncologue radiothérapeute, radiologue
et anatomopathologiste afi n danticiper les possibilités de
conservation mammaire en fonction des techniques chirur-
gicales impliquant l’oncoplastie, l’éventuelle multifocalité à
l’imagerie, les caractéristiques biologiques de la tumeur pour
prédire la sensibilité aux traitements. Les progrès des tech-
niques de chirurgie ont permis d’augmenter les possibilités de
conser-
vation tout
en évoluant dans
certains cas vers
des gestes moins
invasifs comme la
biopsie du ganglion
sentinelle.
Plus que la réponse
clinique, c’est la
réponse histolo-
gique complète,
évaluée sur le reliquat
opératoire, qui s’est révélée
être un indicateur majeur du pronostic après la chirurgie.
Deux stratégies se sont alors développées : prédire de la façon
la plus précise possible quels patients répondraient au trai-
tement ; utiliser la mesure du taux de réponse histologique
comme un marqueur précoce du bénéfi ce d’un nouveau trai-
tement sur la survie globale. Après plus de 20 ans d’études sur
les marqueurs prédictifs de la réponse, et malgré les espoirs
suscité par les puces d’expression, c’est nalement le sous-
type biologique de cancer du sein (c’est-à-dire la signature
intrinsèque, sous-type luminal A et B, HER2 et triple-négatif)
qui se dégage, avec la prolifération et la taille tumorale,
comme le principal marqueur prédictif. Cependant, si l’hypo-
thèse reliant l’éradication de la maladie microméta statique
à distance à l’éradication de toute tumeur invasive dans la
tumeur primitive et les ganglions axillaires, semble particu-
lièrement pertinente dans le cas des tumeurs triple-négatives
(les patientes sans réponse complète ayant un risque élevé
d’évolution métastatique), elle semble ne pas être vérifi ée
en cas d’expression forte des récepteurs hormonaux lorsque
des patientes sans réponse histologique complète peuvent
conserver un bon pronostic du fait d’un traitement médical
ciblé complémentaire comme l’hormonothérapie.
Le traitement néo-adjuvant est souvent considéré dans le
cadre d’essais thérapeutiques comme un excellent moyen
d’évaluer, sur un nombre plus restreint de patients, une stra-
tégie qui pourra ensuite être appliquée en situation adjuvante.
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Il y a des cas où cette hypothèse se vérifi e, mais également
des cas où elle ne se vérifi e pas : ils seront détaillés dans la
revue de ce numéro. Par ailleurs, si les protocoles actuels
visent à augmenter le taux de réponse ou mieux prédire la
réponse et proposer une personnalisation du traitement, on
bute toujours sur le dilemme actuel de l’absence de trai-
tement de rattrapage reconnu en cas de mauvaise réponse
histologique, notamment en cas de tumeur triple-négative.
Faut-il proposer de façon systématique un traitement néo-
adjuvant pour les tumeurs de plus de 1 cm dont les caracté-
ristiques biologiques (HER2 triple-négatif) font recommander
systématiquement une chimiothérapie adjuvante ? Cette
approche ne devrait changer ni le pronostic de ces patientes
ni les taux de conservation mammaire, mais elle permettra
probablement de développer de nouvelles stratégies médi-
cales chez les patientes présentant une mauvaise réponse
histologique, avec comme avantages potentiels une meilleure
sélection des patientes et une réponse plus rapide que dans
une démarche adjuvante.
Le traitement néo-adjuvant dans le cancer du sein est une
illustration marquante de l’application et de la nécessité de la
pluridisciplinarité dès la prise en charge initiale d’une tumeur
pour défi nir les meilleures options pour la patiente, utiliser et
développer les outils biologiques prédictifs, personnaliser le
traitement en intégrant les thérapies ciblées dès le traitement
systémique préopératoire. Au nal, c’est la patiente qui déci-
dera de l’application de cette stratégie, car le seul bénéfi ce
actuellement cliniquement démontré est l’augmentation de
la conservation mammaire, au prix d’une augmentation du
risque de récidive locale. Après une offre de plan personnali
de soins, c’est à la patiente que revient de choisir comme
alternative une chirurgie plus radicale éventuellement suivie
d’une reconstruction mammaire et de participer ou non à un
programme de recherche clinique et/ou biologique que nous
pouvons lui proposer.
J.Y. Pierga
Département d’oncologie médicale,
Institut Curie, université Paris-Descartes, Paris.
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