T ribune ● É. Thervet* Traitements immunosuppresseurs génériques : enjeux et interrogations L a transplantation d’organe est une thérapeutique d’exception qui permet l’amélioration de la quantité et de la qualité de vie de patients présentant une dysfonction chronique d’un organe vital. Malgré l’importance de cette prise en charge, les réflexions actuelles portant sur l’optimisation des dépenses de santé ne peuvent être éludées. Parmi celles-ci, les questions du bénéfice réel de chaque traitement immunosuppresseur et de l’utilisation de molécules génériques peuvent légitimement se poser. L’objectif de cette tribune n’est pas de donner des réponses sur ce second point, réponses qui de toute façon ne nous appartiennent pas, mais de rappeler certaines définitions, certaines observations cliniques et biologiques, et de proposer quelques pistes de réflexion. Une notion importante également est celle de bioéquivalence, puisque tous les génériques doivent par définition avoir prouvé leur bioéquivalence avec le médicament original. Des tests vont donc s’attacher à démontrer la bioéquivalence d’un traitement générique par rapport à son modèle. En France, il est admis que, même si le principe actif est rigoureusement le même, les excipients contenus peuvent modifier les effets, par exemple en modifiant la vitesse du passage du principe actif dans l’organisme. Les laboratoires doivent donc produire une étude de bioéquivalence, de préférence réalisée chez l’homme. Cette étude doit montrer que les nouveaux excipients ne modifient ni la quantité de molécules qui passe dans le sang, ni la vitesse à laquelle le principe atteint l’organe cible. La dernière notion est celle de la prescription. Lorsqu’un médicament est accessible en automédication, l’usager peut choisir librement entre princeps et générique. La législation spécifique concerne la possibilité pour le médecin de prescrire en dénomination commune internationale (DCI) ou la possibilité pour le pharmacien de délivrer un générique lorsque le médecin a prescrit un princeps. Pour que cela soit possible, il faut que le médecin ou le patient ne s’opposent pas à la substitution (en France, le médecin peut inscrire “NS” pour “non substituable” sur l’ordonnance). Qu’est-ce qu’un traitement générique ? Tout d’abord, il est bon de rappeler quelques points concernant les traitements génériques. Un médicament générique est un médicament ayant “la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique, et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées” (extrait de l’article L. 5121-1 du code français de la santé publique). En pratique, cela signifie que la spécialité de référence doit exister, qu’elle doit avoir obtenu une Autorisation de mise sur le marché, qu’elle doit être ou avoir été commercialisée en France, que son principe actif correspond à un groupe du répertoire des génériques et que le médicament générique est bioéquivalent. Dans la communauté européenne, on distingue schématiquement trois types de génériques. Il y a tout d’abord la “copie-copie”, qui est la copie conforme du médicament original (même molécule, même quantité, même forme galénique, mêmes excipients) et qui provient souvent du laboratoire d’origine. Les génériques les plus fréquents sont des médicaments appelés “similaires” : l’excipient change, mais ni le principe actif, ni sa quantité, ni la forme galénique ne sont différents. Enfin, les médicaments génériques peuvent être “assimilables”. Dans ce cas, la forme galénique (comprimé au lieu de gélule) ou la forme chimique du principe actif (sel au lieu de base) a été modifiée. Utilisation des génériques et transplantation Quelles sont les spécificités possibles de l’utilisation des génériques pour les traitements immunosuppresseurs ? Elles reposent tout d’abord sur les caractéristiques de ces traitements – qui expliquent d’ailleurs la nécessité d’un suivi thérapeutique pharmacologique –, à savoir : une grande variabilité inter- et intra-individuelle, un index thérapeutique étroit, et des conséquences pharmacodynamiques difficiles à apprécier simplement (à la différence, par exemple, de la prise de la pression artérielle pour un traitement antihypertenseur). Ces trois caractéristiques doivent être prises en compte pour l’utilisation d’un générique. Elles ont aussi rendu nécessaire la mise au point d’outils pharmacologiques spécifiques (concentrations résiduelles ou deux heures après la prise, aires sous la courbe plus ou moins abrégées, etc.) et de techniques de dosage validées. Elles reposent également sur les caractéristiques des populations traitées. Elles varient selon le type de greffe, les caractéristiques immunologiques du receveur, les associations des molécules utilisées et la période après la transplantation, * Service de transplantation rénale adulte, hôpital Necker, Paris. 181 Le Courrier de la Transplantation - Volume VII - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2007 T ribune puisqu’il s’agit d’un traitement chronique. Il faut noter aussi que les patients ayant bénéficié d’une transplantation rénale ou hépatique ont un risque de présenter une dysfonction de leur organe transplanté qui va influencer la pharmacologie des traitements utilisés. Des conférences de consensus se tiennent régulièrement pour répondre à ces questions et pour fournir des lignes de conduite (guidelines). Elles reposent enfin sur le concept même de bioéquivalence. Pour les autorités de santé, la règle de bioéquivalence entre deux formulations repose sur le fait que le rapport des aires sous la courbe (AUC) doit se situer entre 0,8 et 1,25. Cette notion purement pharmacocinétique laisse de plus en plus la place à une approche plus pharmacodynamique d’équivalence thérapeutique. Par exemple, deux traitements ayant une AUC identique peuvent présenter un profil pharmacocinétique (Cmax, Tmax…) très différent, avec des profils modifiés de tolérance ou d’efficacité si les outils pharmacocinétiques ne sont pas adaptés. La deuxième nécessité est la définition pratique de la substitution, c’est-à-dire pour qui, par qui et comment ? Dans le domaine de la transplantation, les modifications de traitement peuvent avoir des conséquences graves qui ne sont pas facilement détectables cliniquement (augmentation de la créatinine, par exemple). Dans ce cadre, la substitution d’un traitement ne peut s’imaginer que sous un strict contrôle médical. Pour ceux d’entres nous qui se souviennent de l’arrivée du Néoral®, son introduction s’est accompagnée d’une diminution des doses quotidiennes par rapport aux doses nécessaires de Sandimmun® pour obtenir les mêmes concentrations sanguines cibles. Il est possible que cela s’observe (dans un sens ou dans l’autre) avec de nouvelles molécules génériques. Que le choix d’un générique soit fait dès le début de la transplantation ou à distance, il semble indispensable qu’il soit réalisé initialement par le médecin en charge de la transplantation, pour qu’il puisse mener le suivi de cette modification de façon optimale. En conclusion, nous allons très probablement connaître dans les mois à venir l’introduction des traitements génériques dans le domaine de la transplantation. Nous devons réfléchir pour préciser les règles de leur bonne utilisation. Il me semble que cela nécessite la description des outils de suivi pharmacologique et clinique nécessaires aux patients. Il me paraît difficile d’imaginer une substitution automatique, possiblement risquée en l’absence d’un suivi bien conduit. Il est de notre devoir de nous préparer à ces changements, d’autant plus que, dans un avenir relativement proche, nous devrons faire des choix en ce qui concernent les biogénériques, qui posent des questions encore plus complexes que les traitements chimiques. ■ Que pouvons-nous proposer ? Quelles sont donc les pistes pour l’utilisation optimale des génériques ? Une première nécessité est de définir, pour chaque traitement, le format de suivi thérapeutique pharmacologique optimal. Compte tenu de la complexité de cette définition, une autre approche pourrait être un suivi pharmacodynamique (par exemple, l’activité calcineurine), qui aurait l’avantage d’estomper les différences biogaléniques pour ne retenir que l’action pharmacologique de la molécule sur sa cible. @ Retrouvez sur notre site www.edimark.fr (http://www.edimark.fr/pages/som_revue.asp?NumRevue=31) Les recommandations techniques pour le prélèvement des organes et des tissus sur donneurs en état de mort encéphalique* ➜ Dr D. Tixier (Agence de la biomédecine) ➜ Pr B. Barrou (hôpital de la Pitié-Salpêtrière) * Document in extenso 182 Le Courrier de la Transplantation - Volume VII - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2007