ÉDITORIAL Traitement néo-adjuvant dans le cancer du sein Neoadjuvant treatment in breast cancer A près s’être imposée comme un standard de traitement dans les formes localement avancées et donc inopérables, y compris les formes inflammatoires, la chimiothérapie néo-adjuvante est progressivement devenue une option reconnue dans les formes dites opérables au prix d’une mastectomie. Pendant des années, le débat a été actif entre les tenants de 2 théories : ➤ la vision type d’Halsted, qui considérait que le contrôle local de la maladie était primordial ; cette hypothèse, que l’on pourrait schématiser comme chirurgicale, défendait l’exérèse très large de la tumeur et un curage complet des aires ganglionnaires ; ➤ la vision de Bernard Fisher, qui, fondée sur des travaux sur des modèles animaux, montrait une diffusion très précoce de la maladie et justifiait donc un traitement systémique précoce pour éradiquer la maladie micrométastatique, qui peut être déjà étendue au moment du diagnostic. Plusieurs essais randomisés et des méta-analyses, dont la synthèse est présentée dans ce numéro, ont finalement renvoyé dos à dos ces 2 visions, démontrant que le taux de guérison (ou survie à long terme) était identique que la chimiothérapie soit délivrée avant ou après l’opération, c’està-dire en situation adjuvante. Le bénéfice finalement obtenu et clairement démontré avec la stratégie néo-adjuvante est l’augmentation des taux de conservation mammaire pour des tumeurs qui relèveraient en principe d’une mastectomie si la chirurgie avait été pratiquée d’emblée. Cette option est maintenant intégrée dans la stratégie de prise en charge initiale du cancer du sein et souligne, s’il en était besoin, la nécessité de la prise en charge pluridisciplinaire des patientes, impliquant d’emblée chirurgien, oncologue médical, oncologue radiothérapeute, radiologue et anatomopathologiste afin d’anticiper les possibilités de conservation mammaire en fonction des techniques chirurgicales impliquant l’oncoplastie, l’éventuelle multifocalité à l’imagerie, les caractéristiques biologiques de la tumeur pour prédire la sensibilité aux traitements. Les progrès des techniques de chirurgie ont permis d’augmenter les possibilités de 426 | La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 7 - septembre 2011 conservation tout en évoluant dans certains cas vers des gestes moins invasifs comme la biopsie du ganglion sentinelle. Plus que la réponse clinique, c’est la réponse histologique complète, évaluée sur le reliquat opératoire, qui s’est révélée être un indicateur majeur du pronostic après la chirurgie. Deux stratégies se sont alors développées : prédire de la façon la plus précise possible quels patients répondraient au traitement ; utiliser la mesure du taux de réponse histologique comme un marqueur précoce du bénéfice d’un nouveau traitement sur la survie globale. Après plus de 20 ans d’études sur les marqueurs prédictifs de la réponse, et malgré les espoirs suscité par les puces d’expression, c’est finalement le soustype biologique de cancer du sein (c’est-à-dire la signature intrinsèque, sous-type luminal A et B, HER2 et triple-négatif) qui se dégage, avec la prolifération et la taille tumorale, comme le principal marqueur prédictif. Cependant, si l’hypothèse reliant l’éradication de la maladie micrométastatique à distance à l’éradication de toute tumeur invasive dans la tumeur primitive et les ganglions axillaires, semble particulièrement pertinente dans le cas des tumeurs triple-négatives (les patientes sans réponse complète ayant un risque élevé d’évolution métastatique), elle semble ne pas être vérifiée en cas d’expression forte des récepteurs hormonaux lorsque des patientes sans réponse histologique complète peuvent conserver un bon pronostic du fait d’un traitement médical ciblé complémentaire comme l’hormonothérapie. Le traitement néo-adjuvant est souvent considéré dans le cadre d’essais thérapeutiques comme un excellent moyen d’évaluer, sur un nombre plus restreint de patients, une stratégie qui pourra ensuite être appliquée en situation adjuvante. ÉDITORIAL Il y a des cas où cette hypothèse se vérifie, mais également des cas où elle ne se vérifie pas : ils seront détaillés dans la revue de ce numéro. Par ailleurs, si les protocoles actuels visent à augmenter le taux de réponse ou mieux prédire la réponse et proposer une personnalisation du traitement, on bute toujours sur le dilemme actuel de l’absence de traitement de rattrapage reconnu en cas de mauvaise réponse histologique, notamment en cas de tumeur triple-négative. Faut-il proposer de façon systématique un traitement néoadjuvant pour les tumeurs de plus de 1 cm dont les caractéristiques biologiques (HER2 triple-négatif) font recommander systématiquement une chimiothérapie adjuvante ? Cette approche ne devrait changer ni le pronostic de ces patientes ni les taux de conservation mammaire, mais elle permettra probablement de développer de nouvelles stratégies médicales chez les patientes présentant une mauvaise réponse histologique, avec comme avantages potentiels une meilleure sélection des patientes et une réponse plus rapide que dans une démarche adjuvante. Le traitement néo-adjuvant dans le cancer du sein est une illustration marquante de l’application et de la nécessité de la pluridisciplinarité dès la prise en charge initiale d’une tumeur pour définir les meilleures options pour la patiente, utiliser et développer les outils biologiques prédictifs, personnaliser le traitement en intégrant les thérapies ciblées dès le traitement systémique préopératoire. Au final, c’est la patiente qui décidera de l’application de cette stratégie, car le seul bénéfice actuellement cliniquement démontré est l’augmentation de la conservation mammaire, au prix d’une augmentation du risque de récidive locale. Après une offre de plan personnalisé de soins, c’est à la patiente que revient de choisir comme alternative une chirurgie plus radicale éventuellement suivie d’une reconstruction mammaire et de participer ou non à un programme de recherche clinique et/ou biologique que nous pouvons lui proposer. ■ J.Y. Pierga Département d’oncologie médicale, Institut Curie, université Paris-Descartes, Paris. AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. La qualité des textes est garantie par la sollicitation systématique d’une relecture scientifique en double aveugle, l’implication d’un service de rédaction/révision in situ et la validation des épreuves par les auteurs et les rédacteurs en chef. 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