Eléments d’algèbre linéaire
Peter Haïssinsky, Université de Paul Sabatier

Introduction
Dans ce chapitre, on présente quelques notions abstraites d’algèbre linéaire qui sont interprétées ensuite
en se ramenant à du calcul matriciel. L’objectif est de donner suffisamment de recul pour donner du sens
aux calculs.
1 Généralités
On commence par définir les objets principaux de la théorie: espace vectoriel, bases, applications linéaires.
Soit Kun corps commutatif, qui le plus souvent sera Rou C, dont les éléments seront appelés
scalaires, et soit Eun ensemble, dont les éléments seront appelés vecteurs. On suppose Emuni d’une
loi interne d’additition notée +, et d’une loi externe de multiplication des vecteurs par un scalaire :
(λ, v)K×E7→ λv E.
Définition 1.1. Un ensemble Emuni de deux lois comme ci-dessus est un espace vectoriel si les lois
vérifient les axiomes suivants :
1. (E,+) est un groupe abélien. Son élément neutre, noté 0, est appelé vecteur nul.
2. λ(u+v) = λu +λv pour tout λKet tous u, v E.
3. (λ+µ)v=λv +µv pour tous λ, µ Ket tout vE.
4. (λµ)v=λ(µv) = λµv pour tous λ, µ Ket tout vE.
5. 1v=vpour tout vE.
On dit aussi que Eest un K-espace vectoriel, ou un espace vectoriel sur K, s’il faut préciser le corps (dit
corps de base).
Il découle des définitions que 0v= 0 : en effet, on a v= (0 + 1).v = 0.v + 1.v = 0.v +v, donc 0.v = 0.
Les exemples sont nombreux et variés : Rnest un R-espace vectoriel, mais aussi un Q-espace vec-
toriel. L’ensemble K[X] des polynômes à coefficients dans Kest un K-espace vectoriel, de même que
l’espace des fonctions continues de [0,1] dans Rest un Respace vectoriel. Les espaces de matrices, de
suites à valeurs scalaires ou vectorielles, de fonctions d’onde etc. sont d’autres exemples importants où
la structure d’espace vectoriel intervient de manière centrale. De manière générale, l’ensemble des appli-
cations f: X EXest un ensemble quelconque et Eun est K-espace vectoriel est aussi un espace
vectoriel sur K, où la loi de composition interne (f+g)est définie par l’application x7→ f(x) + g(x)et
la loi externe λf est donnée par x7→ λ·f(x).
Combinaisons linéaires. Soit Eun K-espace vectoriel. Une combinaison linéaire est une expression de
la forme
λ1v1+· · · +λnvn
où les λisont des scalaires et les vides vecteurs. Si F= (vi)iIest une famille de vecteurs de E(indexée
par un ensemble quelconque I), on appelle combinaison linéaire d’éléments de Ftoute somme finie de la
forme
λ1v1+· · · +λnvn,
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v1, . . . , vnFet λ1, . . . , λnK. Si n= 0, on pose la somme égale à 0. Insistons encore une fois
sur le fait que la somme doit être finie. On dit que deux vecteurs uet vsont colinéaires s’il existe deux
scalaires (λ, µ)6= (0,0) tels que µu =λv, en d’autre termes, les deux flèches pointent dans des directions
égales ou opposées. On dit aussi que vest une combinaison linéaire de Fsi vs’écrit
v=λ1v1+· · · +λnvn.
Sous-espaces vectoriels. Comme pour n’importe quelle structure algébrique, nous avons une notion de
sous-espace : une partie Fd’un K-espace vectoriel Eest un sous-espace vectoriel de E(ou sous-K-espace
vectoriel, s’il faut préciser le corps de base) si Fhérite d’une structure d’espace vectoriel de celle de E.
Autrement dit, d’une part Fest non vide (on vérifie le plus souvent que 0Fpour montrer cela), et
d’autre part il est stable par addition et multiplication par des scalaires :
x, y F, x +yF,λK,xF, λx F.
De manière plus générale, Fest un sous-espace vectoriel de Esi toute combinaison linéaire d’éléments de
Fest encore dans F.
On montre que Fest un sous-espace vectoriel comme suit :
(i) F6=;
(ii) (λ, x, y)K×F2,(x+λy)F.
Opérations sur les sous-espaces. On vérifie aisément que l’intersection d’une famille de sous-espaces
vectoriels est encore un sous-espace vectoriel. En revanche, la réunion d’espaces vectoriels n’est pas en
général un sous-espace.
Si F,Gsont des sous-espaces, on écrit
F + G = {xE,(a, b)F×G, x =a+b}.
On vérifie que F+G est un sous-espace de E, appelé la somme de Fet G. On dit que Fet Gsont en
somme directe, et on écrit FGsi FG = {0}. Dans ce cas, tout vecteur xde F+G s’exprime de
manière unique sous la forme x=xF+xG, avec xFFet xGG.
Applications linéaires. Passons à la notion de morphisme d’espaces vectoriels : les applications
linéaires. Soient donc Eet Fdeux K-espaces vectoriels, et f: E Fune application. On dit que
fest linéaire si elle respecte l’addition des vecteurs et leur multiplication par un scalaire :
u, v E, f(u+v) = f(u) + f(v),λK,vE, f(λv) = λf(v).
On montre qu’une application f: E Fest linéaire comme suit. On considère deux vecteurs quelconques
u, v et un scalaire λKet on établit l’égalité f(u+λv) = f(u) + λf (v).
On dit que fest un isomorphisme si fest une application linéaire bijective. On peut montrer alors
que son inverse est aussi linéaire.
On définit le noyau de fpar
Ker f=f1({0}) = {vE, f(v)=0}
et l’image de fpar
Im f=f(E) .
Ce sont des sous-espaces vectoriels de Eet Frespectivement. L’application linéaire fest injective si et
seulement si Ker f={0}et surjective si et seulement si Im f= F.
L’ensemble des applications linéaires entre deux espaces Eet Fdonnés est noté L(E,F); cet espace
a aussi la structure d’un espace vectoriel. On parle d’endomorphisme quand E=F; dans ce cas, on note
plus simplement L(E). Enfin, les automorphismes de Ec’est-à-dire les endomorphismes bijectifs de E
sont notés GL(E); cet espace a la structure de groupe pour la composition.
Parmis les exemples, notons les homothéties, de la forme x7→ λx pour un scalaire λ, ainsi que les
projections: si E=FG, alors la projection p: E Esur Fparallèlement à Gest définie comme suit.
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On écrit x=xF+xG, alors x7→ xFest une application linéaire. On peut vérifier que pp=p,Ker p= G
et Im p= F. Réciprquement, une application linéaire p: E Etelle que pp=pest la projection de E
sur Im pparallèlement à Ker p. On a en particulier E = Ker pIm p.
Enfin, le dual Ede Eest l’espace des formes linéaires, c’est-à-dire des applications linéaires f:
EK.
Exercice 1.2. Soient Eet Fdeux K-espaces vectoriels, et f: E Fune application linéaire. Soit de
plus G(resp. H) un sous-espace vectoriel de E(resp. F). Montrer que f(G) est un sous-espace vectoriel
de F, de même que f1(H) est un sous-espace de E.
Familles génératrices, libres, liées. Bases. Une famille de vecteurs Fd’un Kespace vectoriel Eest
dite génératrice si tout vecteur de Eest combinaison linéaire d’éléments de F. Autrement dit, pour tout
vecteur vde E, il existe des scalaires λ1, . . . , λnet des éléments v1, . . . , vnde Ftels que
v=
n
X
i=1
λivi.
Cette écriture n’est pas forcément unique.
On montre qu’une famille est génératrice comme suit : soit xE, on détermine explicitement des
scalaires tels que x=P1inλivi.
Soit Fune famille d’éléments de E. On appelle sous-espace vectoriel engendré par Fle plus petit
sous-espace vectoriel de Econtenant tous les éléments de F. Par définition, le sous-espace engendré par
Fest l’intersection de tous les sous-espaces contenant F. Si on le note Vect(F), on peut le décrire de la
manière suivante :
Vect(F) = {λ1v1+· · · +λnvn, n N, viF, λiK}.
Ainsi, le sous-espace engendré par Fest l’ensemble de toutes les combinaisons linéaires d’éléments de F.
En particulier, Fest une famille génératrice de Vect(F).
La famille Fest dite libre si, lorsque qu’une combinaison linéaire d’éléments de Fvérifie
λ1v1+· · · +λnvn= 0,
on a nécessairement λ1=· · · =λn= 0. Cela signifie en fait que si un vecteur vEest combinaison
linéaire d’éléments de F(i.e. si vVect(F)), alors cette combinaison linéaire est unique : si on a deux
écritures de v
v=λ1v1+· · · +λnvn=λ0
1v0
1+· · · +λ0
n0v0
n0
telles que tous les scalaires impliqués sont non nuls, alors n=n0et, quitte à réordonner les termes de la
somme, v1=v0
1, . . . , vn=v0
net λ1=λ0
1, . . . , λn=λ0
n. Une famille qui n’est pas libre est dite liée.
En particulier, un vecteur est libre ssi il est non nul, et deux vecteurs sont libres ssi ils ne sont pas
proportionnels. On montre qu’une famille est libre comme suit : on considère l’équation
X
1in
λiai= 0,
(λi)1inKnsont des scalaires inconnus. Puis on cherche à montrer que tous les scalaires sont nuls.
Enfin, on dit que Fest une base de Esi c’est une famille libre et génératrice. Connaître une base
d’un K-espace vectoriel permet de travailler «en coordonnées». Cela signifie que pour tout vE, il existe
un entier n0, des scalaires λ1, . . . , λnet des vecteurs v1, . . . , vnde Ftels que
v=
n
X
j=1
λjvj
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et cette écriture est unique. Le cas de la dimension finie est particulièrement important. On montre
qu’une famille est une base comme suit : soit vE, on détermine explicitement des scalaires tels que
v=P1inλiviet on montre qu’ils sont uniques. Ou alors, on utilise la définition.
Si E = Kn,n1, la base canonique Bnest la famille (ei)1indont les coordonnées du vecteur ei
sont toutes nulles, sauf la iième qui vaut 1. On vérife facilement que Bnest libre et génératrice.
Exercice 1.3. Soient Eun K-espace vectoriel, et F={v1, . . . , vn}une famille finie de vecteurs.
1. Montrer que l’application
ϕF:KnE
(xj)1jn7→
n
X
j=1
xjvj
est une application linéaire.
2. Montrer que Fest libre si et seulement si ϕFest injective.
3. Montrer que Fest une famille génératrice si et seulement si ϕFest surjective.
Exercice 1.4. Soit El’ensemble des suites de nombres réels : E = {(αn)nN, αnR}. On définit
l’addition de deux suites de manière naturelle par (αn) + (βn) = (αn+βn), et de même la multiplication
par un scalaire par λ(αn) = (λαn). Montrer que Eest un R-espace vectoriel. Pour tout entier k0, on
définit la suite (α(k)
n)par α(k)
n= 0 si n6=ket α(k)
k= 1. Montrer que la famille D={(α(k)
n), k N}est
une famille libre mais non génératrice de E. Montrer que Vect(D)est isomorphe à R[X].
2 Espaces de dimension finie
Un espace vectoriel Eest de dimension finie s’il existe une famille génératrice finie. Dans la suite, tous
les espaces vectoriels sont de dimension finie.
Théorème 2.1 (de la base incomplète). Soient Eun espace vectoriel et F={v1, . . . , vn}une
famille génératrice. On suppose que pour un certain 1kn,L={v1, . . . , vk}est libre. Alors il existe
une base Btelle que LBF. Par conséquent,
(i) toute famille libre peut être complétée afin d’obtenir une base de E;
(ii) de toute famille génératrice, on peut extraire une base.
Lemme 2.2 (et définition). Toutes les bases d’un même espace vectoriel ont même cardinal. On
note alors dim E = Card{base}. En particulier,
dim E = Card{famille libre maximale}= Card{famille génératrice minimale}.
Si B={e1,...,en}est une base de E, alors l’application
ϕB:KnE
(xj)1jn7→
n
X
j=1
xjej
est un isomorphisme. Cela nous permet d’identifer EàKn.
On appelle alors le n-uplet (x1,· · · , xn)les coordonnées ou composantes de xdans la base B. On
identifie alors x(en se souvenant de la base...) avec le vecteur colonne
X =
x1
.
.
.
xn
Kn.
Dimension et sous-espaces. Soit Fun sous-espace vectoriel de E.
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(i) On a dim F dim E.
(ii) Si dim F = dim E alors F = E.
Si F = Vect{v1, v2, ... , vn}, on en extrait une base Lcomme suit: on regarde le premier indice jtel
que vjest non nul et on le met dans L; ensuite, par récurrence, on rajoute le premier vecteur vjd’indice
plus grand de sorte que L∪ {vj}est libre, et on continue ainsi jusqu’à épuiser la famille génératrice.
Somme de sous-espaces vectoriels. Soient S,Tdeux sous-espaces vectoriels de E. On a
dim(S + T) = dim S + dim T dim(S T) .
En particulier, les propositions suivantes sont équivalentes:
(i) S + T = S T,
(ii) dim(S + T) = dim S + dim T,
(iii) ST = {0},
(iv) la réunion d’une base de Set de Tforme une famille libre de E.
Si Sest un sous-espace de E, on dit que Test un sous-espace supplémentaire à Ssi E = S T.
Notons qu’il existe une infinité de supplémentaires pour un sous-espace propre et non trivial de E.
2.1 Applications linéaires
Soit u: E Fune application linéaire entre espaces vectoriels.
1. L’application uest complètement déterminée par les valeurs prises sur une base E={e1,...,en}.
En effet, tout xEs’écrit de manière unique x=Pxieidonc
u(x) = u
n
X
j=
xjej
=
n
X
j=1
xju(ej).
Soient E= (e1,...,en)une base de Eet F= (f1, . . . , fk)une base de F. La matrice de udans les
bases Eet Fest
Mat(E,F)(u) =
u(e1)u(e2). . . u(en)
a1,1a1,2. . . a1,n
a2,1a2,2. . . a2,n
. . . . . . ai,j . . .
ak,1ak,2. . . ak,n
f1
.
.
.
fk
(ai,j )1ik,1jnsont les scalaires tels que, pour tout j∈ {1, . . . , n},u(ej) = Pk
i=1 ai,j fi.On tire
l’expression
u(x) =
k
X
i=1
n
X
j=1
ai,j xj
fi.
En écrivant le tout sous forme d’un produit de matrices, on obtient
u(X) = Y =
y1
.
.
.
yk
=
a1,1. . . a1,n
.
.
..
.
.
ak,1. . . ak,n
x1
.
.
.
xn
,
Cette écriture définit le produit d’une matrice rectangulaire par une colonne. Réciproquement, toute
matrice A=(ai,j )de taille k×ns’interprète comme une application linéaire uA: E Fen posant
uA(x) =
n
X
j=1
k
X
i=1
ai,j xjfi.
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