V ocabulaire Partages n s’accorde à dire que partager, qui vient de partage, mais lui confère un O pouvoir actif, est l’un des plus beaux vocables de la langue française. Et il est vrai que les verbes anglais to share et to divide, l’un un peu bref et amolli, l’autre aussi arithmétique que notre diviser, n’ont ni la même musique, ni la même ouverture. Le latin partire, ainsi que l’ancien français partir au sens de “séparer en parts” – il survit dans une expression connue, mais fort obscure, avoir maille à partir – ont donné naissance à partage, alors que remplir et blanchir ont engendré remplissage et blanchissage. Avouons qu’un partissage, de même qu’une partition, qui suivit un autre chemin, n’auraient pas la force tranquille et généreuse du partage. Car c’est dans la musique et le rythme que les mots acquièrent ou perdent leurs vertus. À preuve le remplacement de ce verbe partir, soit par répartir, soit sous la forme partager, grâce au partage. En outre, alors que la division et la répartition se bornent à une opération qui tranche dans le vif – dira-t-on de manière chirurgicale ? – le partage oriente l’esprit vers l’idée d’une distribution, d’un don, d’un transfert volontaire et généreux. Le partage rapproche, loin de couper et séparer, comme le fait la division. Ce qui est sans partage est égoïstement détenu, et parfois totalitaire. Seul l’amour mérite d’être sans partage. De notre organisme et de nos organes, que nous avons en propre et donc sans partage, on peut dire aussi, considérant la solidarité de l’espèce – qui est pour nous, bêtes pensantes et parlantes, l’“humanité” –, que nous les avons en partage, avec tous les caractères communs aux humains. L’appartenance humaine est en effet le premier des partages, et lorsqu’un accident survient, qui rend inopérant tel organe, l’art peut aujourd’hui se substituer à la nature pour de nouveaux et particuliers partages. Partage a deux visages : séparation et division des parts, transfert, distribution, mise en commun. C’est, en un brutal résumé, la philosophie de la transplantation qui sauve. Et ce partage du vital entre les hommes, grand paradoxe, peut aller du mort au malade, pour en faire un vivant en santé. Le partage relève du miracle. Alain Rey, directeur de rédaction du Robert, Paris À tous nos lecteurs, à tous nos abonnés ! Le Courrier de la Transplantation vous souhaite un bel été et vous remercie de la fidélité de votre engagement. Bonnes lectures ensoleillées et rendez-vous dès la rentrée Le prochain numéro paraîtra en septembre 2003 57 Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o 2 - avril-mai-juin 2003