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PSYCHIATRIE
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Adolescence et conduites à risques
L’âge de tous les dangers
I
l n’est pas toujours facile de
définir ce que sont les maladies mentales ou les troubles
psychiatriques. Cela est d’autant
plus vrai chez les jeunes, car
l’ignorance et les erreurs de compréhension mènent à l’emploi
erroné d’une terminologie précise.
De façon générale, on définit
comme maladie mentale les
comportements ou les réactions
émotionnelles d’une sévérité
marquée, auxquels est associé un
certain niveau de détresse, de
souffrance ou d’incapacité fonctionnelle. À l’origine du trouble,
on retrouve une dysfonction ou
une série de dysfonctions psychologiques, biologiques ou comportementales.
Les maladies mentales des
enfants, des adolescents surtout,
sont enveloppées d’un voile
pudique. On commence à en parler, mais avec encore beaucoup
de retenue.
Une prise de conscience
récente
Les récentes affaires médiatisées font penser que les jeunes
atteints d’une maladie mentale
sont psychopathes, dangereux,
qu’ils ne peuvent pas guérir et
qu’ils doivent être incarcérés. Tout
cela fait partie du mythe. Certains
jeunes peuvent éprouver des difficultés dans des situations de la
vie quotidienne et face à des
situations de détresse intense.
Mais ils sont plus dangereux pour
eux-mêmes qu’ils ne le sont pour
ceux qui les entourent. Bien soignés, ils peuvent être stabilisés,
voire guéris, et poursuivre une vie
saine, heureuse et productive.
Par contre, il ne faut pas attendre la
crise, s’il existe quelques doutes,
pour consulter un psychiatre.
Celui-ci pourra faire un diagnostic
plus précis et adapter les soins
nécessaires. Ainsi, les commentaires portant sur le suicide doivent être pris au sérieux, car ils
mènent souvent à la planification
et à la réussite.
Il existe plusieurs maladies mentales qui sont communément
observées chez les adolescents et
qui ont un effet important sur le
déroulement de leur vie quotidienne. Parmi ces maladies, on
retrouve : la dépression, l’anxiété,
les comportements à risque, les
troubles de l’alimentation (anorexie, boulimie).
L’état mélancolique est souvent
présent à l’adolescence. Cependant quand l’état perdure, est
toujours présent jusqu’à en
devenir une souffrance, l’adolescent doit être soigné. C’est souvent la dépression qui le guette.
Quoique certains comportements suicidaires soient impulsifs, il demeure que tout signe
de pensées ou de comportements suicidaires mérite une
attention sérieuse.
Autre souffrance : l’anxiété.
Celle-ci se traduit souvent par
plusieurs symptômes physiques,
par exemple les maux de tête,
les maux d’estomac, un rythme
cardiaque trop rapide, etc. Les
sentiments de peur et d’appréhension peuvent être d’une
intensité telle qu’il soit impossible pour la personne atteinte
de se rendre à l’école, de se
joindre à un groupe ou de participer à des activités qui, en
temps normal, ne présenteraient
aucune difficulté. L’anxiété est
parfois associée à un traumatisme antérieur (un accident
d’auto ou à un incident d’abus)
ou une source précise (les morsures d’animaux, les vertiges,
etc.)
Les accidents, qui sont souvent
la cause de décès chez les adolescents, sont quelquefois la
conséquence de comportements dangereux. Ces derniers
comprennent également l’abus
d’alcool et de drogues, les relations sexuelles sans protection,
la recherche d’émotions fortes et
le comportement délinquant.
Ces comportements, que l’on
attribue à une période difficile
chez un jeune, peuvent parfois
être des symptômes de maladies mentales, et il faut savoir
qu’une personne qui tente un
comportement dangereux est
très susceptible d’en tenter
d’autres.
Deux troubles psychiatriques de
l’alimentation, l’anorexie mentale
et la boulimie, ont un taux d’incidence croissant parmi les adolescentes. Ces troubles se manifestent aussi chez les jeunes garçons,
mais leur taux d’incidence est plus
bas que chez les filles. Ces deux
troubles sont caractéristiques
d’une préoccupation morbide de
la nourriture et d’un sentiment
d’impuissance face à certains
aspects de la vie. L’adolescent
atteint d’anorexie mentale est
souvent un perfectionniste qui
manque d’amour-propre et qui se
pense obèse en dépit de sa
condition physique réelle. Les
adolescents souffrant de boulimie
vont se gorger de nourriture pour
ensuite se purger des calories
>> DOSSIER
Aux États-Unis, selon l’OMS, l’adolescence demeure le seul groupe d’âge dans lequel le
taux de mortalité continue à augmenter. Les trois causes de décès les plus fréquentes
y sont les accidents, le suicide et le meurtre, responsables à eux seuls de 75 % des
décès. L’Europe est-elle à l’abri ?
>>
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 62 • mars-avril 2005
DOSSIER
>> DOSSIER
>>
indésirables en se faisant vomir
ou par l’entremise d’abus de laxatifs ou d’exercices physiques. Les
troubles de l’alimentation peuvent
avoir des conséquences fatales et
leurs victimes sont, en règle générale, expertes à camoufler leur
pathologie. Le fait de nier l’existence de ce problème introduit,
pour la personne atteinte, un délai
énorme dans l’obtention des
soins nécessaires.
Quant aux troubles du comportement, ils représentent une classe
complexe. Les individus atteints
éprouvent des difficultés énormes
à accepter les règlements de la
vie en société. Ces adolescents
sont souvent agressifs envers les
adultes, mais aussi les camarades
de leur âge. Ils se permettent souvent de mentir, voler, détruire les
biens d’autrui, et d’agir, sexuellement, de façon inacceptable. Ces
troubles se signalent souvent par
des résultats scolaires déficitaires
et des expériences sociales et
familiales négatives. De plus, ils
sont souvent associés à la dépression et à un manque d’attention.
Préserver le futur adulte
Focus
...
Surveillance
de la prescription
La prescription des
antidépresseurs, y
compris les IRS
(inhibiteurs de la
recapture de la
sérotonine), est
déconseillée chez les
jeunes de moins de
18 ans en raison
d’une augmentation
du risque de
comportement
suicidaire ou de
l’hétéroagressivité.
Si la prescription se
révèle indispensable,
elle doit faire l’objet
d’une surveillance
étroite.
Un bon nombre de maladies
mentales communes chez les
adultes se manifestent pour la
première fois dans l’adolescence. La sensibilisation de la
famille aux maladies mentales,
leur identification précoce et
leur prévention sont souvent les
premiers pas importants pour
un traitement efficace. Les
parents peuvent jouer un rôle
important dans l’identification et
le traitement d’un adolescent
atteint de maladie mentale.
Cependant, c’est la famille
entière qui a besoin d’aide et de
soutien. La pierre angulaire d’un
programme de soins pour toute
maladie mentale est une évaluation faite par un psychiatre
qui traite les enfants ou adolescents, ou encore par un professionnel des services de la santé
qui saura coordonner l’information puisée chez les parents, les
professeurs et toute autre
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 62 • mars-avril 2005
source importante. Un programme de traitement efficace
doit être fondé sur un partenariat entre le patient, sa famille,
les soignants et l’environnement
scolaire.
Dépression et conduites
suicidaires
Si la prescription d’antidépresseurs
se révèle indispensable, elle doit
faire l’objet d’une surveillance
étroite, notamment en début de
traitement et au moment de l’arrêt.
De plus, la prise en charge psychothérapique et comportementale est
la pierre angulaire du traitement. Au
cours de l’adolescence, les jeunes,
qui subissent de nombreuses transformations physiques et psychologiques, expérimentent le doute et,
dans le même temps, un sentiment
de toute-puissance. Le versant
chaotique de ces transformations
occulte parfois d’autres signes
d’alerte (agressivité, sautes d’humeur, désintérêt pour les activités
pratiquées jusqu’alors, rejet de l’entourage, repli sur soi, insomnies)
considérés comme des signes
avant-coureurs de la dépression. Si
l’on admet, dans la crise suicidaire,
la présence d’un événement
déclenchant (traumatisme, viol,
rupture, deuil, déception amoureuse), celui-ci vient réveiller un
mal-être antérieur plus profond.
Chez le jeune, la mort est rarement
souhaitée. La tentative de suicide
correspond à un besoin d’expression, souvent lié au désir de faire
disparaître la cause de la souffrance
tout autant qu’à un mal-être.
ment importants. En effet, 25 % à
50 % des patients concernés
feront au moins une tentative de
suicide durant leur existence :
selon les données de la littérature,
ceux qui sont le plus à risque sont
les hommes jeunes, ayant un
début récent d’évolution des
troubles, une comorbidité addictive, une mauvaise compliance thérapeutique et une sortie récente de
l’hôpital (dernier épisode mixte ou
dépressif majeur). Or, les premières manifestations des troubles
bipolaires à l’adolescence peuvent
être masquées par les comorbidités, dont la toxicomanie, ou suggérer un diagnostic erroné de schizophrénie. On entrevoit l’importance
de la reconnaissance précoce de
ce trouble psychiatrique persistant,
qui requiert un suivi à vie, avec des
risques critiques de passage à
l’acte suicidaire.
Chez les adolescents, les tableaux
dépressifs majeurs sont toujours
des événements sérieux qui n’ont
rien à voir avec la crise d’adolescence et qui doivent conduire à
un suivi pour prévenir le risque
suicidaire. Chez la majorité des
adolescents (70 %) ayant fait un
geste suicidaire, on retrouve un
diagnostic psychopathologique, à
savoir : un trouble dépressif, une
anxiété avec des troubles de
l’adaptation, une consommation
de produits psychotropes ou de
drogues et des troubles de la personnalité (différents types de
troubles selon les classifications :
Problème de santé publique
Le suicide est reconnu comme un
grave problème de santé publique
et il est la seconde cause de décès
chez les 15/34 ans : 800 adolescents décèdent par suicide chaque année, et 350 000 font une
tentative. Par ailleurs, un quart de
ces adolescents récidivent, d’où la
nécessité d’une évaluation psychiatrique. Parmi les troubles psychiatriques, les troubles bipolaires
apparaissent comme des facteurs
de risque suicidaire particulière-
© Garo/Phanie
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PSYCHIATRIE
Des besoins contradictoires
Selon le Pr P. Jeammet (Paris),
l’adolescent hésite à demander
de l’aide pour ne pas devenir
dépendant. Il a besoin d’une
sécurité interne, laquelle, pourtant, menace son autonomie
naissante : il se sent facilement
abandonné par les adultes et,
parallèlement, envahi par eux. Il
s’agit là d’une angoisse humaine
fondamentale : être en relation
avec l’autre pour exister tout en
ayant la crainte d’être absorbé
dans cette relation. Or, moins la
sécurité interne existe, plus l’environnement prend de l’importance pour retrouver un fonctionnement psychologique pertinent.
La plainte ou la conduite à risque
devient un moyen de maîtriser
une distance relationnelle avec
ceux dont l’adolescent a besoin,
essentiellement les parents. Parfois, aller mal peut devenir la
seule chose à sa disposition
lorsque l’on se sent impuissant.
Ainsi, l’adolescent accepte plus
facilement d’un tiers ce qu’il n’accepte pas de sa famille parce
qu’elle est trop proche. L’alliance
thérapeutique est une étape fondamentale qui doit inclure les
parents et comprend le soutien
de l’environnement. Un suivi rapproché et une implication de tous
les soignants s’imposent lorsque
le risque suicidaire paraît important. Car, si l’adolescent est porté
par un sentiment de sécurité et
soutenu par un goût de vivre, il
est peu enclin à mettre sa vie en
jeu pour s’assurer de la valeur de
son existence aux yeux des
autres. Les soins psychiatriques
doivent permettre à l’adolescent
de retrouver la sensation d’être
contenu et reconnu. On admet
que le lithium peut avoir un effet
sur l’impulsivité ; les inhibiteurs
de la recapture de la sérotonine,
en association ou non avec des
thymorégulateurs, sont utilisés
sous étroite surveillance. Par
contre, les antidépresseurs tricy-
Difficultés pour les jeunes
La santé physique et mentale
des adolescents est une préoccupation majeure de santé
publique soulignée par le Haut
comité de la santé publique, a
fortiori quand il s’agit d'enfants
et d’adolescents en grande difficulté, et s'ils relèvent d’une
décision judiciaire. L’étude de la
trajectoire de ces jeunes montre
le caractère relativement aléatoire de leur orientation vers des
filières sanitaire, sociale et judiciaire ou médico-sociale, ainsi
que la succession possible dans
le temps des différents modes
de prise en charge. La recherche
d’une cohérence sur toute la
durée de la prise en charge est
indispensable.
Source : DGS
cliques et les benzodiazépines ne
sont pas recommandés (risque
d’utilisation dans les tentatives de
suicide).
Ludmila Couturier
Comme des rites
de passage...
La problématique de la rupture
et du lien à l’adolescence est
mise en lumière par des
conduites à risque, souvent
des sortes de rites de passage
par la révélation d’identité :
fugues, absentéisme scolaire,
comportement d’alcoolisation,
consommation de cannabis ou
d’autres drogues, conduite
motorisée à risque, recherche
de sensations fortes, conduites sexuelles non protégées, non-observance thérapeutique (diabète, épilepsie,
asthme, transplantation d’organe), troubles des conduites
alimentaires. Ces derniers
s’inscrivent dans la durée
comme des véritables ruptures mettant en jeu le pronostic vital. L’incidence annuelle de l’anorexie mentale
serait de 8 pour 100 000 par
an et celle de la boulimie de 12
pour 100 000. À côté des facteurs psychologiques, des facteurs socio-culturels sont
incriminés dans le développement de la dysperception de
l’image du corps. On connaît
les facteurs de mauvais pronostic, tels que les antécédents d’indice de masse corporelle très inférieur à la
normale et d’hospitalisation
sous contrainte (qui traduit le
déni des troubles et le refus
des soins tout en posant des
problèmes complexes), et la
présence de troubles de personnalité associés. Les programmes
thérapeutiques
comportent les traitements
nutritionnels, les thérapies
cognitives et d’affirmation de
soi, les approches corporelles
et d’autres psychothérapies
comme la thérapie familiale.
>> DOSSIER
personnalité paranoïaque, dépendante, schizoïde, dyssociale, impulsive, histrionique, etc.). D’autres
indicateurs de risque suicidaire
sont l’impulsivité, les accidents à
répétition récents, les fantasmes
de la mise en acte suicidaire, les
idées suicidaires avec l’impression d’être dans une situation
sans issue. La chronicité de ces
idées peut être considérée
comme un véritable syndrome
pré-suicidaire : environ 8 % des
garçons et 13 % des filles pensent souvent au suicide et 40 %
d’entre eux feront une tentative
de suicide. D’après certains auteurs, le syndrome de menace
dépressive est décrit comme une
montée récente d’angoisse, d’irritabilité, la présence d’un sentiment de tristesse et d’abattement,
de cauchemars, voire d’attaques
de panique. Le Dr A. Braconnier
(Paris) souligne l’intensité de la
lutte psychique antidépressive,
qui passe par les troubles fonctionnels, les conduites à risque, le
passage à l’acte suicidaire, sans
que l’adolescent reconnaisse son
état dépressif. Le caractère compulsif, avec le risque d’escalade
de diverses conduites à risque,
augmente petit à petit le risque
de morbi-mortalité.
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