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Correspondances en Onco-hématologie - Suppl. au Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2008
“
Les problèmes soulevés par l’annonce d’une
maladie grave ne constituent qu’un aspect de l’en-
semble des problèmes posés par la satisfaction du
besoin d’information exprimé par les malades. Ce
besoin correspond initialement au désir de com-
prendre, présent chez chacun. Mais la satisfaction
de ce besoin rencontre de nombreux obstacles.
Tout d’abord, il y a les questions auxquelles on ne
sait pas répondre ou auxquelles la science médi-
cale répond encore mal : pourquoi le cancer se
développe-t-il ?, pourquoi une personne est-elle
atteinte plutôt qu’une autre ?, quid de l’hypothèse
d’une causalité psychique qui inuencerait la sur-
venue de la maladie et/ou de la guérison ? Mais
surtout, il y a l’ambivalence que chaque patient
manifeste à des degrés divers vis-à-vis des infor-
mations qui lui sont communiquées. Ainsi, comme
le souligne Isabelle Moley-Massol, “la plupart des
explications données par le médecin au moment
de l’annonce ne sont pas retenues par le malade”,
et “le médecin devra recommencer et reprendre
plus tard son travail d’information”. Elle rappelle
également que “Le malade oscille entre déni et
révolte, soumission et colère, désir de maîtrise
et désir de s’abandonner, fatalisme et attente de
solutions miracles… entre l’envie
de savoir et celle de ne pas savoir
dans un incessant va-et-vient”.
Considérant que “chaque malade
répond au traumatisme constitué
par la connaissance d’être atteint
d’un cancer avec des mécanis-
mes de défense qui doivent être
respectés”, elle pense que “l’information fait
partie du soin que l’on doit au malade”, et donc
qu’ “informer, c’est d’abord écouter”. Ce type
de raisonnement illustre la prise de conscience
par les professionnels de l’importance, pour les
patients, du soutien procuré par leur entourage
familial et/ou amical, des engagements asso-
ciatifs, mais aussi des soins de support (soutien
psychologique), qui font notamment l’objet de la
mesure n° 42 du Plan cancer.
Ce qui est souvent en cause dans la découverte
d’un cancer, c’est aussi le passage d’un état de
bonne santé à celui de maladie. Les enjeux subjec-
tifs de ce passage du normal au pathologique ont
été largement décrits par les psycho-oncologues
ou les psychiatres. Chez les sujets jeunes, les
conséquences psychiques sont peut-être plus
importantes que chez les sujets plus âgés : même
si la prise de conscience de la réalité du cancer
est toujours traumatique, on a noté, par exem-
ple, que la vulnérabilité psychique d’une femme
•
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atteinte de cancer
du sein était d’autant
plus grande qu’elle était
plus jeune.
Le cancer est souvent l’occa-
sion de bouleversement impor-
tants qui engagent l’identité du sujet.
Par exemple, l’opération d’un organe, une ampu-
tation, une mutilation, une alopécie, bouleversent
toujours (selon des degrés variables) l’image du
corps. Le patient ne doit pas seulement s’em-
ployer à faire face pour devenir un acteur de son
traitement, de ses soins, de sa maladie, il doit
aussi se “reconstruire”. C’est pourquoi il faut ici
faire référence à une problématique centrale de
la philosophie de la médecine contemporaine
qui a été illustrée, en France, notamment par
George Canguilhem (Canguilhem G., Le normal et
le pathologique. Paris : Quadrige, PUF, 1966).
Pour ce dernier, le sain et le pathologique sont
deux directions opposées de la vie, deux orien-
tations, deux régimes de vie, deux “allures” de
la vie. “Le contenu de l’état pathologique ne
se laisse pas déduire, écrit-il, sauf différence
de format, du contenu de la santé : la maladie
n’est pas une variation sur la dimension de la
santé ; elle est une nouvelle dimension de la
vie.” Cette interprétation, attestée subjective-
ment, implique une sorte de discontinuité entre
le normal et le pathologique, discontinuité qui
n’est pas immédiatement compatible avec la
façon dont la médecine scientique se repré-
sente habituellement le passage du normal au
pathologique. En effet, pour la science médi-
cale, le passage du normal au pathologique est
représenté, depuis Claude Bernard, comme une
variation le long d’un continuum (par exemple,
la substitution de la notion de probabilité de
survie à celle de guérison dans le domaine de
la cancérologie). Cette différence de conception
relative à la maladie et à la santé qui existe entre
la perspective du patient et celle de la médecine
scientique pose aux soignants un problème
difcile à résoudre qui a été fort bien exprimé par
Patrice Guex, auquel nous donnerons la parole
en guise de conclusion provisoire sur laquelle
méditer : “Le paradoxe de la position du médecin
ou du soignant est de devoir s’appuyer sur un
savoir scientique maîtrisé pour établir le bon
diagnostic et le bon traitement tout en entrant en
relation avec le malade, ce qui implique l’aban-
don de la maîtrise professionnelle, pour accueillir
l’histoire unique de la personne qui est en face
de soi et lui donner sens.”
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“La maladie n’est pas
une variation sur la dimension
de la santé ; elle est une
nouvelle dimension de la vie.”