ONCOGÉRIATRIE Les antiangiogéniques chez le sujet âgé Antiangiogenics in elderly patients E. Carola* L’ arrivée des antiangiogéniques a incontestablement amélioré l'arsenal thérapeutique en cancérologie, particulièrement dans les tumeurs colorectales et urologiques, mais aussi dans les tumeurs du sein ou du poumon. Leur toxicité vasculaire et digestive, ainsi que les données parcellaires en termes de bénéfice dans la population âgée (à partir de 75 ans), sont probablement à l’origine des craintes entourant leur prescription dans cette tranche d’âge. Sont-elles fondées ? C’est dans cette tranche d’âge que l’incidence du cancer colorectal est la plus élevée (près de 18 000 nouveaux cas par an), et les autres localisations ne sont pas en reste (tableau◆I). Quelle place alors réserver aux antiangiogéniques chez le sujet âgé ? Toxicités risquées des antiangiogéniques chez les sujets âgés L’analyse de la cohorte ATHENA, dans le cancer du sein avancé chez 171 patientes de plus de 70 ans traitées par bévacizumab, a constaté un doublement du risque d’hypertension artérielle et de la protéinurie comparativement aux plus jeunes. Le traitement a dû être interrompu plus fréquemment chez les patientes âgées à cause des effets secondaires (18,7 % versus 12,2 %) [4]. E.A. Chrischilles et al. (5) ont observé 1 371 patients atteints de cancer bronchique non à petites cellules, dont 60 % avaient plus de 65 ans et 30 % plus de 75 ans. Les effets secondaires étaient significativement plus fréquents chez les patients de plus de 65 ans traités par bévacizumab. L’analyse du sous-groupe âgé de l’essai ECOG 4599 (6), comparant carboplatinepaclitaxel sans bévacizumab (PC) ou avec (PCB), Tableau I. Incidence des cancers en fonction de l’âge en France : estimation pour l’année 2008 (1). Tous n 65 à 74 ans n 75 à 84 ans ≥ 85 ans Cas dans la tranche d’âge (%) n Cas dans la tranche d’âge (%) n Cas dans la tranche d’âge (%) 24 235 6 752 27,9 5 008 20,7 938 3,9 Côlon-rectum 20 501 5 904 28,8 6 310 30,8 1 948 9,5 Prostate 65 863 25 135 38,2 18 411 28,0 2 254 3,4 Rein 5 585 1 575 28,2 1 227 22,0 250 4,5 8 196 1 750 21,4 1 622 19,8 475 5,8 Côlon-rectum 18 422 3 918 21,3 6 142 33,3 3 520 19,1 Sein 20,1 7 557 14,8 2 786 5,5 À propos du bévacizumab Deux cohortes nous permettent de dégager des données dans la population âgée traitée par bévacizumab, les effectifs de ces patients dans les essais princeps étant insuffisants pour offrir des résultats concluants. La cohorte BRiTE (2), dans le cancer colorectal métastatique, a analysé 363 patients de plus de 75 ans (sur 2 953 personnes observées) et a révélé que seule la fréquence des accidents thromboemboliques est plus élevée à cet âge (4 % versus 1,5 %). L’analyse poolée de 4 études randomisées de J. Cassidy et al. (3) va dans le même sens, avec un taux d’accident artériel thrombo-embolique de 5,7 % pour les patients de 65 ans ou plus traités par bévacizumab, versus 2,5 % pour le groupe témoin, et de 6,7 % versus 3,2 % pour les plus de 75 ans. * Unité pilote de coordination en oncogériatrie, centre hospitalier de Senlis. Hommes Poumon Femmes Poumon 51 012 10 257 La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010 | 611 ONCOGÉRIATRIE retrouve aussi une différence significative en termes de toxicité (87 versus 61 %). Les conclusions de l’analyse poolée de F. Scappaticci et al. (7) confirment que, quelle que soit la localisation tumorale, le bévacizumab augmente de façon significative le risque d’accident thrombo-embolique artériel et non veineux chez les patients de plus de 65 ans. Cette incidence est 2,5 fois plus importante chez les patients ayant des antécédents d’athérosclérose (infarctus ou accident vasculaire cérébral). Enfin, rappelons que plus d’un tiers des patients âgés présentent une ou plusieurs contre-indications à l’administration du bévacizumab (8). La tolérance des inhibiteurs de tyrosine kinase semble identique quel que soit l’âge Annoncez vous ! me Une deuxiè e ratuit insertion g pour Cependant, la fatigue est plus fréquente chez les patients âgés traités par sunitinib selon l’Extended Access Program (9), qui excluent les patients présentant des comorbidités majeures, dont la moyenne d’âge de la population suivie est de 59 ans avec un Performance Status (PS) [ECOG] de 0 à 1 dans 85 % des cas. Le sous-groupe âgé de l’étude TARGET (10) comparant le sorafénib à un placebo en deuxième ligne ne comportait que 13 % de patients âgés de plus de 70 ans. Les effets secondaires semblent se répartir de façon identique, à l’exception de l’anorexie, plus fréquente chez les sujets âgés ; l’anémie semble également plus fréquente dans la population âgée (11,4 % versus 6,8 %). La toxicité cardio-vasculaire des inhibiteurs de tyrosine kinase est peu fréquente (de l’ordre de 2 %), mais les antécédents de cardiopathie ischémique (qui augmentent avec l’âge) peuvent amplifier ce risque (11). Des différentes études publiées, il ressort que la population âgée traitée est peu importante, que les toxicités des inhibiteurs de tyrosine kinase sont la plupart du temps de grade 1 ou 2 et que l’adaptation des doses doit permettre d’en atténuer les effets. és les abonn Le bévacizumab chez le patient âgé Contactez Valérie Glatin au 01 46 67 62 77 ou faites parvenir votre annonce par mail à [email protected] En situation métastatique dans le cancer colorectal L’analyse poolée de J. Cassidy (3) regroupait 3 007 patients, dont 1 142 de 65 ans et plus et 712 de 612 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010 plus de 70 ans. L’adjonction de bévacizumab à une chimiothérapie quel qu’en soit le type augmente la survie sans progression de façon significative chez les patients âgés comme chez les plus jeunes (moins de 65 ans : 9,5 versus 6,7 mois [bras contrôle sans bévacizumab] ; plus de 70 ans : 9,21 versus 6,4 mois [bras contrôle]). Il en est de même pour la survie globale, qui est de 19,9 versus 16,5 mois pour les moins de 65 ans et de 17,4 versus 14,1 pour les plus de 70 ans (p < 0,005). Les recommandations du GEPOG (Groupe français d’échanges pratiques en oncogériatrie) pour le bévacizumab sont les suivantes : ➤ privilégier l’inclusion dans les essais thérapeutiques (DREAM ou PRODIGE 20, ouverture prochaine) ; ➤ en l’absence d’inclusion dans un essai, utiliser le bévacizumab à chaque fois que cela sera possible dans les formes symptomatiques en première ligne et dans les formes asymptomatiques en deuxième ligne (encadré,◆p.◆613). Dans le cancer du sein avancé L’étude AVADO a mis en exergue un sous-groupe de patientes âgées de plus de 65 ans (38 dans le bras placebo et 48 dans le bras bévacizumab 15 mg/kg). Le bénéfice en termes de survie sans progression est significativement plus élevé dans le bras bévacizumab, comme pour la population plus jeune (12). Ce résultat ne se vérifie pas sur la survie globale. Les patientes âgées évaluées n’avaient pas de comorbidités particulières. Les données permettant, entre autres, d'évaluer la tolérance dans une large population, avec son lot de pathologies cardio-vasculaires et diabétiques, sont donc insuffisantes. En situation métastatique dans le cancer non épidermoïde non à petites cellules L’étude de l’ECOG 4599 (6) a porté sur 897 patients, dont 224 étaient âgés de 70 ans et plus. L’analyse a comparé l’efficacité de l’association PC à celle du PCB chez les patients âgés et chez les plus jeunes. Les patients âgés représentaient 26 % de la cohorte étudiée ; 44 % des patients avaient plus de 75 ans et 1,6 % 80 ans ou plus. Au total, 40 patients de plus de 75 ans étaient dans le groupe PC et 58 dans le groupe PCB. L’âge médian était de 74 ans. ONCOGÉRIATRIE 1) Une mini-évaluation gériatrique ou une EGS, si elle est disponible rapidement, est recommandée avant la prise de décision thérapeutique. 2) L’adhésion éclairée du patient est nécessaire pour la réalisation d’une chimio­thérapie. 3) La mise en œuvre de mesures sociales ou d’adaptation des prises en charge des comorbidités sera réalisée dès la prise en charge initiale. La correction d’une dénutrition sera systématiquement entreprise. 4) Patient défini comme “harmonieux”. a. Un traitement local des métastases sera évalué ; en cas de métastases résécabJes de classe I, l’option chirurgicale sera privilégiée, encadrée d’une chimiothérapie péri-opératoire s’il s’agit de métastases hépatiques. En cas de métastases de classe II, le traitement doit être défini au cas par cas. b. Inclusion dans l’essai DREAM ou PRODIGE 9 puis PRODIGE 20 à son ouverture et inclusion dans la cohorte OLD. c. En l’absence d’inclusion dans un essai thérapeutique spécifique aux patients âgés. la stratégie thérapeutique sera identique à celle recommandée dans le Thésaurus national de cancérologie digestive. 5) Patient défini comme “intermédiaire”. a. La possibilité d’un traitement local potentiellement curatif sera toujours évaluée. Un traitement par radiofréquence sera privilégié si possible. Une chirurgie de métastases hépatiques ne sera envisagée qu’en cas de métastases de classe I et après évaluation rigoureuse du risque opératoire par une équipe experte. b. Inclusion dans l’essai PRODIGE 20 ou OLD. c. En j’absence d’inclusion dans un essai thérapeutique spécifique aux patients âgés. la stratégie thérapeutique sera adaptée à l’évolution tumorale. – En cas de tumeur non symptomatique : une monochimiothérapie par fluoropyrimidine (LV5-FU2 simplifié ou fluropyrimidines orales) sera privilégiée en première ligne. La capécitabine sera prescrite à la dose de 2 000 mg/m2, avec adaptation de la dose à la fonction rénale si nécessaire. L’association avec le bévacizumab sera discutée au cas par cas, en s’assurant d’un respect strict des contre-indications et précautions d’emploi. Des pauses de chimiothérapie tous les 4 à 6 mois de traitement seront proposées en l’absence de progression tumorale. Si une deuxième ligne est indiquée, les schémas FOLFOX4 simplifiés, FOLFIRIm ou XELOXm seront privilégiés, associés ou non à une biothérapie (bévacizumab, cétuximab ou panitumumab), avec un respect strict des contre-indications ou précautions d’emploi. – En cas de tumeur symptomatique, les schémas FOLFOX4 simplifiés, FOLFIRIm ou XELOXm seront privilégiés, associés ou non à une biothérapie en première ligne (bévacizumab ou cétuximab). En cas de refus du patient de subir des effets indésirables, un traitement par fluoropyrimidine en monothérapie pourra être proposé. 6) Patient défini comme “fragile”. a. Un traitement de confort sera privilégié. b. Une chimiothérapie palliative ne sera envisagée qu’après une concertation pluridisciplinaire impliquant un gériatre. Si l’indication de chimiothérapie est retenue, une monochimiothérapie par fluoropyrimidine sera privilégiée. 7) La réalisation d’essais thérapeutiques spécifiques aux patients âgés évaluant les thérapies ciblées en termes de tolérance, d’efficacité ainsi que de maintien de l’autonomie est à encourager. 8) La résection de la tumeur primitive en cas de métastases synchrones ne fait pas l’objet de recommandations particulières chez le patient âgé. Encadré. Recommandations du GEPOG. Le PS ECOG était plus favorable dans la population âgée, témoignant d’une sélection discriminante. Chez les patients âgés analysés, le taux de réponse globale a été de 28,7 % dans le bras PCB versus 17,3 % dans le bras PC (différence non significative). La survie sans progression a été respectivement de 6,7 et 5,5 mois. La survie globale a été de 11,3 versus 12,1 mois. Pour l’ensemble de la population étudiée, un modèle de Cox ajusté n’a pas retrouvé l’âge comme facteur pronostique de survie. En revanche, le sexe masculin, l’atteinte surrénalienne secondaire et le traitement par PC étaient des éléments pronostiques défavorables. Dans le cancer du rein métastatique L’analyse spécifique par tranche d’âge (inférieur ou supérieur à 65 ans) a démontré que le bénéfice en termes de survie sans progression obtenu avec l’adjonction du bévacizumab à l’interféron était comparable chez les patients âgés et les plus jeunes (HR = 0,77 versus 0,54). La tolérance de l’association a été globalement satisfaisante dans les 2 groupes d’âge. Néanmoins, la fatigue était 2 fois plus fréquente chez les sujets âgés que chez les sujets plus jeunes (18 versus 9 %) [13]. Les dernières recommandations du National Comprehensive Cancer Network (NCCN) ne prennent pas en compte l’âge chronologique mais définissent des patients à mauvais pronostic pour leurs indications thérapeutiques : en l’absence de contreindication, le bévacizumab associé à l’interféron est un traitement de catégorie 1. Les inhibiteurs de tyrosine kinase dans le cancer du rein métastatique : recommandations de la Société internationale d’oncologie gériatrique (SIOG) [14] Le sunitinib comparé à l’interféron dans l’étude pivotale de phase III augmente la survie sans progression avec un HR comparable dans la population des plus de 65 ans (275 patients) et des plus jeunes (475 patients) [15]. Ces données ont été confirmées dans l’Expanded Access Study, étude de cohorte. La survie sans progression des patients âgés était de 10,1 versus 8,9 mois pour l’ensemble de la cohorte. Le sunitinib est recommandé en première ligne dans La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010 | 613 ONCOGÉRIATRIE Tableau II. Spécificités des sujets âgés à chaque étape du traitement par sorafénib (17). Étape du traitement Spécificités Sélection Les éléments suivants doivent être pris en compte avant tout traitement par sorafénib : - l’âge physiologique ; - les comorbidités ; - le profil de toxicité de la molécule. Avant le traitement Il est nécessaire de : - déterminer les objectifs du patient ; - conseiller le patient afin de traiter les problèmes préexistants tels que l’hypertension, les problèmes cutanés et les problèmes de pied ; - interroger le patient sur sa couverture sociale ; - organiser le suivi d'une infirmière à domicile si nécessaire ; - enseigner au patient la posologie et l’administration du sorafénib ainsi que la détection et la gestion des différents effets indésirables. Pendant le traitement Points à surveiller : Apparition d'effets indésirables : - comprendre comment certains effets indésirables peuvent affecter différemment les patients selon qu’ils sont âgés ou jeunes ; - organiser le suivi d’une infirmière à domicile si nécessaire ; - être préparé à agir rapidement et efficacement ; - envisager des modifications de dose si nécessaire. Qualité de vie Interactions potentielles Réponse clinique au sorafénib le cancer du rein avancé, mais les données pharmacocinétiques en lien avec la réponse clinique peuvent faire redouter une perte d’efficacité chez les patients âgés pour lesquels une réduction de dose peut s’avérer nécessaire pour diminuer les effets secondaires ou pour atténuer le risque d’inter­actions médicamenteuses, plus fréquent à cet âge (polymédication). Dans l’étude TARGET, le sorafénib a prouvé son intérêt en deuxième ligne métastatique (10). Une fois de plus, son efficacité dans un groupe restreint de malades âgés sélectionnés s’avère identique à celle obtenue chez les malades plus jeunes. Les 2 études de cohortes, américaine et européenne, ont permis de dégager des considérations de prise en charge des malades âgés traités par des drogues orales ; elles insistent sur l’éducation thérapeutique et la place de l’aidant (6, 17). Le sorafénib est recommandé en deuxième ligne, voire en première ligne en cas de contre-indication d’un autre traitement spécifique (tableau II). Conclusion Les données disponibles restent parcellaires et concernent une fois de plus une population âgée sélectionnée. L’extrapolation à l’ensemble de la population âgée de l’utilisation des antiangiogéniques justifie, compte tenu des effets indésirables décrits, une évaluation multidimensionnelle gériatrique bien conduite qui permettra : –– d’évaluer les problèmes spécifiques des personnes âgées (pathologies cardio-vasculaires, polymédication, etc.) ; –– d’organiser la prise en charge thérapeutique générale (de l’administration des drogues orales à la surveillance au domicile) en tenant compte des effets secondaires connus et redoutés liés à l’âge avancé. ■ Références bibliographiques 1. www.invs.sante.fr/surveillance/cancers/estimations_ cancers/default.htm. 2. Kozloff M, Sugrue M, Berlin J et al. 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