L’ Les antiangiogéniques chez le sujet âgé ONCOGÉRIATRIE

La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010 | 611
ONCOGÉRIATRIE
Les antiangiogéniques
chez le sujet âgé
Antiangiogenics in elderly patients
E. Carola*
* Unité pilote de coordination
en oncogériatrie, centre hospitalier
de Senlis.
L
arrivée des antiangiogéniques a incontes-
tablement amélioré l'arsenal thérapeutique
en cancérologie, particulièrement dans les
tumeurs colorectales et urologiques, mais aussi dans
les tumeurs du sein ou du poumon.
Leur toxicité vasculaire et digestive, ainsi que les
données parcellaires en termes de bénéfi ce dans la
population âgée partir de 75 ans), sont probable-
ment à l’origine des craintes entourant leur prescrip-
tion dans cette tranche d’âge. Sont-elles fondées ?
C’est dans cette tranche d’âge que l’incidence
du cancer colorectal est la plus élevée (près de
18 000 nouveaux cas par an), et les autres loca-
lisations ne sont pas en reste (tableau◆I). Quelle
place alors réserver aux antiangiogéniques chez le
sujet âgé ?
Toxicités risquées
des antiangiogéniques
chez les sujets âgés
À propos du bévacizumab
Deux cohortes nous permettent de dégager des
données dans la population âgée traitée par béva-
cizumab, les effectifs de ces patients dans les essais
princeps étant insuffi sants pour offrir des résultats
concluants.
La cohorte BRiTE (2), dans le cancer colorectal
métastatique, a analysé 363 patients de plus de
75 ans (sur 2 953 personnes observées) et a révélé
que seule la fréquence des accidents thrombo-
emboliques est plus élevée à cet âge (4 % versus
1,5 %). L’analyse poolée de 4 études randomisées
de J. Cassidy et al. (3) va dans le même sens, avec
un taux d’accident artériel thrombo-embolique de
5,7 % pour les patients de 65 ans ou plus traités par
bévacizumab, versus 2,5 % pour le groupe témoin,
et de 6,7 % versus 3,2 % pour les plus de 75 ans.
L’analyse de la cohorte ATHENA, dans le cancer du
sein avancé chez 171 patientes de plus de 70 ans
traitées par bévacizumab, a constaté un double-
ment du risque d’hypertension artérielle et de la
protéinurie comparativement aux plus jeunes. Le
traitement a être interrompu plus fréquemment
chez les patientes âgées à cause des effets secon-
daires (18,7 % versus 12,2 %) [4].
E.A . C h r i s c h i l l e s et al. (5) on t ob s e r vé
1 371 patients atteints de cancer bronchique
non à petites cellules, dont 60 % avaient plus de
65 ans et 30 % plus de 75 ans. Les effets secon-
daires étaient significativement plus fréquents
chez les patients de plus de 65 ans traités par
bévacizumab. Lanalyse du sous-groupe âgé de
l’essai ECOG 4599 (6), comparant carboplatine-
paclitaxel sans bévacizumab (PC) ou avec (PCB),
Tableau I. Incidence des cancers en fonction de l’âge en France : estimation pour l’année 2008 (1).
Tous 65 à 74 ans 75 à 84 ans ≥ 85 ans
n n Cas dans
la tranche
d’âge (%)
n Cas dans
la tranche
d’âge (%)
n Cas dans
la tranche
d’âge (%)
Hommes
Poumon 24 235 6 752 27,9 5 008 20,7 938 3,9
Côlon-rectum 20 501 5 904 28,8 6 310 30,8 1 948 9,5
Prostate 65 863 25 135 38,2 18 411 28,0 2 254 3,4
Rein 5 585 1 575 28,2 1 227 22,0 250 4,5
Femmes
Poumon 8 196 1 750 21,4 1 622 19,8 475 5,8
Côlon-rectum 18 422 3 918 21,3 6 142 33,3 3 520 19,1
Sein 51 012 10 257 20,1 7 557 14,8 2 786 5,5
612 | La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010
ONCOGÉRIATRIE
retrouve aussi une différence significative en
termes de toxicité (87 versus 61 %).
Les conclusions de l’analyse poolée de F. Scappaticci
et al. (7) confi rment que, quelle que soit la localisa-
tion tumorale, le bévacizumab augmente de façon
signifi cative le risque d’accident thrombo-embolique
artériel et non veineux chez les patients de plus de
65 ans. Cette incidence est 2,5 fois plus importante
chez les patients ayant des antécédents d’athéro-
sclérose (infarctus ou accident vasculaire cérébral).
Enfi n, rappelons que plus d’un tiers des patients âgés
présentent une ou plusieurs contre-indications à
l’administration du bévacizumab (8).
La tolérance des inhibiteurs de tyrosine
kinase semble identique
quel que soit l’âge
Cependant, la fatigue est plus fréquente chez les
patients âgés traités par sunitinib selon l’Extended
Access Program (9), qui excluent les patients présen-
tant des comorbidités majeures, dont la moyenne
d’âge de la population suivie est de 59 ans avec un
Performance Status (PS) [ECOG] de 0 à 1 dans 85 %
des cas.
Le sous-groupe âgé de l’étude TARGET (10) compa-
rant le sorafénib à un placebo en deuxième ligne ne
comportait que 13 % de patients âgés de plus de
70 ans. Les effets secondaires semblent se répartir
de façon identique, à l’exception de l’anorexie, plus
fréquente chez les sujets âgés ; l’anémie semble
également plus fréquente dans la population âgée
(11,4 % versus 6,8 %).
La toxici cardio-vasculaire des inhibiteurs de tyrosine
kinase est peu fréquente (de l’ordre de 2 %), mais les
antécédents de cardiopathie iscmique (qui augmen-
tent avec l’âge) peuvent amplifi er ce risque (11).
Des différentes études publiées, il ressort que la
population âgée traitée est peu importante, que les
toxicités des inhibiteurs de tyrosine kinase sont la
plupart du temps de grade 1 ou 2 et que l’adaptation
des doses doit permettre d’en atténuer les effets.
Le bévacizumab
chez le patient âgé
En situation métastatique
dans le cancer colorectal
L’analyse poolée de J. Cassidy (3) regroupait
3 007 patients, dont 1 142 de 65 ans et plus et 712 de
plus de 70 ans. L’adjonction de bévacizumab à une
chimiothérapie quel qu’en soit le type augmente la
survie sans progression de façon signifi cative chez
les patients âgés comme chez les plus jeunes (moins
de 65 ans : 9,5 versus 6,7 mois [bras contrôle sans
bévacizumab] ; plus de 70 ans : 9,21 versus 6,4 mois
[bras contrôle]). Il en est de même pour la survie
globale, qui est de 19,9 versus 16,5 mois pour les
moins de 65 ans et de 17,4 versus 14,1 pour les plus
de 70 ans (p < 0,005).
Les recommandations du GEPOG (Groupe français
d’échanges pratiques en oncogériatrie) pour le béva-
cizumab sont les suivantes :
privilégier l’inclusion dans les essais théra-
peutiques (DREAM ou PRODIGE 20, ouverture
prochaine) ;
en l’absence d’inclusion dans un essai, utiliser le
bévacizumab à chaque fois que cela sera possible
dans les formes symptomatiques en première ligne
et dans les formes asymptomatiques en deuxième
ligne (encadré,◆p.◆613).
Dans le cancer du sein avancé
Létude AVADO a mis en exergue un sous-groupe de
patientes âgées de plus de 65 ans (38 dans le bras
placebo et 48 dans le bras bévacizumab 15 mg/kg).
Le bénéfi ce en termes de survie sans progression
est signifi cativement plus élevé dans le bras béva-
cizumab, comme pour la population plus jeune (12).
Ce résultat ne se vérifi e pas sur la survie globale. Les
patientes âgées évaluées n’avaient pas de comorbi-
dités particulières.
Les données permettant, entre autres, d'évaluer la
tolérance dans une large population, avec son lot
de pathologies cardio-vasculaires et diabétiques,
sont donc insuffi santes.
En situation métastatique dans le cancer
non épidermoïde non à petites cellules
Létude de l’ECOG 4599 (6) a porté sur 897 patients,
dont 224 étaient âgés de 70 ans et plus. L’analyse
a comparé l’effi cacité de l’association PC à celle du
PCB chez les patients âgés et chez les plus jeunes.
Les patients âgés représentaient 26 % de la cohorte
étudiée ; 44 % des patients avaient plus de 75 ans et
1,6 % 80 ans ou plus. Au total, 40 patients de plus
de 75 ans étaient dans le groupe PC et 58 dans le
groupe PCB. L’âge médian était de 74 ans.
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1) Une mini-évaluation gériatrique ou une
EGS, si elle est disponible rapidement, est
recommandée avant la prise de décision
thérapeutique.
2) L’adhésion éclairée du patient est nécessaire
pour la réalisation d’une chimio thérapie.
3) La mise en œuvre de mesures sociales
ou d’adaptation des prises en charge des
comorbidités sera réalisée dès la prise en
charge initiale. La correction d’une dénutrition
sera systématiquement entreprise.
4) Patient défini comme “harmonieux”.
a. Un traitement local des métastases sera
évalué ; en cas de métastases résécabJes de
classe I, l’option chirurgicale sera privilégiée,
encadrée d’une chimiothérapie péri-opératoire
s’il s’agit de métastases hépatiques. En cas de
métastases de classe II, le traitement doit être
défini au cas par cas.
b. Inclusion dans l’essai DREAM ou PRODIGE 9
puis PRODIGE 20 à son ouverture et inclusion
dans la cohorte OLD.
c. En l’absence d’inclusion dans un essai
thérapeutique spécifique aux patients âgés. la
stratégie thérapeutique sera identique à celle
recommandée dans le Thésaurus national de
cancérologie digestive.
5) Patient défini comme “intermédiaire”.
a. La possibilité d’un traitement local
potentiellement curatif sera toujours
évaluée. Un traitement par radiofréquence
sera privilégié si possible. Une chirurgie de
métastases hépatiques ne sera envisagée
qu’en cas de métastases de classe I et après
évaluation rigoureuse du risque opératoire par
une équipe experte.
b. Inclusion dans l’essai PRODIGE 20 ou OLD.
c. En j’absence d’inclusion dans un essai
thérapeutique spécifique aux patients âgés.
la stratégie thérapeutique sera adaptée à
l’évolution tumorale.
– En cas de tumeur non symptomatique : une
monochimiothérapie par fluoropyrimidine
(LV5-FU2 simplif ou fluropyrimidines
orales) sera privilégiée en première ligne.
La capécitabine sera prescrite à la dose de
2 000 mg/m2, avec adaptation de la dose à
la fonction rénale si nécessaire. L’association
avec le bévacizumab sera discutée au cas
par cas, en s’assurant d’un respect strict des
contre-indications et précautions d’emploi.
Des pauses de chimiothérapie tous les
4 à 6 mois de traitement seront proposées
en l’absence de progression tumorale. Si une
deuxième ligne est indiquée, les schémas
FOLFOX4 simplifiés, FOLFIRIm ou XELOXm
seront privilégiés, associés ou non à une
biothérapie (bévacizumab, cétuximab ou
panitumumab), avec un respect strict des
contre-indications ou précautions d’emploi.
En cas de tumeur symptomatique, les
schémas FOLFOX4 simplifiés, FOLFIRIm
ou XELOXm seront privilégiés, associés ou
non à une biothérapie en première ligne
(bévacizumab ou cétuximab). En cas de refus
du patient de subir des effets indésirables,
un traitement par fluoropyrimidine en
monothérapie pourra être proposé.
6) Patient défini comme “fragile”.
a. Un traitement de confort sera privilégié.
b. Une chimiothérapie palliative ne sera
envisagée qu’après une concertation
pluridisciplinaire impliquant un gériatre. Si
l’indication de chimiothérapie est retenue,
une monochimiothérapie par fluoropyrimidine
sera privilégiée.
7) La réalisation d’essais thérapeutiques
spécifiques aux patients âgés évaluant les
thérapies ciblées en termes de tolérance,
d’efficacité ainsi que de maintien de
l’autonomie est à encourager.
8) La résection de la tumeur primitive en cas
de métastases synchrones ne fait pas l’objet
de recommandations particulières chez le
patient âgé.
Encadré. Recommandations du GEPOG.
La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010 | 613
ONCOGÉRIATRIE
Le PS ECOG était plus favorable dans la population
âgée, témoignant d’une sélection discriminante.
Chez les patients âgés analysés, le taux de réponse
globale a é de 28,7 % dans le bras PCB versus
17,3 % dans le bras PC (différence non significative).
La survie sans progression a été respectivement de
6,7 et 5,5 mois. La survie globale a été de 11,3 versus
12,1 mois. Pour l’ensemble de la population étudiée,
un modèle de Cox ajusté n’a pas retrouvé l’âge
comme facteur pronostique de survie. En revanche,
le sexe masculin, l’atteinte surrénalienne secon-
daire et le traitement par PC étaient des éléments
pronostiques défavorables.
Dans le cancer du rein métastatique
L’analyse spécifique par tranche d’âge (inférieur
ou supérieur à 65 ans) a démontré que le béné-
fice en termes de survie sans progression obtenu
avec l’adjonction du bévacizumab à l’interféron
était comparable chez les patients âgés et les plus
jeunes (HR = 0,77 versus 0,54). La tolérance de l’as-
sociation a été globalement satisfaisante dans les
2 groupes d’âge. Néanmoins, la fatigue était 2 fois
plus fréquente chez les sujets âgés que chez les sujets
plus jeunes (18 versus 9 %) [13].
Les dernières recommandations du National
Comprehensive Cancer Network (NCCN) ne pren-
nent pas en compte l’âge chronologique mais défi-
nissent des patients à mauvais pronostic pour leurs
indications thérapeutiques : en l’absence de contre-
indication, le bévacizumab associé à l’interféron est
un traitement de catégorie 1.
Les inhibiteurs de tyrosine
kinase dans le cancer
du rein métastatique :
recommandations de la Société
internationale d’oncologie
gériatrique (SIOG) [14]
Le sunitinib comparé à l’interféron dans l’étude pivo-
tale de phase III augmente la survie sans progres-
sion avec un HR comparable dans la population
des plus de 65 ans (275 patients) et des plus jeunes
(475 patients) [15]. Ces données ont été confirmées
dans l’Expanded Access Study, étude de cohorte. La
survie sans progression des patients âgés était de
10,1 versus 8,9 mois pour l’ensemble de la cohorte.
Le sunitinib est recommandé en première ligne dans
614 | La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010
ONCOGÉRIATRIE
le cancer du rein avancé, mais les données pharma-
cocinétiques en lien avec la réponse clinique peuvent
faire redouter une perte d’efficacité chez les patients
âgés pour lesquels une réduction de dose peut savérer
nécessaire pour diminuer les effets secondaires ou
pour atténuer le risque d’inter actions médicamen-
teuses, plus fréquent à cet âge (polymédication).
Dans l’étude TARGET, le sorafénib a prouvé son
intérêt en deuxième ligne métastatique (10). Une
fois de plus, son efficacité dans un groupe restreint
de malades âgés sélectionnés s’avère identique à
celle obtenue chez les malades plus jeunes. Les
2 études de cohortes, américaine et européenne,
ont permis de dégager des considérations de prise
en charge des malades âgés traités par des drogues
orales ; elles insistent sur l’éducation thérapeutique
et la place de l’aidant (6, 17). Le sorafénib est recom-
mandé en deuxième ligne, voire en première ligne
en cas de contre-indication d’un autre traitement
spécifique (tableau◆II).
Conclusion
Les données disponibles restent parcellaires et
concernent une fois de plus une population âgée
sélectionnée. Lextrapolation à l’ensemble de la
population âgée de l’utilisation des antiangiogé-
niques justifie, compte tenu des effets indésirables
décrits, une évaluation multidimensionnelle géria-
trique bien conduite qui permettra :
d’évaluer les problèmes spécifiques des personnes
âgées (pathologies cardio-vasculaires, polymédi-
cation, etc.) ;
d’organiser la prise en charge thérapeutique géné-
rale (de l’administration des drogues orales à la
surveillance au domicile) en tenant compte des effets
secondaires connus et redoutés liés à l’âge avancé.
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Références bibliographiques
Tableau II. Spécificités des sujets âgés à chaque étape du traitement par sorafénib (17).
Étape
du traitement
Spécificités
Sélection Les éléments suivants doivent être pris en compte avant tout traitement
par sorafénib :
- l’âge physiologique ;
- les comorbidités ;
- le profil de toxicité de la molécule.
Avant
le traitement
Il est nécessaire de :
- déterminer les objectifs du patient ;
- conseiller le patient afin de traiter les problèmes préexistants
tels que l’hypertension, les problèmes cutanés et les problèmes de pied ;
- interroger le patient sur sa couverture sociale ;
- organiser le suivi d'une infirmière à domicile si nécessaire ;
- enseigner au patient la posologie et l’administration du sorafénib
ainsi que la détection et la gestion des différents effets indésirables.
Pendant
le traitement
Points à surveiller :
Apparition d'effets indésirables :
- comprendre comment certains effets indésirables peuvent affecter
différemment les patients selon qu’ils sont âgés ou jeunes ;
- organiser le suivi d’une infirmière à domicile si nécessaire ;
- être préparé à agir rapidement et efficacement ;
- envisager des modifications de dose si nécessaire.
Qualité de vie
Interactions potentielles
Réponse clinique au sorafénib
Crédit photo couverture : © Danny Chung - © Mikhail Mishchenko
Les articles publiés dans
La Lettre du Cancérologue
le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
© mai 1992 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution. Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne
Les suppléments “Les cancers ORL (suppl. 1 au 10) et “Actualités sur les nausées et les vomissements en 2010” (suppl. 2 au 10) ainsi qu’un flyer ASCO GI 2011” sont routés avec ce numéro.
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