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É U N I O N S
Suivi de l’infection à VIH :
quid des tests immunologiques et virologiques ? [1]
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ans le suivi de l’infection à VIH, deux grands types
de tests existent : les tests immunologiques et virologiques. L’utilisation de ces outils dans le suivi et
la prise en charge de l’infection à VIH suscite de nouvelles
questions et s’avère d’autant plus importante qu’aujourd’hui,
5 % à 10 % des patients sont en échec thérapeutique. Ce colloque organisé par V. Calvez (hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris),
S. Matheron (hôpital Bichat, Paris), L. Weiss (hôpital Broussais, Paris) et les Laboratoires Bristol-Myers Squibb a rassemblé à Paris près de 800 médecins autour de ce thème.
MARQUEURS VIROLOGIQUES
J. Izopet (Toulouse) a rappelé les trois objectifs principaux
de la mesure de l’ARN VIH plasmatique : préciser le stade de
l’infection, évaluer l’efficacité du traitement et le risque d’émergence de variants résistants. Il existe aujourd’hui une nouvelle
génération de tests, moins influencés par la diversité génétique
du VIH, qui permettent d’abaisser le seuil de détection à
50 copies/ml. L’intérêt d’une réponse virologique maximale
sous traitement, non pas pour éradiquer le VIH, mais pour prévenir l’émergence de virus résistants, justifie la disponibilité
de ces tests plus sensibles. Le suivi individuel des patients avec
le même réactif reste toujours justifié. Des formats qualitatifs,
sensibles, spécifiques et bientôt disponibles en transfusion pourraient également être utiles en virologie médicale.
I. Pellegrin (CHU de Bordeaux) et C. Tamalet (Marseille)
ont fait le point sur l’existence de “réservoirs” cellulaires de
VIH qui suscitent un regain d’intérêt en raison des traitements
antirétroviraux actuels, apparemment capables de supprimer la
réplication virale plasmatique, et qui ont conduit à la théorie
d’une possible éradication du VIH. Ces cellules infectées de
façon latente se définissent par la présence d’ADN viral intégré dans le chromosome de cellules quiescentes et par l’absence de production de particules infectieuses. Constitués en
majorité de cellules CD4+ (de phénotype mémoire, mais peutêtre aussi naïf) et de macrophages, les principaux réservoirs
sont localisés dans le sang périphérique, le tissu lymphoïde et
la sphère génitale. Chez les patients ayant un ARN VIH plasmatique indétectable pendant plusieurs années sous HAART,
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Paris, le 20 janvier 2000.
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il existe des arguments en faveur d’une réplication virale résiduelle, continue ou intermittente, qui réalimenterait les réservoirs de CD4+ chroniquement infectés plutôt que véritablement latents : détection d’ARNm non épissés, d’ADN VIH
extrachromosomique, évolution génétique de ENV, rebond de
la réplication plasmatique après interruption de HAART, détection de l’ARN plasmatique avec les tests les plus sensibles
(seuil < 5 copies/ml) chez 100 % des patients, isolement de
virus infectieux à partir des cellules quiescentes par des cultures “sensibilisées”. Ce réservoir est établi très précocement
lors de la primo-infection VIH-1 (PIV), et l’initiation d’une
HAART précoce ne permet apparemment pas de bloquer l’établissement de ce réservoir infecté latent. On peut néanmoins
espérer que le pool de virus résiduels diminue au-dessous d’un
seuil où le système immunitaire seul pourra le contrôler. La
quantification de l’ADN dans les PBMC (peripheral blood
mononuclear cells) pourrait représenter, dans le futur, un nouveau standard pour juger de l’efficacité d’un traitement chez
les patients dont la charge virale plasmatique est indétectable.
Son utilité clinique reste à démontrer.
D. Descamps et F. Clavel (hôpital Bichat, Paris) ont présenté
l’interprétation et les limites des tests génotypiques et phénotypiques. P.M. Girard (hôpital Rothschild, Paris) a précisé
leur utilisation clinique. L’interprétation des tests génotypiques
reste difficile, et demande une grande expertise. La signification des mutations, principalement décrites in vitro ou au cours
de monothérapies, peut être différente en cas de thérapies combinées. Seuls les tests phénotypiques permettent de déterminer
in vitro si un virus est sensible ou résistant aux antirétroviraux
(CI50, CI90). Actuellement, ils ne sont pas utilisés en routine.
Compte tenu de leur technologie sophistiquée et coûteuse, leur
utilisation en clinique est conditionnée par la démonstration de
leur intérêt clinique. Les algorithmes d’interprétation permettant de déduire, à partir d’un profil génotypique, les antirétroviraux potentiellement actifs reposent sur des corrélations entre
génotype et phénotype in vitro. Ils sont complétés par les études
in vivo, réalisées à partir de souches virales présentant des mutations sélectionnées chez les patients en échappement thérapeutique. Enfin, les études démontrant que certaines mutations
ou certains profils phénotypiques présents avant traitement
diminuent l’efficacité de celui-ci permettent d’établir des corrélations entre les profils génotypiques et/ou phénotypiques et
la réponse virologique au traitement. Ces algorithmes se
construisent donc progressivement, et doivent continuellement
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 3 - mars 2000
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être mis à jour. Actuellement, il n’existe pas de consensus international sur leur interprétation.
Les tests sont utilisés de plus en plus fréquemment dans les
situations d’échec, et semblent mieux prédire l’échec que le
succès thérapeutique. Le bénéfice de leur utilisation (études
VIRADAPT, GART, VIRA 3001) demeure limité sur le plan
quantitatif (delta chute de la charge virale obtenue sous traitement guidé par un des tests versus adapté selon les critères
usuels = 0,5 log), et sur le plan de la durabilité (évaluation faite
après trois et six mois de traitement).
Est-il toujours justifié d’utiliser les tests les plus sophistiqués ?
Actuellement, la question ne peut se limiter au seul problème
de l’accessibilité.
RÉPONSES IMMUNOVIROLOGIQUES DISSOCIÉES
Données épidémiologiques
Les situations de réponses immunovirologiques dissociées
après six mois de trithérapie sont fréquentes en pratique clinique. À partir de la base de données française issue du DMI2,
S. Grabar (hôpital Saint-Antoine, INSERM-SC4, Paris) a
présenté les résultats concernant la progression clinique de
2 236 patients VIH+, traités par trithérapie incluant un inhibiteur de protéase (IP) selon leur réponse immunovirologique à
six mois de traitement [réponse immunologique (RI) =
+ 50 CD4 cellules/µl, réponse virologique (RV) = baisse de
l’ARN VIH plasmatique > 1 log10 ou une mesure inférieure à
1 000 copies/ml]. Après six mois de traitement, 47,5 % des
patients étaient répondeurs immunovirologiques complets
(RI+RV+), 16,3 % non répondeurs immunovirologiques (RIRV-) et 36,2% présentaient une réponse immunovirologique
dissociée, dont 18,9 % RI+RV- et 17,3 % RI-RV+. Au cours
d’un suivi de 24 mois, le risque de progression clinique
est 2,5 fois plus élevé chez les patients RI-RV- et 1,5 fois plus
élevé chez les RI-RV+ comparés aux sujets RI+RV+. Aucune
différence n’est trouvée parmi les répondeurs immunologiques,
quelle que soit leur réponse virologique. Dans cette étude, la
réponse immunologique à six mois est pronostic d’une
meilleure évolution clinique et ce, quelle que soit la réponse
virologique. Ces résultats soulignent l’importance de tenir
compte à la fois des marqueurs immunologiques et des marqueurs virologiques dans l’évaluation et la gestion de l’échec
thérapeutique.
Données immunologiques
L. Weiss (hôpital Broussais, Paris) a étudié le degré de restauration fonctionnelle des CD4+ chez 11 patients recevant
une trithérapie avec IP depuis au moins un an et présentant,
depuis au moins six mois, une réponse immunologique (delta
CD4+ : + 70 cellules/mm3) et un échec virologique (delta ARN
VIH < 1 log et ARN VIH > 5 000 copies/ml). Chez ces patients,
la persistance de la réplication virale est associée à une forte
activation des lymphocytes T dont témoigne la proportion
importante de CD8+ mémoires activés. Il existe un déficit persistant de la production d’IL2. Toutefois, l’observation de
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 3 - mars 2000
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réponses prolifératives aux antigènes du CMV (9 patients sur
11) démontre un certain degré de restauration immunitaire
confirmé par l’absence d’infection opportuniste chez ceux qui
présentent des réponses CD4+ soutenues à long terme.
Données virologiques
Les études virologiques présentées par M. Burgard (hôpital
Necker, Paris) ne permettent pas de mettre en évidence de particularité de la réplication virale pouvant expliquer une diminution de la destruction des CD4+ chez ces patients RI+RV- :
la capacité infectieuse in vitro des particules virales plasmatiques, le nombre de particules virales produites par cellule sont
similaires à ceux des patients en échec thérapeutique, suggérant une fitness identique de la souche virale. La culture des
lymphocytes circulants et la quantification des ARN VIH intracellulaires montrent une réplication cellulaire virale normale,
éliminant l’hypothèse d’une production virale majoritaire par
les macrophages. À l’initiation de l’IP, le génotype de résistance a montré une grande fréquence de mutations de résistance
aux inhibiteurs nucléosidiques. Ce profil, complété par des
mutations majeures de résistance aux IP sous traitement, pourrait expliquer l’échec virologique.
Déjà, dans l’essai Merck 039, les patients recevant une monothérapie par indinavir présentaient une réponse dissociée proche
de celle décrite dans cette étude. Par ailleurs, une diminution
de l’apoptose des PBMC, induite par le ritonavir (inhibition de
protéases cellulaires ?), a été décrite. Ces éléments suggèrent
plutôt une action directe des IP sur les lymphocytes T4.
En pratique
C. Michon (centre hospitalier de la région annecienne,
Annecy) a précisé que la réponse n’étant jamais complète dans
le domaine immunologique, ni jamais totalement nulle dans le
domaine virologique, c’est un niveau de réponse ou des dynamiques de réponse que nous tentons de comparer sans être
capables de définir des seuils de correspondance, ni connaître
suffisamment les mécanismes reliant les deux réponses. Audelà de la compréhension du mécanisme, la question fondamentale posée au clinicien est celle de la définition de l’objectif thérapeutique, et donc de la stratégie thérapeutique dans ces
situations de rebond virologique : tout échappement virologique débutant n’est-il pas une réponse dite dissociée ? L’objectif immunologique peut-il primer sur l’objectif virologique ?
Doit-on alors évaluer les stratégies à objectif immunologique
dans le cadre d’essais thérapeutiques ?
RECONSTITUTION IMMUNITAIRE
L’étude de la reconstitution immunitaire vise essentiellement
à répondre à deux questions cliniques : peut-on interrompre les
prophylaxies et/ou les traitements de certaines infections opportunistes, et est-il possible d’envisager des interventions dans
le cadre de l’immunothérapie spécifique vis-à-vis du VIH ?
E. Oksenhendler (hôpital Saint-Louis, Paris) a rappelé les
deux notions distinctes de récupération des “fonctions” lymphocytaires et de récupération du “potentiel” du système immu123
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nitaire sous traitement efficace. En ce qui concerne les fonctions lymphocytaires, on observe une recirculation rapide des
cellules T mémoires, suivie d’une expansion périphérique de
cellules qui expriment l’isoforme CD45 RO+ associée à une
diminution de l’expression des marqueurs d’activation T (DR
et CD38) et la réapparition de marqueurs de cellules T immunocompétentes (CD26, CD27 et CD28). Parallèlement, et dès les
premiers mois de traitement efficace, on observe une récupération des réponses spécifiques vis-à-vis de certains antigènes,
plus rapide et plus intense pour la tuberculine et le cytomégalovirus (CMV) que pour la candidine et l’anatoxine tétanique.
C’est l’expérience clinique qui apporte les éléments les plus
convaincants en faveur de la restauration immunitaire devant
la régression de lésions de leucoencéphalite multifocale progressive (LEMP), de lésions cervicales à papillomavirus et la
possibilité de suspendre les traitements de mycobactérie atypique, les prophylaxies anti-Pneumocystis et antitoxoplasme et
les traitements d’entretien du CMV.
En ce qui concerne la récupération du potentiel immunologique,
il existe une expansion lente des cellules T “naïves” d’origine
thymique. De nouveaux marqueurs permettent d’évaluer cette
population récemment émigrée du thymus “TRECs” (réarrangement récent du récepteur pour les cellules T et correspondant
à de jeunes cellules T). D’une manière très globale et, dans
l’immense majorité des cas, le taux des lymphocytes CD4 suffit, pour évaluer la reconstitution immunitaire. Il faut néanmoins
être prudent :
– pour les patients avec réponses dissociées (RI+RV-) [qualités des réponses prolifératives et d’hypersensibilité retardée
probablement moins bonnes] ;
– pendant les premiers mois de traitement où le taux de lymphocytes CD4 ne reflète pas exactement la reconstitution immunitaire ;
– avant d’envisager une immunothérapie spécifique vis-à-vis
du VIH.
Recommandations sur l’interruption des prophylaxies (rapport 1999 Delfraissy et BEH 1999 ; 43) après restauration
immunitaire
Elles ont été rapportées par T. May (hôpitaux de Brabois,
Nancy). Elles prennent en compte le caractère progressif et
incomplet de la restauration et le risque d’inobservance à la trithérapie. L’interruption d’une prophylaxie de la pneumocystose et de la toxoplasmose est envisageable lorsque le taux de
CD4 est supérieur à 200/mm3, depuis au moins trois mois pour
la prophylaxie primaire et au moins six mois pour la prophy-
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laxie secondaire. L’interruption de la prophylaxie secondaire
d’une infection disséminée à mycobactéries ou d’une rétinite
à CMV est envisageable lorsque le taux de CD4 est supérieur
à 100/mm3 depuis au moins six mois ; une surveillance clinicobiologique très régulière est nécessaire pour dépister précocement les signes d’une récidive. Il n’y a, à ce jour, aucune donnée disponible sur les interruptions après survenue de
toxoplasmose cérébrale et cryptococcose méningée. De plus,
l’émergence ou la réactivation non exceptionnelle d’une infection opportuniste latente au cours des trois premiers mois de
trithérapie justifient la mise en route d’une prophylaxie primaire (pneumocystose, toxoplasmose, plus ou moins Mycobacterium avium) si le déficit immunitaire est prononcé.
Restauration des réponses immunitaires spécifiques vis-à-vis
des antigènes du virus afin d’aider au contrôle de la réplication virale
C’est toute la problématique de l’immunothérapie exposée par
J.F. Delfraissy (hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre). Un
pourcentage important des patients VIH+ présente une charge
virale plasmatique indétectable sous HAART. Une approche
d’immunothérapie potentiellement intéressante consisterait à
stimuler la réponse immune anti-VIH, en particulier sa composante T CD4+. L’objectif théorique des approches “vaccinales” est d’induire et/ou de maintenir un pool de cellules
T CD4+/T CD8+ mémoires susceptibles de bloquer une réplication virale naissante lors de l’arrêt du traitement. Cette
immuno-activation spécifique se ferait via l’administration
d’antigènes VIH recombinants ou via une série d’arrêts thérapeutiques de courte durée. Les objectifs de l’immunothérapie
non spécifique en association avec une HAART sont :
– la restauration quantitative des lymphocytes T (LT) CD4+
(par l’IL2 par exemple : expansion polyclonale des CD4+
[naïfs, mémoires, CD28+] et restauration de la prolifération aux
antigènes [Ag] de rappel et aux Ag du VIH) ;
– la restauration fonctionnelle des LT CD4+ (par l’IFN-γ, au
cours de la primo-infection par exemple : augmentation de la
présentation antigénique, orientation de la réponse T auxiliaire
dans le sens Th1, génération de CTL mémoires spécifiques).
L’apparition de nouvelles techniques de suivi de l’infection, si
elle a permis d’améliorer très significativement la prise en
charge des patients, soulève également de nouveaux problèmes
et montre à quel point la gestion de l’infection se complexifie.!
I. Pellegrin, Bordeaux
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