Entorses de la cheville de l`enfant et de l`adolescent

Entorses de la cheville de l’enfant
et de l’adolescent
P. Chrestian
P. Sarrat
M. Cohen Résumé. Longtemps niée dans sa réalité, ou confondue avec le décollement épiphysaire de l’extrémité
inférieure de la fibula, l’entorse de la cheville, par sa fréquence et sa banalité, occupe désormais une place
centrale dans la pathologie traumatique de l’enfant et de l’adolescent. Son évolution est bénigne si des
principes thérapeutiques initiaux rigoureux sont appliqués : plâtre, rééducation si nécessaire et correction des
vices architecturaux du pied. Cependant, ce tableau classique évolue se modifie du fait des modifications
sociologiques (pratique sportive précoce), et des modifications du corps de l’enfant (augmentation de taille,
obésité) qui aggravent le pronostic de ces lésions. De nouvelles indications thérapeutiques doivent être
envisagées : la place du traitement chirurgical dont il faut parfaitement définir les principes et la réalisation.
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Mots-clés : Entorse de la cheville ; Entorse de la cheville, enfant ; Entorse de la cheville, principes
thérapeutiques ; Entorse de la cheville, chirurgie ; Semelles
Introduction
L’entorse de la cheville de l’enfant et de l’adolescent est une
pathologie très fréquente. Il s’agit d’une atteinte traumatique plus
ou moins étendue du complexe capsuloligamentaire de la cheville.
Sa réalité anatomique a longtemps été niée car elle a été confondue
avec le décollement épiphysaire de l’extrémité inférieure de la fibula
dont la manifestation clinique est quasi identique.
Son incidence est en constante augmentation du fait de la pratique
intensive des sports de glisse (ski, roller, surf) et de contact (rugby,
football, hand-ball) par des enfants de plus en plus jeunes et avec
un matériel souvent inadapté.
Si elle n’est pas traitée avec efficacité, elle générera un véritable
handicap sportif avec la sensation d’une instabilité et d’une
insécurité fonctionnelle lors de la marche et de la course.
[1–7]
L’immense majorité des cas ne nécessite qu’un traitement
orthopédique bien conduit. Un petit nombre doit être opéré, c’est ce
qui constitue l’aspect novateur de la question. Qui doit-on opérer et
comment ?
Nous envisagerons :
quelles sont les particularités anatomiques et évolutives de
l’entorse de la cheville de l’enfant et de l’adolescent ?
les aspects cliniques ;
les aspects thérapeutiques.
Particularités anatomiques
et évolutives de l’entorse
COMPLEXE CAPSULOLIGAMENTAIRE DE LA CHEVILLE
(Fig. 1A, B)
La cheville est une structure en croissance avec un cartilage physaire
au niveau de la fibula et un cartilage physaire au niveau du tibia. La
fusion des cartilages signe l’arrêt de la croissance et le passage à
l’âge adulte.
La chirurgie devra éviter de léser les structures de croissance.
Les ligaments latéraux de la cheville s’insèrent au-dessous des
structures de croissance. Les ligaments sont extrêmement laxes
durant la période prépubertaire, ce qui fait très souvent confondre
l’entorse et l’hyperlaxité durant cette période.
La capsule s’insère sur tout le pourtour articulaire légèrement en
dessous des cartilages. Elle est en continuité avec le périoste.
MÉCANISMES DE CONSTITUTION DE L’ENTORSE
Ils sont en tout point semblables à ceux de l’adulte dans un
mécanisme d’inversion le plus souvent, le mécanisme d’éversion
étant plus rare.
Les lésions les plus graves sont dues à des chutes dans un trou
profond, l’enfant poursuivant sa course. Elles peuvent survenir dès
l’âge de 8 ans.
LÉSIONS OBSERVÉES
L’entorse se définit comme une lésion plus ou moins étendue du
complexe capsuloligamentaire.
Atteintes ligamentaires :
l’élongation : la continuité n’est pas altérée ;
la rupture en plein corps est exceptionnelle ;
la désinsertion du point d’attache osseux se fait le plus souvent
chez l’enfant à partir de la fibula sous la forme d’écaille osseuse ;
P. Chrestian
P. Sarrat
Adresse e-mail: [email protected]
M. Cohen
Clinique de la Résidence du Parc, B.P. 85, rue Gaston-Berger, 13010 Marseille, France.
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 27-050-A-80
(2004)
27-050-A-80
enn, cas particulier : la désolidarisation de los sous-bulaire à
partir de lextrémitéinférieure de la bula àlaquelle il est liépar
une syndesmose. Cet os sous-bulaire est le point dinsertion du
ligament talobulaire antérieur mais aussi du ligament
bulocalcanéen moyen.
Latteinte capsulaire se manifeste par un véritable décollement
périostéau niveau de la face antérieure du tibia, si le traumatisme
est important (Fig. 2).
CINÉTIQUE ÉVOLUTIVE DES LÉSIONS
La cicatrisation des lésions ligamentaires et capsulaires se fait en
21 jours.
Dans le cadre dune distension capsulaire sévère avec un
décollement périostétibial, la cicatrisation ne se fait pas ad integrum.
Il persiste une poche capsulaire antérieure àlorigine de linstabilité.
La capsule articulaire devient alors très laxe, samincit et perd toute
sa valeur mécanique.
En cas darrachement osseux de lextrémitéde la bula, la petite
écaille osseuse va croître pour son propre compte (rappelons quelle
est solidariséeàlappareil ligamentaire). Ce néo-os est douloureux
et vient alors se coincer entre la joue du talus et la bula entraînant
des blocages articulaires fugaces, dautant plus volontiers quil existe
une hyperlaxitéassociée.
NOSOLOGIQUEMENT, DIFFÉRENCIATION ENTRE
ENTORSE ET FAUSSES ENTORSES
Linstabilitéconstitutionnelle due àune hyperlaxitégénétique ou
prépubertaire entraîne un syndrome dhypermobilitéde linstabilité
acquise post-traumatique.
Linstabilitéde la cheville «symptôme autonome »peut sinscrire
dans un autre contexte pathologique :
brièvetédu tendon dAchille ;
varus du calcanéus statique ou dynamique.
Fondamentalement différente de lentorse de ladulte, lentorse de
lenfant et de ladolescent est plus une entorse antérieure quune
entorse latérale. Cest une entorse évolutive entraînant des
répercussions statiques sur le pied en majorant des lésions
préexistantes (plat valgus).
Aspects cliniques
DANS LE CADRE DE LURGENCE : ENTORSE AIGUË
Linterrogatoire devant cette cheville augmentée de volume et
douloureuse sefforcedepréciser le mécanisme lésionnel et
lexistence d’épisodes antérieurs comparables.
Lexamen clinique initial se borne àrechercher une douleur en avant
et sous la malléole bulaire différenciant ainsi le décollement
épiphysaire. La recherche de mouvements anormaux doit se faire
avec prudence. La radiographie de face, de prol et de trois quarts
de la cheville a pour but de préciser :
sur la face : un élargissement du cartilage bulaire signant le
diagnostic de décollement épiphysaire ;
sur le trois quarts : lexistence dune écaille osseuse (Fig. 3) ;
recherche dune éventuelle impaction ostéochondrale du dôme
talien.
Ce premier bilan indispensable étant effectué, il est nécessaire alors
pour lenfant :
de le calmer en administrant des antalgiques ;
de limmobiliser avec interdiction dappui en réalisant une attelle
plâtrée;
dutiliser des antiœdémateux et de prendre toutes les précautions
trophiques.
Huit jours après, on enlève le plâtre et on peut reconduire lexamen
qui sera alors plus précis, davantage orientévers la recherche de
Figure 1 Anatomie des
ligaments latéraux de la
cheville ; leur disposition
par rapport au cartilage de
conjugaison.
A. Face.
B. Profil. 1. Ligament
calcanéofibulaire ; 2. li-
gament talofibulaire
antérieur.
Figure 2 La distension
capsulaire est à l’origine de
la récidive de l’entorse.
27-050-A-80 Entorses de la cheville de lenfant et de ladolescent Podologie
2
mouvements anormaux. Une botte plâtrée sans autorisation dappui
sera appliquée pour 15 jours supplémentaires.
Au déplâtrage, la mobilitésera réévaluée. Une rééducation brève et
intense ne sera prescrite quen cas de douleur manifeste ou de signes
évidents de pusillanimité. Elle aura pour but de restaurer les
amplitudes articulaires et daméliorer le schéma corporel.
EN DEHORS DU CADRE DE LURGENCE :
ENTORSE RÉCIDIVANTE
Interrogatoire
Linterrogatoire sefforcera de préciser :
limportance du ou des traumatismes initiaux (paradoxalement,
ils sont souvent oubliés ou minimisés) ;
les éventuels traitements appliqués lors de ces traumatismes ;
lexistence dentorses répétitives dont on sefforcera de noter le
côtéet le nombre.
Examen clinique
Lexamen clinique recherchera :
les points douloureux périmalléolaires, taliens puis au niveau de
la totalitédu pied (base du cinquième métatarsien) ;
les mouvements anormaux et notamment le ballottement
astragalien en relâchant le triceps, soit en mettant un coussin sous le
genou, soit plus facilement lexamen du malade se faisant àplat
ventre, le genou fléchi. On met alors en évidence un tiroir antérieur
du bloc talocalcanéen et les mouvements latéraux externes avec un
choc talien ;
lexamen se complétera par un examen régional : de tout le pied
avec une recherche des mobilités analytiques du pied ; des raideurs
segmentaires du triceps et des ischiojambiers ;
lexamen général : le membre controlatéral, la symétrie des lésions
orientera vers une instabilité; les membres supérieurs : test
dhypermobilitédu pouce ; lexamen àla marche et àla course
visualisera lattaque du pas, le varus ou le valgus calcanéen ; la
marche sur la pointe des pieds montrera la xitécalcanéenne signant
la synostose du tarse ; quelques tests évalueront la coordination et
le schéma corporel.
Explorations complémentaires
Échographie
Elle permet danalyser le plan ligamentaire latéral et de faire le
diagnostic positif et topographique des lésions.
Àla phase aiguë, elle permet de :
voir la distension capsulaire antérieure du fait de l’épanchement
intra-articulaire ;
d’éliminer une pathologie aiguëdes tendons bulaires ;
de faire le diagnostic des «autres entorses »ligamentaires, en
particulier en regard du ligament tibiobulaire distal ou au niveau
de la médiotarsienne (interligne de Chopart) ;
enn, de déceler les fractures occultes sur le bilan radiographique
initial (bulaires en particulier).
Sa place naissante reste cependant encore àdéfinir par des
corrélations cliniques et arthroscanographiques.
Arthroscanner talocrural
Son indication chez lenfant au-dessus de 6 ans ou ladolescent est
plus récente. Il est réservéau bilan préopératoire des instabilités
douloureuses chroniques depuis plus de 6 mois.
Il comporte trois temps.
Un temps radiographique conventionnel àla recherche dune lésion
osseuse, soit du dôme talien, soit de lextrémitéinférieure de la
bula. Il nécessitera, après les clichés standards, un temps
dynamique en varus forcéde face (Fig. 4A, B), et un tiroir antérieur
dans le plan sagittal àla recherche dune laxitéarticulaire. Cette
étude, si elle est positive, doit être comparative pour être
signicative et éliminer une instabilitéconstitutionnelle.
En cas de présence dun os sous-bulaire, on analysera lexistence
ou non de sa mobilitéen recherchant un diastasis interbulo-sous-
bulaire, en particulier sur lincidence de face en stress (Fig. 5, 6).
Un temps arthrographique par ponction antérolatérale en rotation
médiale dégageant linterligne talobulaire. Il permet dapprécier le
volume articulaire, lexistence dune brèche capsulaire en général
latérale, voire lopacication de gaines tendineuses, physiologique
(gaine du fléchisseur propre de lhallux), ou pathologique (gaine des
bulaires).
Un temps scanographique complémentaire réalisési possible avec des
appareils de dernière génération avec multibarrettes en coupes
submillimétriques permettant une acquisition très rapide pour éviter
les artefacts cinétiques. Celui-ci est en général réalisédans le plan
axial, la jambe en extension et le pied fléchi à90°avec un ltre
osseux et comporte secondairement des «reformatages »sur une
console de traitement dimage, multiplanaires dans les deux autres
plans de lespace, complétés par dautres reconstructions avec des
ltres «parties molles »pour étudier les structures tendineuses et le
ligament en haie dans le sinus du tarse. Il permet danalyser :
le volume articulaire et retrouve trèsfréquemment, dans les
lésions chroniques, une distension capsulaire antérieure importante
(Fig. 7) ;
le plan ligamentaire essentiellement collatéral latéral mais aussi
médial. On individualise facilement l’état des faisceaux tibiobulaire
antérodistal, talobulaire antérieur (Fig. 8), bulo-calcanéen, le
faisceau talobulaire postérieur étant en général toujours respecté;
le ligament en haie au sein du sinus du tarse doit faire partie
dune exploration systématique ;
lexistence dune opacication de la gaine tendineuse des
bulaires signe une rupture du faisceau moyen bulo-calcanéen ;
Figure 3 Le clichéde trois quarts objective une écaille osseuse.
Podologie Entorses de la cheville de lenfant et de ladolescent 27-050-A-80
3
lexistence dun os sous-bulaire, fragilisant le plan ligamentaire
collatéral latéral avec une déhiscence capsulaire interbulo-sous-
bulaire ; le faisceau talobulaire antérieur sinsérant àla face
antérieure de los sous-bulaire pouvant être respecté(Fig. 9, 10) ;
la présence ou non de corps étranger intra-articulaire
correspondant le plus souvent àune séquelle darrachement
ostéochondral de la face médiale de la malléole bulaire (Fig. 11, 12,
13) ;
l’état du revêtement chondral du dôme talien, élément
déterminant dans la récupération ou non dune cheville indolore ;
Figure 4 Radiographie
dune cheville gauche.
A. De face avec varus
forcé. Diastasis talocrural
unilatéral.
B. De prol. Subluxation
antérieure du talus.
Figure 5 Radiographie dune cheville droite de face en position neutre. Os sous-
bulaire surnuméraire.
Figure 6 Même patient de face en varus forcé. Diastasis entre la malléole bulaire
et los sous-bulaire en position de stress.
Figure 7 Arthroscanner de cheville
droite en coupe axiale. Distension capsu-
laire antérieure.
Figure8 Arthroscanner de cheville gauche en coupe axiale. Aspect normal du fais-
ceau talo-bulaire antérieur du plan collatéral latéral avec fermeture du récessus arti-
culaire antéro-latéral pré-bulaire.
27-050-A-80 Entorses de la cheville de lenfant et de ladolescent Podologie
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lexistence dune pathologie associée : ostéochondrite du dôme
talien, synostose ou synchondrose du tarse postérieur.
Larthroscanner est donc un examen faiblement invasif dont la
réalisation systématique dans les instabilités chroniques de lenfant
a permis de décrire les particularités anatomiques de lentorse de
lenfant et son mécanisme physiopathologique.
Imagerie par résonance magnétique (IRM)
Celle-ci est dindication plus courante chez ladolescent, mais de
réalisation plus difficile chez lenfant du fait de la longueur des
temps dacquisition. Elle nécessite des séquences en pondération T1
(structure osseuse) et T2 (effet arthrographique) dans les trois plans
de lespace. Elle permet :
d’étudier le plan ligamentaire collatéral avec une bonne
visualisation des trois faisceaux du plan latéral ;
de rechercher lexistence de lésions tendineuses avec, en cas de
ténosynovite de la gaine des bulaires, une forte suspicion de lésion
associée du faisceau bulo-calcanéen latéral ;
Figure12 Même patient. Arthroscanner en coupe coronale. Visualisation du corps
étranger intra-articulaire dans le récessus antérolatéral.
Figure 13 Pièce opératoire du même
patient. On notera limportance et le vo-
lume de la pièce réséquée.
Figure 9 Arthroscanner de cheville droite en coupe axiale. Faisceau talobulaire
antérieur normal sinsérant àla partie antérieure dun os sous-bulaire.
Figure 10 Arthroscanner de cheville droite en coupe coronale. Brèche capsulaire
avec fuite du produit de contraste entre la malléole bulaire et los sous-bulaire.
Figure 11 Arthroscanner de cheville droite en coupe axiale. Corps étranger intra-
articulaire au niveau du récessus antérolatéral.
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