RSCA n°1 : Ado et addict Premier semestre du DES de médecine générale Service des Urgences de l’hôpital Jean Verdier à Bondy (93) Nous sommes lundi 9 décembre 2013, il est 17h et j'entame ma 5e semaine en tant qu’interne aux urgences de l’hôpital Jean Verdier à Bondy. Les intoxications médicamenteuses volontaires, notamment aux benzodiazépines, sont quasi quotidiennes dans ce service, mais après seulement un mois d’internat, je suis quand même surpris de prendre en charge une jeune patiente de 16 ans, S., adressée par l’infirmière de son lycée pour prise d’alcool et de plusieurs comprimés de Lexomil tout au long de la journée. Avant même d’aller voir la patiente, quelques renseignements me sont donnés par l’infirmière d’accueil et d’orientation : elle aurait bu beaucoup d’alcool tout le week end, fumé un joint ce matin à la récré puis pris 22 Lexomil sur le reste de la journée, non sans arroser le tout de whisky pomme. D’entrée de jeu, la patiente me surprend : elle n’est pas somnolente, mais en larmes, son maquillage coule, et sa voix est somme toute très intelligible si l’on considère ce qu’elle a ingéré. Je la sens en retrait, son regard est fuyant, et elle se demande pourquoi elle a accepté de venir aux urgences. Lorsque je lui demande ce qui l’amène, elle minimise la situation, l’infirmière du lycée s’est inquiétée pour rien. Elle ne cesse de regarder sa main droite, et je note que son dossier mentionne une malformation de cette main opérée à 2 reprises. Je lance alors la conversation sur ce sujet, son état clinique est peu inquiétant et je ne me sens pas prêt à rentrer dans la question de l’intentionnalité du geste. J’apprends alors qu’elle est née avec trois doigts sur cette main, que depuis une première chirurgie on lui en a créé un quatrième, mais qu’elle a été réopérée en raison d’un kyste synovial douloureux sous la cicatrice, sans grand succès. Depuis, elle consomme allègrement des antalgiques divers, sans efficacité, et qu’elle se tourne donc de plus en plus régulièrement vers l’alcool, le tabac, le cannabis, pour "oublier" la douleur. Après être passé successivement de la compassion vis à vis de cette douleur, à l'incrédulité devant les moyens mis en œuvre pour la soulager, j'essaie d'en apprendre un peu plus sur le contexte familial. Ses parents sont divorcés depuis qu'elle a 3 ans, que sa mère vit seule à Strasbourg. Elle vit avec son père, sa belle mère et sa demie-sœur de 7 ans à Pavillons sous Bois depuis 4 ans (décision appuyée par la patiente). Elle ne voit sa mère qu'un week end sur 2 par mois, week end qu'elle passe alors en beuveries avec ses amis strasbourgeois, la mère étant au courant et semblant assez permissive. Elle a d'ailleurs piqué une boîte de Lexomil à sa maman, sur les conseils d'un ami qui lui a dit de prendre les cachets pour les nerfs de sa mère si elle en avait, car cela pourrait la calmer. Il lui a même expliqué la marche à suivre : 1 comprimé, puis un autre si nécessaire, et ainsi de suite jusqu'à la détente. Naïf, je ne peux pas m'empêcher de faire une réflexion sur la pertinence des conseils de son ami lycéen médecin/pharmacien… Me sentant plus en confiance, et la sentant plus encline à me parler sans détours, je passe alors en revue ses consommations d'alcool, de tabac et de cannabis. Elle fume depuis l'âge de 9 ans, du cannabis depuis l'âge de 11 ans, et a commencé à boire de l'alcool avec ses amis vers 10 ans, pour avoir une consommation à type de binge drinking vers 13-14 ans, principalement lors de ses week end à Strasbourg. Elle semble alors se remémorer l'absence de son père et souhaite sortir fumer à tout prix avant l'arrivée de son père, qui ne sait pas qu'elle fume. Aux yeux de son père, sa mère semble avoir une influence négative sur elle en la laissant faire ce qu'elle veut, et S. est lucide sur le fait que la permissivité de sa mère vise à ce qu'elle soit aimée de sa fille malgré la distance. Elle ne veut pas que son père sache ce qui s'est passé, malgré le fait qu'elle soit mineure. Après de vives négociations, facilitées par l'instabilité de la patiente lorsqu'elle tentait de se mettre debout, je m'assieds à ses côtés sur le brancard pour parler calmement, et une phrase banale sortie de je ne sais où ("vous pensez vraiment que c'est cette cigarette qui va résoudre le problème ?") va calmer Mlle S., à ma plus grande surprise (à nouveau). On m'annonce que le père est arrivé et je peux alors aller discuter avec lui. Il m'apprend que S. n'est pas une enfant à problème, qu'elle est plutôt bonne élève et que malgré des conflits familiaux parfois "c'est normal, c'est l'âge", il n'y a pas de véritables tensions à la maison. De mon côté, j'ai du mal à l'informer en toute transparence. Sans minimiser les faits, je ne lui dis pas que sa fille fume (et finalement qu'est ce que cela changerait à la prise en charge globale de cette patiente ce jour ?), mais je me sens tout de même mal à l'aise de lui cacher des informations. Il est décidé de garder S. pour la nuit au service portes pour la surveiller cliniquement, et la réévaluer le lendemain, avec passage d'un psychiatre dans la matinée. L'entretien avec le psychiatre confirmera l'absence d'intentionnalité du geste, l'absence d'idéations suicidaires, et une consommation excessive liée à l'ignorance de la patiente des effets du Lexomil à forte dose. Elle sera suivie par la suite au CMP du secteur, et le psychiatre m'a depuis donné des nouvelles : elle est toujours tabagique, fume toujours des joints et consomme toujours de l'alcool, tout en critiquant sa consommation, mais sans avoir décidé d'un sevrage pour autant. Le père semble compréhensif, et S. est retournée voir sa mère deux fois depuis cet épisode. Cette patiente m'aura fait prendre conscience des difficultés de prise en charge de patients adolescents, parfois insouciants et persuadés d'avoir réponse seuls aux (nombreux) problèmes qui se posent à cet âge. D'autre part, la communication avec le père et la sensation de le "trahir" en quelque sorte en lui cachant la moitié des faits m'ont taraudé quelques jours. J'ai pu en discuter avec ma sénior, qui a 5 enfants, et qui m'a rassuré sur la "normalité" de mon ressenti, en m'expliquant qu'elle ressentait toujours cela et qu'elle culpabilisait énormément en tant que maman. En plus des nombreux effets indésirables chez les sujets âgés (chute, confusion…), elle aura aussi mis en avant les problèmes posés par l'accessibilité des benzodiazépines et leur prescription large. 1ère partie : Les benzodiazépines : épidémiologie, prescription, enjeux Généralités et règles de prescription : Les benzodiazépines ont des propriétés hypnotiques, anxiolytiques, myorelaxantes et anticonvulsivantes. La plupart des benzodiazépines sont prescrites à la recherche d'un effet anxiolytique et/ou hypnotique. La grande majorité des prescripteurs est libérale (90%), dont 90% de prescriptions émanant de médecins généralistes. 22 benzodiazépines sont actuellement commercialisées, dont 11 en tant qu'anxiolytique et 9 en tant qu'hypnotique. Les benzodiazépines ont comme indications : - Le traitement ponctuel des attaques de panique, - Les troubles de l'adaptation, - Les exacerbations anxieuses des troubles anxieux avérés, - Association aux antidépresseurs en début de traitement en cas de forte composante anxieuse, - Prévention des levées d'inhibition dans le traitement de la dépression, - La prévention et traitement du delirium tremens et des autres manifestations du sevrage alcoolique, - Les troubles sévères du sommeil dans le cas d'insomnie occasionnelle ou d'insomnie transitoire. La plupart des benzodiazépines à effet hypnotique a comme indication le traitement symptomatique des troubles sévères du sommeil dans les cas d'insomnie occasionnelle ou d'insomnie transitoire. Théoriquement, la prescription des benzodiazépines ne doit pas excéder 12 semaines pour les anxiolytiques et 4 semaines pour les hypnotiques. En pratique, les manifestations anxieuses et les troubles du sommeil sont des motifs de consultation fréquents, notamment chez la personne âgée. Cela entraîne en France une importante prescription de benzodiazépines. Le choix de la benzodiazépine tient compte essentiellement de la demi-vie : les molécules à demi-vie courte permettent d'amoindrir le risque de somnolence diurne, mais sont à risque de rebond d'anxiété entre les prises et davantage addictogènes que les molécules à demi-vie longue. La prescription doit débuter à la posologie la plus faible, sans rechercher la posologie minimale efficace. La surveillance est impérative : de l'efficacité, et de la tolérance. L'arrêt doit être progressif, en diminuant la posologie par paliers. Épidémiologie en France, et en Europe : En 2012, 11,5 millions de français ont eu recours à une benzodiazépine (soit 17,6% de la population). 64,2% des consommateurs sont des femmes, et l'âge médian des consommateurs est de 56 ans. Au total en 2012, 131 millions de boîtes de benzodiazépines ont été prescrites, soit près de 4% de la consommation totale de médicaments annuelle. Le temps d’utilisation annuelle des benzodiazépines anxiolytiques est proche de 5 mois et celui des benzodiazépines hypnotiques est d’environ 4 mois. 55 % des consommateurs les utilisent plus de 3 mois consécutifs. Le temps d’exposition des benzodiazépines anxiolytiques et hypnotiques est plus élevé chez les plus de 65 ans, pour lesquels il semble exister une prescription importante dans les cas non diagnostiqués de dépression avérée du sujet âgé. En Europe, l'interprétation des données est difficile en raison de la disparité des méthodes d'analyse. Les chiffres en Belgique ne sont pas interprétables car ils proviennent des données de remboursement (le remboursement des benzodiazépines n'étant plus assuré en Belgique). La France apparaît parmi les pays étudiés comme les deuxième consommateur d'anxiolytiques (derrière le Portugal), et d'hypnotiques (derrière la Suède). Contre indications et effets indésirables : Contre indications : - Insuffisance respiratoire sévère / syndrome d'apnée du sommeil, - Insuffisance hépatique sévère (sauf Oxazépam), - Myasthénie, - Hypersensibilité connue aux benzodiazépines. Effets indésirables : - Sédation : somnolence, asthénie, augmentation du risque de chute, dangerosité de conduite automobile ou utilisation de machines…, - Troubles cognitifs : troubles mnésiques, troubles de l'attention…, - Réaction paradoxale, - Dépendance, tolérance, syndrome de sevrage à l'arrêt ; favorisés par une longue durée de traitement, des posologies élevées, une diminution rapide de posologie ou un arrêt brutal du traitement, l'utilisation de benzodiazépines à demi vie courte. Ces effets indésirables sont d'autant plus fréquents chez les sujets âgés. D'autre part, des études sont en cours à la recherche d'un lien entre un traitement prolongé par benzodiazépines et la survenue d'une démence. Mésusage : Les benzodiazépines, par leur facilité d'accès et leur prescription chez des patients présentant des syndromes anxieux ou dépressifs, sont les principales molécules utilisées lors des intoxications médicamenteuses volontaires (fréquence entre 20 et 67% selon les centres). Bien qu'il n'existe pas de registre national recensant les IMV, c'est le chiffre qui ressort d'études françaises monocentriques. En raison d'une meilleure prise en charge aux urgences et en réanimation, le taux de décès des IMV aux benzodiazépines reste faible. Chez cette patiente, c'est l'accessibilité au bromazépam de sa mère qui a facilité ce surdosage. L'ANSM et l'HAS tentent d'encadrer de plus en plus la prescription des benzodiazépines, avec notamment l'évocation d'une prescription sécurisée. Les durées de traitement sont théoriquement limitées mais souvent reconduites, et le sevrage en benzodiazépines (notamment des personnes âgées), reste difficile. 2ème partie : La prévention des risques liés à l'alcool en médecine générale Les français consultent chez leur médecin généraliste en moyenne une fois par an. C'est pourquoi le cabinet de médecine générale est le lieu privilégié de dépistage d'une consommation d'alcool à risque. Définitions : Niveaux de consommation selon l'OMS : - Consommation régulière : o Femmes < 14 unités par semaine (2 verres par jour), o Hommes < 21 unités par semaine (3 verres par jour), o Au moins un jour de la semaine sans boisson alcoolisée, - o Pas d'alcool dans certaines circonstances : femme enceinte, conduite, prise de certains médicaments, métier ou sport dangereux, certaines pathologies... Consommation occasionnelle : pas plus de 4 verres en une occasion. La dépendance est un mode d’utilisation inapproprié d’une substance, entraînant une détresse ou un dysfonctionnement cliniquement significatif, comme en témoignent trois (ou plus) des manifestations suivantes, survenant à n’importe quel moment sur la même période de douze mois (critères DSM IV) : - Tolérance, définie par l’une ou l’autre des manifestations suivantes : o Besoin de quantités nettement majorées des la substance pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré o Effet nettement diminué en cas d’usage continu de la même quantité de substance. - L’une ou l’autre des manifestations suivantes : o Syndrome de sevrage caractéristique de la substance o La même substance (ou une substance apparentée) est prise dans le but de soulager ou d’éviter les symptômes de sevrage. - Substance souvent prise en quantité supérieure ou sur un laps de temps plus long que ce que la personne avait envisagé - Désir persistant ou efforts infructueux pour réduire ou contrôler l’utilisation de la substance - Un temps considérable consacré à faire le nécessaire pour se procurer la substance, la consommer ou récupérer de ses effets - L'abandon ou la réduction d’importantes activités sociales, occupationnelles ou de loisirs en raison de l’utilisation de la substance - Une poursuite de l’utilisation de la substance malgré la connaissance de l’existence d’un problème physique ou psychologique persistant ou récurrent déterminé ou exacerbé par la substance. Il faut préciser si la dépendance est avec dépendance physique : signes de tolérance ou de sevrage (2 premiers items), ou sans dépendance physique. Consommateurs : Dans la population générale française, on retrouve environ 20% de consommateurs quotidiens. Le mésusage de l'alcool est souvent associé à d'autres addictions (tabac, anxiolytiques, jeu pathologique…). D'autre part, si la consommation moyenne diminue régulièrement en France, l'usage est de plus en plus précoce, avec des alcoolisations ponctuelles importantes. Ainsi, parmi les jeunes de 17 ans, 10,5% déclarent une consommation régulière d'alcool (au moins 10 fois dans les 30 derniers jours) en 2011 (8,9% en 2008). Le pourcentage de ces jeunes ayant été ivres au moins 3 fois dans l'année est passé de 25,6% en 2008 à 27,8% en 2011 ; et la tendance est la même en ce qui concerne les ivresses régulières (10 fois ou plus dans l'année) : de 8,6% en 2008 à 10,5% en 2011. Le profil des consommateurs plus âgés retrouve une consommation moins importante en volume quotidien mais plus régulière voire quotidienne, et compte de plus en plus de femmes. Morbimortalité : L'alcool est responsable de troubles : - Psychiques : anxiété, dépression, troubles du comportement… - Cardiovasculaires : HTA, cardiomyopathie dilatée, arythmie complète par fibrillation auriculaire… - Hépatiques : hépatite alcoolique aigüe, cirrhose… - Pancréatiques : pancréatite aigüe, pancréatite chronique et ses complications, - Digestives autres : facteur de risque de tumeur des VADS, - De la vigilance : rendant dangereuses la conduite, l'utilisation de machines, et pouvant conduire au coma éthylique. L'alcool est responsable d'environ 45.000 décès par an si l'on inclut les décès pour lesquels l'alcool agit comme un facteur aggravant, qui se répartissent comme suit : % de décès Cancer des VADS Affections digestives Autres cancers Accidents et traumatismes Pathologies cardiovasculaire Affetions neurologiques Dépistage et actions en médecine générale : Le repérage des patients présentant une consommation d'alcool excessive, voire à risque peut être fait de diverses manières. Quatre situations se prêtent volontiers à ce dépistage : une première consultation, une intervention de routine, avant une prescription d'un médicament interagissant avec l'alcool, et en réponse à des problèmes qui pourraient être liés à l'alcool (troubles de l'humeur, HTA…). Il existe des questionnaires validés, comme par exemple l'autoquestionnaire AUDIT (Alcohol Use Disorders Identification Test). Il peut être rempli par le patient dans la salle d'attente et remis lors de la consultation. Les trois premiers items portent sur la fréquence de consommation et la quantité d'alcool ingérée, les six suivants évaluent une éventuelle alcoolodépendance et ses conséquences. Un total supérieur à 9 évoque un usage à risque, et la dépendance est évoquée pour des scores supérieurs à 13. La sensibilité de l'AUDIT pour l'identification des consommateurs à risque varie selon les études de 51 à 97% et sa spécificité de 78 à 96%. Les marqueurs biologiques peuvent servir pour le suivi diagnostique limité. Le VGM est peu spécifique, et de interindividuelles des gamma-GT existent. Cependant, le dosage être utile dans le suivi, car cette enzyme a une demi-vie de 3 l'HbA1c du patient diabétique). mais ont un intérêt grandes variations des gamma-GT peut mois (équivalent de Les moyens à la disposition du médecin généraliste consistent en : - L'information et les conseils : oraux, ou écrits via des plaquettes que le patient peut ramener à la maison, - L'intervention brève (conseils, évaluation et adaptation de l'intervention en fonction du niveau de motivation du patient, et planification d'un suivi). Conclusion : Niveau de risque Critères OMS Faible risque AUDIT Intervention Rôle du médecin généraliste Prévention primaire Éducation, information Conseils Repérage, évaluation, intervention brève Conseils, intervention brève et surveillance régulière Repérage, évaluation, intervention brève, suivi Traitement spécialisé Repérage, évaluation, orientation, suivi < 210 g/semaine hommes < 140 g/semaine femmes < 7 hommes < 6 femmes ≥ 210 g/semaine hommes ≥ 140 g/semaine femmes OMS À risque OU consommation lors d'une situation à risque (âge, grossesse) OU > 4 verres en une occasion AUDIT Nocif Dépendance 7-12 hommes 6-12 femmes Dommage sur le plan médical, psychologique ou social Critères DSM IV AUDIT ≥ 13 Chez cette patiente, des conseils sur les risques de la consommation d'alcool, et qui plus est la consommation d'alcool à l'adolescence auraient pu et du lui être promulgués. Le fait qu'elle ait consommé de l'alcool au long d'une journée dans son lycée incite à une intervention brève, et même si le service d'accueil des urgences n'est pas le lieu optimal, un relais avec son médecin traitant aurait du être organisé. 3ème partie : Obligations juridiques vis-à-vis d'un patient mineur et de ses parents Information et secret médical : Il n'existe a priori pas de secret médical entre un patient mineur et ses parents. Toutefois, si l'enfant ne désire pas que ses parents soient informés de son état de santé ou des soins qui lui sont prodigués, cette volonté doit être respectée, comme le stipule la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades (n° 2002-303). Cependant, le médecin doit s'efforcer le plus possible de convaincre l'enfant de mettre ses parents au courant, mais il n'est pas dans son droit s'il divulgue des informations médicales aux parents alors que l'enfant souhaitait rester sous couvert du secret médical. L’article l.1111-5 du code de la santé publique indique en effet : "Le médecin peut se dispenser d'obtenir le consentement du ou des titulaires de l'autorité parentale afin de garder secret son état de santé. Toutefois, […] le médecin doit dans un premier temps s'efforcer d'obtenir le consentement du mineur à cette consultation. Dans le cas où le mineur maintient son opposition, le médecin peut mettre en œuvre le traitement ou l'intervention." Les parents ont également accès au dossier médical de leurs enfants comme aux leurs, tant qu'ils ne sont pas privés de l'autorité parentale par une décision de justice, et que le mineur ne refuse pas par écrit la communication des données le concernant. Dans le cadre de parents séparés, "Chacun des parents est réputé agir avec l'accord de l'autre, quand il fait seul acte usuel de l'autorité parentale relativement à la personne de l'enfant" (art 372-2 du code civil), mais cette présomption s'applique pour une intervention médicale bénigne. Dans les autres cas, le consentement des deux parents est requis. Et si en cas d'acte sérieux les deux parents ne s'informent pas mutuellement, c'est au médecin de mettre l'autre parent au courant. Le consentement est habituellement écrit pour toute hospitalisation ou intervention chirurgicale sur un mineur. Consentement : Le mineur non émancipé est souvent considéré comme incapable de donner un consentement valable à un acte médical, raison pour laquelle ce consentement doit être recueilli auprès de ses représentants légaux. Deux exceptions sont cependant prévues par la loi sur la contraception du 4 juillet 2001 (n° 2001-588) : la prescription d'une contraception et la réalisation d'une interruption volontaire de grossesse (IVG). Dans ces 2 cas, le secret médical doit être gardé. Dans le cas de l'IVG, la patiente mineure doit tout de même être accompagnée d'une personne majeure de son choix à chaque consultation et acte médical. L'identité et la qualité de cet accompagnant sont notés dans le dossier médical. Dans les cas d'urgence, le médecin peut également se dispenser du consentement des parents si les conséquences pour la santé du mineur peuvent être graves et qu'il n'existe pas d'alternative. D'autre part, l'article 42 du code de déontologie stipule qu'en manière de consentement "Si l'avis de l'intéressé (le mineur) peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible". Dans le cas de ma patiente, je n'avais pas à informer son père de la raison de sa présence dans l'hôpital tant qu'elle ne le souhaitait pas. Mais c'était à moi de tout mettre en œuvre pour la convaincre que son père devait être au courant, notamment chez cette patiente médicalement instable en raison de l'ingestion concomitante d'alcool, de cannabis et de benzodiazépines, ce qui aurait pu amener son père à donner son accord pour une hospitalisation. Dans le cas où son consentement pour des soins ou une hospitalisation aurait été divergent avec celui de son père, le cadre légal donne l'autorité au tuteur légal, avec une prise en compte maximale de l'avis du mineur, et un recours aux soins d'urgence sans consentement pour le médecin en cas de mise en jeu du pronostic fonctionnel ou vital. Conclusion La prise en charge de cette patiente met en avant des compétences diverses nécessaires à la pratique de la médecine générale. Tout d'abord, il s'agit d'un premier recours. Dans son cas, l'infirmière du lycée l'a adressée directement aux urgences, et j'étais donc en première ligne, sans information préalable, et sans aucune connaissance du vécu de cette patiente. Il s'agissait également d'une urgence, l'intoxication mixte benzodiazépines-alcool-cannabis pouvant être dangereuse pour la santé de cette jeune patiente. D'autre part, elle nécessitait une prise en charge globale ; tant sur le plan purement médical que sur les plans psychologique et social, étant donné le contexte familial fragile qui pouvait favoriser les dérives vers les addictions. La complexité de la prise en charge reposait sur la difficulté de faire prendre conscience à la patiente que son geste n'était pas anodin, et pouvait être dangereux pour elle, tout en apaisant l'angoisse de son père, et en essayant de prévenir une récidive. Le dépistage des addictions, bien que les urgences ne soient pas forcément le lieu approprié, doit être réalisé systématiquement, notamment chez une population jeune, sujette aux addictions de plus en plus tôt. Sa consommation régulière d'alcool, même au lycée, et son intoxication au cannabis faisaient de Mlle S. une personne sujette à devenir dépendante aux benzodiazépines en cas de consommation régulière. J'ai aussi pu essayer de faire de la prévention communautaire sur le sujet des benzodiazépines dans cette famille. Pour Mlle S., ce n'était qu'un médicament qui pouvait détendre et apaiser sa douleur, sans être perçu comme un véritable psychotrope. La continuité des soins a été assurée au service portes le lendemain, lorsque le psychiatre est passé voir la patiente, et l'a évaluée pendant environ une heure, avant de décider qu'un retour à domicile avec un suivi ambulatoire était possible. Elle est retournée consulter une semaine plus tard, avait abandonnée sa consommation de benzodiazépines, avait arrêté de boire au lycée et de fumer du cannabis (en continuant le tabac), et semblait "mieux dans sa peau" selon le psychiatre, que j'ai contacté pour prendre des nouvelles. La relation et la communication, dans une approche centrée patient, ont joué un rôle primordial dans la prise en charge de Mlle S. Il a fallu discuter pour qu'elle baisse ses défenses et commence à se confier, en arrêtant de demander à sortir fumer ou à partir toutes les 30 secondes. Il n'a pas été facile d'installer un climat de confiance, mais je pense avoir réussi, au moins à la fin de la consultation. Enfin, la prise en charge nécessitait du professionnalisme, pour englober la prise en charge médicale avec la surveillance, faire en sorte qu'elle accepte de passer la nuit aux urgences en comprenant les enjeux, et en sachant pertinemment qu'un psychiatre passerait la voir le lendemain. La consultation et la mise en place d'un climat de confiance ne se sont pas faites au détriment du professionnalisme qu'exigeait la prise en charge de Mlle S. 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