O bservation inattendue ! P. Chevalier* Aux extrêmes des indications de la transplantation cardiaque rapportons ici l’observation N ous de C.M.C., jeune Guadeloupéen de 20 ans chez qui apparaît, en octobre 1996, une adénopathie inguinale gauche isolée. Il s’agit en fait d’un lymphome malin non hodgkinien. L’exérèse de l’adénopathie est réalisée, et cinq cures de chimiothérapie comportant des anthracyclines sont administrées. En juin 1997, ce patient revient en métropole pour bilan et cure de consolidation. Il n’existe aucun signe clinique ou biologique évocateur de récidive, et aucune anomalie n’est constatée sur les examens d’imagerie. En revanche, une cardiomyopathie dilatée sévère (fraction d’éjection à 18 %) secondaire à l’administration d’anthracyclines est découverte, malgré des doses cumulées modérées. À partir de cet instant, l’évolution va être foudroyante. En juillet 1997, des signes cliniques d’insuffisance ventriculaire gauche apparaissent, et l’insuffisance cardiaque se majore rapidement pour aboutir à un tableau de choc cardiogénique, avec un débit cardiaque effondré. Cet état nécessite des doses croissantes de drogues, avec aggravation lors de toute tentative de diminution du support médicamenteux. Finalement, notre équipe est appelée en catastrophe, tant la situation hémodynamique est précaire. Il n’existe aucune défaillance hépatique ou rénale. Nos collègues hématologues croient en une guérison définitive du patient et considèrent le risque de récidive comme quasi inexistant. Une assistance de type NOVACOR est donc posée en août 1997, dans l’attente d’une transplantation cardiaque. Par la suite, malgré un traitement médical optimal, une tentative de sevrage d’assistance se solde par un échec. * Service de chirurgie cardiovasculaire, hôpital européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. POUR LA PREMIÈRE FOIS SE POSE LA QUESTION : “QUAND FAUT-IL TRANSPLANTER ?” En raison des antécédents hématologiques, il semble raisonnable d’attendre au moins un an et demi pour avoir un recul suffisant par rapport à la date de rémission du lymphome. Cette décision a été judicieuse car, en novembre 1998, une adénopathie inguinale gauche réapparaît. Il s’agit encore d’un lymphome anaplasique de type B. Comme précédemment, le lymphome est uniquement localisé au niveau inguinal, sans aucune autre extension et, en particulier, sans aucune adénopathie profonde, l’exploration étant cependant rendue difficile du fait de la présence du NOVACOR. Un nouveau dilemme se présente. Deux solutions thérapeutiques sont en effet possibles : soit une chimiothérapie conventionnelle, dont l’efficacité est aléatoire et grevée d’un important pourcentage d’échec, conduisant ainsi à une impasse, soit une thérapeutique agressive comportant une chimiothérapie lourde, une mise en aplasie, une cytaphérèse, une autogreffe et une radiothérapie. Mais ce patient est toujours porteur de NOVACOR, il reçoit un traitement anticoagulant qu’il n’est pas possible d’arrêter, et le risque infectieux est majeur en raison de la présence de cette assistance. Finalement, le choix se porte sur la seule voie permettant d’espérer une guérison complète. Le patient reçoit ainsi, de décembre 1998 à mai 1999, une chimiothérapie de type BHA-LOHP ; une autogreffe de moelle est décidée, et plusieurs séances de radiothérapie externe complètent ce traitement jusqu’en juillet 1999. En octobre 1999, le patient est considéré comme étant en rémission complète. Un nouvel orage est passé, mais, pour la deuxième fois, se pose la question : “Quand faut-il transplanter ?” Il est décidé d’attendre deux ans de plus (le 126 NOVACOR a été posé, rappelons-le, en août 1997), soit jusqu’en octobre 2001. Malheureusement, de nouvelles complications vont changer cette stratégie. À partir d’août 2000 surviennent deux complications thromboemboliques, heureusement sans conséquence, malgré un traitement anticoagulant efficace, et, surtout, une septicémie à staphylocoques dorés méti-R dont le point de départ est cutané, au niveau de la sortie du câble du NOVACOR, d’où sourd du pus. Sous antibiothérapie, le patient devient apyrétique, les hémocultures se négativent, mais une infection du pourtour du câble persiste. Finalement, main forcée, la transplantation cardiaque est réalisée en octobre 2000. CONCLUSION Cette observation illustre bien la difficulté à poser en urgence l’indication d’une assistance ventriculaire (et donc d’une transplantation cardiaque), surtout chez un sujet jeune. De cette indication initiale découlent souvent, par la suite, de multiples décisions prises à chaud en raison d’événements circonstanciels qui bouleversent la rigueur stratégique dont on voudrait s’entourer. ! Fallait-il refuser de poser une assistance ventriculaire en raison de l’absence de recul suffisant pour affirmer la guérison définitive du lymphome ? L’issue aurait été fatale, et ce patient avait 20 ans ! ! Fallait-il reculer devant la récidive du lymphome ? ! Fallait-il tenir coûte que coûte, malgré l’infection, et ne transplanter qu’à la date prévue ? On connaît bien l’évolution de ces processus infectieux chez les patients porteurs de matériel étranger... Octobre 2001 : C.M.C. va bien, il a repris du poids, il est apyrétique, les examens biologiques sont normaux, la fonction du greffon cardiaque est parfaite. Le bilan ne montre aucune récidive du processus lymphomateux, mais nous ne sommes qu’à un an post-transplantation… " Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 3 - oct.-nov.-déc. 2001