PSYCHIATRIE 27 Adolescence et conduites à risques L’âge de tous les dangers I l n’est pas toujours facile de définir ce que sont les maladies mentales ou les troubles psychiatriques. Cela est d’autant plus vrai chez les jeunes, car l’ignorance et les erreurs de compréhension mènent à l’emploi erroné d’une terminologie précise. De façon générale, on définit comme maladie mentale les comportements ou les réactions émotionnelles d’une sévérité marquée, auxquels est associé un certain niveau de détresse, de souffrance ou d’incapacité fonctionnelle. À l’origine du trouble, on retrouve une dysfonction ou une série de dysfonctions psychologiques, biologiques ou comportementales. Les maladies mentales des enfants, des adolescents surtout, sont enveloppées d’un voile pudique. On commence à en parler, mais avec encore beaucoup de retenue. Une prise de conscience récente Les récentes affaires médiatisées font penser que les jeunes atteints d’une maladie mentale sont psychopathes, dangereux, qu’ils ne peuvent pas guérir et qu’ils doivent être incarcérés. Tout cela fait partie du mythe. Certains jeunes peuvent éprouver des difficultés dans des situations de la vie quotidienne et face à des situations de détresse intense. Mais ils sont plus dangereux pour eux-mêmes qu’ils ne le sont pour ceux qui les entourent. Bien soignés, ils peuvent être stabilisés, voire guéris, et poursuivre une vie saine, heureuse et productive. Par contre, il ne faut pas attendre la crise, s’il existe quelques doutes, pour consulter un psychiatre. Celui-ci pourra faire un diagnostic plus précis et adapter les soins nécessaires. Ainsi, les commentaires portant sur le suicide doivent être pris au sérieux, car ils mènent souvent à la planification et à la réussite. Il existe plusieurs maladies mentales qui sont communément observées chez les adolescents et qui ont un effet important sur le déroulement de leur vie quotidienne. Parmi ces maladies, on retrouve : la dépression, l’anxiété, les comportements à risque, les troubles de l’alimentation (anorexie, boulimie). L’état mélancolique est souvent présent à l’adolescence. Cependant quand l’état perdure, est toujours présent jusqu’à en devenir une souffrance, l’adolescent doit être soigné. C’est souvent la dépression qui le guette. Quoique certains comportements suicidaires soient impulsifs, il demeure que tout signe de pensées ou de comportements suicidaires mérite une attention sérieuse. Autre souffrance : l’anxiété. Celle-ci se traduit souvent par plusieurs symptômes physiques, par exemple les maux de tête, les maux d’estomac, un rythme cardiaque trop rapide, etc. Les sentiments de peur et d’appréhension peuvent être d’une intensité telle qu’il soit impossible pour la personne atteinte de se rendre à l’école, de se joindre à un groupe ou de participer à des activités qui, en temps normal, ne présenteraient aucune difficulté. L’anxiété est parfois associée à un traumatisme antérieur (un accident d’auto ou à un incident d’abus) ou une source précise (les morsures d’animaux, les vertiges, etc.) Les accidents, qui sont souvent la cause de décès chez les adolescents, sont quelquefois la conséquence de comportements dangereux. Ces derniers comprennent également l’abus d’alcool et de drogues, les relations sexuelles sans protection, la recherche d’émotions fortes et le comportement délinquant. Ces comportements, que l’on attribue à une période difficile chez un jeune, peuvent parfois être des symptômes de maladies mentales, et il faut savoir qu’une personne qui tente un comportement dangereux est très susceptible d’en tenter d’autres. Deux troubles psychiatriques de l’alimentation, l’anorexie mentale et la boulimie, ont un taux d’incidence croissant parmi les adolescentes. Ces troubles se manifestent aussi chez les jeunes garçons, mais leur taux d’incidence est plus bas que chez les filles. Ces deux troubles sont caractéristiques d’une préoccupation morbide de la nourriture et d’un sentiment d’impuissance face à certains aspects de la vie. L’adolescent atteint d’anorexie mentale est souvent un perfectionniste qui manque d’amour-propre et qui se pense obèse en dépit de sa condition physique réelle. Les adolescents souffrant de boulimie vont se gorger de nourriture pour ensuite se purger des calories >> DOSSIER Aux États-Unis, selon l’OMS, l’adolescence demeure le seul groupe d’âge dans lequel le taux de mortalité continue à augmenter. Les trois causes de décès les plus fréquentes y sont les accidents, le suicide et le meurtre, responsables à eux seuls de 75 % des décès. L’Europe est-elle à l’abri ? >> Professions Santé Infirmier Infirmière N° 62 • mars-avril 2005 DOSSIER >> DOSSIER >> indésirables en se faisant vomir ou par l’entremise d’abus de laxatifs ou d’exercices physiques. Les troubles de l’alimentation peuvent avoir des conséquences fatales et leurs victimes sont, en règle générale, expertes à camoufler leur pathologie. Le fait de nier l’existence de ce problème introduit, pour la personne atteinte, un délai énorme dans l’obtention des soins nécessaires. Quant aux troubles du comportement, ils représentent une classe complexe. Les individus atteints éprouvent des difficultés énormes à accepter les règlements de la vie en société. Ces adolescents sont souvent agressifs envers les adultes, mais aussi les camarades de leur âge. Ils se permettent souvent de mentir, voler, détruire les biens d’autrui, et d’agir, sexuellement, de façon inacceptable. Ces troubles se signalent souvent par des résultats scolaires déficitaires et des expériences sociales et familiales négatives. De plus, ils sont souvent associés à la dépression et à un manque d’attention. Préserver le futur adulte Focus ... Surveillance de la prescription La prescription des antidépresseurs, y compris les IRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine), est déconseillée chez les jeunes de moins de 18 ans en raison d’une augmentation du risque de comportement suicidaire ou de l’hétéroagressivité. Si la prescription se révèle indispensable, elle doit faire l’objet d’une surveillance étroite. Un bon nombre de maladies mentales communes chez les adultes se manifestent pour la première fois dans l’adolescence. La sensibilisation de la famille aux maladies mentales, leur identification précoce et leur prévention sont souvent les premiers pas importants pour un traitement efficace. Les parents peuvent jouer un rôle important dans l’identification et le traitement d’un adolescent atteint de maladie mentale. Cependant, c’est la famille entière qui a besoin d’aide et de soutien. La pierre angulaire d’un programme de soins pour toute maladie mentale est une évaluation faite par un psychiatre qui traite les enfants ou adolescents, ou encore par un professionnel des services de la santé qui saura coordonner l’information puisée chez les parents, les professeurs et toute autre Professions Santé Infirmier Infirmière N° 62 • mars-avril 2005 source importante. Un programme de traitement efficace doit être fondé sur un partenariat entre le patient, sa famille, les soignants et l’environnement scolaire. Dépression et conduites suicidaires Si la prescription d’antidépresseurs se révèle indispensable, elle doit faire l’objet d’une surveillance étroite, notamment en début de traitement et au moment de l’arrêt. De plus, la prise en charge psychothérapique et comportementale est la pierre angulaire du traitement. Au cours de l’adolescence, les jeunes, qui subissent de nombreuses transformations physiques et psychologiques, expérimentent le doute et, dans le même temps, un sentiment de toute-puissance. Le versant chaotique de ces transformations occulte parfois d’autres signes d’alerte (agressivité, sautes d’humeur, désintérêt pour les activités pratiquées jusqu’alors, rejet de l’entourage, repli sur soi, insomnies) considérés comme des signes avant-coureurs de la dépression. Si l’on admet, dans la crise suicidaire, la présence d’un événement déclenchant (traumatisme, viol, rupture, deuil, déception amoureuse), celui-ci vient réveiller un mal-être antérieur plus profond. Chez le jeune, la mort est rarement souhaitée. La tentative de suicide correspond à un besoin d’expression, souvent lié au désir de faire disparaître la cause de la souffrance tout autant qu’à un mal-être. ment importants. En effet, 25 % à 50 % des patients concernés feront au moins une tentative de suicide durant leur existence : selon les données de la littérature, ceux qui sont le plus à risque sont les hommes jeunes, ayant un début récent d’évolution des troubles, une comorbidité addictive, une mauvaise compliance thérapeutique et une sortie récente de l’hôpital (dernier épisode mixte ou dépressif majeur). Or, les premières manifestations des troubles bipolaires à l’adolescence peuvent être masquées par les comorbidités, dont la toxicomanie, ou suggérer un diagnostic erroné de schizophrénie. On entrevoit l’importance de la reconnaissance précoce de ce trouble psychiatrique persistant, qui requiert un suivi à vie, avec des risques critiques de passage à l’acte suicidaire. Chez les adolescents, les tableaux dépressifs majeurs sont toujours des événements sérieux qui n’ont rien à voir avec la crise d’adolescence et qui doivent conduire à un suivi pour prévenir le risque suicidaire. Chez la majorité des adolescents (70 %) ayant fait un geste suicidaire, on retrouve un diagnostic psychopathologique, à savoir : un trouble dépressif, une anxiété avec des troubles de l’adaptation, une consommation de produits psychotropes ou de drogues et des troubles de la personnalité (différents types de troubles selon les classifications : Problème de santé publique Le suicide est reconnu comme un grave problème de santé publique et il est la seconde cause de décès chez les 15/34 ans : 800 adolescents décèdent par suicide chaque année, et 350 000 font une tentative. Par ailleurs, un quart de ces adolescents récidivent, d’où la nécessité d’une évaluation psychiatrique. Parmi les troubles psychiatriques, les troubles bipolaires apparaissent comme des facteurs de risque suicidaire particulière- © Garo/Phanie 28 PSYCHIATRIE Des besoins contradictoires Selon le Pr P. Jeammet (Paris), l’adolescent hésite à demander de l’aide pour ne pas devenir dépendant. Il a besoin d’une sécurité interne, laquelle, pourtant, menace son autonomie naissante : il se sent facilement abandonné par les adultes et, parallèlement, envahi par eux. Il s’agit là d’une angoisse humaine fondamentale : être en relation avec l’autre pour exister tout en ayant la crainte d’être absorbé dans cette relation. Or, moins la sécurité interne existe, plus l’environnement prend de l’importance pour retrouver un fonctionnement psychologique pertinent. La plainte ou la conduite à risque devient un moyen de maîtriser une distance relationnelle avec ceux dont l’adolescent a besoin, essentiellement les parents. Parfois, aller mal peut devenir la seule chose à sa disposition lorsque l’on se sent impuissant. Ainsi, l’adolescent accepte plus facilement d’un tiers ce qu’il n’accepte pas de sa famille parce qu’elle est trop proche. L’alliance thérapeutique est une étape fondamentale qui doit inclure les parents et comprend le soutien de l’environnement. Un suivi rapproché et une implication de tous les soignants s’imposent lorsque le risque suicidaire paraît important. Car, si l’adolescent est porté par un sentiment de sécurité et soutenu par un goût de vivre, il est peu enclin à mettre sa vie en jeu pour s’assurer de la valeur de son existence aux yeux des autres. Les soins psychiatriques doivent permettre à l’adolescent de retrouver la sensation d’être contenu et reconnu. On admet que le lithium peut avoir un effet sur l’impulsivité ; les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, en association ou non avec des thymorégulateurs, sont utilisés sous étroite surveillance. Par contre, les antidépresseurs tricy- Difficultés pour les jeunes La santé physique et mentale des adolescents est une préoccupation majeure de santé publique soulignée par le Haut comité de la santé publique, a fortiori quand il s’agit d'enfants et d’adolescents en grande difficulté, et s'ils relèvent d’une décision judiciaire. L’étude de la trajectoire de ces jeunes montre le caractère relativement aléatoire de leur orientation vers des filières sanitaire, sociale et judiciaire ou médico-sociale, ainsi que la succession possible dans le temps des différents modes de prise en charge. La recherche d’une cohérence sur toute la durée de la prise en charge est indispensable. Source : DGS cliques et les benzodiazépines ne sont pas recommandés (risque d’utilisation dans les tentatives de suicide). Ludmila Couturier Comme des rites de passage... La problématique de la rupture et du lien à l’adolescence est mise en lumière par des conduites à risque, souvent des sortes de rites de passage par la révélation d’identité : fugues, absentéisme scolaire, comportement d’alcoolisation, consommation de cannabis ou d’autres drogues, conduite motorisée à risque, recherche de sensations fortes, conduites sexuelles non protégées, non-observance thérapeutique (diabète, épilepsie, asthme, transplantation d’organe), troubles des conduites alimentaires. Ces derniers s’inscrivent dans la durée comme des véritables ruptures mettant en jeu le pronostic vital. L’incidence annuelle de l’anorexie mentale serait de 8 pour 100 000 par an et celle de la boulimie de 12 pour 100 000. À côté des facteurs psychologiques, des facteurs socio-culturels sont incriminés dans le développement de la dysperception de l’image du corps. On connaît les facteurs de mauvais pronostic, tels que les antécédents d’indice de masse corporelle très inférieur à la normale et d’hospitalisation sous contrainte (qui traduit le déni des troubles et le refus des soins tout en posant des problèmes complexes), et la présence de troubles de personnalité associés. Les programmes thérapeutiques comportent les traitements nutritionnels, les thérapies cognitives et d’affirmation de soi, les approches corporelles et d’autres psychothérapies comme la thérapie familiale. >> DOSSIER personnalité paranoïaque, dépendante, schizoïde, dyssociale, impulsive, histrionique, etc.). D’autres indicateurs de risque suicidaire sont l’impulsivité, les accidents à répétition récents, les fantasmes de la mise en acte suicidaire, les idées suicidaires avec l’impression d’être dans une situation sans issue. La chronicité de ces idées peut être considérée comme un véritable syndrome pré-suicidaire : environ 8 % des garçons et 13 % des filles pensent souvent au suicide et 40 % d’entre eux feront une tentative de suicide. D’après certains auteurs, le syndrome de menace dépressive est décrit comme une montée récente d’angoisse, d’irritabilité, la présence d’un sentiment de tristesse et d’abattement, de cauchemars, voire d’attaques de panique. Le Dr A. Braconnier (Paris) souligne l’intensité de la lutte psychique antidépressive, qui passe par les troubles fonctionnels, les conduites à risque, le passage à l’acte suicidaire, sans que l’adolescent reconnaisse son état dépressif. Le caractère compulsif, avec le risque d’escalade de diverses conduites à risque, augmente petit à petit le risque de morbi-mortalité. 29 Professions Santé Infirmier Infirmière N° 62 • mars-avril 2005