E R U T

publicité
NOTE DE LECTURE
Médecine
& enfance
Rédaction : E. Pino, médecin de
l’Education nationale, Pont-l’Abbé
L’envie de mourir, l’envie de vivre :
un autre regard sur les adolescents
suicidants
De Patrick Alvin et Michel Debout, éditions Doin
Tout médecin de l’adolescent
s’est un jour retrouvé, du fait
de l’inquiétude d’un tiers, de la
sienne propre ou de celle même de son jeune patient, devant l’obligation de mesurer un
risque suicidaire. Et ce quoi
qu’il pense par ailleurs de cette
malcommode notion. Face à la
réalité si mouvante, si complexe et parfois si inconfortable
d’un sujet en train de se
construire, tenter de saisir les
facteurs d’une possible bascule
vers la détresse a toujours
quelque chose de vertigineux.
Le livre de Patrick Alvin est traversé de cette tension entre ce
qu’il est possible de penser collectivement du suicide des adolescents et la nécessité de réaffirmer la singularité de chaque
histoire. Il n’en veut pas plus
que cela aux statistiques. Elles
ne sont qu’une tentative imparfaite de mettre en ordre l’impensable, de limiter l’effet de
chaos que soulève l’envie de
mourir chez ceux qui semblent
encore avoir si peu vécu. Au
passage, toutefois, dans le chapitre qu’il leur consacre, il tord
le cou à bon nombre d’entre
elles : on ne se suicide pas plus
à l’adolescence que plus tard
dans la vie ; pas plus qu’il y a
trente ans, plutôt moins ; et surtout, thème fondamental dans
son livre, le passage à l’acte est
rarement significatif d’une entrée dans la maladie mentale.
D’ailleurs, il exprime nettement la grande difficulté à présenter un panorama univoque
des tentatives de suicide des
adolescents et sa méfiance vis-
à-vis des réponses trop hâtives
de ceux qui « ne supportent pas
l’énigme ». Citant A. Haim, il
écrit : « Aucun facteur ne pouvant être la cause de tous les
suicides, la tentation est grande d’ériger au rang de cause
l’adolescence elle-même » [1].
Et malgré la fréquence de thématiques familiales pour le
moins troublées, ce ne saurait
être un facteur prédictif.
Alors, si les statistiques sont
menteuses, la clinique incertaine, que reste-t-il ? Il reste la
pratique. Et c’est tout l’intérêt
de la seconde partie de son ouvrage : inciter chacun de nous,
plutôt qu’à chercher un hypothétique axe unique, à considérer quelles sont les conditions
nécessaires pour qu’une parole
adolescente se déploie, pour
que cette histoire, un instant figée dans un acte si scandalisant, puisse se remettre en
mouvement. S’il est hasardeux
de réduire le suicide à une typologie des facteurs de risque,
il reste néanmoins vital d’offrir
un cadre où celui-ci pourra être
abordé de façon résolument
soignante.
Affaire de spécialiste ? Pas sûr.
L’auteur, tout en faisant une large place au bilan du service de
médecine pour adolescents de
Bicêtre, plaide pour que chacun
de nous se saisisse de la prévention et de l’accompagnement. Il
insiste sur la place que peuvent
prendre, parmi tous les acteurs,
les médecins de l’enfance, du
fait de la récurrence des
plaintes somatiques entourant
l’acte suicidaire. Le recours
novembre 2011
page 406
d’emblée à la pédopsychiatrie,
ou pire au traitement médicamenteux, a pour revers considérable de signifier à l’adolescent
qu’il est malade de ses affects et
au pédiatre qu’il n’aurait rien à
faire avec les sentiments de ses
patients.
A la lumière de son expérience,
Patrick Alvin nous invite à
considérer qu’à peine 10 % des
adolescents suicidants souffrent
de réelles pathologies psychiatriques et que les autres sont
surtout en attente d’une rencontre. Face à la riche palette
d’histoires présentées dans l’ouvrage, l’auteur plaide pour que
les réponses proviennent de
multiples horizons, chaque pratique offrant une opportunité
de faire pierre de résilience.
D’autant que très peu d’adolescents honorent les rendez-vous
que l’on a fixés pour eux auprès
d’un psychiatre.
S’il n’y a pas à proprement parler de recettes pour prendre en
charge un adolescent suicidant, il y a néanmoins des
préalables indispensables : oser
poser sans ambages, « sans passion, mais avec intérêt » [2], la
question de l’idée suicidaire et
établir des contrats clairs avec
nos jeunes patients.
Ce livre déconcertera sans doute
le praticien habitué aux protocoles. Mais c’est bien toute la valeur de cet ouvrage que de rappeler qu’en matière de souffrance psychique, il n’y a pas d’autre
recette réellement thérapeutique
que d’accepter de se laisser déconcerter. C’est le prix à payer
pour pouvoir, un temps, accompagner les adolescents vers une
autre issue que le suicide. Un appel à la maïeutique, bien au-delà
de la prescription. 왎
[1] Haim A. : Les suicides d’adolescents, Payot,
coll. Science de l’homme, Paris, 1969 ; p. 246.
[2] Boris Vian : « Je mourrai d’un cancer de la
colonne vertébrale », Je voudrais pas crever,
Le livre de poche, 1997.
Téléchargement