Éplérénone Eplerenone M.-C. Zennaro* Résumé A u-delà de son rôle majeur dans la régulation de la pression artérielle, l’aldostérone, ces dernières années, a donné lieu à une accumulation de données cliniques et expérimentales indiquant qu’elle exerce des effets cardiovasculaires néfastes indépendants de la pression artérielle. L’aldostérone est également impliquée dans des processus dégénératifs d’organe aux niveaux cardiaque et rénal. Deux études cliniques ont souligné dans ce contexte l’intérêt de l’inhibition du récepteur minéralocorticoïde, avec des bénéfices majeurs sur la morbimortalité de patients ayant une insuffisance cardiaque sévère ou une dysfonction ventriculaire gauche post-infarctus aigu du myocarde. Malgré cet intérêt thérapeutique, des effets indésirables de nature sexuelle, plus encore que le risque d’hyperkaliémie, ont limité une utilisation plus généralisée de la spironolactone, le premier antagoniste minéralocorticoïde, notamment dans l’hypertension artérielle. L’éplérénone est un nouvel antagoniste compétitif de l’aldostérone, qui présente une action antialdostérone sélective sans induire les effets secondaires antiandrogéniques et progestatifs observés avec la spironolactone. Dans cette revue, nous ferons le point sur cette nouvelle molécule et discuterons son utilisation en pratique clinique ainsi que quelques aspects plus fondamentaux qui pourraient justifier son utilisation dans un spectre plus large d’applications en pathologie cardiovasculaire. Mots-clés : Aldostérone – Récepteur minéralocorticoïde – Spironolactone – Hypertension artérielle – Insuffisance cardiaque. Keywords: Aldosterone – Mineralocorticoid receptor – Spironolactone – Hypertension – Heart failure. L’ aldostérone est la principale hormone minéralocorticoïde chez l’homme. Elle est synthétisée par la zone glomérulée du cortex surrénalien. L’aldostérone régule le transport transépithélial ionique en stimulant la réabsorption de sodium et l’excrétion de potassium au niveau du tubule distal * Inserm U772, Collège de France, département de génétique, hôpital européen GeorgesPompidou, Paris. rénal, du côlon, des glandes salivaires et sudoripares (1). On sait maintenant que, en dehors de son action rénale, l’aldostérone joue un rôle direct au niveau d’autres tissus, comme le système cardiovasculaire et le système nerveux central ; par ailleurs, des études récentes suggèrent un rôle de l’hormone dans la régulation de la balance énergétique (figure). La plupart des effets de l’aldostérone passent par l’intermédiaire de sa liaison au récepteur minéra- locorticoïde (MR), qui appartient à la superfamille des récepteurs nucléaires (2). Le MR agit comme un facteur de transcription dépendant de l’hormone en interagissant avec des éléments de réponse hormonale situés dans les régions régulatrices des gènes cibles dont il module la transcription. Dans les cellules tubulaires distales du rein, l’aldostérone stimule l’activité de nombreuses protéines impliquées dans le transport transépithélial de sodium, comme la Na/K- ATPase ou le canal ENaC (revue dans [3, 4]). L’hormone induit très précocement l’expression d’une protéine de type sérine-thréonine-kinase (sgk), qui stimule directement l’activité du canal ENaC (5, 6). D’autres gènes codant pour des protéines impliquées dans la réponse cellulaire à l’aldostérone sont également activés, comme les proto-oncogènes Ki-rasA, P21-ras et fra-2 (7), CHIF (channel inducing factor) [8], les aquaporines AQP2 et AQP3 (9, 10), et la protéine GILZ (11). Enfin, notre laboratoire a démontré que NDRG2 (N-myc downstream regulated gene 2) était précocement induit par l’aldostérone. Bien que la fonction exacte de NDRG2 ne soit pas encore identifiée, ces données suggèrent une implication de la voie ras dans la signalisation minéralocorticoïde (12). thématique Dossier Aldostérone, MR et pathologie L’aldostérone et le MR jouent un rôle fondamental dans la régulation de la volémie et de la pression artérielle, dont les altérations aboutis- Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 6, novembre-décembre 2006 163 Dossier thématique 164 sent à des syndromes de perte de sel ou d’hypertension artérielle. À côté de formes rares, monogéniques, comme le pseudo-hypoaldostéronisme de type 1 (13), l’hypertension associée à la grossesse (14) ou l’hypertension hyperkaliémique familiale (15), l’incidence de l’hyperaldostéronisme primaire (HAP) dans l’hypertension artérielle (HTA) essentielle est maintenant estimée à environ 10 %, plutôt que ≤ 1 %, ce qui souligne le rôle précédemment méconnu de l’aldostérone dans l’hypertension (16). Par ailleurs, dans un contexte de statut sodé inapproprié, l’aldostérone est capable d’induire une augmentation de la pression artérielle par activation de MR circumventriculaires dans le système nerveux central, et d’augmenter la pression artérielle (17). L’aldostérone joue aussi un rôle important dans la régulation de processus physiologiques dans des tissus non épithéliaux comme le cerveau, le cœur, les vaisseaux et le tissu adipeux (figure). Par ailleurs, la présence des enzymes requises pour la biosynthèse minéralocorticoïde dans certains de ces tissus ainsi que des études menées chez l’animal suggèrent un rôle physiopathologique de l’aldostérone produite en dehors de la glande surrénale (18), bien que la synthèse locale d’aldostérone au niveau cardiaque reste controversée (19). Plusieurs études soulignent les effets délétères de l’aldostérone quand son taux est inapproprié par rapport au statut sodé (20, 21). En présence d’un environnement riche en sel, l’aldo­stérone entraîne une réponse vasculaire inflammatoire qui conduit à des pathologies cardiaques et vasculaires (22). L’aldostérone agit comme un médiateur dans certaines pathologies dégénératives comme l’insuffisance rénale chronique ou le remodelage artériel ou myocardique, indépendamment des effets connus de l’angiotensine II ou en synergie avec eux (23, 24). La vasculopathie liée à l’aldostérone pourrait être un élément clé de certaines pathologies cardiovasculaires, participant ainsi à l’hypertension ou au remodelage myocardique secondaire aux altérations des vaisseaux coronaires. De nombreuses études suggèrent l’implication du système rénineangiotensine local ainsi que de l’endothéline, de l’oxyde nitrique, des espèces réactives de l’oxygène et de l’inflammation dans la signalisation de l’aldostérone au niveau du cœur (25). Par ailleurs, les patients avec HAP présentent des formes plus sévères d’hypertrophie ventriculaire gauche et d’altération de la fonction diastolique que les patients avec HTA essentielle (26), et plus d’événements cardiaques, notamment infarctus du myocarde, fibrillation auriculaire et accidents vasculaires cérébraux (27). Enfin, nous avons récemment montré que l’aldostérone, via le MR, était impliquée dans la différenciation adipocytaire et la régulation de la balance énergétique (28, 29). Étant donné l’association entre HTA et obésité chez de nombreux sujets, l’aldostérone et le MR pourraient représenter des candidats intéressants dans la pathogenèse de l’obésité et de ses complications métaboliques. Intérêt du traitement antiminéralocorticoïde L’activation du système rénineangiotensine-aldostérone est associée à un résultat thérapeutique insatisfaisant chez les patients hypertendus et insuffisants cardiaques, puisque l’activation du système est fortement corrélée à l’incidence et à la gravité de l’atteinte dégénérative d’organe (24). L’aldostérone participerait directement, ou en exacerbant les effets de l’angiotensine II, à cette atteinte. Alors que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) ou les antagonistes du récepteur de type 1 de l’angiotensine II réduisent Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 6, novembre-décembre 2006 initialement les taux d’aldostérone circulante, la production d’aldostérone échappe à cette régulation lors d’un traitement chronique chez un certain nombre de sujets ; on parle alors de phénomène d’échappement de l’aldostérone. L’importance de ce phénomène a été mise en évidence tout particulièrement lors d’une étude pilote pour RALES (Randomized Aldactone® Evaluation Study) [30]. Par conséquent, un blocage de l’aldostérone est requis pour réduire le risque de dégénérescence d’organe progressive. L’effet bénéfique majeur des antagonistes antiminéralocorticoïdes sur la mortalité et la morbidité associées à l’insuffisance cardiaque a été démontré récemment par deux études multicentriques randomisées contre placebo : RALES (31) et EPHESUS (Eplerenone Post-Acute Myocardial Infarction Heart Failure Efficacy and Survival Study) [32]. L’étude RALES, qui a comparé l’effet de la spironolactone en complément d’un traitement classique (incluant des IEC et des diurétiques) chez des patients en insuffisance cardiaque sévère, a clairement montré que la spironolactone diminue le risque de mortalité de 30 % et l’hospitalisation de 35 %. Dans EPHESUS, l’éplérénone a significativement diminué la mortalité générale et le critère combiné “mortalité cardiovasculaire ou hospitalisation” chez des patients ayant subi un infarctus aigu du myocarde et présentant une dysfonction ventriculaire gauche symptomatique. Plus récemment, il a été montré que l’éplérénone 25 mg/j, en complément d’un traitement conventionnel, réduisait significativement la mortalité précoce post-infarctus aigu du myocarde chez des patients présentant une FEVG ≤ 40 % et des signes d’insuffisance cardiaque, quand le traitement était initié dans un intervalle moyen de 7,3 jours après l’infarctus (33). Comme la spironolactone, l’éplérénone est efficace dans le traitement de l’HTA. Chez des patients avec HTA modérée, l’éplérénone produit une diminution dose-dépendante de la pression diastolique et systolique, avec une efficacité comparable à celle des IEC ou des antagonistes calciques. L’éplérénone possède également des effets protecteurs d’organe au niveau rénal, puisque son utilisation diminue de façon significative la protéinurie aussi bien chez des patients atteints d’HTA que chez des patients présentant un diabète de type 2 (34). Rationnel pour le développement d’un inhibiteur spécifique et sélectif du MR Pour la plupart des médicaments antihypertenseurs, la découverte du premier représentant d’une nouvelle classe pharmacologique a été suivie rapidement par le développement et l’approbation d’autres composés possédant le même mécanisme d’action, mais des propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques légèrement différentes. Dans le cas des antiminéralocorticoïdes, il a fallu attendre plus de 40 ans entre l’enregistrement de la spironolactone, le premier antagoniste minéralocorticoïde, et l’autorisation de mise sur le marché de l’éplérénone, un composé plus sélectif et spécifique (35). La spironolactone est un antagoniste compétitif de l’aldostérone sur le MR. Sa liaison rend le récepteur transcriptionnellement inactif. De nombreuses étapes de la fonction du MR sont altérées après sa liaison. La spironolactone se fixe avec une haute affinité au MR, mais sa vitesse de dissociation est aussi très élevée, empêchant la stabilisation du récepteur dans une conformation active (36). Aussi, l’accumulation nucléaire du complexe MR-spironolactone est retardée, et le trafic nucléocytoplasmique modifié. Bien que la spironolactone soit un antagoniste efficace du MR, elle possède certains effets indésirables. Parmi eux, la gynécomastie, dont le développement est en relation aussi bien avec la posologie utilisée qu’avec la durée de la thérapeutique (37). Chez les femmes préménopausées, on observe des anomalies du cycle. La fréquence de la gynécomastie était de 9 % dans l’étude RALES. En effet, la spironolactone non seulement possède des effets antiminéralocorticoïdes, mais est également un antagoniste du récepteur aux androgènes et un agoniste du récepteur à la progestérone (38). Plus encore que le risque d’hyperkaliémie, qui est observé tout particulièrement chez les patients avec cirrhose hépatique ou insuffisance rénale, ce sont surtout les effets indésirables d’ordre sexuel qui ont limité une utilisation plus généralisée de la spironolactone dans l’HTA. L’ajout d’un groupement 9-11α -époxy à la mexrénone, une des spironolactones, a permis le développement d’un antagoniste sélectif du MR pour le traitement de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque. Bien que possédant une moindre affinité pour le MR que la spironolactone (38), l’époxymexrénone, ou éplérénone, s’est révélée être un antiminéralocorticoïde efficace à des doses uniques de 25, 50 et 75 mg, comparativement à la spironolactone 25 mg, chez des normovolontaires prétraités à la 9α-fludrocortisone (39). L’éplérénone a par la suite été développée pour le traitement de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque, entre 1994 et 2002 ; a été enregistrée par la FDA en tant que médicament antihypertenseur, puis a également été indiquée pour améliorer les taux de survie chez des patients présentant des signes d’insuffisance cardiaque après un infarctus aigu du myocarde. En France, l’éplérénone, qui a reçu l’AMM en 2005, est indiquée en complément des traitements standard, incluant les bêtabloquants, pour réduire le risque de morbi- mortalité cardiovasculaire chez des patients stables présentant une dysfonction ventriculaire gauche (FEVG ≤ 40 %) et des signes cliniques d’insuffisance cardiaque après un infarctus du myocarde récent. La dose minimale efficace est de 25 mg/j, et la dose maximale recommandée est de 100 mg/j – ce qui correspond à la moitié de la dose maximale utilisée dans des études cliniques –, cela afin de minimiser le risque d’hyperkaliémie chez des patients présentant une diminution de la filtration glomérulaire ou une augmentation de la réabsorption sodée proximale, ou encore chez les diabétiques (40). thématique Dossier Déterminants structuraux des propriétés antagonistes de l’éplérénone Le MR est constitué de trois domaines fonctionnels conservés. Le domaine C-terminal correspond au domaine de liaison de l’hormone (LBD). Celui-ci est complexe, puisqu’il contient les régions qui forment la poche de liaison du ligand, mais également des signaux de localisation nucléaire, de dimérisation, d’interaction avec les protéines chaperonnes, ainsi qu’une fonction d’activation de la transcription dont l’activité est dépendante du ligand (AF2, activation function 2), qui interagit avec des corégulateurs transcriptionnels (41). La résolution récente de la structure cristallographique du LBD (42-44) a permis d’établir les déterminants structuraux de l’interaction du MR avec les agonistes comme l’aldo­ stérone, mais également avec des antagonistes minéralocorticoïdes. Le domaine, de nature très hydrophobe, est constitué de 11 hélices alpha (H1 et H3-H12) et de deux feuillets bêta qui composent un sandwich de trois couches d’hélices Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 6, novembre-décembre 2006 165 Dossier thématique 166 antiparallèles, repliement tridimensionnel commun à l’ensemble des récepteurs nucléaires. Ce repliement délimite une poche hydrophobe où vient se loger le ligand. La partie supérieure du domaine (comprenant les hélices H1, H4, H5, H8 à H10) est très compacte et stable. Cette région a été décrite comme le noyau structural du LBD. Par contre, la moitié inférieure du domaine, qui délimite la poche de liaison du ligand, est plutôt dynamique. La liaison du ligand compacte la région et permet la liaison des coactivateurs transcriptionnels. La fixation du ligand dans la poche entraîne des modifications structurales, parmi lesquelles un repositionnement de H12 qui ferme la cavité comme un couvercle. La position de l’hélice H12 joue un rôle critique dans l’activité du récepteur. La liaison d’un agoniste induit le repositionnement précis de H12, où elle contribue à créer la surface d’interaction avec les coactivateurs transcriptionnels. Des études de mutagenèse ont montré que quatre acides aminés sont impliqués dans l’ancrage de l’aldostérone dans la poche : la Gln776 et l’Arg817 interagissent avec le cétone en C3, alors que la Thr945 interagit avec le cétone en 20. L’Asn770 forme des liaisons hydrogène avec les fonctions hydroxyles en positions 18 et 21. L’activité antagoniste de la spironolactone a été mise en relation avec son incapacité à établir des contacts avec l’Asn770 (36). Ainsi, l’hélice H12 est déstabilisée par manque de contact critique entre le ligand et le récepteur, ce qui empêche la stabilisation du complexe dans une conformation transcriptionnellement active. Bien que la structure tridimensionnelle du LBD du MR en présence d’éplérénone ne soit pas connue, les déterminants de la spécificité de la liaison de l’éplérénone ont été explorés par des études in vitro, et in silico par modélisation du LBD du MR, en s’appuyant sur la structure connue d’autres récepteurs nucléaires. Il a ainsi été montré que la liaison de l’éplérénone nécessite les résidus 804-874 du MR. Le positionnement de l’éplérénone dans un modèle tridimensionnel du LBD du MR a suggéré que les acides aminés 820-844 modifient la conformation de la poche de liaison du ligand, et que l’éplérénone agit comme antagoniste parce qu’elle empêche la stabilisation du domaine dans sa conformation active (45). Le résidu Met852 semble avoir une fonction d’organisateur de la poche de liaison du ligand ; il est vraisemblablement responsable de la gêne stérique qui empêche des stéroïdes substitués en C7, telle la spironolactone, de maintenir le récepteur dans une conformation active. Pour ce qui est de l’éplérénone, des contraintes additionnelles sont probablement impliquées dans les propriétés antagonistes de ce dérivé (46). Effets indésirables Bien que l’on manque de recul quant à l’utilisation de l’éplérénone en pratique courante, de nombreux auteurs ont souligné la difficulté d’application des critères des études RALES et EPHESUS. En effet, après la publication de l’étude RALES, l’utilisation de la spironolactone chez les patients insuffisants cardiaques a rapidement augmenté, mais a été suivie par l’augmentation concomitante d’hospitalisations pour hyperkaliémie et de mort subite (47). Ainsi, l’utilisation de spironolactone ne serait pas associée à une réduction de la morbimortalité globale. Certaines causes de cet effet paradoxal ont été identifiées : ✓ un manque de surveillance des taux de potassium (surveillance préconisée par les études RALES et EPHESUS) ; ✓ un défaut d’évaluation de l’insuffisance rénale ; ✓ des doses trop élevées de spironolactone ; Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 6, novembre-décembre 2006 ✓ le non-arrêt de l’administration de potassium, utilisé pour prévenir le risque d’hypokaliémie sous traitement diurétique ; ✓ un manque d’éducation des patients quant à leur régime alimentaire (à faible contenu en potassium) ; ✓ le manque d’adéquation aux indications thérapeutiques (47, 48). L’âge avancée, l’insuffisance rénale, une insuffisance cardiaque progressive, le diabète de type 2, l’hyperkaliémie initiale ou le traitement avec d’autres composés qui pourraient en causer une ont tous été identifiés comme des facteurs aggravant le risque d’hyperkaliémie, et limitant potentiellement l’utilisation de spironolactone et d’éplérénone en thérapie combinée (49, 50). Dans l’ensemble, ces études montrent l’importance qu’il y a à respecter les critères d’éligibilité de RALES et d’EPHESUS quand un antiminéralocorticoïde est associé à une inhibition du système rénine-angiotensine ou des bêtabloquants. Dans ces deux études, la fréquence de l’hyperkaliémie n’était pas (RALES) ou n’était que peu (EPHESUS) différente dans le groupe traité et le groupe placebo. Ainsi, si les patients sont choisis selon les indications établies, l’hyperkaliémie deviendra rarement un problème. Les patients âgés ou ceux déshydratés, avec insuffisance rénale ou cardiaque aggravée, nécessitent un suivi rapproché ou l’arrêt du traitement antiminéralocorticoïde. Quant aux bêtabloquants, ils étaient prescrits chez 75 % des sujets dans l’étude EPHESUS, ce qui démontre que l’éplérénone peut être utilisée de façon sûre en association avec des bêtabloquants sans effet adverse sérieux. Par ailleurs, chez des patients traités avec des bêtabloquants en combinaison avec un IEC, il n’y a pas de réduction significative de l’aldostérone plasmatique, ce qui souligne l’utilité d’associer un antiminéralocorticoïde afin d’inhiber les effets de l’aldostérone (51). Enfin, dans ◆◆◆ / ◆◆◆ CH2OH Aldostérone HO CH3 O-CH C-O 0 Balance Na+ et K+ Rythme cardiaque ? ? Appétit hydrique et sodé Régulation PA Stress Différenciation adipocytaire Thermorégulation PHA1 Hypertension Fibrose cardiaque Arythmies ? Fibrose vasculaire Modification réponse au stress Dépression ? Hypertension Obésité ? Syndrome métabolique ? Figure. Multiplicité des effets physiologiques et pathologiques de l’aldostérone. L’aldostérone exerce des multiples effets physiologiques au niveau des ses tissus cibles classiques, comme le rein et le système nerveux central, dont les altérations aboutissent à une hypertension artérielle, à des syndrome de perte de sel, et des modifications de la réponse au stress. Ces dernières années on vu l’accumulation de données concernant les effets de l’aldostérone dans d’autres tissus, comme le cœur, les vaisseaux et les adipocytes. Dans ces tissus, l’aldostérone a été impliquée dans des processus de fibrose cardiaque et vasculaire. Récemment, des effets de l’hormone ont été mis en évidence dans des processus métaboliques adipocytaires, ce qui suggère qu’elle pourrait jouer un rôle dans le développement de l’obésité et de ses complications métaboliques. l’étude EPHESUS, l’incidence des effets secondaires d’ordre sexuel a été comparable dans le groupe traité et le groupe contrôle. Questions ouvertes : MR, aldostérone ou cortisol ? L’aldostérone possède, ainsi que nous venons de le voir, des effets propres au niveau des tissus non épithéliaux, notamment le cœur et les vaisseaux. Sur le plan clinique, cela est illustré par l’augmentation de l’atteinte cardiovasculaire chez les patients atteints d’hyperaldostéronisme primaire, comparativement à des sujets souffrant d’hypertension essentielle, avec des valeurs de pression artérielle comparables (26, 27). Ces effets ont également été mis en évidence chez des patients normotendus atteints d’hyperaldostéronisme familial de type 1. Ces sujets, chez qui les taux d’aldostérone plasmatique et les ratios aldostérone plasmatique/ rénine sont plus élevés que chez les sujets contrôle du même âge, présentaient un épaississement de la paroi ventriculaire gauche et une fonction diastolique diminuée en l’absence d’HTA (52). Cependant, la nature du ligand du MR dans le cœur en condition d’aldostéronémie normale est actuellement sujet à controverse. En effet, dans les deux études RALES et EPHESUS, les taux d’aldostérone et le statut sodé étaient normaux. Que bloque donc la spironolactone ou l’éplérénone pour que soit mis en évidence un tel effet ? Avant de discuter les différentes possibilités, il est important d’introduire ici certains aspects relatifs à la spécificité minéralocorticoïde et à la sélectivité du MR. En effet, celui-ci possède la même affinité pour l’aldostérone que pour les hormones glucocorticoïdes, mais ces dernières circulent à des taux 100 à 1 000 fois supérieurs à ceux de l’aldostérone. La spécificité de l’action de l’aldostérone au niveau des tissus épithéliaux comme le rein est en grande partie due à la présence d’une enzyme, la 11βhydroxystéroïde déshydrogénase de type 2 (11HSD2), qui métabolise le cortisol en cortisone qui possède très peu d’affinité pour le MR (53). La 11HSD2 évite donc une occupation illicite du MR par les hormones glucocorticoïdes et permet l’accès de l’aldostérone à son récepteur. Cependant, la 11HSD2 n’est pas exprimée dans un certain nombre de tissus cibles de l’aldostérone, tels que le cœur et l’hippocampe, où les hormones glucocorticoïdes représentent le ligand endogène principal. Par ailleurs, même en présence de 11HSD2, dans des conditions physiologiques, les concentrations intracellulaires de glucocorticoïdes actifs seraient environ dix fois supérieures à celles de l’aldostérone. Par conséquent, la plupart des MR cardiaques et vasculaires seraient occupés, mais pas activés, par le cortisol (54). Un changement de l’état redox de la cellule transformerait les glucocorticoïdes en activateurs du MR. Cette condition est retrouvée dans les cardiomyocytes en cas d’insuffisance cardiaque, avec génération d’espèces réactives de l’oxygène. Il est concevable que, dans RALES et EPHESUS, les antiminéralocorticoïdes bloquent l’activation du MR par le cortisol (présent en concentration physiologique), et non par l’aldostérone, dans un contexte d’atteinte d’organe et de génération d’espèces réactives de l’oxygène (54). Cela expliquerait que l’utilisation d’antagonistes du MR tels que l’éplérénone ne soit pas limitée aux seuls états d’hyperaldostéronisme manifeste comme l’hyperaldosté- Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 6, novembre-décembre 2006 thématique Dossier ◆◆◆ / ◆◆◆ 167 Dossier thématique ronisme primaire ou au contexte plus large de patients avec un ratio aldostérone plasmatique/rénine élevé. L’éplérénone pourrait avoir des applications bien plus larges en pathologie cardiovasculaire, même à des doses qui ne diminuent pas la pression artérielle. Conclusion Étant donné l’importance clinique des effets de l’aldostérone et du phénomène d’échappement, l’utilisation d’un traitement antiminéralocorticoïde associé à une inhibition du système rénine-angiotensine constitue une stratégie prometteuse pour l’obtention d’une protection d’organe. L’éplérénone est un antagoniste spécifique et sélectif du MR, dont les propriétés cardioprotectrices ont été démontrées in vitro et dans de grandes études cliniques. Afin d’obtenir les meilleurs résultats, il est important de suivre les critères d’inclusion des études RALES et EPHESUS. Si les patients sont sélectionnés et suivis de façon appropriée, les effets adverses, notamment l’hyperkaliémie, deviendront rarement problématiques. En raison des arguments en faveur de l’occupation des MR cardiaques et vasculaires par le cortisol, et non seulement par l’aldostérone, il est envisageable qu’une inhibition du MR puisse avoir des effets bénéfiques dans des indications cardiovasculaires plus larges que celles actuellement préconisées. Références bibliographiques 1. Pearce D, Bhargava A, Cole TJ. Aldosterone: its receptor, target genes, and actions. Vitam Horm 2003;66:29-76. 2. Mangelsdorf DJ, Thummel C, Beato M et al. The nuclear receptor superfamily: the second decade. Cell 1995;83:835-9. 3. Verrey F, Pearce D, Pfeiffer R et al. Pleiotropic action of aldosterone in epithelia mediated by transcription and post-transcription mechanisms. Kidney Int 2000;57:1277-82. 168 4. Stockand JD. New ideas about aldosterone signaling in epithelia. Am J Physiol Renal Physiol 2002;282:F559-F576. 5. Chen SY, Bhargava A, Mastroberardino L et al. Epithelial sodium channel regulated by aldosterone-induced protein sgk. 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