Tiphaine Loiseaux
Tuteur : Jean-Loup Lemoine
Stage n°4, service de Médecine Interne à orientation Addictologique de
l’hôpital Fernand Widal, de mai à octobre 2011
RSCA N°4
Récit :
Un des premiers patients que je prends en charge dans le service de médecine
addictologique est M. B, 37 ans, hospitalisé de manière programmée pour sevrage en alcool. A son
arrivée, M. B. est alcoolisé (2.38g/l), fatigué, avec un syndrome cérébelleux important. Son bilan
d’entrée montre des stigmates d’alcoolisme (VGM 102µ, bilirubine 24µmol/l, PAL 135UI/l, gGT 378
UI /l, cytolyse 10N). Le sevrage se déroule sous doses dégressives de benzodiazépines et vitamine B1.
Malgré ce traitement, une crise comitiale généralisée survient à J15 d’hospitalisation. L’EEG et l’IRM
cérébrale réalisés à cette occasion ne montrent pas d’autre étiologie que l’alcoolisme chronique. Le
travail addictologique réalisé par M. B. avec l’équipe soignante avance doucement. Le patient revient
notamment sur une histoire familiale lourde avec de nombreux antécédents d’alcoolisme. A distance
du sevrage, M. B. semble se « regonfler » et retrouver une vie sociale avec les autres patients, et
construit un projet de sortie avec un séjour en post cure après une période courte de retour à
domicile. De mon côté, jeune interne motivée et enthousiaste, j’investis beaucoup la prise en charge
de ce patient sympathique, et passe beaucoup de temps à discuter avec lui d’alcoolisme et à faire un
bilan général complet, insistant notamment sur la médecine préventive (remise à jour des vaccins,
règles hygiéno-diététiques…)
La déception est donc assez dure à supporter lorsque je croise M. B. à peine trois jours après
sa sortie dans les couloirs de l’hôpital, très fortement alcoolisé et souhaitant à tout pris me voir pour
ajouter du valium sur son ordonnance de sortie. Les internes ne suivant pas les patients en
consultation après leur sortie je ne suis pas sensée répondre à sa demande, et le renvoie vers son
médecin traitant sans oublier de lui redonner le compte rendu d’hospitalisation qu’il avait déjà reçu
lors de sa sortie. Son médecin traitant me le renvoie quelques jours plus tard avec une lettre qui
m’est adressée personnellement me demandant lui aussi de prescrire du Valium et de le reprendre
en charge. Pour tenter de débloquer la situation, je le contacte par téléphone : visiblement dépassé
par les évènements, lenéraliste souhaitait pour M. B. une nouvelle hospitalisation rapide. Le
patient ne lui avait apporté aucun document, et parmi tous les médecins du service n’avait retenu
que mon nom. Gênée d’enfreindre une règle du service, avec néanmoins l’accord de mon chef de
clinique, je reçois en consultation M. B.
Toujours aussi alcoolisé, il se montre très revendicatif, assez agressif, accusant le service de
l’avoir laissé tomber, d’être responsable de sa rechute. Ne voulant pas entrer dans cette violence, je
l’écoute patiemment. Son agressivité se calme peu à peu et après un bon quart d’heure il devient
capable d’entendre mes propositions de prise en charge. Il était prévu un suivi en hôpital de jour et
en consultation avec un médecin du service, ce que je lui réexplique. Prescrire des benzodiazépines
ne me parait pas adapté. Il repart moins agressif, avec une date de rendez vous de consultation et
une lettre pour son médecin traitant.
J’aurai l’occasion de le revoir une autre fois par la suite, pendant une autre hospitalisation de
M.B. suivi à cette occasion par un autre interne.
La première hospitalisation de ce patient aura permis d’entamer une prise en charge
alcoologique et de faire un bilan de son état de santé. Les épisodes de retour dans le service en état
d’alcoolisation aigue, bien que désagréables pour les soignants, lui ont montré qu’une prise en
charge dans la durée était possible après la sortie d’hospitalisation, sans jugement sur ses rechutes.
Axes d’étude :
Le cas de ce patient me posait problème à plusieurs niveaux :
1- Le médecin traitant de M. B. paraissait dépassé par les évènements et peu à l’aise avec le
suivi d’un patient alcoolique en médecine ambulatoire. Comment organiser ce suivi avant et
après une hospitalisation pour sevrage ?
2- Si ce patient consultait son médecin généraliste dans les suites d’une crise d’épilepsie, quelle
serait la conduite à tenir ? Quelle prévention de l’épilepsie chez les patients alcooliques ?
Doit-on instaurer un traitement de fond ?
3- Malgré une prise en charge optimale, le médecin ne peut pas tout contrôler, spécialement
dans la maladie alcoolique. La rechute si rapide de M. B. m’a laissé un sentiment d’échec
important. Comment gérer cette impression tout en gardant son objectivité dans le soin ?
Partie 1 : sevrage d’alcool en ambulatoire
Comment organiser le sevrage d’un patient alcoolo-dépendant en ville ? Quels en sont les
pré-requis ? Quel traitement médicamenteux est indispensable et dans quel but ? Quelles sont les
mesures psychosociales à associer ? Peut on réaliser tous les sevrages en ambulatoire ? Que faire en
cas de rechute ?
1/ Alcoolo-dépendance :
Selon l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies, 10% des adultes français ont une
consommation d’alcool problématique (questionnaire DETA). L’alcoolo-dépendance se définit selon
les critères du DSM-IV par la présence d’au moins trois des critères suivants dans les 12 mois
précédents : tolérance (besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour obtenir
l’effet désiré, effet notablement diminué en cas d’utilisation continue d’une même quantité de la
substance) ; syndrome de sevrage à l’arrêt (tremblements, nausées et/ou vomissements, sueurs,
anxiété, hallucinations, agitation); prise d’alcool en quantités plus importantes ou pendant une
période plus prolongée que prévu, désir persistant ou efforts infructueux pour diminuer ou contrôler
l’utilisation de la substance ; beaucoup de temps passé à des activités nécessaires pour obtenir la
substance, à utiliser le produit ou à récupérer de ses effets ; activités sociales, professionnelles ou de
loisir abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de la substance ; utilisation de la substance
poursuivie bien que la personne sache avoir un problème psychologique ou physique récurrent
susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par la substance. La dépendance à l’alcool peut être
évaluée en consultation par le questionnaire AUDIT développé par l’OMS.
Questionnaire AUDIT (dépendance à l'alcool)
Calculez votre score de dépendance à l'alcool. Pour chacune de ces dix
questions, cliquez dans la case qui répond le mieux à votre cas.
Quelle est la fréquence de votre consommation d'alcool ?
jamais
1 fois par mois ou moins
2 à 4 fois par
mois
2 à 3 fois par semaine
au moins 4
fois par semaine
Combien de verres contenant de l'alcool consommez-vous un jour typique
où vous buvez ?
1 ou 2
3 ou 4
5 ou 6
7 ou 8
10 ou plus
Avec quelle fréquence buvez-vous six verres ou davantage lors d'une
occasion particulière ?
jamais
moins d'une fois par mois
une fois par
mois
une fois par semaine
tous les jours
ou presque
Au cours de l'année écoulée, combien de fois avez-vous constaté que vous
n'étiez plus capable de vous arrêter de boire une fois que vous aviez
commencé?
jamais
moins d'une fois par mois
une fois par
mois
une fois par semaine
tous les jours
ou presque
Au cours de l'année écoulée, combien de fois votre consommation d'alcool
vous a-t-elle empêché de faire ce qui était normalement attendu de vous ?
jamais
moins d'une fois par mois
une fois par
mois
une fois par semaine
tous les jours
ou presque
Au cours de l'année écoulée, combien de fois avez-vous eu besoin d'un
premier verre pour pouvoir démarrer après avoir beaucoup bu la veille ?
jamais
moins d'une fois par mois
une fois par
une fois par semaine
mois
tous les jours
ou presque
Au cours de l'année écoulée, combien de fois avez-vous eu un sentiment de
culpabilité ou des remords après avoir bu ?
jamais
moins d'une fois par mois
une fois par
mois
une fois par semaine
tous les jours
ou presque
Au cours de l'année écoulée, combien de fois avez-vous été incapable de
vous rappeler ce qui s'était passé la soirée précédente parce que vous aviez
bu ?
jamais
moins d'une fois par mois
une fois par
mois
une fois par semaine
tous les jours
ou presque
Avez-vous été blessé ou quelqu'un d'autre a-t-il été blessé parce que vous
aviez bu ?
non
oui mais pas au cours de l'année écoulée
oui, au cours
de l'année
Un parent, un ami, un médecin ou un autre soignant s'est-il inquiété de
votre consommation d'alcool ou a-t-il suggéré que vous la réduisiez ?
non
oui mais pas ou cours de l'année écoulée
oui, au cours
de l'année
Calculer votre score
Recommencer
Interprétation des résultats
Score entre 0-8 :
Ce questionnaire n'évoque pas une
consommation nocive
Score entre 9-12 :
Consommation nocive d'alcool
Score au delà de 13
:
dépendance à l'alcool
Les complications de l’alcoolo-dépendance sont nombreuses. Parmi les complications
chroniques on note :
- Hépatiques : stéatose, cirrhose et ses complications, CHC
- Digestives : pancréatite chronique, diarrhée chronique, malabsorption, œsophagite,
gastrite, ulcères gastroduodénaux, cancers du tube digestif
- ORL : cancers, pathologies dentaires, ulcérations, infections
- Cardiaques et vasculaires : HTA, troubles du rythme (flutter, ACFA, ESA),
myocardiopathie, AVC
- Métaboliques : hypertriglycéridémie, lipomatose, carences vitaminiques
- Hématologiques : anémie, macrocytose, pancytopénie, thrombopénie,
leuconeutropénie, hypercoagulabilité
- Infectieuses : prévalence plus importante d’infections à pneumocoques, BK, hépatites B
et C
- Neurologiques : épilepsie alcoolique (y compris en dehors d’un sevrage), troubles
cérébelleux, encéphalopathie de Gayet Wernicke, troubles cognitifs précoces, syndrome
de Korsakoff, encéphalopathie alcoolique, encéphalopathie de Machiafava Bignami,
polynévrites des membres inférieurs, NORB, douleurs chroniques
- Psychiatriques : dépression induites, troubles du sommeil, troubles alimentaires,
majoration ou découverte d’une pathologie préexistante
- Ostéo-musculaires : myopathies chroniques avec déficit musculaire des ceintures,
fractures itératives, ostéoporose, ostéonécrose aseptique des têtes fémorales
- Dermatologiques : érythrose faciale, couperose, psoriasis, acné
Parmi les complications aigues de la consommation d’alcool, on note :
- Ivresse aigue, ivresse pathologique, coma éthylique
- Hépatites aigues, pancréatite aigue, complications d’une cirrhose
- Ulcères gastroduodénaux
- Encéphalopathie hépatique, épilepsie
- Troubles psychiatriques aigus, en particulier manifestations anxieuses, risques suicidaires
- Décompensations aigues de pathologies sous jacentes
2/ Quand ?
Pour débuter un sevrage en alcool, il importe d’évaluer la consommation d’alcool, le degré de
dépendance et la motivation du patient. Avant le sevrage proprement dit, plusieurs consultations
sont nécessaires pour préparer avec le patient un projet de prise en charge.
Le patient alcoolo-dépendant peut être conscient de sa dépendance ou au contraire en phase de
déni. Il importe de construire un conseil personnalisé pour faire évoluer le patient à l’aide de
techniques d’entretien motivationnel, en s’appuyant si nécessaire sur l’entourage. Selon l’évolution
du patient dans sa démarche, les conseils portent sur les règles hygiéno-diététiques, l’information
sur les risques aigus et chroniques de l’alcool, les seuils de prudence, éviter les situations à risque. Au
fur et à mesure du suivi, les stratégies et tactiques tendant à réduire la consommation évoluent vers
l’aide à maintenir une consommation modérée avant d’envisager un sevrage complet. Un agenda des
consommations peut être utile pour le suivi et la valorisation du patient.
Le sevrage ambulatoire ne peut s’envisager qu’avec une participation active du patient, il est
donc dans l’idéal à l’initiative de celui-ci. Dans certains cas c’est l’entourage qui en est à l’origine. Il
faut alors s’assurer de la motivation personnelle réelle du patient dans le projet. Certains sevrages
sont dictés par une certaine forme d’urgence, dans le cas d’une grossesse par exemple, et pourraient
être plus efficaces en hospitalisation qu’en ambulatoire.
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