Diabète Quand le patient refuse le passage à l’insuline Face au choc ressenti lors de l’annonce de la nécessité d’un passage à l’insuline, les patients le refusent parfois de manière catégorique. Les infirmières se sentent démunies et n’adoptent pas toujours un comportement adapté à la situation. De la qualité de la communication dépendra la relation thérapeutique. C omment les infirmières peuvent-elles amener les patients diabétiques à accepter le traitement par insuline et comment les convaincre de persévérer dans l’observance de ce traitement ? L’établissement d’une communication adaptée à chaque patient s’impose. Il est en effet indispensable d’inviter chaque patient à s’exprimer sur la maladie chronique qu’est le diabète, ainsi que sur les appréhensions et les représentations qu’il a de l’insuline. Afin de mieux appréhender la situation de patients qui expriment leur refus de passer à l’insuline, il faut se référer au modèle des croyances de santé qui se décline en quatre postulats. C’est ainsi que pour accepter de se traiter et pour persévérer dans l’application de leur traitement, ces patients doivent tout d’abord accepter le fait qu’ils sont bien atteints par le diabète, maladie dont les conséquences peuvent être graves. Ils doivent également penser que le traitement prescrit est d’abord nécessaire et ensuite qu’il aura un effet bénéfique. En dernier lieu, ils doivent être capables d’estimer que les bienfaits du traitement contrebalancent avantageusement les contraintes engendrées par ce dernier. Le refus de ces patients peut aller jusqu’à la violence. Ils peuvent éprouver une véritable haine pour ce qui leur arrive, et se 14 mettre à détester leur diabète et à le malmener. Ils peuvent mettre en place un mécanisme de défense leur permettant de banaliser leur angoisse. Des représentations diverses Les représentations sur le traitement proposé, en l’occurrence l’insuline, sont un ensemble organisé d’avis, de croyances, d’images ou d’opinions. Elles sont des éléments cognitifs, informatifs et idéologiques qui permettent à ce type de patients de fournir un mode d’interprétation et de mise en œuvre de la réalité. Elles sont déterminées par les sujets eux-mêmes et par leur histoire. Les conceptions de ces patients dépendent de leur milieu culturel, de leur parcours scolaire, de leur âge, de leur activité professionnelle, de leur vie familiale, de leur réseau d’amis et de l’influence des médias. Par ailleurs, ces patients ont peutêtre rencontré dans leur proche entourage des personnes diabétiques insulino-dépendantes et le vécu de ces personnes leur inspire de la peur, voire du rejet. Contrôler sa maladie Ces “conceptions-obstacles” peuvent se constituer de manière involontaire et inconsciente. Dans la maladie chronique, la prise en charge est partagée, mais c’est aux Professions Santé Infirmier Infirmière - No 24 - mars 2001 patients que revient la responsabilité du contrôle de la maladie. C’est une variable bipolaire de la personnalité, il peut s’agir chez ces patients du locus de contrôle interne : ce qui leur arrive dépend entièrement d’eux, ou d’un sentiment de contrôle externe par le destin, et quelquefois même par Dieu. Par conséquent, face à un refus radical de la part de patients, les soignants pourraient avoir une première réaction spontanée qui consisterait à être très ferme avec eux et leur répondre que “de toute façon, ils n’ont pas le choix et que, s’ils refusent, ils encourent de graves complications de la maladie, voire la mort”. La deuxième réaction spontanée serait d’appliquer la prescription médicale sur le champ sans prendre la précaution préalable de réaliser de projet éducatif personnalisé et en minimisant l’importance de la survenue de ce nouveau traitement. Dans les deux cas, les patients ne sont absolument pas acteurs dans la prise en charge du traitement de leur maladie, ils n’ont donc pas la possibilité de s’exprimer sur les raisons profondes qui suscitent ce refus radical. Les soignants risquent donc de se retrouver dans une situation de rupture de communication et de perdre la confiance de leur patients qui peuvent entrer dans une phase de marchandage, en “revoyant le traitement à la baisse”. De plus, le risque est de provoquer des rapports conflictuels avec, à la clé, une rupture irréversible du dialogue. Par conséquent, face à un refus, les soignants devront, avant même de répondre, reformuler ce que les patients viennent d’exprimer, avec la plus grande fiabilité mais également avec empathie. L’important est de définir clairement la nature de la problématique et de mettre en place une communication adaptée. Communiquer juste La qualité de la communication est le vecteur de la relation thérapeutique. Communiquer juste nécessite, de la part des soignants, un intérêt à saisir intellectuellement les propos des patients. C’est également, pour les soignants, manifester un ressenti de l’état émotionnel de ces personnes qui présentent un déni. Quelques questions sont à se poser : où en sont les patients avec leur maladie ? En parlent-ils ? A qui ? Sont-ils dans une phase de refus, de déni ? Il est du rôle des soignants de leur demander depuis quand ils sont diabétiques et quelle a été la prise en charge antérieure, ainsi que la manière dont ils ont géré la maladie au quotidien. Par ailleurs, il convient de s’interroger sur les conditions de vie de ces patients et de décoder la façon dont ils réagissent à ce nouvel état de fait. Établir des stratégies Les meilleures stratégies peuvent se heurter à la réaction et à la résistance des patients. Il est donc opportun de les interroger sur les représentations qu’ils ont de l’insuline, sur l’impact qu’aurait l’insulinothérapie sur leur vie familiale, professionnelle et sociale, et s’ils considèrent ce traitement comme un réel “handicap”. Après une exploration minutieuse, il ne faut pas faire de projet normatif car la première prise de contact est déterminante pour la suite. Les soignants doivent essayer de rejoindre le sentiment éprouvé par les patients qu’ils sont en train de vivre davantage que ce qui en train de se dire. Cette attitude peut dénouer la situation et amorcer le dialogue. En termes de stratégie, les soignants doivent amener les patients à gérer leur maladie et les responsabiliser afin qu’ils assument le contrôle de leur traitement. Les patients seront alors “contraints”, dans le respect de leur rythme propre, de se positionner, en toute connaissance des enjeux de leur décision et des risques encourus. Les stratégies les plus efficaces sont centrées sur des objectifs spécifiques, eux-mêmes centrés sur les besoins des patients. Une bonne communication doit être claire d’intention et précise entre l’“éducateur” et chaque patient, s’inscrivant donc dans un esprit de négociation. Ces objectifs peuvent être mesurés et sont une source de motivation, parce que leur connaissance préalable stimule et facilite l’apprentissage. Ils sont un outil de planification qui permet de définir des paliers d’apprentissage pour les patients, lesquels, mis dans une position active, seront amenés à prendre des décisions. Savoir négocier Par ailleurs, les soignants doivent informer les patients sur les évolutions médicales et l’amélioration des traitements. L’éducation concernant l’insulinothérapie sera centrée sur l’individu, dont il est essentiel de respecter le mode de fonctionnement. L’expertise des soignants repose donc sur la qualité relationnelle pour faire entendre que le diabète est une maladie que l’on ne sait pas guérir mais que l’on sait soigner de mieux en mieux. L’éducation de ces patients se situe au carrefour de la prévention tertiaire et de l’éducation thérapeutique. La prévention des complications concerne la qualité de la prise en charge des traitements et se situe au niveau de l’éduca- tion pour la santé. En effet, elle visera essentiellement ici à éviter les comportements à risque dont la persistance du refus fait partie. Il s’agit de négocier un minimum d’acquis de sécurité en deçà duquel les patients courent des risques graves. Ces derniers devront intégrer deux logiques : celle de l’aigu et celle de la chronicité de leur maladie. La motivation sera renforcée par l’intérêt que lui porte l’équipe. Tous les patients peuvent être éduqués s’ils sont eux-mêmes acteurs du changement. Il faut utiliser leur intuition pragmatique pour construire une logique d’accompagnement centrée sur eux. Cette logique doit être claire et rendue visible dans une attitude d’écoute active qui favorise l’apprentissage et aide les patients à s’adapter à leur nouvelle vie. Et toute action d’éducation doit aussi faire l’objet d’une évaluation. Les soignants savent que la relation pédagogique qu’ils ont instaurée restera inachevée dans la mesure où ils n’auront théoriquement aucun retour de leur enseignement par les “éduqués”. Ils ne devront, en aucun cas, être autoritaires et directifs afin d’éviter la relation conflictuelle qui ne ferait que maintenir le problème de la “non-compliance”, c’est-à-dire le refus d’adhésion du patient au traitement. Les patients, de plus en plus informés en matière de santé, acceptent difficilement un traitement sans en comprendre la finalité et sans en connaître les justifications. La mise en place d’une nouvelle thérapeutique n’est donc possible que si les soignants renforcent la communication avec eux. L’éducation du patient devient, dans le cadre des maladies chroniques, un moyen privilégié de cette communication. Murielle Nauche Cadre expert en soins infirmiers, hôpital Rothschild, Paris. Professions Santé Infirmier Infirmière - No 24 - mars 2001 15