OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Cancers digestifs - Coordonnateur : A. Lièvre Cancers colorectaux métastatiques et thérapies ciblées A. Lièvre* État des lieux La mortalité du cancer colorectal (CCR) est essentiellement due au développement de métastases à distance, observé chez environ 50 % des patients, dont la moitié au moment du diagnostic. Au stade métastatique, le traitement repose en grande partie sur la chimiothérapie, longtemps fondée sur des agents cytotoxiques ayant pour cible l’ADN et dont le bénéfice a largement été démontré. Le développement des thérapies ciblées a récemment ouvert de nouvelles perspectives thérapeutiques. L’ère du 5-fluorouracile La chimiothérapie des CCR métastatiques a longtemps été réduite au 5-fluorouracile (5-FU), qui a été développé dès les années 1960. Malgré des taux de réponse tumorale relativement faibles (10 à 25 % selon le schéma, bolus ou infusionnel modulé par de l’acide folinique [AF]), le bénéfice du 5-FU, comparé à des soins de confort, a été démontré tant en termes de réponse tumorale que de survie globale (SG) [passant de 5-9 mois à 12-14 mois] et que de survie sans progression (SSP), avec un effet sur les symptômes liés à la maladie, sans diminution de la qualité de vie des patients. Arrivée de l’oxaliplatine et de l’irinotécan Une deuxième étape a été franchie dans les années 1990, avec le développement de l’oxaliplatine et de l’irinotécan, qui, combinés au 5-FU et à l’AF (schéma LV5FU2 en France), ont montré leur supériorité par rapport à la seule association 5-FU + AF en première ligne métastatique, au prix toutefois d’une toxicité plus importante. Le développement de ces nouveaux protocoles a permis d’augmenter le taux de réponse tumorale et, donc, le taux de résécabilité secondaire des métastases ainsi que la survie des patients en leur offrant la possibilité de recevoir plusieurs lignes de chimiothérapie. Au début des années 2000, la prise en charge du CCR métastatique pouvait donc se résumer de la façon suivante : ➤ en première ligne, bithérapie associant LV5FU2 et oxaliplatine (schéma FOLFOX) ou irinotécan (schéma FOLFIRI) en raison de leur équivalence ; * L’auteur déclare avoir un conflit d’intérêt avec Merck Serono et Roche (honoraires). 278 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2011 ➤ en deuxième ligne, recours à la bithérapie alternative (FOLFIRI si FOLFOX en première ligne et inversement) ; ➤ emploi des fluoropyrimidines (LV5FU2 ou dérivés oraux tels que la capécitabine ou l’association tégafur-uracile [UFT] + AF) possible en monothérapie (comorbidités importantes, maladie peu symptomatique et non menaçante). Le choix de la chimiothérapie était donc fondé sur l’âge, l’état général et les antécédents du patient, ainsi que sur le profil de toxicité des agents cytotoxiques, leurs contre-indications et les objectifs de résécabilité secondaire. Malgré ces progrès, le taux de réponse objective en deuxième ligne restait inférieur à 15 %, et la preuve de l’efficacité d’une chimiothérapie de troisième ligne n’était pas établie. Faits nouveaux Thérapie ciblées Grâce à une meilleure connaissance du processus d’angiogenèse tumorale et des voies de signalisation impliquées dans la carcinogenèse, deux nouvelles cibles thérapeutiques ont été mises en évidence dans le traitement du CCR métastatique : le récepteur du facteur de croissance épithélial (epidermal growth factor receptor [EGFR]), localisé au niveau de la membrane de la cellule tumorale et qui, une fois activé, est responsable de l’activation de voies de signalisation intracellulaire (voies des MAP kinases et PI3K/Akt essentiellement) impliquées dans les processus de prolifération cellulaire et de résistance à l’apoptose, et le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (vascular endothelial growth factor [VEGF]) qui, une fois fixé sur son récepteur localisé au niveau de la cellule endothéliale de l’environnement péritumoral, induira la formation de néovaisseaux contribuant à la croissance et à l’invasion tumorales et à son potentiel métastatique. Trois nouvelles molécules, inhibant ces cibles, ont ainsi été développées et ont obtenu leur autorisation de mise sur le marché (AMM) en France dans le traitement du CCR métastatique : le cétuximab, le panitumumab et le bévacizumab. Thérapies anti-EGFR : cétuximab et panitumumab Le cétuximab est un anticorps monoclonal IgG1 chimérique humanisé qui vient se fixer sur la partie extracellulaire de l’EGFR, empêchant ainsi que son ligand ne s’y fixe. Des études de phase II ont montré son efficacité chez des patients atteints d’un CCR métastatique exprimant l’EGFR en immunohistochimie (IHC) et résistant à une chimiothérapie à base OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL CONTINU d’irinotécan ou à toutes les chimiothérapies conventionnelles du CCR (taux de réponse tumorale de 10 à 23 % en monothérapie ou combiné à l’irinotécan et médiane de survie située entre 6 et 9 mois) [1, 2]. Chez les patients chimiorésistants, la supériorité du cétuximab sur des soins de confort en termes de réponse tumorale, de SSP et de SG a été démontrée dans une large étude randomisée de phase III (3). À l’heure actuelle, le cétuximab, administré en monothérapie ou associé à une chimiothérapie à base d’irinotécan, est indiqué dans le traitement du CCR métastatique résistant à l’irinotécan, exprimant ou non l’EGFR en IHC compte tenu de l’observation de réponses tumorales objectives pour des tumeurs EGFR-négatives. Une extension de son AMM a été plus récemment obtenue en première ligne en association avec du FOLFOX ou du FOLFIRI après la démonstration d’un bénéfice en termes de réponse et de survie (par rapport à la chimiothérapie seule) chez les patients dont la tumeur ne contient pas de mutation du gène KRAS (4-5), cette altération génétique ayant été démontrée comme un facteur prédictif de résistance au cétuximab (6). Le cétuximab peut être responsable d’une réaction d’hypersensibilité de type immuno-allergique, survenant majoritairement au cours de la première perfusion et rarement sévère (< 5 %). Les autres effets indésirables (EI) sont essentiellement cutanés : éruption cutanée acnéiforme très fréquente (> 85 % des cas) mais rarement sévère, paronychie, fissures au niveau des doigts et des orteils, et sécheresse cutanée généralisée. Le panitumumab est un anticorps monoclonal IgG2 totalement humain, ayant le même mécanisme d’action que le cétuximab. Sa supériorité en monothérapie par rapport à des soins de confort chez des patients chimiorésistants a été démontrée dans une étude de phase III randomisée (7). Il est donc indiqué dans cette situation chez les patients sans mutation du gène KRAS. Thérapie antiangiogénique anti-VEGF : le bévacizumab Le bévacizumab est un anticorps monoclonal IgG1 chimérique humanisé se liant spécifiquement et avec une forte affinité au VEGF circulant, ce qui empêche sa fixation sur son récepteur. En première ligne thérapeutique, l’ajout du bévacizumab à une chimiothérapie à base de 5-FU/AF avec ou sans irinotécan a montré sa supériorité par rapport à la même chimiothérapie administrée seule en termes de réponse tumorale objective, de SSP et de SG (gain de 4 mois environ) [8, 9]. Les résultats de deux études suggèrent également que l’ajout du bévacizumab à une chimiothérapie à base d’oxaliplatine permet une amélioration du taux de réponse et de la SSP en première ligne (10, 11). En deuxième ligne, une étude a montré que l’association FOLFOX + bévacizumab était supérieure au FOLFOX en termes de réponse tumorale, de SG et de SSP chez des patients non prétraités par bévacizumab (12), ce qui a conduit l’Institut national du cancer et le Thésaurus national de cancérologie digestive à le proposer comme une option thérapeutique dans cette situation. Les EI du bévacizumab sont l’hypertension artérielle (HTA), la protéinurie, les événements thromboemboliques artériels, les hémorragies, les troubles de la cicatrisation et les perforations digestives. Son arrêt doit être définitif en cas d’accident thromboembolique artériel, de perforation digestive, d’hémorragie sévère, d’HTA maligne ou de syndrome néphrotique. Il n’a pas été montré d’augmentation des complications chirurgicales avec le bévacizumab si un délai de 6 semaines est respecté entre une perfusion de l’antiangiogénique et la chirurgie. Références bibliographiques 1. Cunningham D, Humblet Y, Siena S et al. Cetuximab monotherapy and cetuximab plus irinotecan in irinotecan-refractory metastatic colorectal cancer. N Engl J Med 2004;351(4):337-45. 2. Lenz HJ, Van Cutsem E, Khambata-Ford S et al. Multicenter phase II and translational study of cetuximab in metastatic colorectal carcinoma refractory to irinotecan, oxaliplatin, and fluoropyrimidines. J Clin Oncol 2006;24(30):4914-21. 3. Jonker DJ, O’Callaghan CJ, Karapetis CS et al. Cetuximab for the treatment of colorectal cancer. N Engl J Med 2007;357:2040-8. 4. Van Cutsem E, Köhne CH, Hitre E et al. Cetuximab and chemotherapy as initial treatment for metastatic colorectal cancer. N Engl J Med 2009;360(14):1408-17. 5. Bokemeyer C, Bondarenlo I, Makhson A et al. Fluorouracil, leucovorin, and oxaliplatin with and without cetuximab in the first-line treatment of metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2009;27(5):663-71. 6. Lievre A, Bachet JB, Boige V et al. KRAS mutations as an independent prognostic factor in patients with advanced colorectal cancer treated with cetuximab. J Clin Oncol 2008;26:374-9. 7. Van Cutsem E, Peeters M, Siena S et al. Open-label phase III trial panitumumab plus best supportive care compared with best supportive care alone in patients with chemotherapy-refractory metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2007;25:1658-64. 8. Hurwitz H, Fehrenbacher L, Novotny W et al. Bevacizumab plus irinotecan, fluorouracil, and leucovorin for metastatic colorectal cancer. N Engl J Med 2004;350:2335-42. 9. Kabbinavar FF, Hambleton J, Mass RD et al. Combined analysis of efficacy: the addition of bevacizumab to fluorouracil/leucovorin improves survival for patients with metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2005;23:3706-12. 10. Hochster HS, Hart LL, Ramanathan RK et al. Safety and efficacy of oxaliplatin and fluoropyrimidine regimens with bevacizumab as first-line treatment of metastatic colorectal cancer: results of the TREE Study. J Clin Oncol 2008;26:3523-9. 11. Saltz LB, Clarke S, Diaz-Rubio E et al. Bevacizumab in combination with oxaliplatinbased chemotherapy as first-line therapy in metastatic colorectal cancer: a randomized phase III study. J Clin Oncol 2008;26:2013-9. 12. Giantonio BJ, Catalano PJ, Meropol NJ et al. Bevacizumab in combination with oxaliplatin, fluorouracil, and leucovorin (FOLFOX 4) for previously treated metastatic colorectal cancer: results from the Eastern Cooperative Oncology Group Study E3200. J Clin Oncol 2007;25:1539-44. Traitement du carcinome hépatocellulaire P. Afchain État des lieux Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est une tumeur de mauvais pronostic. Le traitement curatif reste avant tout chirurgical. La pauvreté des thérapeutiques antitumorales palliatives développées jusqu’à ce jour se heurte de plus en plus à l’augmentation de son incidence (6 000 à 8 000 nouveaux cas par an en France), elle-même liée à l’augmentation de l’incidence La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2011 | 279