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Le Courrier des addictions (6), n° 4, octobre-novembre-décembre 2004
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Autre facteur de risque important : le
mésusage de la buprénorphine haut dosa-
ge, autrement dit son injection, problème
important abordé et par Marc Reisinger
(Bruxelles) et par Marco Sanchez (clinique
Montevideo, Boulogne-Billancourt). Pour
ce dernier, 17 % environ des patients pre-
nant ce médicament l’injectent, ce qui,
compte tenu de l’abus concomitant de ben-
zodiazépines qu’ils font dans leur grande
majorité, peut être un facteur majeur de
décès dans lesquels la buprénorphine haut
dosage est impliquée. Un pourcentage d’in-
jecteurs presque du même ordre (14 %)
parmi les patients observés par Marc
Reisinger, mais autant dans les pro-
grammes méthadone que buprénorphine
haut dosage. Toutefois, alors que, dans le
premier cas, les pratiques d’injection
concernent l’héroïne et la cocaïne, dans le
second, c’est la buprénorphine haut dosage
qui les remplace. On sait qu’il s’agit là
d’une conduite à haut risque infectieux,
vasculaire et de contamination virale dont
l’origine est plurifactorielle : habitude de
l’injection, impulsivité (réduite par les
ISRS l’abstinence d’alcool et de cocaïne),
mais surtout dépression, dont le traitement
réduit le risque d’injection et sur laquelle la
buprénorphine haut dosage est plus effica-
ce que la méthadone ; symptômes de
manque dont la sédation est alors le but
majeur de l’injection, ce qui renvoie à l’in-
suffisance d’un dosage du médicament.
D’où, devant la persistance de ces pratiques
à risques, la nécessité de réévaluer les
posologies prescrites et d’expliquer soi-
gneusement les modalités d’utilisation des
comprimés sublinguaux. Dans certains cas,
il peut se révéler nécessaire de “passer” le
patient à la méthadone. Reste que le risque
d’injection peut exister aussi avec le sirop,
ce qui est décrit de manière anecdotique, en
France, mais concerne 11 % des injecteurs
à Adélaïde en Australie ! Donc, un risque
de détournement réel, mais gérable.
Quant au risque létal chez les usagers de
drogue, rarement évoqué, il a fait, à lui
seul, l’objet d’un symposium. À cette occa-
sion, Julian Vicente (Lisbonne) a présenté
le travail de recueil de données mené par
l’EMCDDA (European Monitoring Center
for Drugs and Dray Addiction) qui s’attache
à harmoniser les définitions, les méthodo-
logies et les protocoles, avec ses partenaires
institutionnels hollandais et italiens. Ainsi,
Anna Maria Bargagli et al. (Rome) ont
comparé les taux de mortalité chez les usa-
gers de drogues de sept villes et un pays
européen (Amsterdam, Barcelone,
Danemark, Dublin, Lisbonne, Londres,
Rome, Vienne) entre 1990 et 1998. Leur
enquête a montré des différences de distri-
bution dans les causes de décès, la surmor-
talité et l’impact des opiacés. Exemples : la
mortalité globale varie de 1 % (Dublin) à
3,8 % (Barcelone) ; la mortalité par overdo-
se est de 10 ‰ à Barcelone, 7 ‰ au
Danemark, à Rome et à Vienne, inférieure
à 3,5 ‰ dans les autres sites ; celle par sida
est inférieure à 2 ‰ partout, sauf à
Lisbonne, Rome et Barcelone (6 ‰).
Sorties de prison : danger !
Sheila H. Bird (Cambridge) constate, pour
sa part, que les décès dus aux drogues, liés
à une baisse de la tolérance, sont sept fois
plus fréquents dans les 15 jours suivant
une libération de prison que dans le
même laps de temps chez des sujets en
liberté. Ainsi, en Écosse, dans une cohorte
de 19 486 hommes de 15 à 35 ans sortis
après 14 jours d’incarcération au moins,
on a observé 34 décès liés aux drogues au
cours des deux premières semaines contre
23 dans les semaines suivantes. L’auteur
souligne la nécessité d’une étude large, ran-
domisée, pour déterminer si la délivrance
de petites doses de naloxone aux prison-
niers libérés ayant des antécédents d’injec-
tions d’héroïne peut réduire le nombre de
décès dans les 15 jours suivant la remise
en liberté (de 30 %, environ). Elle a posé
également la question de savoir si le traite-
ment de substitution était susceptible d’in-
fléchir le risque de décès dû aux drogues
des “vieux héroïnomanes’’. Une question à
laquelle Dominique Lopez et al. (Saint-
Denis-La Plaine) et Anne Coppel (Paris)
ont apporté de solides éléments de réponse
: l’enquête menée par D. Lopez avait pour
but de chiffrer la mortalité et d’analyser les
causes de décès chez les sujets arrêtés pour
usage de drogues selon la substance incri-
minée et, jusqu’à un certain point, d’esti-
mer la mortalité générale chez les toxico-
manes français. L’échantillon comportait
42 485 personnes appréhendées pour usage
et/ou trafic de stupéfiants (héroïne, cocaï-
ne, crack, ecstasy, cannabis) en 1992, 1993,
1996 et 1997. Le statut vital de chacune
d’elles était connu au 7 août 2002, alors
que les causes de mort n’avaient pu être
identifiées que pour les décès survenus
avant 2000.
Principaux résultats : la mortalité des usa-
gers d’héroïne, de cocaïne et de crack est
trois fois plus importante que celle des
consommateurs de cannabis ; le risque létal
des héroïnomanes est 5 à 9 fois supérieur que
celui de la population générale de même âge
et de même sexe ; la mortalité masculine est
plus importante que la féminine, sauf au
cours des deux ans suivant l’infraction ;
comme prévu, les consommateurs d’héroïne,
cocaïne et crack, meurent plus de facteurs
spécifiquement liés à la toxicomanie (VIH ,
overdose) que de traumatismes ou de causes
accidentelles ; la mortalité a significative-
ment baissé durant la période d’observation
(1992-2001) avec l’introduction des traite-
ments de substitution, la trithérapie pour le
sida et la mise en œuvre de la politique fran-
çaise de réduction des risques.
Pour en pérenniser
les bons résultats
Anne Coppel, à son tour, a rappelé le très
positif bilan global de cette politique “res-
ponsable” d’une baisse de 80 % des over-
doses, de 67 % des interpellations pour
usage d’héroïne, de deux tiers des décès par
sida dans la période 1994-1999. Ces
chiffres, connus des seuls experts car non
diffusés par les médias, rencontrent l’ac-
cord de tous comme le fait qu’ils sont
imputables aux bénéfices apportés par les
traitements de substitution. Deux hypo-
thèses peuvent en rendre compte : soit l’hé-
roïne n’est plus à la mode, il n’y a plus de
patients en traitement et la baisse du
nombre des overdoses et des interpellations
est corrélée à cette extension de l’accès aux
soins ; soit ce sont les bonnes pratiques cli-
niques, particulièrement en ce qui concerne
la méthadone (posologie adaptée, traite-
ment individualisé, qualité de l’accueil,
compétence des intervenants), qui expli-
quent ce bon “rendement”. En effet,
comme l’ont montré de nombreuses études
réalisées au niveau international, l’accès à
la substitution a bien réduit les risques mais
n’explique pas tout car libéraliser la pres-
cription ne suffit pas à modifier les com-
portements des usagers. Il faut, parallèle-
ment, que les médecins modifient aussi
leurs pratiques, en particulier en instaurant