prenaient pas les soins et pou-
vaient, par leur agressivité, réduire
à néant, en quelques minutes, le cli-
mat de confiance que nous avions
instauré avec les équipes soignantes.
Vous insistez beaucoup sur ce
manque d’information qui apparaît
comme une angoisse supplémentaire.
P.PdB. : C’est peu de le dire. Les ma-
lades devraient avoir accès au dos-
sier médical. Il faut les responsabi-
liser. De toute façon, quand un
malade veut savoir, il sait. Il de-
mande simplement qu’on l’aide à
comprendre ce qui se passe. Et s’il
a peur de savoir, il ne demande rien.
Par exemple, quand le chirurgien a
opéré mon épouse, il nous a bien
montré la nécessité de le faire de-
vant la gravité du risque d’embolies
à répétition. Mais nous n’étions pas
informés de tous les effets secon-
daires de l’opération, c’est-à-dire
des ulcères atroces qui saignaient
tout le temps. Or, lui le savait. Si
nous avions été informés, nous au-
rions réfléchi et certainement suivi
ses recommandations car, en toute
connaissance de cause, on accepte
mieux ce qui ce passe, même le
pire. Ces ulcères qui atteignaient
aussi Béatrice dans l’esthétique de
son corps étaient paradoxalement
plus insupportables que son can-
cer. Et ces soins très douloureux
avec le scalpel étaient vécus par
nous comme une véritable “char-
cuterie”. Là encore, ces actes si
naturels pour les soignants sont res-
sentis comme très cruels par les pa-
tients. Heureusement, quand nous
sommes retournés chez nous, les
infirmières qui soignaient à domi-
cile montraient une compétence et
une humanité hors pair. Elles ai-
daient même Béatrice dans son
souci de rester belle. Et quel soula-
gement d’être dans son environne-
ment familial, hors de l’hôpital !
Votre épouse est ensuite allée en ser-
vice de cancérologie.
P. PdB. : Ce sont des services très
durs. L’équipe du centre de trans-
fusion sanguine était formidable,
tant dans l’accueil que dans l’atten-
tion au malade et à la famille de ce-
lui-ci. Puis, il y a eu la bulle stérile
où a été placée mon épouse après
une septicémie. Malgré la compé-
tence des soignants, il est dur de
faire barrière aux infections noso-
comiales quand la structure du ser-
vice est vouée à la démolition (on
ne le sait qu’après bien sûr) et que
la rivalité des services s’exerce en
taux de réussites. Il faut rappeler
que ce cancer était rare et suscitait
la curiosité des chercheurs.
Entre temps, vous aviez eu votre
accident de parapente.
P. PdB. : J’étais tétraplégique depuis
trois ans. Je ne me souviens pas
d’avoir souffert dans l’accident. J’ai
été longtemps dans le coma et
maintenu en coma artificiel pen-
dant un mois. Je regrette la bruta-
lité de l’annonce du diagnostic à
ma famille, en bref : “Il a une
chance sur cinq de s’en sortir”. Il
y a aussi l’incompréhension de
certains chirurgiens qui acceptent
mal que l’entourage reste pour
parler au patient. Pourtant, si je ne
me souviens de rien, je suis sûr
que les paroles aident le comateux.
Comme toutes les personnes ali-
tées, j’ai fait l’expérience des es-
carres. C’est horrible. Là encore, le
malade est dépendant de la qua-
lité des soins. Je n’en ai pas eu dans
le service de réanimation, car il y
avait les massages fréquents et
aussi une alimentation adaptée.
J’ai eu des escarres en quelques
jours dès que j’ai changé de ser-
vice. J’ai pu constater les consé-
quences du manque de personnel
et de changement de régime ali-
mentaire. Résultat : intervention
chirurgicale pénible.
En centre de rééducation, vous
avez fait l’expérience de la vie en
communauté.
P.PdB. : Dans le centre de Bretagne
qui m’a accueilli, les soignants sont
formidables, pleins d’humanité et
d’indulgence. Ils m’ont réappris à
vivre. C’est une ambiance très
étrange. On se croirait dans le ro-
man de Thomas Mann La mon-
tagne magique. Il y a des pleurs mais
aussi des rires. Il y a beaucoup de
jeunes et l’on apprend à penser aux
autres. Il y a des drames humains,
beaucoup de solitude après un
handicap. Des familles qui se bri-
sent, qui ne reconnaissent plus le
démuni. Des amitiés aussi, des
amours parfois. Ce qui est formi-
dable, c’est que l’on nous considère
comme des êtres normaux, que
l’on accepte nos faiblesses, nos fa-
çons personnelles de nous en sor-
tir. Une chose importante : l’aide
d’un psychologue et d’un sexo-
logue. Ce qui rassure certains pa-
ralysés qui désespéraient sans oser
parler. Quand les soignants savent
nous mettre en confiance, on peut
enfin admettre le handicap, la dé-
pendance. Quand on peut pleurer
en face d’une infirmière, on ressent
alors un sentiment de partage et on
se met à espérer.
Avez-vous pensé à mourir ?
P.PdB. : J’ai essayé au début, à l’hô-
pital, mais, pour un tétraplégique,
c’est difficile. Il me reste des choses
à faire avant. Il faut passer le relais
à mes enfants. Je cultive l’espérance
transmise par mon épouse. Au-
jourd’hui, ce qui me gêne, ce sont
mes douleurs qui brûlent mon
corps inerte et que même la mor-
phine ne soulage pas. Heureuse-
ment, je suis un privilégié et je suis
entouré. Les infirmières sont cha-
leureuses et savent écouter. Ces in-
firmières, je les ai haïes quelquefois.
Mais je mesure aujourd’hui la dif-
ficulté d’exercer. Ce sont les soi-
gnants qui nous retiennent à la vie
quand on est aussi dépendant. On
ne peut les décevoir. Je me de-
mande si les infirmières se rendent
compte combien chaque regard,
chaque parole peuvent engendrer
l’espoir et l’envie de se battre.
Propos recueillis par
Andrée-Lucie Pissondes
*Le second souffle, Bayard, Paris, 2001,
192 p.
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Professions Santé Infirmier Infirmière - No33-34 - janvier-février 2002