L Gestion des effets indésirables du bévacizumab DOSSIER THÉMATIQUE

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DOSSIER THÉMATIQUE
Gestion des thérapies ciblées
Gestion des effets indésirables
du bévacizumab
Managing bevacizumab-related adverse events
Aziz Zaanan*, Julien Taïeb*, Olivier Bouché**
L
* Service de gastroentérologie et oncologie digestive, hôpital européen
Georges-Pompidou, Paris.
**
Service de gastroentérologie et
oncologie digestive, CHU de Reims,
hôpital Robert-Debré, Reims.
es biothérapies ou thérapies ciblées sont devenues aujourd’hui un arsenal thérapeutique
incontournable en cancérologie digestive. En
particulier les thérapies liées aux agents biologiques
qui bloquent l’angiogenèse tumorale en ciblant la
voie du facteur de croissance endothéliale vasculaire
(Vascular Endothelial Growth Factor [VEGF]) et qui
ont permis, associés à l’éventail des chimiothérapies
cytotoxiques classiques, une augmentation de la
survie des patients. Le bévacizumab est un anticorps
humanisé de type IgG1 permettant une involution
des néovaisseaux tumoraux en empêchant le VEGF
de se fixer sur ses récepteurs à la surface des cellules
endothéliales. À ce jour, le bévacizumab est le seul
antiangiogénique (AA) ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement
du cancer colorectal avancé. Avec le développement
de cette thérapie AA, de nouveaux effets indésirables
sont apparus : même mineurs, ils peuvent retentir sur
la qualité de vie des patients et imposer des reports
de cure, voire des arrêts thérapeutiques délétères.
Sous l’égide de sociétés savantes françaises, un
groupe de travail a élaboré des Recommandations
pour la pratique clinique (RCP) de prise en charge
des effets vasculaires et rénaux des AA, qui sont
Tableau I. Contre-indications, prérequis et surveillance de la prescription du bévacizumab.
Contre-indications générales : hypersensibilité au produit, grossesse et allaitement
Précautions générales : peu de données chez l’insuffisant rénal ou l’hépatique sévère
• Contre-indications : accident artériel récent, HTA non contrôlée, intervention chirurgicale
de moins de 28 jours, plaies non cicatrisées, association au sunitinib
• Examen : cardiovasculaire avec mesure de PA, cutané, bucco-dentaire (soins dentaires
et parodontaux si besoin)
• Conseils : mesure de la PA à domicile (automesures) ou par un médecin généraliste
• Précautions : interruption de 4 à 5 semaines si chirurgie majeure, extraction dentaire,
polypectomie ou embolisation portale
• Surveillance : PA, bandelette urinaire (BU), créatininémie, saignements, douleurs abdominales
• Surveillance paraclinique : si protéines 2+ ou 3+ à la BU => protéinurie/24 heures
ou sur échantillon matinal (rapport protéine/créatinine) et clairance calculée de créatinine
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reformulées dans cette revue. Le patient doit être
informé des risques (rares) de complications graves.
La collaboration interdisciplinaire entre le médecin
prescripteur et ses confrères généralistes et spécialistes cardiologues et néphrologues doit être étroite,
confortée et optimisée par l’utilisation d’un carnet
de suivi remis au patient.
Prérequis à la prescription
des antiangiogéniques
La lecture du résumé des caractéristiques du produit,
le respect des indications, des contre-indications et
des posologies ainsi que la connaissance parfaite
des précautions d’emploi, des modalités de surveillance et des effets indésirables sont des prérequis
généraux indispensables (1, 2). Les données spécifiques principales à connaître avant la prescription
du bévacizumab sont résumées dans le tableau I (1).
La remise de documents d’information ou de carnets
de liaison est conseillée (1, 2).
Hypertension artérielle
L’hypertension artérielle (HTA) est l’effet indésirable
le plus fréquemment rencontré chez les patients
traités par le bévacizumab (15 à 30 %) [3]. Cet effet
indésirable est probablement lié au mode d’action
des AA sans que son mécanisme physiopathologique soit bien compris (3). L’incidence de l’HTA n’est
pas établie avec exactitude car la pression artérielle
rapportée dans les essais cliniques a été mesurée
dans des conditions souvent imparfaites. De plus,
la pression artérielle a été estimée selon les critères
de la classification Common Terminology CriteriaAdverse Events du National Cancer Institute (NCI-
Mots-clés
Points forts
» Le bévacizumab est le seul antiangiogénique ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché dans
le traitement du cancer colorectal avancé.
» La prise en charge des effets indésirables liés au bévacizumab doit s’intégrer dans un réseau interdisciplinaire.
» La balance bénéfice/risque du traitement par bévacizumab est largement favorable aux patients mais
les effets indésirables à long terme restent peu connus.
CTCAE), propre à la communauté oncologique, qui
utilise un seuil de pression artérielle plus haut (≥ 140
et/ou 90 mmHg) que celui défini par les recommandations des sociétés savantes européennes de
cardiologie (1, 2).
Les caractéristiques de l’HTA induite par le bévacizumab sont relativement constantes :
➤ l’élévation de la pression artérielle survient dès
les premières semaines de traitement chez tous les
patients, qu’ils soient initialement hypertendus ou
normotendus ;
➤ l’HTA n’est sévère que dans 10 à 15 % des cas ;
➤ l’HTA est en général dose-dépendante.
À partir d’une méta-analyse d’essais cliniques
portant sur plusieurs milliers de patients dont la
moitié avaient reçu du bévacizumab, le risque relatif
d’HTA sous une faible dose de bévacizumab (2,5 mg/
kg/sem.) était de 4,78 (IC95 : 3,59-6,36 ; p < 0,001)
et de 5,39 (IC95 : 3,68-7,90 ; p < 0,001) pour une
dose de 5 mg/kg/sem. (4).
La recherche de signes cliniques évocateurs d’HTA
(acouphènes et céphalées) et la mesure de la pression artérielle au repos doivent être systématiques
avant chaque nouvelle administration de bévacizumab (1). Les mesures conventionnelles de pression artérielle ne permettent pas toujours de faire le
diagnostic de l’HTA, en particulier dans un contexte
anxiogène lié au diagnostic ou avant la chimiothérapie en hôpital de jour. Cela justifie l’utilisation en
ambulatoire de l’automesure ou de la mesure par le
médecin généraliste de la pression artérielle chez les
patients traités ou devant être traités par des AA.
Les RCP françaises sont les suivantes (5) :
➤ la première administration d’un AA ne doit pas
être retardée en raison d’une pression artérielle
élevée (hors urgence hypertensive) ;
➤ la mesure de la pression artérielle doit au mieux
être réalisée en ambulatoire par le médecin traitant
et/ou par automesures à domicile par un appareil
validé par l’Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé (AFSSAPS). Le “schéma des 3” dicté
par la Haute Autorité de santé (HAS) est conseillé
(6) : 3 prises de la pression artérielle le matin au
réveil et le soir au coucher, à 5 minutes d’intervalle,
3 jours de suite ;
➤ la prise en charge thérapeutique de l’HTA doit
s’effectuer conformément aux recommandations
de l’HAS et de l’European Society of Hypertension
(ESH) [6, 7] si la pression artérielle est confirmée –
supérieure à 135 mmHg pour la pression artérielle
systolique et/ou 85 mmHg pour la pression artérielle
diastolique en ambulatoire (figure 1) [5] ;
➤ la prise en charge se fera au mieux dans le cadre
d’un traitement en réseau comprenant médecin
généraliste, oncologue, cardiologue et néphrologue
avec carnet de suivi.
Les objectifs de ces mesures sont d’éviter, d’une part,
un arrêt inapproprié du traitement AA et, d’autre
part, une complication grave de l’HTA. Seule une
urgence hypertensive de type encéphalopathie, HTA
maligne, HTA avec insuffisance cardiaque, dissection
aortique, accident vasculaire cérébral, infarctus du
myocarde ou syndrome de leucoencéphalopathie
postérieure réversible nécessite un arrêt définitif du
bévacizumab (5, 8). Une urgence de ce type doit être
prise en charge par une équipe spécialisée de cardiologie et/ou de neurologie vasculaire. En l’absence de
protéinurie, les antihypertenseurs classiques peuvent
être utilisés : inhibiteurs de l’enzyme de conversion
(IEC), antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II (ARA2), inhibiteurs calciques, bêtabloquants
ou diurétiques (5, 8). Dans les rares cas d’HTA résistant aux traitements standards, les dérivés nitrés
semblent être un recours intéressant. Les comorbidités associées seront à prendre en compte dans
le choix thérapeutique (tableau II) [2, 5].
Bévacizumab
Toxicité
Iatrogénie
Hypertension
artérielle
Protéinurie
Cancer
VEGF
Keywords
Bevacizumab
Toxicity
Iatrogenic
Hypertension
Proteinuria
Cancer
VEGF
Protéinurie
Le rein est l’un des organes qui exprime de façon
physiologique le plus le VEGF et son récepteur
le VEGF-R, rendant compte ainsi de la fréquence
élevée de la protéinurie et de l’HTA observées chez
les patients après quelques semaines à quelques
mois de traitement par bévacizumab. La protéinurie est habituellement dose-dépendante et réversible, parfois massive et presque toujours associée
à une HTA. Des cas de néphrites interstitielles et
de microangiopathies thrombotiques (syndrome
hémolytique et urémique) ont été rapportés, notamment lors d’une association bévacizumab-sunitinib
(5). Selon les RCP françaises, la bandelette urinaire
(BU) – et, le cas échéant, la quantification de la
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011 |
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DOSSIER THÉMATIQUE
Gestion des thérapies ciblées
Gestion des effets indésirables du bévacizumab
PA ambulatoire (MG ou AMT) systématiquement
à S1, S2, S4 puis chaque mois
Situation
PA normale
ou HTA contrôlée
PA non contrôlée*
chez un patient asymptomatique
PA non contrôlée*
chez un patient symptomatique
Surveillance
1"GPJTNPJT
(MG ou AMT)
6OFGPJTNPJTPVQMVTGSÏRVFNNFOU
UBOURVFMB1"OFTUQBTDPOUSÙMÏF
6OFGPJTQBSTFNBJOFUBOURVF
M)5"FTUTZNQUPNBUJRVF
PCUFOUJPOEVODPOUSÙMFEF1"
BEÏRVBUJOEJTQFOTBCMF
Conduite à tenir
1BTEF
NPEJmDBUJPO
UIÏSBQFVUJRVF
continuer AA
5SBJUFNFOUBOUJ)5"BEBQUÏBV
OJWFBVEF1"FUÏWPMVUJWJUÏ
monothérapie initiale si PA
NPEÏSÏNFOUÏMFWÏFCJUIÏSBQJF
EFNCMÏFTJQMVTTÏWÒSFcontinuer AA
Traitement anti-HTA
JOTUJUVÏCJUIÏSBQJFEFNCMÏF
MFQMVTTPVWFOUJOUFOTJmDBUJPO
SBQJEFEVUSBJUFNFOU
continuer AA
Traitement antihypertenseur
6SHFODF
hypertensive
)PTQJUBMJTBUJPO
QSJTFFODIBSHF
EFMVSHFODF
arrêt des AA
Traitement anti-HTA initial :
tFOMBCTFODFEFQSPUÏJOVSJFDIPJTJSQBSNJEFTHSBOEFTDMBTTFTEBOUJIZQFSUFOTFVST
tTJQSPUÏJOVSJF*&$PV"3"FOQSFNJÒSFJOUFOUJPO
1"OPODPOUSÙMÏFFUPVNN)H1"FO".5
PVɋFUPVNN)H1"EFDPOTVMUBUJPO
""BOUJBOHJPHÏOJRVFT".5BVUPNFTVSFUFOTJPOOFMMF.(NÏEFDJOHÏOÏSBMJTUF444TFNBJOFFU
Figure 1. Prise en charge de la pression artérielle au cours du suivi (d’après [5]).
Tableau II. Classes de médicaments antihypertenseurs à privilégier ou à éviter en fonction des pathologies associées
(d’après [5]).
Pathologies associées
Classes à privilégier
HTA + protéinurie
IEC, ARA2
HTA résistante
Dérivés nitrés ?
Hypercalcémie
Classes à éviter
ou à utiliser avec prudence
Thiazidiques
Insuffisance coronaire
Bêtabloquants, A. calciques
Vasodilatateurs directs
Insuffisance cardiaque
IEC, diurétiques
Bêtabloquants
A. calciques (vérapamil, diltiazem)
Troubles conductifs
IEC, diurétiques
A. calciques (vérapamil, diltiazem)
Bêtabloquants
Cardiopathie obstructive
Vérapamil, diltiazem
IEC, bêtabloquants, anti-HTA centraux,
diurétiques
Artériopathie
IEC, A. calciques
Bêtabloquants
Insuffisance rénale
IEC faible dose, diurétiques de l’anse
Thiazidiques, spironolactone
Diabète
IEC, A. calciques
Bêtabloquants
Asthme, BPCO
Bêtabloquants
Dyslipidémie
Bêtabloquants, diurétiques
Dépression
Antihypertenseurs centraux
IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; ARA2 : antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II ; A. calciques : antagonistes
calciques.
104 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011
DOSSIER THÉMATIQUE
protéinurie – et l’estimation de la fonction rénale
(par la formule “Modification Of the Diet in Renal
Disease” [MDRD] simplifiée plutôt que la formule
de Cockcroft et Gault) doivent être faites, avant
et tout au long du traitement (avis néphrologique
si clairance < 30 ml/mn). Une protéinurie à 2+ ou
3+ à la BU est une indication à la mesure de la
protéinurie et de la créatininémie durant l’intercure (figure 2) [5]. Le bévacizumab peut être prescrit jusqu’au seuil de protéinurie de 3 g/4 heures,
sous réserve de l’avis d’un néphrologue (5). En cas
de syndrome néphrotique, défini par une protéinurie > 3 g/24 heures associée à une hypoalbuminémie < 30 g/l, qui pourrait concerner 1 à 2 % des
patients traités par AA, une biopsie rénale à visée
diagnostique et pronostique doit être discutée. En
cas de protéinurie > 1 g/24 heures, l’utilisation
d’un antihypertenseur de la classe des IEC ou des
ARA2 est conseillée compte tenu de leur effet antiprotéinurique.
Protéinurie bandelette urinaire 2+ ou 3+
OK AA 100 %
avant la cure suivante
Protéinurie des 24 heures (g/24 h) ou échantillon matinal
(g/g créatinine urinaire) et créatininémie
≤ 1 g/24 h
ou < 1 g/g
1 à 3 g/24 h
ou 1 à 3 g/g
> 3 g/24 h
ou > 3 g/g
Continuer AA
Continuer AA
tBWJTEVOÏQISPMPHVF
t*&$PV"3"
Avis du néphrologue
avant AA
Syndrome
néphrotique
(> 3 g/24 h
et albuminémie
< 30 g/l)
AA contre-indiqué
AA : antiangiogéniques ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ;
ARAII : antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II.
Figure 2. Conduite à tenir si la protéinurie à la bandelette urinaire 2+ ou 3+ (d’après [5]).
Perforations digestives
Hémorragies
Il s’agit d’une complication rare mais redoutée.
Une méta-analyse d’essais randomisés de patients
traités par bévacizumab a montré une incidence
des perforations digestives de 0,9 % avec un risque
relatif de 3,1 pour les cancers colorectaux (9). Les
facteurs de risque de perforation digestive lors d’un
traitement par bévacizumab sont : tumeur colorectale en place, carcinose péritonéale, antécédent
de radiothérapie abdominale ou pelvienne, ulcère
gastro-intestinal, colite inflammatoire ou diverticulite (10). Toutefois, la présence d’une tumeur en
place n’est pas une contre-indication au bévacizumab car le risque de perforation ou d’hémorragie
digestive grave reste inférieur à 5 % et la mortalité, inférieure à 1 % (10). En revanche, il convient
d’être plus prudent et d’éviter le bévacizumab si la
tumeur primitive est traitée par prothèse endoscopique. En effet, dans 2 études rétrospectives, le
taux de perforation semblait augmenté chez les
patients avec prothèse traités par bévacizumab
(11, 12). Un tableau clinique de douleurs abdominales avec un syndrome occlusif et des vomissements doit faire rechercher systématiquement une
perforation digestive et faire arrêter le bévacizumab
définitivement. La perforation digestive survient
habituellement au cours des 3 premiers mois de
traitement par bévacizumab. La prise en charge
doit être, si possible, conservatrice, avec aspiration
nasogastrique sans chirurgie (10).
Des manifestations hémorragiques peuvent survenir,
y compris en l’absence d’AA chez les patients traités
par une chimiothérapie pour un cancer colorectal.
Elles peuvent être secondaires à une nécrose hémorragique de la tumeur, ou d’une de ses métastases,
ou tout simplement consécutives à une fragilité des
muqueuses liée à la chimiothérapie.
Pour les patients recevant une chimiothérapie
associée au bévacizumab, diverses manifestations
hémorragiques peuvent survenir (13) :
➤ les hémorragies mineures : relativement
fréquentes, principalement cutanéomuqueuses,
telles que l’épistaxis, les gingivorragies ou les saignements vaginaux (jusqu’à 50 % des patients dans
certaines études) ;
➤ les hémorragies graves : rares (5 %), quelquefois
fatales, notamment en cas d’hémoptysie massive ou
d’hémorragie intracérébrale. Cependant, à la suite de
données cliniques favorables, la présence de métastases cérébrales n’est plus considérée comme une
contre-indication au bévacizumab (14).
Le risque hémorragique associé au bévacizumab
n’apparaît pas augmenté par la prise concomitante
d’anticoagulants oraux (15), ni par la présence d’une
tumeur primitive colorectale en place (10). Cependant, la prise d’anticoagulants nécessite une surveillance étroite du bilan de coagulation. En pratique,
en cas de survenue d’un événement hémorragique
mineur, le bévacizumab peut être poursuivi à pleine
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011 |
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DOSSIER THÉMATIQUE
Gestion des thérapies ciblées
Gestion des effets indésirables du bévacizumab
dose. En revanche, pour les événements hémorragiques graves, un arrêt définitif du bévacizumab est
recommandé.
Troubles de la cicatrisation
En raison du rôle majeur des voies de signalisation
impliquant le VEGF dans le processus de cicatrisation,
le bévacizumab doit être arrêté 5 à 6 semaines avant
et repris 4 semaines après une chirurgie majeure (13).
La cicatrisation complète doit être vérifiée. Il est
également recommandé un intervalle libre d’au
moins 4 semaines entre la dernière administration de
bévacizumab et une embolisation portale (16). Cette
recommandation du Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD) s’appuie sur une étude
rétrospective montrant une réduction par le bévacizumab de l’hypertrophie du foie non embolisé (17).
Une autre étude ne montrait pas cet effet sur la
régénération hépatique (18). Une intervention
mineure ne doit pas retarder le début du traitement. En revanche, il semble prudent de suspendre
le bévacizumab en cas d’extraction dentaire ou de
polypectomie (1, 16). Lorsqu’une intervention est
envisagée en urgence, le rapport bénéfice/risque
sera évalué et le chirurgien informé du risque accru
de complications postopératoires (1).
Événements
thromboemboliques
veineux ou artériels
Les complications thromboemboliques représentent
la seconde cause de mortalité chez les patients
atteints par un cancer. La pathologie néoplasique,
notamment en situation métastatique, est un facteur
de risque d’événements thromboemboliques veineux
(ETEV) connu depuis plus de un siècle. La survenue
d’ETEV est en partie expliquée par une augmentation
de l’expression des facteurs de la coagulation ainsi
qu’une activation de ces voies de la coagulation,
mais aussi – et plus particulièrement – par l’état
général du patient, le type de cancer et les différents
traitements réalisés. Une méta-analyse a montré
que l’adjonction du bévacizumab à une chimiothérapie cytotoxique augmentait le risque d’ETEV de
l’ordre de 12 % (19). En cas de survenue d’un ETEV,
le bévacizumab doit être suspendu pendant 2 ou 3
semaines, puis repris après l’obtention d’une anticoagulation (par antivitamine K ou héparine de bas
poids moléculaire) efficace et stable (1, 16). Pour
106 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011
les ETEV graves, de type embolie pulmonaire ou
thrombus menaçant le pronostic vital, l’arrêt définitif
du bévacizumab peut être discuté. Une surveillance
du bilan de coagulation est conseillée, initialement
2 fois par semaine, puis après stabilisation, au moins
avant chaque cure.
Par ailleurs, d’autres travaux ont plutôt suggéré que
le bévacizumab était responsable d’une augmentation du risque des événements thromboemboliques
artériels (ETEA) de type AVC et IDM (20, 21). Ce
risque est majoré en cas d’antécédents thromboemboliques artériels et chez les patients de plus de
65 ans et/ou hypertendus (20, 22). Dans l’analyse
groupée de 2 essais incluant des patients de plus de
65 ans, le risque d’ETEA sous bévacizumab semblait
davantage en rapport avec les antécédents vasculaires qu’avec l’âge (22). Les faibles doses d’aspirine
ne sont pas contre-indiquées et pourraient même
être bénéfiques chez les patients à risque (23). Les
mécanismes proposés des ETEA seraient l’induction
d’une apoptose endothéliale et l’apparition d’un état
d’hypercoagulabilité endovasculaire par exposition
de la membrane basale de la paroi vasculaire avec
le sang, ou la libération d’emboles de cholestérol à
partir de l’athérome favorisée par les AA (24). Le
Centre d’études et de recours sur les inhibiteurs de
l’angiogenèse (CERIA) a proposé un score prédictif du
risque vasculaire (en cours de validation) défini par
la présence et la localisation des plaques d’athérome
visibles au scanner. La survenue d’un ETEA impose
l’arrêt définitif du bévacizumab.
Sujet âgé
Actuellement, l’âge médian lors du diagnostic du
cancer colorectal est proche de 70 ans. Certains
patients, âgés, fragiles, avec des comorbidités ou des
troubles de l’autonomie, ne relèvent pas d’un traitement actif de leur maladie et pourront être traités
après une évaluation oncogériatrique de manière
symptomatique. D’autres patients, au contraire,
présentant une conservation de l’état général et peu
de comorbidités, pourront être traités de la même
façon que les patients plus jeunes. Chez le sujet
âgé, les données de différentes études montrent,
d’une part, que l’adjonction du bévacizumab à
une chimiothérapie classique permet d’améliorer
l’efficacité du traitement (22) et, d’autre part, que
cette amélioration d’efficacité est comparable à
celle remarquée chez le sujet jeune (25). Globalement, les toxicités du bévacizumab observées
chez le sujet âgé sont similaires à celles observées
DOSSIER THÉMATIQUE
chez le sujet plus jeune. Toutefois, compte tenu
du terrain particulier, leurs conséquences peuvent
être plus graves, et une attention particulière à leur
survenue est nécessaire. Les événements thromboemboliques artériels semblent être les seuls à
être plus fréquents (26, 27), il est donc nécessaire
de respecter les précautions d’emploi relatives à
l’utilisation du bévacizumab.
Autres effets indésirables rares
ou non attendus
Des événements rares ont été rapportés (1, 13) :
insuffisance cardiaque, HTA pulmonaire, fistule,
perforation de la cloison nasale, infarctus splénique,
ostéonécrose mandibulaire. Une méta-analyse
réalisée sur plus de 3 700 patientes traitées pour un
cancer du sein a montré que le risque relatif de développer une insuffisance cardiaque était de 4,74 (IC95 :
1,66-11,18 ; p = 0,001) pour celles qui recevaient le
bévacizumab par rapport à celles qui avaient bénéficé de la chimiothérapie seule (28). Cependant, ces
résultats doivent être interprétés avec précaution,
compte tenu de l’absence d’information individuelle
sur les facteurs de risque d’insuffisance cardiaque des
patientes incluses dans cette étude (dose cumulée
d’anthracycline, antécédent d’irradiation thoracique,
dyslipidémie, HTA, diabète et obésité) [29]. D’autres
effets indésirables, plus inattendus, ont été décrits
dans un essai évaluant la tolérance du bévacizumab
en situation adjuvante après résection de cancer
colique. Les résultats de cet essai rapportaient des
syndromes dépressifs ou des douleurs de façon plus
fréquente chez les patients traités par bévacizumab
comparativement à ceux traités par la chimiothérapie seule (30). Enfin, une méta-analyse publiée
récemment à partir de 16 essais randomisés (dont
5 sur le cancer colorectal) suggère que le bévacizumab est associé à une augmentation significative
de la mortalité liée aux effets indésirables du bévacizumab (risque relatif = 1,46 ; IC95 : 1,09-1,94 ; p =
0,01) [31]. Cette augmentation de mortalité liée
au bévacizumab dépendrait du type de chimiothérapie associé (surrisque en cas de taxanes ou sels
de platine). Le surrisque de mortalité n’était pas
significatif dans ce travail en ce qui concerne les
études portant sur les cancers colorectaux (31). Les
principaux effets indésirables fatals liés au bévacizumab étaient l’hémorragie, la neutropénie et les
perforations digestives.
Conclusion
Le recul depuis la mise sur le marché du bévacizumab
est de moins de 10 ans, ce qui justifie de continuer à
déclarer les effets indésirables inattendus. À ce jour,
la balance bénéfice/risque du traitement par bévacizumab est largement favorable chez les patients
atteints d’un cancer colorectal avancé. Après l’obtention d’un contrôle tumoral, un traitement de
maintenance par un AA pourrait être indiqué pour
éviter une évolution tumorale ou pour la ralentir. Ces
indications sont actuellement à l’étude. Le problème
d’une toxicité à long terme du traitement par bévacizumab pourra donc se poser. La balance bénéfice/
risque pourrait alors s’inverser du fait du risque de
complications cardiovasculaires et rénales, en l’absence d’une prise en charge structurée et adaptée.
Idéalement, cette prise en charge devrait s’intégrer à
un réseau interdisciplinaire comprenant le médecin
prescripteur, les médecins généralistes et spécialistes, notamment cardiologues et néphrologues.
Enfin, il semble important de chercher et de valider
des marqueurs biologiques ou cliniques prédictifs
d’efficacité et de toxicité des traitements AA afin
de cibler la population de patients susceptibles de
bénéficier le plus de cette thérapie tout en limitant
les effets indésirables.
■
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011 |
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DOSSIER THÉMATIQUE
Gestion des thérapies ciblées
Gestion des effets indésirables du bévacizumab
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Prochain dossier thématique à paraître en septembre 2011
Microbiote et probiotiques
Coordination : Pr Xavier Hébuterne (Nice)
108 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 3 - mai-juin 2011
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