RSCA n°1 : Ado et addict
Premier semestre du DES de médecine générale Service des Urgences de l’hôpital Jean
Verdier à Bondy (93)
Nous sommes lundi 9 décembre 2013, il est 17h et j'entame ma 5e semaine en tant
qu’interne aux urgences de l’hôpital Jean Verdier à Bondy. Les intoxications
médicamenteuses volontaires, notamment aux benzodiazépines, sont quasi
quotidiennes dans ce service, mais après seulement un mois d’internat, je suis quand
même surpris de prendre en charge une jeune patiente de 16 ans, S., adressée par
l’infirmière de son lycée pour prise d’alcool et de plusieurs comprimés de Lexomil tout
au long de la journée. Avant même d’aller voir la patiente, quelques renseignements me
sont donnés par l’infirmière d’accueil et d’orientation : elle aurait bu beaucoup d’alcool
tout le week end, fumé un joint ce matin à la récré puis pris 22 Lexomil sur le reste de la
journée, non sans arroser le tout de whisky pomme.
D’entrée de jeu, la patiente me surprend : elle n’est pas somnolente, mais en larmes,
son maquillage coule, et sa voix est somme toute très intelligible si l’on considère ce
qu’elle a ingéré. Je la sens en retrait, son regard est fuyant, et elle se demande pourquoi
elle a accepté de venir aux urgences. Lorsque je lui demande ce qui l’amène, elle
minimise la situation, l’infirmière du lycée s’est inquiétée pour rien. Elle ne cesse de
regarder sa main droite, et je note que son dossier mentionne une malformation de cette
main opérée à 2 reprises.
Je lance alors la conversation sur ce sujet, son état clinique est peu inquiétant et je ne
me sens pas prêt à rentrer dans la question de l’intentionnalité du geste. J’apprends
alors qu’elle est née avec trois doigts sur cette main, que depuis une première chirurgie
on lui en a créé un quatrième, mais qu’elle a été réopérée en raison d’un kyste synovial
douloureux sous la cicatrice, sans grand succès. Depuis, elle consomme allègrement des
antalgiques divers, sans efficacité, et qu’elle se tourne donc de plus en plus
régulièrement vers l’alcool, le tabac, le cannabis, pour "oublier" la douleur.
Après être passé successivement de la compassion vis à vis de cette douleur, à
l'incrédulité devant les moyens mis en œuvre pour la soulager, j'essaie d'en apprendre
un peu plus sur le contexte familial. Ses parents sont divorcés depuis qu'elle a 3 ans, que
sa mère vit seule à Strasbourg. Elle vit avec son père, sa belle mère et sa demie-sœur de
7 ans à Pavillons sous Bois depuis 4 ans (décision appuyée par la patiente).
Elle ne voit sa mère qu'un week end sur 2 par mois, week end qu'elle passe alors en
beuveries avec ses amis strasbourgeois, la mère étant au courant et semblant assez
permissive. Elle a d'ailleurs piqué une boîte de Lexomil à sa maman, sur les conseils d'un
ami qui lui a dit de prendre les cachets pour les nerfs de sa mère si elle en avait, car cela
pourrait la calmer. Il lui a même expliqué la marche à suivre : 1 comprimé, puis un autre
si nécessaire, et ainsi de suite jusqu'à la détente. Naïf, je ne peux pas m'empêcher de
faire une réflexion sur la pertinence des conseils de son ami lycéen
médecin/pharmacien…
Me sentant plus en confiance, et la sentant plus encline à me parler sans détours, je
passe alors en revue ses consommations d'alcool, de tabac et de cannabis. Elle fume
depuis l'âge de 9 ans, du cannabis depuis l'âge de 11 ans, et a commencé à boire de
l'alcool avec ses amis vers 10 ans, pour avoir une consommation à type de binge
drinking vers 13-14 ans, principalement lors de ses week end à Strasbourg.