D OSSIER thématique Protéomique et génomique Application des nouveaux outils moléculaires en transplantation rénale - E. Thervet & Les puces à ADN - G. Guellaën (page 9) " & Intérêt des microarrays en transplantation - D. Anglicheau (page 18) & Protéomique et transplantation rénale Un exemple d’utilisation clinique - E. Thervet (page 28) & Apport de l’analyse du métabolome dans le biomarquage des toxiques et des pathologies - C. Junot, H. Benech, E. Ezan (page 36) Coordinateur : E. Thervet, service de transplantation rénale et de soins intensifs, hôpital Necker, 75015 Paris Application des nouveaux outils moléculaires en transplantation rénale " E. Thervet * ous avons décidé de traiter dans ce numéro du Courrier de la Transplantation un sujet tout à la fois passionnant et difficile. Il s’agit de l’utilisation des nouveaux outils fournis, en particulier, par la biologie moléculaire pour aider au suivi diagnostique et thérapeutique d’un patient transplanté. Fantasme ou réalité… seul l’avenir pourra le dire. Il nous a toutefois semblé important de traiter ce sujet aujourd’hui, alors que les outils existent déjà, mais que leur application clinique n’en est qu’au stade de la recherche. Ce dossier ne comporte pas le suivi immunologique. En effet, en raison de l’importance majeure de ce N * Service de transplantation rénale et de soins intensifs, hôpital Necker, 75015 Paris. 6 domaine, ce sujet fera l’objet d’un dossier thématique spécifique à paraître ultérieurement dans le Courrier de la Transplantation. Ce dossier a donc pour vocation d’aider les acteurs de la transplantation à mieux comprendre, apprécier et si besoin critiquer les publications actuelles. Nous avons souhaité traiter dans un premier temps l’aspect technique d’une des principales avancées, c’est-à-dire les puces à ADN ou microarrays (G. Guellaën, page 9 et suivantes). Compte tenu de l’importance de cette technique, un autre chapitre portera sur les applications actuelles de ces puces (D. Anglicheau, page 18 et suivantes). Nous analyserons les données récentes portant sur l’utilisation du profil protéomique urinaire pour le suivi régulier après transplantation (E. Thervet, page 28 et suivantes). Nous évoquerons enfin un tout nouveau domaine de recherche : le métabolome (C. Junot, H. Benech, E. Ezan, page 36 et suivantes). Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 1 - janvier-février-mars 2005 D OSSIER thématique PLACE DES DIFFÉRENTES TECHNIQUES En effet, la détermination du génome humain a modifié l’approche de nombreux domaines de la médecine grâce au développement d’outils diagnostiques et/ou thérapeutiques innovants. Nous avons décidé d’articuler ce dossier autour des techniques, en prenant dans tous les cas des exemples de leur utilisation clinique dans le domaine de la transplantation. Les techniques qui seront l’une après l’autre étudiées par les auteurs de ce dossier sont donc le génotypage à haut débit, le transcriptome, le protéome et le métabolome. La recherche d’altération du génome ou de détection des polymorphismes repose sur les puces ou microarrays. Ces deux domaines sont complémentaires puisque, à côté des mutations de grands segments d’ADN qui ont fait l’objet des premières études, la médecine moléculaire s’intéresse de plus en plus à des polymorphismes ponctuels de séquence nucléotidique (Single Nucleotide Polymorphism [SNP]), ou à l’association de ces polymorphismes sous forme d’haplotype. Ces polymorphismes peuvent avoir des conséquences fonctionnelles pour l’expression ou l’activité d’une protéine, et être ainsi associés à une variation d’expression phénotypique. L’utilisation des puces peut permettre, à partir d’un simple prélèvement sanguin, d’effectuer le génotypage pour de nombreux gènes, et, pour chacun des gènes, à de nombreux haplotypes, en utilisant pour les dépôts des oligonucléotides porteurs ou non du polymorphisme recherché. La deuxième grande application de ces puces est le transcriptome. Le transcriptome est l’analyse instantanée du niveau d’expression de tous les ARNm des gènes choisis. Cette analyse permet de préciser pour chaque situation pathologique (rejet, infection…) l’expression de certains gènes, leur association et leur niveau d’expression. Cette expression peut être spécifique d’organe ; par exemple, il est possible de s’intéresser au niveau d’expression des ARNm dans l’organe greffé ou dans les lymphocytes périphériques. Les retombées peuvent être doubles. Il peut s’agir d’un côté d’une aide au diagnostic, si le profil d’expression pour une situation donnée a été bien défini avec l’utilisation de puces dédiées qui comportent un plus petit nombre de gènes sélectionnés. Il peut s’agir aussi de mettre en lumière le rôle d’une protéine ou d’une famille de protéines dont l’importance avait été jusquelà inconnue ou négligée. La dernière avancée de ces techniques est la protéomique. Cette technique permet l’analyse de la diversité des protéines en réponse à certaines situations cliniques. Contrairement au génotypage ou au transcriptome, les techniques utilisées reposent sur l’électrophorèse bidimensionnelle et la spectrométrie de masse. Les protéines sont le degré final du polymorphisme, puisqu’elles prennent en compte tous les phénomènes posttranscriptionnels. De plus, ce sont les véritables cibles ou les responsables des mécanismes effecteurs des phénomènes biologiques. L’étude de leur polymorphisme se rapproche donc plus de la réponse fonctionnelle de l’organe ou de la population cellulaire considérée. PLACE POUR LE SUIVI D’UN PATIENT TRANSPLANTÉ Il convient également de replacer ces techniques dans une évaluation “chronologique” d’un patient transplanté. On peut résumer les principales étapes de la transplantation : $ tout d’abord une période d’attente avant la greffe ; $ une période immédiate précédant la greffe lorsque le donneur a été identifié ; $ une période initiale suivant la greffe lorsque le diagnostic de phénomènes aigus tels qu’un rejet est particulièrement important à poser ; $ une période à plus long terme. 7 Durant cette dernière période, il est important de caractériser finement l’état immunitaire et les capacités de réponse d’un individu vis-à-vis de son greffon et de sa capacité à se défendre contre d’autres agressions, comme des infections ou des cancers. Les différentes techniques énumérées ci-dessus peuvent trouver leur place dans ce suivi (figure 1A, B, C et D). Durant la période d’attente (dialyse ou insuffisance rénale chronique), le patient bénéficie d’une évaluation prétransplantation visant à préciser son état immunologique, infectieux, cardiovasculaire et chirurgical. Même si nous ne traitons pas cet aspect dans ce dossier, il faut noter que l’amélioration de la caractérisation des groupes HLA et des anticorps anti-HLA pour définir des groupes à risque immunologique permet une meilleure approche de la compatibilité du couple donneur/receveur grâce à la détermination d’antigènes permis ou interdits. La caractérisation génomique du profil d’un patient pour des médiateurs de la réponse immunitaire (immunogénétique) ou pour des enzymes du métabolisme et des transporteurs des xénobiotiques (pharmacogénomique) pourra aider au choix des molécules ainsi qu’à leur dose pour individualiser les traitements immunosuppresseurs. Lors d’un appel de greffe, un greffon est proposé à un receveur donné. C’est donc un organe provenant d’un individu différent avec son capital génétique propre qui va être utilisé. Les caractéristiques génétiques de ce greffon peuvent se révéler importantes à prendre en compte pour la détermination de la probabilité d’une reprise immédiate ou retardée de la fonction du greffon, du risque immunologique de rejet, d’une toxicité spécifique d’organe ou de la fonction et de la survie du greffon à long terme. En ce qui concerne les médicaments, cela est particulièrement Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 1 - janvier-février-mars 2005 D OSSIER thématique Greffe Génotypage donneur Prétransplantation Génotypage receveur A Suivi régulier Urines ± sang Protéome B important dans le domaine de la transplantation hépatique, puisque le capital génétique hépatique responsable de la majeure partie de leur métabolisme sera celui du donneur, et non du receveur. Après transplantation, le diagnostic des épisodes de rejet aigu peut parfois être délicat, en particulier pour différencier ceux-ci d’un effet toxique des traitements utilisés comme les inhibiteurs de la calcineurine. La mesure de la fonction du greffon, par exemple par la mesure de la créatinine sérique après transplantation rénale, est simple. Malheureusement, la sensibilité et la spécificité de cette mesure peuvent être médiocres, puisque d’autres causes qu’un rejet aigu peuvent être responsables d’une augmentation de la créatinine, et qu’il peut exister des lésions histologiques de rejet infraclinique sans traduction biologique. Dans ce cadre, l’analyse non invasive du profil protéomique des urines d’un patient pourrait permettre un diagnostic plus précoce de suspicion de rejet, ainsi que le suivi et la guérison d’un tel épisode. En cas de suspicion Évaluation ponctuelle PBR Transcriptome Caractérisation état immunitaire et suivi Immunomonitoring Transcriptome C Figure 1. Place des techniques modernes pour le suivi d’un patient en transplantation. A. Génotypage prétransplantation du donneur et du receveur. B. Suivi régulier par profil protéomique urinaire. C. Étude du transcriptome d’une biopsie rénale en cas de dysfonction aiguë du greffon. D. Caractérisation de l’état immunitaire par TcLandscape® et transcriptome des lymphocytes. D forte de rejet aigu, une biopsie du greffon s’impose pour poser le diagnostic positif et déterminer la gravité de cet épisode. L’analyse du transcriptome de la biopsie rénale pourrait se révéler une aide importante pour ces deux aspects, mais aussi pour améliorer notre compréhension de la physiopathologie de ces rejets. Enfin, dans le plus long terme, la balance risque/bénéfice du traitement immunosuppresseur est au premier plan. Il existe d’un côté le risque de dysfonction chronique du greffon d’origine immunologique et non immunologique et, de l’autre, les risques de complications infectieuses, tumorales, métaboliques ou cardiovasculaires à long terme des traitements. La détermination de la dose nécessaire et suffisante des traitements immunosuppresseurs est importante. Les techniques fines d’analyse de la réponse immunitaire antigène spécifique ou non pourraient permettre une modulation individualisée du traitement et de détecter la catégorie de patients tolérants ou “presque tolérants” pour lesquels une 8 diminution des posologies des traitements immunosuppresseurs pourrait être proposée, afin de limiter les effets indésirables de ces traitements. CONCLUSION Les outils sont donc là. Il convient à présent de réaliser des études à large échelle pour valider les hypothèses retenues sur de petites séries. Une première étape est la caractérisation précise de toutes les cohortes de patients. Dans un deuxième temps, des études prospectives sur des populations indépendantes devront démontrer l’utilité clinique et le caractère économiquement acceptable de ces approches avant qu’elles ne soient utilisées en clinique. Il est probable que les résultats préliminaires rapportés ici ne seront pas tous reproduits. Il est cependant crucial de bien comprendre, analyser et tester toutes ces techniques et hypothèses pour améliorer encore la prise en charge des patients transplantés. % Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 1 - janvier-février-mars 2005