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La compréhension des pathologies
psychiatriques passe souvent par
l’étude de leur évolution. L’histoire
des schizophrénies est marquée par la
superposition au fil du temps de para-
digmes successifs dont aucun ne
parvient à remplacer totalement les
précédents, qu’il ne fait que recouvrir
en partie. Le concept de schizophrénie
se réfère à un ensemble de syndromes
dont l’étiologie reste inconnue. Depuis
sa conceptualisation, de nombreux
signes et symptômes différents ont été
proposés pour en décrire le tableau
clinique et pour essayer de l’indivi-
dualiser par rapport à d’autres
troubles. Si, dans l’ensemble, les
descriptions symptomatologiques
n’ont pas beaucoup changé au cours
du temps, on ne peut manquer de
remarquer les variations sensibles
dans l’importance accordée pour le
diagnostic à certains signes et symp-
tômes, selon les écoles. On comprend
alors aisément que l’épidémiologie de
la schizophrénie ait été longtemps
gênée par l’imprécision de la défini-
tion du cas. Ce n’est qu’avec l’appari-
tion des entretiens structurés à visée
diagnostique que les taux de préva-
lence retrouvés dans les études en
population générale se sont homogé-
néisés. La prévalence sur la vie entière
se situe entre 0,3 et 1,5 %, avec une
valeur médiane de 1 %. La pathologie
schizophrénique se déclare générale-
ment avant 30 ans (un peu plus tôt
chez l’homme que chez la femme).
Son pronostic est sensiblement
meilleur chez les femmes, dont on
peut constater qu’elles sont souvent
moins handicapées sur les plans socio-
familial (moindre fréquence du
célibat) et socioprofessionnel (moins
bas niveau socio-éducatif et moindre
baisse de qualification profession-
nelle). On remarque cependant que la
schizophrénie réduit de manière
notable l’espérance de vie des sujets
qui en souffrent, en raison d’une
surmortalité suicidaire et non suici-
daire.
Biologie
Il existe, dans le système nerveux
central, deux modes de traitement de
l’information : un mode analogique,
rapide, qui traite et enregistre l’infor-
mation sans que l’on en ait conscience,
et un mode cognitif, lent, qui analyse
consciemment l’information avant de
la stocker. Chez le nouveau-né, seul le
mode analogique est fonctionnel, le
mode cognitif se développant au fur et
à mesure de la maturation. Chez
l’adulte à l’état d’éveil, les deux
modes sont en oscillation permanente.
Ce sont les neurones mono-aminer-
giques modulateurs qui contrôlent ces
oscillations en modifiant l’équilibre
fonctionnel cortico-sous-cortical. La
mise en œuvre du cortex préfrontal,
qui permet la transition du traitement
analogique au traitement cognitif, est
sous le contrôle de la stimulation des
récepteurs D1 et D2 dopaminergiques,
α1b-adrénergiques et 5–HT2A séroto-
ninergiques. L’activation des neurones
noradrénergiques interrompt le fonc-
tionnement de la mémoire de travail et
bloque ou retarde le traitement
cognitif. Cela laisse à penser que le
schizophrène souffrirait d’un excès de
traitement analogique de l’informa-
tion, en lien avec une hyperréactivité
noradrénergique. La schizophrénie
serait la conséquence de l’accumula-
tion, au cours de la maturation, d’as-
sociations analogiques interrompues
avant d’être traitées sur le plan
cognitif. L’excès de mémoire analo-
gique diminuerait la probabilité d’ini-
tier un traitement cognitif.
Les modèles de vulnérabilité pour la
schizophrénie postulent l’existence de
marqueurs qui permettraient d’attester
l’existence d’un risque de développer
un épisode schizophrénique. De tels
marqueurs devraient permettre de
distinguer les sujets à bas risque de
schizophrénie des sujets à haut risque
génétique (individus apparentés à un
patient schizophrène) et/ou psycho-
métrique (individus présentant des
troubles de la personnalité du spectre
de la schizophrénie). Le plus ancien
des modèles de vulnérabilité à la schi-
zophrénie est celui de Meehl (1962). Il
repose sur une étiologie génétique
autosomique dominante expliquant un
dysfonctionnement des synapses céré-
brales, un déficit neuronal intégré
(schizotaxie) et l’acquisition d’une
personnalité schizotypique caracté-
risée par les troubles des associations,
les affects négatifs, l’ambivalence et
La schizophrénie dans
tous ses états
Reims, 14-16 mars 2002
J.M. Havet*
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 5, mai 2002
* Service de psychiatrie des adultes,
CHU hôpital Robert-Debré, Reims.
e congrès, 90 ans après la
création du concept de schizo-
phrénie par E. Bleuler, a été
l’occasion de débattre et d’interroger
les grands courants théoriques
actuels de la pensée psychiatrique. Il
s’agissait de dépasser l’opposition
stérile entre les deux conceptions
contradictoires qui font de la schizo-
phrénie soit une maladie de cerveau,
soit une maladie de l’esprit, sans
pour autant tomber dans ce patch-
work conceptuel qu’est le modèle
bio-psycho-social.
C
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l’anhédonie. Le modèle de Meehl est
compatible avec les modèles neurodé-
veloppementaux proposés dans la
schizophrénie, en particulier celui de
Mc Glashan et Hoffman, fondé sur la
réduction de la connectivité synap-
tique. L’un des signes de la schizotaxie
est l’anhédonie primaire. Des études
ouvertes ont montré que l’on peut
améliorer les performances cognitives
et la symptomatologie négative des
sujets schizotaxiques par la prescrip-
tion d’antipsychotiques. Néanmoins,
entre la mise en évidence des
marqueurs de vulnérabilité et l’émer-
gence des épisodes productifs, un pont
reste à franchir qui puisse rendre
compte de façon convaincante du
passage des premiers aux seconds.
L’école de Bonn explique cette transi-
tion au travers de la mise en jeu des
réactions affectives et des stratégies de
coping. Une meilleure connaissance
des marqueurs de vulnérabilité pour-
rait permettre une identification
précoce des sujets à haut risque de
schizophrénie, préalable indispensable
à toute réflexion – y compris sur le
plan éthique – sur une éventuelle
prévention des troubles. Il faut, en
effet, garder à l’esprit que les
marqueurs de vulnérabilité identifient
des sujets susceptibles de développer
la maladie mais certainement pas des
malades potentiels.
Psychanalyse
Quand, en 1911, Bleuler construit le
groupe des schizophrénies en appli-
quant les idées de Freud à la démence
précoce, il propose de traiter une
affection jusque-là vouée à l’incurabi-
lité et au déclin par la recherche du
sens des symptômes, y compris le
délire. Freud était réservé quant au
transfert des psychotiques. Il est
possible aujourd'hui de contrevenir à
son opinion. Tenir compte des formes
de transfert psychotique permet
parfois le déroulement d’un travail
analytique mais dans lequel les opéra-
teurs théoriques de la névrose s’avè-
rent insuffisants. Il est possible
d’introduire l’idée de transferts éroto-
maniaques, persécutifs, “divinisés”.
On peut, au sujet de la difficile ques-
tion quotidienne du lien psychothéra-
pique avec le sujet déficitaire, faire
l’hypothèse d’une automutilation
symbolique ne consistant pas en un
acte d’automutilation ayant une portée
symbolique, mais en une automutila-
tion dans le registre du symbolique
même. Débordé par les crues dévasta-
trices du sens, le psychotique a-t-il
d’autres solutions que de tenter l’im-
possible séparation d’une altérité qui
l’envahit ? Ce que nous percevons
comme enlisement dans des modes de
pensée pauvres et chaotiques peut se
lire comme le résultat aussi coûteux
que vain du sacrifice de cette altérité.
Le concept de reconnaissance, chez
l’autre, de la conscience de soi, intro-
duit par Hegel, peut constituer un “fil
rouge” pour l’étude clinique et théo-
rique de la schizophrénie. Lacan reprit
ce concept pour lui donner sa place
dans le dispositif de la cure avec
reconnaissance de l’inconscient et
pour en rappeler l’incidence dans la
trame structurale.
Abords familiaux et
systémiques
Nul n’ignore plus actuellement l’im-
portance de l’entourage, en particulier
familial, dans le déclenchement,
l’évolution et la prise en charge des
pathologies mentales. Les temps ne
sont plus où une antipsychiatrie mal
comprise avait conduit à la mise en
accusation des familles et à la descrip-
tion en termes négatifs des pères et
mères de schizophrènes. Dans leur
article de 1956, “Vers une théorie de la
schizophrénie”, Bateson et al. ont
montré l’importance cruciale des
interférences familiales dans le
processus morbide à chaque étape de
son évolution. Le thème central de la
découverte batesonnienne est le
modèle pathogène dit du double lien
(double bind), ensemble de manipula-
tions affectives et conceptuelles
constatées dans les relations entre ces
patients et leur environnement. En
1961, Bateson publie le récit autobio-
graphique d’un schizophrène anglais
du XIXesiècle (John Perceval) où cet
aspect écosystémique est clairement
illustré.
Au cours des années 1970, Mara
Selvini Palazzoli traitera des patients
psychotiques et leurs familles selon la
méthode paradoxale. Trente années
plus tard, le follow-up de ces patients
montre la grande efficacité de la
méthode paradoxale avec les jeunes
filles anorexiques, tandis que dans le
domaine de la psychose, les résultats
sont très décevants. Aussi l’école de
Milan a-t-elle actuellement abandonné
le principe de compétence et adopté
une idée psychologique de la schizo-
phrénie postulant l’existence d’un
important et spécifique handicap de la
personnalité.
Les thérapies familiales n’ont cessé
d’évoluer et de se transformer à la
mesure de la complexité des facteurs
locaux et des contextes globaux qui
agissent de concert dans les situations
cliniques. Les thérapeutes familiaux
ont à gérer les résistances qui surgis-
sent non seulement au sein de la
famille, mais aussi sur le plan institu-
tionnel et sociétal. Dans cette perspec-
tive, ils participent à un mouvement
dynamique de cothérapie généralisée.
Ils apprécient in situ l’effet des
psychotropes sur les relations fami-
liales et sur la nature des symptômes.
En ouvrant le monde clos des alterna-
tives exclusives sur des perspectives
variées, il devient ainsi possible d’en-
trevoir des horizons nouveaux : les
thérapeutes familiaux cherchent à
augmenter les degrés de liberté du
système par la création d’un champ de
réflexion partageable entre les
membres de la famille, les divers
intervenants et eux-mêmes.
Cognition
Les sciences cognitives sont venues
s’interposer entre cerveau et pensée et
proposer des modèles explicatifs inté-
grant les données complexes issues de
la neurobiologie et de la clinique. Les
troubles cognitifs qui affectent en
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particulier les fonctions exécutives
constituent une caractéristique fonda-
mentale de la schizophrénie. Les indi-
vidus souffrant de schizophrénie ont
des performances moindres aux tests
d’évaluation des fonctions cognitives
que des sujets témoins du même âge.
Il est possible de surmonter ces défi-
cits cognitifs grâce à la mise en place
de supports environnementaux (sonne-
ries, écriteaux, calendriers, boîtes à
pilules, check-lists) provoquant et
mettant en séquence des comporte-
ments adaptatifs. Les patients bénéfi-
ciant de cette forme de prise en charge
ont des niveaux de symptomatologie
inférieurs, de meilleurs fonctionne-
ments adaptatifs et des taux de rechute
moindres (réhospitalisation et aggra-
vation de la maladie) que les patients
n’en bénéficiant pas.
L’anhédonie est l’un des facteurs de
vulnérabilité à la schizophrénie. Cette
baisse de la capacité à éprouver du
plaisir est associée à des stratégies
particulières de traitement de l’infor-
mation. Elle peut être interprétée
comme une réponse adaptative lors de
situations de surcharge cognitive dont
l’interaction sociale représente le
prototype.
Le modèle cognitif postule la diffi-
culté des schizophrènes à attribuer des
intentions en raison d’une mauvaise
exploitation des processus de contex-
tualisation.
La schizophrénie est une pathologie
des états subjectifs de conscience. La
remémoration consciente, ou conscience
autonoétique, caractérise la mémoire
épisodique et se définit par la capacité
à voyager mentalement dans le temps.
Cet état diffère du sentiment de fami-
liarité, ou conscience noétique, qui
permet de savoir qu’un événement a
eu lieu mais sans que cela s’accom-
pagne de la capacité à revivre mentale-
ment cet événement. La schizophrénie
perturbe quantitativement et qualitati-
vement de façon sélective la conscience
autonoétique et laisse intacte la
conscience noétique.
La mémoire autobiographique rassemble
les expériences vécues par chacun de
nous depuis notre enfance et constitue
la base de notre identité personnelle.
La schizophrénie se caractérisant par
une perturbation de l’identité, il n’est
pas étonnant de constater que les
patients schizophrènes génèrent des
souvenirs plus pauvres et moins spéci-
fiques que les sujets témoins. Les
schizophrènes présentent également
une destructuration du pic de réminis-
cence, pic qui correspond à une facili-
tation du rappel des souvenirs de
l’adolescence et de l’âge adulte jeune,
période durant laquelle se construit
l’identité personnelle.
Cognitivo-
comportementalisme
Une vie sociale et professionnelle
satisfaisante, des relations inter-
personnelles agréables, une santé
physique et psychique stable requiè-
rent des conduites spécifiques adap-
tées aux contextes sociaux et
relationnels dans lesquels vit la
personne. L’entraînement aux compé-
tences sociales consiste à réapprendre
au patient schizophrène toutes les
conduites appropriées de la vie courante.
Des modules psycho-éducatifs d’in-
formation du patient et de sa famille,
l’apprentissage de la technique de
résolution de problème constituent les
modalités pratiques de ce type d’en-
traînement. La thérapie familiale
comportementale aide à l’acquisition
des compétences nécessaires pour
gérer de la façon la plus constructive
possible les charges et problèmes
occasionnés par la présence du
patient. On utilise également des inter-
ventions focalisées sur les déficits
cognitifs du patient.
Malgré le traitement neuroleptique,
30 % des personnes atteintes de schi-
zophrénie présentent des symptômes
persistants. Les thérapies cognitives
des symptômes positifs comprennent
la normalisation de l’expérience
psychotique, la compréhension de la
conception que le patient a de son
trouble, la présentation de modèles
d’intégration de l’expérience, la
remise en question verbale des
croyances et des tests dans la réalité.
Conclusion
Ce congrès, riche et dense par la diver-
sité des points de vue et des interven-
tions, est loin d’avoir épuisé le sujet de
la schizophrénie, et les organisateurs
vous donnent rendez-vous en mars
2004.
Imprimé en France - Differdange S.A. 95110 Sannois
Dépôt légal à parution - © Décembre 1984 - Médica-Press International S.A.
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