La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 1 - janvier 2011 | 39
Résumé
En cancérologie digestive, l’année 2010 a été marquée par des échecs, des succès et des ouvertures vers
l’avenir. Les déceptions sont venues des résultats négatifs des études de biothérapies en adjuvant dans les
cancers du côlon, que ce soit avec le bévacizumab ou avec le cétuximab. En revanche, les succès sont venus
cette année des nouvelles perspectives de traitement dans les tumeurs endocrines digestives, avec les
résultats positifs du sunitinib et de l’évérolimus, qui permettent d’augmenter la survie des patients ayant
une tumeur évoluée. L’autre succès majeur a été la démonstration d’une augmentation de la survie globale
des patients ayant un cancer du pancréas évolué grâce au schéma FOLFIRINOX par rapport à la gemcitabine,
jusqu’ici non détrônée. Enfin, les perspectives résident bien évidemment sur l’intense recherche développée
dans le domaine des biomarqueurs et la recherche de nouvelles cibles biologiques qui devrait déboucher,
dans les années à venir, sur une remise en question de notre façon d’envisager les stratégies thérapeutiques.
Mots-clés
Cancers colorectaux
Hépatocarcinomes
Cancers de l’estomac
Cancers du pancréas
Tumeurs endocrines
digestives
Highlights
In gastrointestinal oncology,
2010 was marked by failures,
successes and openings to the
future. The disappointments
have come from the nega-
tive results of studies with
biotherapy in adjuvant treat-
ment of colon cancer, with
either bevacizumab or cetux-
imab. However, success came
this year with new prospects
for the treatment in digestive
endocrine tumors, with positive
results of sunitinib and evero-
limus who demonstrated a
survival benefit in patients with
advanced tumors. One of the
other major success was the
demonstration of an increase in
overall survival in patients with
advanced pancreatic cancer
with the schedule Folfirinox
compared with gemcitabine
alone.
Finally, intensive research
is developed in the field of
biomarkers and definition of
biological targets that should
result in the coming years
on a challenge to our way of
thinking about therapeutic
strategies.
Keywords
Colorectal cancer
Hepatoma
Gastric cancer
Pancreatic cancer
Neuroendocrine tumors
◆
Statut MSI : facteur prédictif confirmé de
non-bénéfice du 5-FU en adjuvant
Une nouvelle étude de grande envergure publiée
cette année vient confirmer définitivement l’absence
de bénéfice du 5-FU en situation adjuvante chez
les patients ayant un cancer colique de phénotype
d’instabilité microsatellitaire (Micro Satellite Insta-
bility [MSI]) [4]. Faisant suite à la précédente étude
de C.M. Ribic et al. (5), D.J. Sargent et al. ont analysé
les résultats de 457 patients supplémentaires opérés
d’un cancer colique de stades II et III et provenant
de 5 essais randomisés ayant comparé la chirurgie
seule à une chimiothérapie adjuvante à base de 5-FU
(l’essai français FFCD 8802, 3 essais nord-américains
et 1 italien). Comme dans l’étude de C.M. Ribic et al.,
il existait un bénéfice significatif de la chimiothérapie
adjuvante par 5-FU en termes de survie sans maladie,
mais uniquement chez les patients ayant une tumeur
sans instabilité des microsatellites (MicroSatellite
Stability [MSS]) [analyse multivariée : HR = 0,67 ;
IC
95
: 0,48-0,93 ; p = 0,02]. En effet, aucun bénéfice
de la chimiothérapie adjuvante par 5-FU n’était
observé chez les patients ayant un cancer colique de
stades II et III et de phénotype MSI (HR = 1,39 ; IC
95
:
0,46-4,15). Afin de gagner en puissance, notamment
pour l’analyse multivariée en fonction du stade
tumoral, les auteurs ont poolé les résultats de ces
457 patients avec ceux des 570 patients analysés
précédemment par C.M. Ribic et al. Les résultats de
cette analyse confirment la valeur pronostique du
statut MSI, puisque chez les patients non traités par
5-FU, ce phénotype était associé à une survie sans
maladie significativement meilleure (HR = 0,51 ;
IC95 : 0,29-0,89 ; p = 0,009), de même que la SG
(HR = 0,47 ; IC
95
: 0,26-0,83 ; p = 0,004), ce qui
n’était pas le cas chez les patients ayant reçu la
chimiothérapie adjuvante. Cette analyse confirme
également l’absence de bénéfice de la chimiothé-
rapie par 5-FU en cas de phénotype MSI, que la
tumeur soit de stade II ou de stade III (tableau I). Ce
bénéfice était en revanche constaté chez les patients
ayant une tumeur MSS de stade III, mais pas en cas
de tumeur MSS de stade II. Le test d’interaction entre
le statut MSI et l’efficacité du traitement en termes
de survie sans maladie était significatif (p = 0,04).
Tous ces résultats de survie sans maladie étaient
retrouvés en termes de SG, hormis pour les tumeurs
MSI de stade II où la différence était significative en
défaveur du bras traité par 5-FU (HR = 2,95 ; IC95 :
1,02-8,54 ; p = 0,04).
Les résultats de cette large étude montrent donc
de façon incontestable que les tumeurs coliques de
phénotype MSI ont, d’une part, un meilleur pronostic
que celles MSS et, d’autre part, qu’elles ne bénéficient
pas d’une chimiothérapie adjuvante par 5-FU seul.
On ne peut évidemment pas extrapoler ces résultats
à une chimiothérapie adjuvante par FOLFOX qui doit
rester le schéma de référence en cas de tumeur de
stade III quel que soit le phénotype MSI. En revanche,
lorsqu’une chimiothérapie adjuvante par fluoropy-
rimidine seule (5-FU ou capécitabine) se discute,
en particulier en cas de stade II, la détermination
du phénotype MSI apparaît désormais comme une
information incontournable pour guider l’indication
ou non d’une telle chimiothérapie clairement non
bénéfique en cas de tumeur MSI.
◆
Quoi de neuf du côté des facteurs pronostiques ?
En situation adjuvante, hormis le statut MSI de
bon pronostic, aucun autre marqueur molécu-
laire n’a fait la preuve de manière formelle de sa
valeur pronostique en dehors peut-être de la perte
allélique en 18q dont le caractère péjoratif mérite
d’être confirmé. A.D. Roth et al. ont voulu évaluer
la valeur pronostique des mutations des gènes
KRAS (codons 12 et 13) et BRAF (mutation V600E)
dans l’essai de phase III randomisé PETACC 3 qui
comparait une chimiothérapie adjuvante par 5-FU
et acide folinique à la même chimiothérapie + irino-
técan pendant 6 mois (6). Au total, 1 404 tumeurs
parmi les 3 278 incluses ont pu être analysées. Une
mutation de KRAS ou de BRAF était présente dans
37 et 7,9 % des cas respectivement. En analyse
multivariée, après ajustement sur l’âge, le sexe, le
grade, les stades T et N, la localisation tumorale,
Tableau I. Résultats de l’analyse poolée concernant le bénéfice en termes de survie sans maladie
de la chimiothérapie par 5-FU en fonction du statut MSI et du stade de la tumeur.
Phénotype MSS Phénotype MSI
Stade II HR = 0,84 ; IC95 : 0,57-1,24 ; p = 0,38
(n = 428)
HR = 2,3 ; IC95 : 0,85-6,24; p = 0,09
(n = 102)
Stade III HR = 0,64 ; IC95 : 0,48-0,84 ; p = 0,001
(n = 434)
HR = 1,01 ; IC95 : 0,41-2,51; p = 0,98
(n = 63)