Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o2 - avril-mai-juin 2003
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Vocabulaire
Partages
n s’accorde à dire que partager, qui
vient de partage, mais lui confère un
pouvoir actif, est l’un des plus beaux
vocables de la langue française. Et il est vrai
que les verbes anglais to share et to divide,
l’un un peu bref et amolli, l’autre aussi arith-
métique que notre diviser, n’ont ni la même
musique, ni la même ouverture. Le latin par-
tire,ainsi que l’ancien français partirau sens
de “séparer en parts” – il survit dans une
expression connue, mais fort obscure, avoir
maille à partir – ont donné naissance à par-
tage, alors que rempliret blanchir ont engen-
dré remplissage et blanchissage. Avouons
qu’un partissage,de même qu’une partition,
qui suivit un autre chemin, n’auraient pas la
force tranquille et généreuse du partage. Car
c’est dans la musique et le rythme que les
mots acquièrent ou perdent leurs vertus. À
preuve le remplacement de ce verbe partir,
soit par répartir, soit sous la forme partager,
grâce au partage.
En outre, alors que la division et la répartition se bornent à une opération qui tranche
dans le vif – dira-t-on de manière chirurgicale ? – le partage oriente l’esprit vers
l’idée d’une distribution, d’un don, d’un transfert volontaire et généreux. Le
partage rapproche, loin de couper et séparer, comme le fait la division. Ce qui est
sans partage est égoïstement détenu, et parfois totalitaire. Seul l’amour mérite
d’être sans partage.
De notre organisme et de nos organes, que nous avons en propre et donc sans par-
tage, on peut dire aussi, considérant la solidarité de l’espèce – qui est pour nous,
bêtes pensantes et parlantes, l’“humanité” –, que nous les avons en partage, avec
tous les caractères communs aux humains. L’appartenance humaine est en effet le
premier des partages, et lorsqu’un accident survient, qui rend inopérant tel organe,
l’art peut aujourd’hui se substituer à la nature pour de nouveaux et particuliers par-
tages.
Partage a deux visages : séparation et division des parts, transfert, distribution,
mise en commun. C’est, en un brutal résumé, la philosophie de la transplantation
qui sauve. Et ce partage du vital entre les hommes, grand paradoxe, peut aller du
mort au malade, pour en faire un vivant en santé. Le partage relève du miracle.
Alain Rey,
directeur de rédaction du Robert,Paris
O
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