L Théorie et pratique des essais thérapeutiques en onco-hématologie

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m é t h o d o l o g i e
Théorie et pratique
des essais thérapeutiques
en onco-hématologie
Épisode 1
Theory and practice of clinical trials
N. Mounier*
L
a recherche clinique en onco-hématologie
présente des particularités dues à la gravité
initiale des pathologies contrastant avec
leur possibilité de guérison. Notre objectif tout
au long de cette chronique, en neuf épisodes,
est de rappeler les règles méthodologiques et de
préciser les approches statistiques pour l’analyse
des essais thérapeutiques.
Différents types d’essais cliniques
* Département d’onco-hématologie, CHU l’Archet, 06200 Nice.
Quatre phases d’essais cliniques font suite
aux études menées chez l’animal. Elles ont des
objectifs différents, les résultats de chaque
étape devant être validés avant de passer à la
suivante.
• Les phases I cherchent à déterminer la dose
maximale tolérée pour un schéma d’administration précis et étudient éventuellement la
pharmaco­cinétique. Les patients présentent une
atteinte disséminée, résistant aux thérapeutiques
usuelles, mais leurs fonctions rénales et hépatiques doivent être intactes.
• Les phases II évaluent l’efficacité d’un nouveau
traitement et sa toxicité à court terme pour une
dose et un schéma fixe. Les patients présentent
des cibles mesurables. Pour des raisons éthiques,
les essais sont proposés à des patients en échec
des traitements de référence. Cette approche permet de sélectionner des sous-groupes cliniques
ou biologiques pouvant présenter une meilleure
réponse, notamment lors des thérapeutiques
ciblées.
• Les phases III cherchent à confirmer l’efficacité
d’une thérapeutique ayant montré un intérêt en
phase II en la comparant avec le traitement de
référence. Elles conduisent à l’Autorisation de
mise sur le marché. Deux types de situations sont
possibles. Les essais de différence cherchent à
montrer une efficacité supérieure à celle du traitement standard. Les essais de non-infériorité
recherchent des avantages en termes de toxicité
ou de coût-qualité.
• Les phases IV ont pour objectif l’étude des
toxicités tardives. En fait, en onco-hématologie, ce
sont surtout les cohortes de sujets inclus dans les
phases III qui permettent l’étude secondaire des
toxicités. Les registres des groupes coopératifs
ou les cohortes d’ATU (autorisation temporaire
d’utilisation) fournissent aussi des sources intéressantes.
Intérêt de la randomisation
La règle scientifique fondamentale repose sur le
fait que les deux groupes comparant l’efficacité
des traitements doivent être identiques “toutes
choses égales, par ailleurs”, sinon le risque est
d’attribuer à tort aux traitements une différence
due aux caractéristiques de la population. La randomisation permet ainsi d’équilibrer les groupes
en éliminant les biais de sélection et limitant ceux
d’évaluation. Elle est habituellement utilisée en
phase III, mais il existe actuellement, à l’heure des
thérapies ciblées, un intérêt particulier à réaliser
des phases II randomisées. Ces dernières ne permettent pas de déterminer un bénéfice (phase III),
mais d’estimer l’efficacité de deux traitements sur
une population de patients semblables recrutés
“hic et nunc”. En effet, l’appariement avec une
série contrôle (historique ou institutionnelle)
fournit une sécurité trompeuse, car elle assure
l’identité de seulement quelques caractéristiques
sélectionnées et, de surcroît, ne permet pas de
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. I - n° 1 - octobre-novembre-décembre 2006
Théorie et pratique des essais thérapeutiques en onco-hématologie
prendre en compte les modifications de pratiques
médicales (facteurs de croissance, réanimation,
imagerie).
Critères de jugement
Tout essai répond à une question pour laquelle
est défini initialement un critère de jugement
principal. D’autres critères de jugement peuvent
être prévus, mais ils sont secondaires, car non
déterminant pour la planification de l’essai.
Les phases I estiment le nombre de patients
présentant une toxicité préalablement définie à
chaque palier de dose. Les phases II sont fondées
sur le taux de réponse tumorale. Ces critères sont
regroupés sous le terme de données catégorielles.
Ils permettent une évaluation rapide de l’efficacité, mais sont moins fiables que des données
de survie, critères habituels des phases III. La
définition des délais de survie repose sur le temps
séparant la date d’inclusion de celle de survenue
d’un événement préalablement défini comme le
décès ou la rechute.
Limites des analyses statistiques
univariées
La comparaison de deux groupes n’a de valeur
que si elle a été prévue a priori dans le protocole.
L’analyse par sous-groupes, non planifiés par une
stratification, fait courir le risque de comparer des
patients qui ne sont plus homogènes pour leurs
caractéristiques cliniques. La différence observée
peut alors être expliquée par cette hétérogénéité
et non par le traitement.
Le taux de réponse ou la fréquence d’une toxicité
constituent des données catégorielles, comparables par les tests classiques du Chi-2 ou de Fisher.
Le test de Fisher s’est révélé moins puissant que
le Chi-2, mais présente l’intérêt d’être valide sur
des petits effectifs.
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. I - n° 1 - octobre-novembre-décembre 2006
L’analyse des données de survie pose davantage
de problème. Les données sont définies par le
couple constitué par une variable continue
mesurant un délai et une indicatrice qualitative
précisant l’état du patient à l’issue de ce délai
(par exemple, vivant ou décédé). Cette approche permet de prendre en compte l’ensemble
de la population soumise au risque, y compris
les patients perdus de vue, qui sont considérés comme vivants à la date de leurs dernières
nouvelles (censurés). Le test le plus utilisé est le
log-rank. Il fait l’hypothèse forte selon laquelle
l’écart entre les risques de décès reste constant
au cours du temps. Cette hypothèse ne peut être
retenue lorsqu’un traitement paraît supérieur
durant les premières années du suivi mais que,
à long terme, l’autre traitement permet d’obtenir
une meilleure survie.
Vers les analyses multivariées
et les modèles statistiques
L’idée est donc venue d’essayer de contrôler les
variables liées autrement que par la randomisation, en essayant de mettre en équation la probabilité de survenue d’un événement, comme on
arrive à corréler la taille avec le poids, ou la taille
définitive avec la taille à deux ans. L’équation
s’appelle le modèle, les inconnues sont la variable
à expliquer (exemple : le risque de décès) et les
variables explicatives (exemple : les LDH, le stade,
la “performance status” pour les lymphomes). On
parle ainsi de modèle multivarié. Le plus célèbre
est celui de M. Cox publié en 1972. Les différents
modèles seront exposés lors d’une prochaine
chronique.
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Lecture
recommandée
• Agresti A. Categorical data analysis. Wiley, New York.
2002 (2nd edition).
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