DOSSIER THÉMATIQUE Gestion des thérapies ciblées Gestion des effets indésirables du bévacizumab Managing bevacizumab-related adverse events Aziz Zaanan*, Julien Taïeb*, Olivier Bouché** L * Service de gastroentérologie et oncologie digestive, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. ** Service de gastroentérologie et oncologie digestive, CHU de Reims, hôpital Robert-Debré, Reims. es biothérapies ou thérapies ciblées sont devenues aujourd’hui un arsenal thérapeutique incontournable en cancérologie digestive. En particulier les thérapies liées aux agents biologiques qui bloquent l’angiogenèse tumorale en ciblant la voie du facteur de croissance endothéliale vasculaire (Vascular Endothelial Growth Factor [VEGF]) et qui ont permis, associés à l’éventail des chimiothérapies cytotoxiques classiques, une augmentation de la survie des patients. Le bévacizumab est un anticorps humanisé de type IgG1 permettant une involution des néovaisseaux tumoraux en empêchant le VEGF de se fixer sur ses récepteurs à la surface des cellules endothéliales. À ce jour, le bévacizumab est le seul antiangiogénique (AA) ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement du cancer colorectal avancé. Avec le développement de cette thérapie AA, de nouveaux effets indésirables sont apparus : même mineurs, ils peuvent retentir sur la qualité de vie des patients et imposer des reports de cure, voire des arrêts thérapeutiques délétères. Sous l’égide de sociétés savantes françaises, un groupe de travail a élaboré des Recommandations pour la pratique clinique (RCP) de prise en charge des effets vasculaires et rénaux des AA, qui sont Tableau I. Contre-indications, prérequis et surveillance de la prescription du bévacizumab. Contre-indications générales : hypersensibilité au produit, grossesse et allaitement Précautions générales : peu de données chez l’insuffisant rénal ou l’hépatique sévère • Contre-indications : accident artériel récent, HTA non contrôlée, intervention chirurgicale de moins de 28 jours, plaies non cicatrisées, association au sunitinib • Examen : cardiovasculaire avec mesure de PA, cutané, bucco-dentaire (soins dentaires et parodontaux si besoin) • Conseils : mesure de la PA à domicile (automesures) ou par un médecin généraliste • Précautions : interruption de 4 à 5 semaines si chirurgie majeure, extraction dentaire, polypectomie ou embolisation portale • Surveillance : PA, bandelette urinaire (BU), créatininémie, saignements, douleurs abdominales • Surveillance paraclinique : si protéines 2+ ou 3+ à la BU => protéinurie/24 heures ou sur échantillon matinal (rapport protéine/créatinine) et clairance calculée de créatinine 102 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011 reformulées dans cette revue. Le patient doit être informé des risques (rares) de complications graves. La collaboration interdisciplinaire entre le médecin prescripteur et ses confrères généralistes et spécialistes cardiologues et néphrologues doit être étroite, confortée et optimisée par l’utilisation d’un carnet de suivi remis au patient. Prérequis à la prescription des antiangiogéniques La lecture du résumé des caractéristiques du produit, le respect des indications, des contre-indications et des posologies ainsi que la connaissance parfaite des précautions d’emploi, des modalités de surveillance et des effets indésirables sont des prérequis généraux indispensables (1, 2). Les données spécifiques principales à connaître avant la prescription du bévacizumab sont résumées dans le tableau I (1). La remise de documents d’information ou de carnets de liaison est conseillée (1, 2). Hypertension artérielle L’hypertension artérielle (HTA) est l’effet indésirable le plus fréquemment rencontré chez les patients traités par le bévacizumab (15 à 30 %) [3]. Cet effet indésirable est probablement lié au mode d’action des AA sans que son mécanisme physiopathologique soit bien compris (3). L’incidence de l’HTA n’est pas établie avec exactitude car la pression artérielle rapportée dans les essais cliniques a été mesurée dans des conditions souvent imparfaites. De plus, la pression artérielle a été estimée selon les critères de la classification Common Terminology CriteriaAdverse Events du National Cancer Institute (NCI- Mots-clés Points forts » Le bévacizumab est le seul antiangiogénique ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché dans le traitement du cancer colorectal avancé. » La prise en charge des effets indésirables liés au bévacizumab doit s’intégrer dans un réseau interdisciplinaire. » La balance bénéfice/risque du traitement par bévacizumab est largement favorable aux patients mais les effets indésirables à long terme restent peu connus. CTCAE), propre à la communauté oncologique, qui utilise un seuil de pression artérielle plus haut (≥ 140 et/ou 90 mmHg) que celui défini par les recommandations des sociétés savantes européennes de cardiologie (1, 2). Les caractéristiques de l’HTA induite par le bévacizumab sont relativement constantes : ➤ l’élévation de la pression artérielle survient dès les premières semaines de traitement chez tous les patients, qu’ils soient initialement hypertendus ou normotendus ; ➤ l’HTA n’est sévère que dans 10 à 15 % des cas ; ➤ l’HTA est en général dose-dépendante. À partir d’une méta-analyse d’essais cliniques portant sur plusieurs milliers de patients dont la moitié avaient reçu du bévacizumab, le risque relatif d’HTA sous une faible dose de bévacizumab (2,5 mg/ kg/sem.) était de 4,78 (IC95 : 3,59-6,36 ; p < 0,001) et de 5,39 (IC95 : 3,68-7,90 ; p < 0,001) pour une dose de 5 mg/kg/sem. (4). La recherche de signes cliniques évocateurs d’HTA (acouphènes et céphalées) et la mesure de la pression artérielle au repos doivent être systématiques avant chaque nouvelle administration de bévacizumab (1). Les mesures conventionnelles de pression artérielle ne permettent pas toujours de faire le diagnostic de l’HTA, en particulier dans un contexte anxiogène lié au diagnostic ou avant la chimiothérapie en hôpital de jour. Cela justifie l’utilisation en ambulatoire de l’automesure ou de la mesure par le médecin généraliste de la pression artérielle chez les patients traités ou devant être traités par des AA. Les RCP françaises sont les suivantes (5) : ➤ la première administration d’un AA ne doit pas être retardée en raison d’une pression artérielle élevée (hors urgence hypertensive) ; ➤ la mesure de la pression artérielle doit au mieux être réalisée en ambulatoire par le médecin traitant et/ou par automesures à domicile par un appareil validé par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Le “schéma des 3” dicté par la Haute Autorité de santé (HAS) est conseillé (6) : 3 prises de la pression artérielle le matin au réveil et le soir au coucher, à 5 minutes d’intervalle, 3 jours de suite ; ➤ la prise en charge thérapeutique de l’HTA doit s’effectuer conformément aux recommandations de l’HAS et de l’European Society of Hypertension (ESH) [6, 7] si la pression artérielle est confirmée – supérieure à 135 mmHg pour la pression artérielle systolique et/ou 85 mmHg pour la pression artérielle diastolique en ambulatoire (figure 1) [5] ; ➤ la prise en charge se fera au mieux dans le cadre d’un traitement en réseau comprenant médecin généraliste, oncologue, cardiologue et néphrologue avec carnet de suivi. Les objectifs de ces mesures sont d’éviter, d’une part, un arrêt inapproprié du traitement AA et, d’autre part, une complication grave de l’HTA. Seule une urgence hypertensive de type encéphalopathie, HTA maligne, HTA avec insuffisance cardiaque, dissection aortique, accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde ou syndrome de leucoencéphalopathie postérieure réversible nécessite un arrêt définitif du bévacizumab (5, 8). Une urgence de ce type doit être prise en charge par une équipe spécialisée de cardiologie et/ou de neurologie vasculaire. En l’absence de protéinurie, les antihypertenseurs classiques peuvent être utilisés : inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II (ARA2), inhibiteurs calciques, bêtabloquants ou diurétiques (5, 8). Dans les rares cas d’HTA résistant aux traitements standards, les dérivés nitrés semblent être un recours intéressant. Les comorbidités associées seront à prendre en compte dans le choix thérapeutique (tableau II) [2, 5]. Bévacizumab Toxicité Iatrogénie Hypertension artérielle Protéinurie Cancer VEGF Keywords Bevacizumab Toxicity Iatrogenic Hypertension Proteinuria Cancer VEGF Protéinurie Le rein est l’un des organes qui exprime de façon physiologique le plus le VEGF et son récepteur le VEGF-R, rendant compte ainsi de la fréquence élevée de la protéinurie et de l’HTA observées chez les patients après quelques semaines à quelques mois de traitement par bévacizumab. La protéinurie est habituellement dose-dépendante et réversible, parfois massive et presque toujours associée à une HTA. Des cas de néphrites interstitielles et de microangiopathies thrombotiques (syndrome hémolytique et urémique) ont été rapportés, notamment lors d’une association bévacizumab-sunitinib (5). Selon les RCP françaises, la bandelette urinaire (BU) – et, le cas échéant, la quantification de la La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011 | 103 DOSSIER THÉMATIQUE Gestion des thérapies ciblées Gestion des effets indésirables du bévacizumab PA ambulatoire (MG ou AMT) systématiquement à S1, S2, S4 puis chaque mois Situation PA normale ou HTA contrôlée PA non contrôlée* chez un patient asymptomatique PA non contrôlée* chez un patient symptomatique Surveillance 1"GPJTNPJT (MG ou AMT) 6OFGPJTNPJTPVQMVTGSÏRVFNNFOU UBOURVFMB1"OFTUQBTDPOUSÙMÏF 6OFGPJTQBSTFNBJOFUBOURVF M)5"FTUTZNQUPNBUJRVF PCUFOUJPOEVODPOUSÙMFEF1" BEÏRVBUJOEJTQFOTBCMF Conduite à tenir 1BTEF NPEJmDBUJPO UIÏSBQFVUJRVF continuer AA 5SBJUFNFOUBOUJ)5"BEBQUÏBV OJWFBVEF1"FUÏWPMVUJWJUÏ monothérapie initiale si PA NPEÏSÏNFOUÏMFWÏFCJUIÏSBQJF EFNCMÏFTJQMVTTÏWÒSFcontinuer AA Traitement anti-HTA JOTUJUVÏCJUIÏSBQJFEFNCMÏF MFQMVTTPVWFOUJOUFOTJmDBUJPO SBQJEFEVUSBJUFNFOU continuer AA Traitement antihypertenseur 6SHFODF hypertensive )PTQJUBMJTBUJPO QSJTFFODIBSHF EFMVSHFODF arrêt des AA Traitement anti-HTA initial : tFOMBCTFODFEFQSPUÏJOVSJFDIPJTJSQBSNJEFTHSBOEFTDMBTTFTEBOUJIZQFSUFOTFVST tTJQSPUÏJOVSJF*&$PV"3"FOQSFNJÒSFJOUFOUJPO 1"OPODPOUSÙMÏFFUPVNN)H1"FO".5 PVɋFUPVNN)H1"EFDPOTVMUBUJPO ""BOUJBOHJPHÏOJRVFT".5BVUPNFTVSFUFOTJPOOFMMF.(NÏEFDJOHÏOÏSBMJTUF444TFNBJOFFU Figure 1. Prise en charge de la pression artérielle au cours du suivi (d’après [5]). Tableau II. Classes de médicaments antihypertenseurs à privilégier ou à éviter en fonction des pathologies associées (d’après [5]). Pathologies associées Classes à privilégier HTA + protéinurie IEC, ARA2 HTA résistante Dérivés nitrés ? Hypercalcémie Classes à éviter ou à utiliser avec prudence Thiazidiques Insuffisance coronaire Bêtabloquants, A. calciques Vasodilatateurs directs Insuffisance cardiaque IEC, diurétiques Bêtabloquants A. calciques (vérapamil, diltiazem) Troubles conductifs IEC, diurétiques A. calciques (vérapamil, diltiazem) Bêtabloquants Cardiopathie obstructive Vérapamil, diltiazem IEC, bêtabloquants, anti-HTA centraux, diurétiques Artériopathie IEC, A. calciques Bêtabloquants Insuffisance rénale IEC faible dose, diurétiques de l’anse Thiazidiques, spironolactone Diabète IEC, A. calciques Bêtabloquants Asthme, BPCO Bêtabloquants Dyslipidémie Bêtabloquants, diurétiques Dépression Antihypertenseurs centraux IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; ARA2 : antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II ; A. calciques : antagonistes calciques. 104 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011 DOSSIER THÉMATIQUE protéinurie – et l’estimation de la fonction rénale (par la formule “Modification Of the Diet in Renal Disease” [MDRD] simplifiée plutôt que la formule de Cockcroft et Gault) doivent être faites, avant et tout au long du traitement (avis néphrologique si clairance < 30 ml/mn). Une protéinurie à 2+ ou 3+ à la BU est une indication à la mesure de la protéinurie et de la créatininémie durant l’intercure (figure 2) [5]. Le bévacizumab peut être prescrit jusqu’au seuil de protéinurie de 3 g/4 heures, sous réserve de l’avis d’un néphrologue (5). En cas de syndrome néphrotique, défini par une protéinurie > 3 g/24 heures associée à une hypoalbuminémie < 30 g/l, qui pourrait concerner 1 à 2 % des patients traités par AA, une biopsie rénale à visée diagnostique et pronostique doit être discutée. En cas de protéinurie > 1 g/24 heures, l’utilisation d’un antihypertenseur de la classe des IEC ou des ARA2 est conseillée compte tenu de leur effet antiprotéinurique. Protéinurie bandelette urinaire 2+ ou 3+ OK AA 100 % avant la cure suivante Protéinurie des 24 heures (g/24 h) ou échantillon matinal (g/g créatinine urinaire) et créatininémie ≤ 1 g/24 h ou < 1 g/g 1 à 3 g/24 h ou 1 à 3 g/g > 3 g/24 h ou > 3 g/g Continuer AA Continuer AA tBWJTEVOÏQISPMPHVF t*&$PV"3" Avis du néphrologue avant AA Syndrome néphrotique (> 3 g/24 h et albuminémie < 30 g/l) AA contre-indiqué AA : antiangiogéniques ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; ARAII : antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II. Figure 2. Conduite à tenir si la protéinurie à la bandelette urinaire 2+ ou 3+ (d’après [5]). Perforations digestives Hémorragies Il s’agit d’une complication rare mais redoutée. Une méta-analyse d’essais randomisés de patients traités par bévacizumab a montré une incidence des perforations digestives de 0,9 % avec un risque relatif de 3,1 pour les cancers colorectaux (9). Les facteurs de risque de perforation digestive lors d’un traitement par bévacizumab sont : tumeur colorectale en place, carcinose péritonéale, antécédent de radiothérapie abdominale ou pelvienne, ulcère gastro-intestinal, colite inflammatoire ou diverticulite (10). Toutefois, la présence d’une tumeur en place n’est pas une contre-indication au bévacizumab car le risque de perforation ou d’hémorragie digestive grave reste inférieur à 5 % et la mortalité, inférieure à 1 % (10). En revanche, il convient d’être plus prudent et d’éviter le bévacizumab si la tumeur primitive est traitée par prothèse endoscopique. En effet, dans 2 études rétrospectives, le taux de perforation semblait augmenté chez les patients avec prothèse traités par bévacizumab (11, 12). Un tableau clinique de douleurs abdominales avec un syndrome occlusif et des vomissements doit faire rechercher systématiquement une perforation digestive et faire arrêter le bévacizumab définitivement. La perforation digestive survient habituellement au cours des 3 premiers mois de traitement par bévacizumab. La prise en charge doit être, si possible, conservatrice, avec aspiration nasogastrique sans chirurgie (10). Des manifestations hémorragiques peuvent survenir, y compris en l’absence d’AA chez les patients traités par une chimiothérapie pour un cancer colorectal. Elles peuvent être secondaires à une nécrose hémorragique de la tumeur, ou d’une de ses métastases, ou tout simplement consécutives à une fragilité des muqueuses liée à la chimiothérapie. Pour les patients recevant une chimiothérapie associée au bévacizumab, diverses manifestations hémorragiques peuvent survenir (13) : ➤ les hémorragies mineures : relativement fréquentes, principalement cutanéomuqueuses, telles que l’épistaxis, les gingivorragies ou les saignements vaginaux (jusqu’à 50 % des patients dans certaines études) ; ➤ les hémorragies graves : rares (5 %), quelquefois fatales, notamment en cas d’hémoptysie massive ou d’hémorragie intracérébrale. Cependant, à la suite de données cliniques favorables, la présence de métastases cérébrales n’est plus considérée comme une contre-indication au bévacizumab (14). Le risque hémorragique associé au bévacizumab n’apparaît pas augmenté par la prise concomitante d’anticoagulants oraux (15), ni par la présence d’une tumeur primitive colorectale en place (10). Cependant, la prise d’anticoagulants nécessite une surveillance étroite du bilan de coagulation. En pratique, en cas de survenue d’un événement hémorragique mineur, le bévacizumab peut être poursuivi à pleine La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011 | 105 DOSSIER THÉMATIQUE Gestion des thérapies ciblées Gestion des effets indésirables du bévacizumab dose. En revanche, pour les événements hémorragiques graves, un arrêt définitif du bévacizumab est recommandé. Troubles de la cicatrisation En raison du rôle majeur des voies de signalisation impliquant le VEGF dans le processus de cicatrisation, le bévacizumab doit être arrêté 5 à 6 semaines avant et repris 4 semaines après une chirurgie majeure (13). La cicatrisation complète doit être vérifiée. Il est également recommandé un intervalle libre d’au moins 4 semaines entre la dernière administration de bévacizumab et une embolisation portale (16). Cette recommandation du Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD) s’appuie sur une étude rétrospective montrant une réduction par le bévacizumab de l’hypertrophie du foie non embolisé (17). Une autre étude ne montrait pas cet effet sur la régénération hépatique (18). Une intervention mineure ne doit pas retarder le début du traitement. En revanche, il semble prudent de suspendre le bévacizumab en cas d’extraction dentaire ou de polypectomie (1, 16). Lorsqu’une intervention est envisagée en urgence, le rapport bénéfice/risque sera évalué et le chirurgien informé du risque accru de complications postopératoires (1). Événements thromboemboliques veineux ou artériels Les complications thromboemboliques représentent la seconde cause de mortalité chez les patients atteints par un cancer. La pathologie néoplasique, notamment en situation métastatique, est un facteur de risque d’événements thromboemboliques veineux (ETEV) connu depuis plus de un siècle. La survenue d’ETEV est en partie expliquée par une augmentation de l’expression des facteurs de la coagulation ainsi qu’une activation de ces voies de la coagulation, mais aussi – et plus particulièrement – par l’état général du patient, le type de cancer et les différents traitements réalisés. Une méta-analyse a montré que l’adjonction du bévacizumab à une chimiothérapie cytotoxique augmentait le risque d’ETEV de l’ordre de 12 % (19). En cas de survenue d’un ETEV, le bévacizumab doit être suspendu pendant 2 ou 3 semaines, puis repris après l’obtention d’une anticoagulation (par antivitamine K ou héparine de bas poids moléculaire) efficace et stable (1, 16). Pour 106 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011 les ETEV graves, de type embolie pulmonaire ou thrombus menaçant le pronostic vital, l’arrêt définitif du bévacizumab peut être discuté. Une surveillance du bilan de coagulation est conseillée, initialement 2 fois par semaine, puis après stabilisation, au moins avant chaque cure. Par ailleurs, d’autres travaux ont plutôt suggéré que le bévacizumab était responsable d’une augmentation du risque des événements thromboemboliques artériels (ETEA) de type AVC et IDM (20, 21). Ce risque est majoré en cas d’antécédents thromboemboliques artériels et chez les patients de plus de 65 ans et/ou hypertendus (20, 22). Dans l’analyse groupée de 2 essais incluant des patients de plus de 65 ans, le risque d’ETEA sous bévacizumab semblait davantage en rapport avec les antécédents vasculaires qu’avec l’âge (22). Les faibles doses d’aspirine ne sont pas contre-indiquées et pourraient même être bénéfiques chez les patients à risque (23). Les mécanismes proposés des ETEA seraient l’induction d’une apoptose endothéliale et l’apparition d’un état d’hypercoagulabilité endovasculaire par exposition de la membrane basale de la paroi vasculaire avec le sang, ou la libération d’emboles de cholestérol à partir de l’athérome favorisée par les AA (24). Le Centre d’études et de recours sur les inhibiteurs de l’angiogenèse (CERIA) a proposé un score prédictif du risque vasculaire (en cours de validation) défini par la présence et la localisation des plaques d’athérome visibles au scanner. La survenue d’un ETEA impose l’arrêt définitif du bévacizumab. Sujet âgé Actuellement, l’âge médian lors du diagnostic du cancer colorectal est proche de 70 ans. Certains patients, âgés, fragiles, avec des comorbidités ou des troubles de l’autonomie, ne relèvent pas d’un traitement actif de leur maladie et pourront être traités après une évaluation oncogériatrique de manière symptomatique. D’autres patients, au contraire, présentant une conservation de l’état général et peu de comorbidités, pourront être traités de la même façon que les patients plus jeunes. Chez le sujet âgé, les données de différentes études montrent, d’une part, que l’adjonction du bévacizumab à une chimiothérapie classique permet d’améliorer l’efficacité du traitement (22) et, d’autre part, que cette amélioration d’efficacité est comparable à celle remarquée chez le sujet jeune (25). Globalement, les toxicités du bévacizumab observées chez le sujet âgé sont similaires à celles observées DOSSIER THÉMATIQUE chez le sujet plus jeune. Toutefois, compte tenu du terrain particulier, leurs conséquences peuvent être plus graves, et une attention particulière à leur survenue est nécessaire. Les événements thromboemboliques artériels semblent être les seuls à être plus fréquents (26, 27), il est donc nécessaire de respecter les précautions d’emploi relatives à l’utilisation du bévacizumab. Autres effets indésirables rares ou non attendus Des événements rares ont été rapportés (1, 13) : insuffisance cardiaque, HTA pulmonaire, fistule, perforation de la cloison nasale, infarctus splénique, ostéonécrose mandibulaire. Une méta-analyse réalisée sur plus de 3 700 patientes traitées pour un cancer du sein a montré que le risque relatif de développer une insuffisance cardiaque était de 4,74 (IC95 : 1,66-11,18 ; p = 0,001) pour celles qui recevaient le bévacizumab par rapport à celles qui avaient bénéficé de la chimiothérapie seule (28). Cependant, ces résultats doivent être interprétés avec précaution, compte tenu de l’absence d’information individuelle sur les facteurs de risque d’insuffisance cardiaque des patientes incluses dans cette étude (dose cumulée d’anthracycline, antécédent d’irradiation thoracique, dyslipidémie, HTA, diabète et obésité) [29]. D’autres effets indésirables, plus inattendus, ont été décrits dans un essai évaluant la tolérance du bévacizumab en situation adjuvante après résection de cancer colique. Les résultats de cet essai rapportaient des syndromes dépressifs ou des douleurs de façon plus fréquente chez les patients traités par bévacizumab comparativement à ceux traités par la chimiothérapie seule (30). Enfin, une méta-analyse publiée récemment à partir de 16 essais randomisés (dont 5 sur le cancer colorectal) suggère que le bévacizumab est associé à une augmentation significative de la mortalité liée aux effets indésirables du bévacizumab (risque relatif = 1,46 ; IC95 : 1,09-1,94 ; p = 0,01) [31]. Cette augmentation de mortalité liée au bévacizumab dépendrait du type de chimiothérapie associé (surrisque en cas de taxanes ou sels de platine). Le surrisque de mortalité n’était pas significatif dans ce travail en ce qui concerne les études portant sur les cancers colorectaux (31). Les principaux effets indésirables fatals liés au bévacizumab étaient l’hémorragie, la neutropénie et les perforations digestives. Conclusion Le recul depuis la mise sur le marché du bévacizumab est de moins de 10 ans, ce qui justifie de continuer à déclarer les effets indésirables inattendus. À ce jour, la balance bénéfice/risque du traitement par bévacizumab est largement favorable chez les patients atteints d’un cancer colorectal avancé. Après l’obtention d’un contrôle tumoral, un traitement de maintenance par un AA pourrait être indiqué pour éviter une évolution tumorale ou pour la ralentir. Ces indications sont actuellement à l’étude. Le problème d’une toxicité à long terme du traitement par bévacizumab pourra donc se poser. La balance bénéfice/ risque pourrait alors s’inverser du fait du risque de complications cardiovasculaires et rénales, en l’absence d’une prise en charge structurée et adaptée. Idéalement, cette prise en charge devrait s’intégrer à un réseau interdisciplinaire comprenant le médecin prescripteur, les médecins généralistes et spécialistes, notamment cardiologues et néphrologues. Enfin, il semble important de chercher et de valider des marqueurs biologiques ou cliniques prédictifs d’efficacité et de toxicité des traitements AA afin de cibler la population de patients susceptibles de bénéficier le plus de cette thérapie tout en limitant les effets indésirables. ■ La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011 | 107 DOSSIER THÉMATIQUE Gestion des thérapies ciblées Gestion des effets indésirables du bévacizumab Références bibliographiques 1. Bouché O, Scaglia E, Reguiai Z, Singha V, Brixi-Benmansour H, Lagarde S. Targeted biotherapies in digestive oncology: management of adverse effects. Gastroenterol Clin Biol 2009;33:306-22. 2. Bouché O, Scaglia E, Lagarde S. 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