ASSISES . Les génériques et les immunosuppresseurs de demain Compte-rendu des Assises de la SFT L’ objectif de ces Assises, organisées en 2 demi-journées, était de débattre de la problématique des génériques afin d’adapter les recommandations proposées par l’European Society for Organ Transplantation (ESOT), puis de faire le point sur les immunosuppresseurs (IS) de demain. Immunosuppression et génériques Le recours aux médicaments génériques soulève de nombreuses interrogations, notamment en ce qui concerne leur bioéquivalence par rapport à la spécialité de référence et les problèmes d’observance qui peuvent en découler. La réglementation actuelle pour l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments génériques (Dr Anne Dunant, Unité génériques, Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé - Afssaps) rejoint celle de la Food and Drug Administration (FDA) et de l’European Medicines Agency (EMA). Avant d’obtenir l’AMM, le médicament générique doit avoir démontré sa bioéquivalence. Mais bioéquivalent ne signifie pas identique en termes d’aspect, de goût ni de couleur. Ainsi, 2 médicaments contenant la même substance active sont considérés comme bioéquivalents si leurs biodisponibilités après administration à la même dose se situent dans des limites acceptables prédéfinies. Les paramètres pharmacocinétiques étudiés sont l’aire sous la courbe (ASC) et la Cmax (concentration plasmatique maximale), qui doivent se situer dans un intervalle de confiance de 80 à 125 %. Pour les médicaments à marge thérapeutique étroite, l’intervalle de confiance et d’acceptation a été réduit à 90-111 %. Cependant, dans le cas des immunosuppresseurs, qui sont effectivement des médicaments à marge thérapeutique étroite, il est nécessaire Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 d’évaluer d’autres paramètres pharmacocinétiques comme, notamment, la C0 (concentration résiduelle) et la C2, qui sont ceux pris en compte pour l’adaptation de posologie. Les études de bioéquivalence sont uniquement conduites chez des volontaires sains, dans des conditions stables et en ne testant qu’une seule dose. Ces conditions d’étude posent un problème, car les patients suivis pour transplantation rénale ou hépatique peuvent également présenter une insuffisance rénale ou hépatique susceptible d’interférer avec la biodisponibilité. La prescription de génériques chez les patients transplantés peut être contestée. Administrer un seul médicament une seule fois à un volontaire sain ne peut être comparé à l’administration chronique d’une dizaine de médicaments à un patient transplanté, qui s’expose à un haut risque d’interactions médicamenteuses. De plus, les études de bioéquivalence ne s’inté- 99 Le s p a g e s d e l a S FT Glossaire ASSISES (SUITE) Afssaps : Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue, depuis le 29 avril 2012, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). AUC0-∞ (à défaut, AUC0-t, jusqu’à la dernière concentration mesurable) : aire sous la courbe (ASC ou AUC, pour Area Under the Curve), mesure de la surface située sous le tracé de la courbe de concentration d’un médicament, et qui évalue l’exposition globale du sujet au médicament. Biodisponibilité : fraction de la dose d’une substance administrée par voie autre qu’intraveineuse qui atteint la circulation systémique. Elle est généralement mesurée en comparant les ASC obtenues après administration du même médicament par voie intraveineuse et par la voie étudiée (qui est le plus souvent la voie orale). Bioéquivalence : 2 principes actifs sont dits bioéquivalents lorsqu’ils remplissent les critères réglementaires de bioéquivalence, c’est-à-dire des valeurs non statistiquement différentes d’ASC, de Cmax (± de Tmax) lorsqu’ils sont administrés à la même dose. C0 ou Cmin : concentration minimale du produit dans le sang juste avant la prise suivante en cas d’administration répétée. Cmax : concentration maximale du produit dans le sang après administration. EMA : Agence européenne des médicaments (European Medicines Agency), créée en 1995 et située à Londres. FDA : Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (Food and Drug Administration). Marge thérapeutique étroite : médicaments dont la concentration minimale toxique est inférieure à 2 fois la concentration minimale efficace chez l’homme, ou nécessitant un ajustement de posologie et une surveillance précautionneuse du patient. Substitution d’un produit générique à un produit princeps (ou substitution d’un générique à un autre) : possibilité, pour le pharmacien d’officine, de remplacer un médicament prescrit par un médecin par un médicament “bioéquivalent”. Tmax : durée au bout de laquelle la Cmax est atteinte. 100 ressent pas à la population pédiatrique ; or, tout générique qui aura démontré sa bioéquivalence chez l’adulte, et dont le princeps est utilisé chez l’enfant, pourra également être utilisé en pédiatrie. Sur le plan de la sécurité et de l’efficacité, l’administration d’un générique dans ce cas ne semble pas satisfaisante. L’Afssaps met à la disposition des pharmaciens le “Répertoire” où figurent des recommandations de prudence pour les médicaments à doses critiques ; il faut prendre en considération à la fois la pathologie et le patient. On peut également s’inquiéter du grand nombre de génériques qui existent sur le marché, pour une même spécialité princeps. En effet, le patient peut se voir délivrer un générique différent du précédent selon la pharmacie, car il n’existe aucune réglementation obligeant le pharmacien à délivrer le même générique que son confrère. Le passage d’un générique à l’autre pose des problèmes d’appropriation du traitement et d’observance. La meilleure alternative qui existe à l’heure actuelle reste la possibilité pour le prescripteur de refuser la substitution en précisant que le produit est “non substituable”. Cette mention doit être manuscrite et doit figurer sur l’ordonnance avant la dénomination de la spécialité prescrite. Si l’on évalue l’impact médico-économique réel du recours aux traitements génériques (Pr Isabelle Durand-Zaleski, Recherche clinique et santé publique, hôpital Henri-Mondor, Créteil), il faut savoir que les IS ont une marge thérapeutique étroite, si bien que les études seront plus focalisées sur l’efficacité que sur le coût, surtout dans les pathologies où la prise en charge à 100 % améliore l’observance au traitement. Les patients transplantés faisant l’objet de nombreuses hospitalisations, il serait intéressant de mettre en regard la prescription et l’hospitalisation, qui peut être due à un problème de rejet, d’inefficacité du traitement ou de mauvaise observance (en raison de changements fréquents de générique). Afin de pouvoir réellement débattre de l’efficacité du générique et évaluer le gain économique par rapport au princeps, il faudrait mettre en place une étude prospective sur une durée suffisamment longue permettant d’estimer la probabilité de voir survenir un événement tout en laissant aux médecins le libre choix de la prescription. À côté du problème de sécurité et d’efficacité que soulève la prescription de génériques, le Pr Michèle Kessler (service de néphrologie et de transplantation rénale, CHU de Nancy) a également souhaité évoquer leur impact sur l’éducation thérapeutique. Le traitement IS est complexe du fait des risques de rejet et d’infections, et nécessite donc une bonne “adhésion” du patient au traitement. Les IS ont une marge thérapeutique étroite, des effets indésirables et des interactions médicamenteuses non négligeables, et ils demandent une grande rigueur dans la fréquence et les horaires des prises. Ces contraintes impliquent un risque de non-observance. Les génériques diffèrent des médicaments princeps par le nom, l’aspect, la taille, la forme, la couleur, le marquage et le goût. Tout cela peut être source d’incompréhension, d’erreurs et de confusions de la part du patient. De plus, le risque est de créer une discordance entre la prescription du médecin transplanteur, celle éventuellement faite par d’autres médecins, l’information donnée par le personnel soignant animant les séances Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 d’éducation thérapeutique et la délivrance faite par le pharmacien. Le générique permettrait, certes, un gain financier. Cependant, il ne faut pas hésiter à rendre non substituables les traitements quand il y a un risque majeur de non-observance ou de perte de l’autonomie dans leur gestion. Idéalement, il faudrait pouvoir identifier clairement ce que l’on prescrit et le produit de remplacement éventuel pour surveiller de façon rigoureuse l’apparition d’événements indésirables. On peut imaginer qu’une diminution imposée des coûts du princeps aurait permis d’éviter de recourir aux génériques. Une enquête conduite par la Société francophone de transplantation sur l’utilisation des IS génériques (Pr Pierre Marquet, pour la commission médicament de la SFT, chef de service de pharmacologie, toxicologie et pharmacovigilance, CHU de Limoges) a mis en avant les point suivants : il serait souhaitable de renforcer les règles de bioéquivalence en prenant en compte les C0 et C2, de ne pas faire des essais exclusivement en dose unique et d’élargir ces études aux patients transplantés. Le doute repose sur la qualité des génériques (insuffisante ou inconstante) et sur les possibles substitutions d’un générique à l’autre au fil des mois, sachant par exemple qu’il existe à l’heure actuelle 17 formes différentes du mycophénolate mofétil. Globalement, 42 % des prescripteurs sont défavorables aux génériques et seraient favorables à une baisse de prix du médicament princeps. Le Pr Yann Le Meur (service de néphrologie et de transplantation rénale, CHU de Brest) a fait le point sur les recommandations de l’ESOT, qui propose de continuer les recherches et enquêtes sur les réels bénéfices de l’usage des génériques dans le domaine de la transplantation. Tant que la bioéquivalence “stricte” de 90 à 111 % par rapport au princeps n’est pas démontrée, un générique ne devrait pas obtenir d’autorisation de commercialisation. De plus, il faudrait veiller à ce que chaque changement d’un médicament vers son générique, ou entre plusieurs formulations génériques entre elles, fasse l’objet d’un ajustement et d’une réévaluation de la fenêtre thérapeutique au cas par cas. Le recours au générique risque également d’entraîner une variation de la concentration sanguine lors de la conversion. Une coopération maximale entre pharmacien et médecin transplanteur doit être instaurée afin d’informer les patients. Les immunosuppresseurs de demain Le Dr Nathalie Dumarcet (chef du département information et bon usage des médicaments, Direction de l’évaluation des médicaments et des produits biologiques [ DEMEB], Afssaps) est revenue sur les alternatives qui existent à l’heure actuelle pour les traitements coûteux prescrits hors AMM. Les 2 réponses institutionnelles permettant aujourd’hui de pouvoir prescrire hors AMM sont les autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et les protocoles thérapeutiques temporaires (PTT). Par exemple, depuis le mois de novembre 2010, l’Afssaps a accordé la mise en place d’un PTT pour les immunoglobulines intraveineuses dans la prise en charge des greffes rénales, avec un projet dans la greffe cardiaque, mais sous réserve de l’inclusion dans un suivi de cohorte nationale. À côté de ces outils de prescription hors AMM s’est développé, depuis 2004, le plan de gestion de risques (PGR), dont l’objectif est de surveiller et de minimiser les risques de façon proactive tout au long de la vie du produit. En effet, d’une façon générale, on s’aperçoit que, même si le risque est connu, on observe des différences entre la pratique médicale courante et la théorie (les recommandations et RCP du produit). Le PGR peut être divisé en 2 parties (Dr Christel Saussier, évaluateur, pharmacoépidémiologiste, Afssaps). Il consiste à établir, dans un premier temps, la liste des risques potentiels, puis un plan de pharmacovigilance, avec notification des effets indésirables, rapports périodiques de sécurité et éventuellement mise en route d’activités additionnelles, comme Le Courrier de la Transplantation - Vol. XII - n° 2 - avril-mai-juin 2012 des études d’utilisation. Un plan de minimalisation du risque est établi, après avoir vérifié que le plan européen de gestion des risques est suffisant et approprié aux réglementations françaises. Le Tysabri® (natalizumab), par exemple, a fait l’objet d’un PGR européen pour obtenir des données sur l’incidence des réactions d’hypersensibilité et des infections, et, sur le plan national, l’objectif était de colliger tous les cas d’événements indésirables graves et inattendus pour minimiser ce risque. Le Pr Gilles Blancho (service de néphrologie et de greffe rénale et pancréatique, CHU de Nantes) a abordé les médicaments de demain, leurs modalités d’action, leurs effets indésirables, ainsi que le moment et la manière de les utiliser. Il s’agit des biothérapies innovantes, des “antigénériques”. Si l’on regarde l’exemple du bélatacept, qui sera commercialisé sous le nom de Nulojix®, il a fait l’objet de nombreuses études en phases II et III, présentées et publiées (American Transplant Congress 2011 ; ESOT 2011). Un autre exemple est l’éculizumab (ou Soliris®), dans le traitement de l’hémoglobinurie paroxystique nocturne, qui est également utilisé en transplantation, hors AMM. Étant donné le risque d’infections à méningocoques, une vaccination est obligatoire. En transplantation, cette vaccination se fait au moment de l’utilisation de la molécule. Une antibioprophylaxie est une mesure additionnelle efficace au moment de l’utilisation. Conclusion (Pr Jean-Paul Squifflet, président de la SFT) L’accès aux médicaments génériques pour les patients transplantés doit faire, de la part du transplanteur, l’objet d’une évaluation au cas par cas. La coopération médecin/pharmacien et l’inclusion du pharmacien dans le processus de l’éducation thérapeutique semblent un atout majeur pour le patient. La baisse de prix des médicaments princeps, plus que l’arrivée des génériques, permettrait de mieux développer les médicaments de demain. 101