Physiopathologie des troubles cognitifs survenant au cours et au décours de la prise en charge d’un cancer du sein Physiopathology of the cognitive disorders occurring after breast cancer treatment ● A. Amiel-Benouaich* ‘ L altération des fonctions cognitives dans les suites d’un cancer du sein et/ou de son traitement a longtemps été un sujet “négligé”. Cependant, compte tenu de la fréquence de cette pathologie (une femme sur dix concernée dans les pays occidentaux), des possibilités de rémission à long terme et du retentissement de cette atteinte sur la qualité de vie, à moyen et long terme, cet aspect est de plus en plus discuté à l’heure actuelle. Les mécanismes physiopathologiques sous-tendant cette atteinte sont loin d’être élucidés. Plusieurs hypothèses, potentiellement intriquées, peuvent être discutées. Schématiquement, les troubles cognitifs peuvent être liés à la pathologie cancéreuse elle-même ou à son traitement, chimiothérapie et/ou hormonothérapie. La survenue de ces troubles pourrait, par ailleurs, être favorisée par la susceptibilité de certaines patientes (prédisposition génétique, statut hormonal…). ÉVALUATION ET CARACTÉRISTIQUES DES TROUBLES COGNITIFS Une des premières difficultés est de préciser la définition et l’ampleur de cette atteinte cognitive qui peut être faussée par le ressenti psychologique des patientes (dû au type de pathologie, aux contraintes thérapeutiques…) ou par la fatigue. De façon schématique, on peut distinguer deux types d’altérations : • Les altérations subjectives : elles sont fréquemment rapportées par les patientes (jusqu’à 80 % des cas après traitement systémique dans certaines études). Les patientes se plaignent généralement de difficultés de concentration, mnésique et attentionnelle. Cependant, la plupart des études montrent que ces troubles subjectifs ne sont pas corrélés de façon statistiquement significative à une atteinte cognitive objective, ce qui plaide plus en faveur de facteurs de stress psychologique que d’une réelle atteinte cognitive. • Les altérations objectives : elles sont identifiées à l’issue de tests neuropsychologiques et sont retrouvées chez 16 à 50 % des patientes selon les études. La notion d’atteinte cognitive objective recouvre elle-même des troubles très variés (troubles mnésiques, phasiques, attentionnels, atteinte des fonctions exécutives, altération du raisonnement…). Les localisations anatomiques et les circuits concernés sont complexes, impliquant les zones corticales mais aussi les * Neurologue, service de neuro-oncologie, Pitié-Salpêtrière, Paris. La Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006 circuits sous-corticaux et les noyaux gris centraux. On peut schématiquement souligner l’importance de certains circuits anatomiques tels que le système limbique, le circuit de Papez (figures 1 et 2) impliqués dans les fonctions mnésiques et comportementales, et le cortex préfrontal. La caractérisation de l’atteinte cognitive lors du cancer du sein reste difficile. La plupart des études sont en effet très hétérogènes et souffrent de nombreux biais méthodologiques. L’absence de consensus sur la méthode d’évaluation de ces troubles constitue une première difficulté. Une évaluation complète des fonctions cognitives passe par une batterie de tests nécessitant un examinateur entraîné et peut prendre plusieurs heures. Or, le nombre et le type de tests utilisés diffèrent souvent d’une étude à l’autre, ce qui rend la synthèse délicate. Le choix du groupe contrôle constitue également une source de biais. Certaines études comparent les résultats obtenus à des valeurs standard, d’autres utilisent comme groupe contrôle des sujets sains ou des patientes suivies pour des cancer du sein, mais traitées de façon différente. Enfin, il faut souligner que la plupart des études publiées se fondent sur des effectifs de patientes relativement faibles et hétérogènes. Il ressort cependant de ces études que 16 à 50 % des patientes présentent des troubles cognitifs objectifs généralement décrits comme modérés semblant prédominer sur les fonctions mnésiques (mémoire verbale notamment), l’apprentissage et les fonctions psychomotrices. TROUBLES COGNITIFS LIÉS DIRECTEMENT AU CANCER DU SEIN La pathologie cancéreuse en elle-même peut expliquer certains troubles. De façon évidente, une dissémination cancéreuse (méningée ou dans le parenchyme cérébral) ou une altération métabolique secondaire au cancer (hypercalcémie…) peuvent occasionner des troubles cognitifs. Ceux-ci s’intègrent en général dans un contexte évocateur du diagnostic, leur physiopathologie est connue et ne sera pas discutée plus avant. Des troubles cognitifs (généralement sévères) peuvent également survenir dans le contexte d’une encéphalite paranéoplasique, cependant ce tableau clinique est relativement rare dans le cancer du sein. L’encéphalite limbique, typiquement associée aux anticorps anti-Hu (1, 2), est généralement associée au can9 D O S S I E R Gyrus cingulaire Thalamus Corps mamillaire Fornix Hippocampe Aire entorhinale Figure 1. Anatomie simplifiée du système limbique. Le système limbique est une formation anatomique impliquée dans la mémoire et dans le contrôle des émotions. Il comprend notamment le gyrus cingulaire, la circonvolution parahippocampique, l’hippocampe et l’amygdale, l’appareil olfactif (bulbe olfactif, tractus olfactif). Figure 2. Schéma simplifié du circuit de Papez impliqué dans la mémoire. Les neurones de l’hippocampe sont en communication via le fornix, avec le tubercule mamillaire qui se projette sur le thalamus. Le thalamus est connecté au gyrus cingulaire lui-même relié à l’aire entorhinale et à l’hippocampe. cer du poumon et n’a été qu’exceptionnellement décrite dans le cancer du sein (3). Le syndrome paranéoplasique à anticorps anti-Yo, typique d’un cancer gynécologique (ovaire ou sein) est caractérisé cliniquement par une dégénérescence cérébelleuse, mais l’association à des troubles cognitifs a été rapportée (4). Des tableaux d’encéphalite paranéoplasique ont également été décrits dans des cancers du sein associés à des anticorps antiMa-2, anti-amphyphisine. La physiopathologie des syndromes paranéoplasiques repose sur une atteinte auto-immune (réaction antigénique croisée entre antigènes tumoral et neuronal) ; la présence d’auto-anticorps antineuronaux est d’ailleurs un des critères diagnostiques, bien que leur rôle pathogène reste débattu (5). Une altération cognitive peut également survenir en dehors de ce contexte. Peu d’études ont évalué les fonctions cognitives chez les patientes avant traitement adjuvant mais celles-ci semblent modérément altérées dans 12 à 36% des cas (6, 7) (mémoire verbale et apprentissage). Dans l’étude de Wefel et al., portant sur 84 patientes, l’atteinte cognitive semble plus fréquente chez les patientes en postménopause mais sans atteindre le seuil de significativité (7). L’implication des cytokines produites par la tumeur pourrait être discutée (7, 8). Les cytokines produites en périphérie semblent, en effet, avoir une action sur le système nerveux central. Des modifications du comportement ont pu être observées chez l’animal, suite à une agression inflammatoire ou provoquées par l’administration d’IL1 (léthargie, modifications du comportement d’exploration…) (9). Chez l’homme plusieurs études, réalisées sur volontaires sains, montrent que l’induction de réaction de défense impliquant l’IL6 et le TNFα entraîne une altération de l’humeur et une diminution des performances mnésiques (10, 11). cognitifs (phénomène parfois appelé chemobrain) est de plus en plus étudiée sur le plan clinique et physiopathologique. La plupart des études souffrent des biais méthodologiques décrits précédemment (hétérogénéité thérapeutique, absence d’évaluation pré- et post-thérapeutique, choix du groupe contrôle…) et sont d’analyse discutable. Malgré ces réserves, plusieurs données peuvent en être retenues : • Malgré quelques travaux contradictoires (12), la plupart des études retrouvent une atteinte cognitive objective et significative chez les patientes traitées par chimiothérapie (13-16). D’après une étude de Wefel et al, comparant les performances cognitives des patientes avant et après la chimiothérapie, 60 % des patientes souffrent d’une altération cognitive à un mois du traitement (persistant à un an dans la moitié des cas) (6). Le risque de développer des troubles cognitifs après chimiothérapie haute dose adjuvante serait par ailleurs 8 fois plus élevé qu’après un traitement locorégional (17). • La constatation de troubles objectifs lors des tests neuropsychologiques n’est souvent pas corrélée avec les plaintes fonctionnelles des patientes (14, 17, 18). • L’atteinte observée est généralement modérée. Elle concerne principalement les fonctions mnésiques, verbales, visuo-spatiales et, à un degré moindre, les fonctions exécutives, motrices et d’apprentissage (15, 19-21). • La survenue de ces troubles semble liée à l’intensité de la dose reçue (32 % de troubles cognitifs à l’issue d’une chimiothérapie haute dose versus 17 % après chimiothérapie conventionnelle et 9% dans le groupe de patientes sans traitement systémique) (17). • Le caractère transitoire de l’altération cognitive est suggéré par quelques études de suivi montrant une amélioration des performances à distance du traitement (2 à 4 ans) (22-24). Cependant, certaines patientes semblent souffrir d’une atteinte cognitive durable, ainsi Ahles et al. retrouvent une altération cognitive 5 à 10 ans après la chimiothérapie adjuvante (versus traitement locorégional) (18). Les techniques d’imagerie (conventionnelle ou métabolique) TROUBLES COGNITIFS LIÉS À LA CHIMIOTHÉRAPIE La chimiothérapie adjuvante est largement employée dans le cancer du sein et son implication dans la survenue des troubles 10 La Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006 ainsi que d’électrophysiologie ont été utilisées pour tenter de mieux comprendre les altérations cognitives. Plusieurs travaux mettent en évidence des modifications du parenchyme cérébral liées à la chimiothérapie touchant principalement la substance blanche (25) mais également, dans certaines études, la substance grise. En parallèle à ces modifications morphologiques, le taux de N-Acétyl-Aspartate (marqueur d’intégrité neuronale évalué en spectro-IRM) est altéré de façon modéré et transitoire ce qui suggère des dommages neuronaux limités (26). La chimiothérapie semble altérer de façon préférentielle certaines zones cérébrales, notamment le cortex frontal et préfrontal ainsi que les circuits de la mémoire. Ainsi lors de la réalisation d’une tache mnésique, l’IRM fonctionnelle retrouve une augmentation de l’activation de l’aire cingulaire (impliquée dans le circuit mnésique de Papez) chez les patients traités par chimiothérapie. Par ailleurs, la chimiothérapie provoque une diminution de l’activité métabolique (évaluée en PET-FDG) dans le gyrus préfrontal et dans l’aire de Broca, cette altération étant corrélée avec des moindres performances mnésiques (27). Dans cette même étude, le débit cérébral a été évalué lors de la réalisation de tache mnésique (en utilisant de l’eau marquée). Celui-ci est anormal chez les patientes traitées (versus le groupe contrôle sain) notamment dans l’aire de Broca (9). Les données d’électrophysiologie (EEG) suggèrent également un retentissement cérébral de la chimiothérapie. Le temps de réponse enregistré en EEG lors de l’exécution d’une tache est diminué chez les patientes traitées par chimiothérapie (versus groupe contrôle non traité) (28). Par ailleurs, Schagen et al. ont mis en évidence des différences dans le rythme alpha mesuré entre les patientes traitées par chimiothérapie conventionnelle, chimiothérapie haute dose et groupe témoin (29) (sans corrélations franches avec les troubles cognitifs observés cependant). La physiopathologie de cette atteinte neurocognitive reste mal comprise et différents mécanismes probablement intriqués peuvent être discutés (30). Neurotoxicité directe de la chimiothérapie Celle-ci dépend probablement du type de chimiothérapie, de sa capacité à franchir la barrière hémato-encéphalique et de la dose administrée. L’atteinte cognitive semble plus importante à l’issue de chimiothérapies utilisant le cyclophosphamide, le méthotrexate et le 5-FU que de celles à base d’antracyclines. Plusieurs drogues utilisées dans le cancer du sein sont effectivement connues pour leur potentielle neurotoxicité, notamment le méthotrexate à forte dose. Des troubles cognitifs ont été rapportés associé au 5-FU (liés à une leuco-encéphalopathie) (31, 32) et au paclitaxel (33), mais le tableau clinique est généralement plus sévère. Les effets vasculaires de la chimiothérapie pourraient également être impliqués. On sait, en effet, que la chimiothérapie peut altérer l’endothélium des vaisseaux sanguins et entraîner des micro-infarctus cérébraux. De façon plus indirecte, l’atteinte vasculaire pourrait agir sur les fonctions cognitives via une augmentation du taux d’IL1 et de cyclo-oxygénase. Le rôle de l’aspirine comme neuro-protecteur chez ces patientes est ainsi discuté par certains auteurs. Mécanisme indirect lié aux conséquences hormonales de la chimiothérapie Les conséquences hormonales de la chimiothérapie sont fréLa Lettre du Sénologue - n° 31 - janvier/février/mars 2006 quentes (ménopause induite chez la quasi-totalité des femmes à l’issue d’une chimiothérapie haute dose et chez plus de 90 % des femmes après une chimiothérapie conventionnelle [15]). Mécanisme indirect lié à l’anémie chimio-induite La délivrance d’O2 est fondamentale, car le tissu cérébral dépend d’un métabolisme aérobie. Jacobsen et al. ont pu montrer que l’anémie entraînait une altération des fonctions cognitives (troubles mnésiques et de la concentration) (34). L’association de l’anémie à la fatigue, elle-même susceptible de modifier les performances cognitives rend cependant l’analyse de ces résultats difficile. Plusieurs équipes se sont intéressées à l’impact positif de l’erytropoiétine (susceptible de traverser la BHE) sur les fonctions cognitives. Des études récentes suggèrent que son effet n’est pas limitée à son action sur le taux d’hémoglobine. Il existe des récepteurs cérébraux de l’érythropoéitine (35), exprimé par les neurones, les astrocytes et les cellules endothéliales, principalement au niveau du cortex frontal et de l’hippocampe. L’érythropoéitine aurait un rôle neuroprotecteur (36) (probablement en bloquant l’apoptose) également contre des agressions diverses (ischémie cérébrale, encéphalomyélite auto-immune et comitialité induite par une neurotoxine, le kainaite). Se fondant sur ces données, O’Shaughnessy et al. (37) ont comparé les performances cognitives de 94 patientes recevant une chimiothérapie adjuvante (antracycline) pour cancer du sein selon l’administration d’érytropoiétine versus placebo. Les performances cognitives sont meilleures dans le groupe traité par l’érytropoéitine, mais cette différence s’estompe dans les 6 mois suivant la fin de la chimiothérapie, ce qui suggère une action réelle, mais transitoire, de l’anémie sur les fonctions cognitives. Terrain favorisant la survenue des troubles neuropsychologiques L’impact de certains facteurs génétiques, responsables d’une vulnérabilité individuelle, est suspecté dans la survenue des troubles cognitifs. Ainsi l’allèle e4 de l’apolipoprotéine E est associé à une risque accru de démence dans la population générale et son implication dans la survenue des troubles cognitifs postchimiothérapie a été évoquée par certaines équipes. Ahles et al. ont ainsi montré que les patients porteurs de cet allèle et traités par chimiothérapie (pour lymphome ou cancer du sein) avaient des capacités cognitives moindres que ceux portant un autre allèle de l’apolipoprotéine E (38). Il est vraisemblable que d’autres facteurs individuels (concernant le métabolisme des drogues, les capacités de réparation après une agression cérébrale, les transporteurs de la barrière hémato-encéphalique…) soient impliqués. TROUBLES COGNITIFS LIÉS À L’HORMONOTHÉRAPIE Action des estrogènes sur la cognition L’impact neuroprotecteur des estrogènes sur les fonctions cognitives est suggéré par de nombreux travaux (8, 19, 39), mais le mécanisme d’action reste mal connu. Les estrogènes pourraient être impliqués indirectement (effet préventif des AVC, modification du profil lipidique) mais aussi directement. La plupart des études ont été menées sur modèle animal et démontre l’existence de récepteurs aux estrogènes (RE) dans le cerveau (les récepteurs 11 D O S S I E R Cas pratique : exemple 1 Une patiente de 51 ans traitée pour cancer du sein par chimiothérapie (protocole FEC) consulte pour des difficultés mnésiques et attentionnelles décrites comme modérées et peu évolutives. L’examen neurologique est sans particularité. L’ensemble du bilan est négatif : IRM cérébrale normale (absence de métastases et d’atteinte de la substance blanche notamment) bilan biologique et étude du LCR normale. Le bilan neuropsychologique ne retrouve pas de déficit cognitif objectif. Devant le caractère modéré de la plainte et l’absence d’évolutivité, un suivi simple est décidé. L’examen restant inchangé à 2 ans, l’hypothèse d’une atteinte purement subjective a été retenue chez cette patiente. Cas pratique : exemple 2 (31) Une patiente de 37 ans, traitée pour cancer du sein par chimiothérapie (5 FU, cyclophosphamide, épirubicine et carmofur) développe dans les semaines suivant le début du traitement une atteinte cognitive : troubles mnésiques, s’aggravant progressivement puis apparition d’un syndrome frontal et dégradation globale (mini-mental-status ou MMS évalué à 9/30). L’IRM montre alors un important hypersignal de la substance blanche périventriculaire. La chimiothérapie est arrêtée et un traitement empirique par méthylprednisolone IV est adminitré. Une nette amélioration est obtenue en un mois avec un MMS évalué à 29/30 et une disparition des lésions de la substance blanche sur l’IRM de contrôle. REα et REβ) (40) notamment dans des zones impliquées dans les taches cognitives (hippocampe, amygdale…) (8, 41). Plusieurs études suggèrent que les estrogènes améliorent les fonctions cognitives en agissant sur les neurotransmetteurs (33). Les estrogènes semblent augmenter la densité des récepteurs sérotoninergiques 5HT1 et moduler l’activité cholinergique (41, 42). Ainsi sur modèle de rats ovariectomisés, le traitement par estradiol permet une augmentation du taux d’acétylcholine (43-45), du taux de récepteurs sérotoninergique 5HT2A et de meilleures performances mnésiques (46, 47). Par ailleurs, les estrogènes semblent exercer un effet positif sur les cellules hippocampiques et favoriser la production de synapses (48, 49). Chez la femme ménopausée, plusieurs études soulignent le rôle positif du traitement hormonal substitutif sur les performances cognitives et sur le risque de démence type Alzheimer mais cet impact reste cependant controversé (40, 50-52). Tamoxifène et troubles cognitifs Le tamoxifène est un modulateur sélectif des récepteurs aux estrogènes pouvant être à la fois antagoniste (REα et REβ) mais aussi agoniste (récepteurs ERα) (40, 47) et son action sur le fonctionnement cérébral est complexe. L’analyse de ce retentissement est d’autant plus difficile qu’on dispose de peu d’études (la plupart souffrant de biais méthodologiques) dont les résultats sont contradictoires (40). Pour certains auteurs, le tamoxifène n’a aucun impact sur la survenue de troubles cognitifs (53, 54). D’autres études retrouvent un rôle neuroprotecteur. Des données de spectro IRM sont en faveur d’une action estrogene-like neuroprotectrice du tamoxifène (53) (le tamoxifène, comme le traitement hormonal substitutif (THS) 12 provoque une diminution du taux de myo inositol). Dans l’étude de Breuer (55), les patientes traitées par tamoxifène ont un risque plus faible de maladie d’Alzheimer et de meilleures performances cognitives que celles non traitées. Au contraire, Paganini-Hill et al., en évaluant les fonctions cognitives de 1 163 patientes (dont 710 traitées par tamoxifène) montrent que les troubles mnésiques sont plus fréquents chez ces dernières mais s’améliorent à l’issue du traitement (56). Le tamoxifène pourrait agir en bloquant l’effet positif des estrogènes sur les récepteurs sérotoninergiques 5HT2A (45), notamment concernant les cellules de l’hippocampe, ce qui expliquerait les troubles mnésiques. Le tamoxifène semble également agir dans les régions frontales où il entraîne une diminution du métabolisme glucidique (évalué en PETscan) associée à des altérations mnésiques (39). Inhibiteur de l’aromatase et troubles cognitifs L’aromatase est exprimée par les cellules neuronales chez plusieurs espèces. Elle est notamment produite par les astrocytes en réponse à une agression cérébrale et semble avoir un rôle dans la réparation des atteintes cérébrales (57, 58). Les effets secondaires des anti-aromatases semblent moins sévères que ceux du tamoxifène, notamment sur le plan vasculaire, avec un risque moindre d’AVC (59). Il existe peu de données sur le retentissement cognitif de ce traitement (60). mais une étude de Weinfurt et al. rapporte une amélioration des fonctions cognitives chez les patientes traitées par létrozole (61). L’impact de l’hormonothérapie sur les fonctions cognitives, évalué lors de l’essai ATAC, retrouve effectivement une amélioration de la mémoire verbale mais sans que l’on puisse déterminer si cet effet est lié au tamoxifène et/ou l’anastrozole (62). L’essai thérapeutique IBIS II, en cours actuellement, comparant anastrozole versus tamoxifène, comporte une évaluation neuropsychologique, ce qui devrait permettre de mieux évaluer l’impact iatrogène de ce traitement. CONCLUSION La survenue de troubles cognitifs au cours du suivi du cancer du sein est objectivée par de nombreuses équipes. Leurs caractéristiques et leur physiopathologie restent très imprécises, notamment en raison de la grande hétérogénéité des études. L’impact de la chimiothérapie est reconnu par la plupart des auteurs (sans qu’un mécanisme précis puisse être avancé) alors que l’implication de l’hormonothérapie (que ce soit en tant que facteur protecteur ou aggravant) reste très controversée. Le “flou” qui entoure cette atteinte est préjudiciable aux patientes, en effet bien que généralement modérée, l’atteinte cognitive peut potentiellement retentir sur leur qualité de vie à moyen et long terme. À ce titre, les troubles cognitifs devraient pouvoir être pris en considération lors des choix thérapeutiques, ce qui, compte tenu de l’absence de consensus actuel, reste difficile. Il semble donc important d’inclure ces considérations dans les essais thérapeutiques randomisés, en utilisant des batteries de tests neuropsychologiques plus consensuelles et plus uniformes. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Graus F, Delattre JY, Antoine JC et al. Recommended diagnostic criteria for paraneoplastic neurological syndromes. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2004; 75(8):1135-40. 2. Antoine JC, Honnorat J. Anti-neuronal antibodies and central nervous system diseases: contribution to diagnosis and pathophysiology. Rev Neurol (Paris) 2000;156(1):23-33. 3. 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