Prodromes, signes précoces et vulnérabilité à la schizophrénie acquis D

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Prodromes, signes précoces et vulnérabilité
à la schizophrénie
•• L. Kallel*, G. Fock-Yee*, T. d’Amato*
Les acquis
Aspects cliniques
Les travaux de recherche clinique de ces dernières années ont
permis de conclure qu’une prise en charge précoce de la schizophrénie améliore le pronostic clinique et fonctionnel ; ce qui a
suscité par conséquent un nouvel intérêt pour le dépistage des
stades précoces de la maladie.
La notion de vulnérabilité à la schizophrénie est née dans les
années 1970 (1) à partir de la notion de sujet à haut risque
génétique de schizophrénie mais aussi de la constatation que la
schizophrénie évolue par épisodes entrecoupés de rémissions
pendant lesquelles le patient peut être peu ou pas symptomatique mais présente toujours une vulnérabilité accrue de faire
un nouvel épisode, comparé à un sujet issu de la population
générale. Sur le plan étiopathogénique, la vulnérabilité à la
schizo­phrénie est aujourd’hui considérée comme la résultante
de dysfonctions cérébrales d’origine neurodéveloppementale
entraînant des anomalies dans le traitement de l’information.
Dès lors, l’hypothèse a été faite qu’un certain nombre de perturbations cognitives pouvaient constituer des marqueurs de cette
vulnérabilité, permettant de la repérer précocement, avant
l’émergence des symptômes cliniques de schizo­phrénie. Parmi
ces marqueurs de vulnérabilité, on peut citer :
▶▶ des troubles neuropsychologiques, tels que des troubles
du langage, de mauvaises capacités d’attention, d’abstraction
et/ou de mémoire, etc. ;
* Service du Pr Dalery, centre hospitalier Le Vinatier, Bron.
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▶▶ certains traits de personnalité de type paranoïde (interprétative), schizotypique (bizarre) ou schizoïde (autistique) ;
▶▶ des troubles neurologiques discrets,tels qu’une mauvaise
coordination motrice, une confusion gauche droite, des troubles
de l’intégration audiovisuelle, des troubles de l’équilibre...
Dossier thématique
D ossier thématique
La phase prémorbide correspond à un état de vulnérabilité à la
schizophrénie encore dépourvu de symptômes cliniques décelables. Elle s’étend – en théorie – de la naissance à l’apparition
des premiers signes précurseurs de la maladie. Elle n’évolue
pas obligatoirement vers la schizophrénie mais peut parfois
préluder à la phase prodromique.
La phase prodromique de la schizophrénie est, depuis quelques
années, l’objet d’un intérêt croissant mais ne fait pas encore
l’objet de consensus. Les prodromes (prodromos signifie en grec
“précurseur”) sont souvent identifiés comme la survenue d’un
changement dans le comportement et le vécu des sujets. Il s’agit
de “symptômes” souvent aspécifiques, d’apparition récente et
d’intensité modérée tels que des symptômes anxieux, des oscillations thymiques, des troubles de la volition, une accentuation
des troubles cognitifs déjà présents antérieurement (tels que les
troubles de l’attention, de la concentration ou de la mémoire, des
phénomènes de blocage de la pensée, de rêverie diurne persistante donnant au sujet l’impression d’en perdre le contrôle, etc.),
voire des impressions corporelles bizarres et diverses, telles que
des sensations de mouvements, de tiraillements, de décharges
électriques, de douleurs ou de modifications d’organe. Tous ces
symptômes sont souvent à l’origine de modifications comportementales se caractérisant par un retrait social, une impulsivité,
une méfiance, une sensitivité dans les relations interpersonnelles
et une détérioration des résultats scolaires ou professionnels.
L’agrégation de ces signes détermine une probabilité non
négligeable de passage à la psychose schizophrénique. Cependant, il convient de préciser que seules 40 % des personnes qui
pré­sentent ce tableau prodromique vont réellement basculer
dans la schizophrénie (2).
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auteurs proposent au contraire la prescription de neuroleptiques
atypiques à petites doses, en faisant l’hypothèse que cela pourrait
retarder, voire empêcher, l’apparition de la phase symptomatique ; à noter que des anxiolytiques et/ou des antidépresseurs
peuvent aussi être prescrits dans le même but, pour atténuer
l’impact des facteurs stressants à l’origine des épisodes aigus de
la maladie. Cette attitude correspond aux modèles d’intervention
précoce de I.R. Falloon et de P.D. McGorry (4, 5) en Australie.
Ouvert depuis 1992, l’EPPIC (Early Psychosis Prevention and
Intervention Centre) de Melbourne est aujourd’hui l’une des
grandes institutions de recherche sur les interventions précoces
pour les patients présentant une phase prodromique ou un premier épisode de schizophrénie. Les critères d’inclusion pour un
probable état prodromique sont divisés en trois sous-groupes
d’intensité croissante :
– baisse évidente des compétences sociales pendant au moins
un mois chez un sujet qui a un apparenté de premier degré
psychotique,
– présence de symptômes psychotiques atténués,
– antécédents personnels d’épisodes psychotiques brefs ayant
duré quelques jours.
Par ailleurs, le PACE (Personal Assistance and Crisis Evaluation), et
l’EPAT (Early Psychosis Assessment Team, une équipe mobile qui
se déplace 24 h/24 à domicile, dans les écoles ou dans les cabinets
de médecins généralistes) constituent deux structures complémentaires rattachées à l’EPPIC. Elles sont conçues tant pour
l’évaluation des états cliniques potentiellement prodro­miques
que pour la mise en œuvre d’une prévention secondaire.
Faits nouveaux
Le médecin se trouve confronté en pratique à deux situations
successives :
▶▶Au stade de vulnérabilité non exprimée, ou stade prémorbide,
il n’existe pour l’instant aucune prévention primaire à adopter
en dehors de la vigilance habituelle concernant l’encadrement
social et affectif de jeunes sujets. Toutefois, les personnes à haut
risque de schizophrénie méritent de se voir interrogées plus en
détail sur leurs éventuelles difficultés cognitives et affectives et
pourraient, si besoin, bénéficier d’une aide active dans la scolarisation et dans la résolution des conflits interpersonnels.
▶▶Au stade prodromique, l’attitude à adopter reste controversée et le débat est ouvert. Si de nombreux cliniciens estiment
souhaitable de mettre en œuvre une prévention secondaire à
ce stade, certains recommandent uniquement une approche
psychothérapique de soutien ou une thérapie d’inspiration cognitivo-comportementale visant à résoudre des problèmes concrets.
Des rencontres ouvertes avec la famille peuvent compléter ce
dispositif. La prescription d’un médicament psychotrope − non
antipsychotique − peut toutefois avoir lieu si elle s’avère utile,
en cas d’angoisse majeure, de perte de sommeil, etc. D’autres
Facteurs précipitants:
- BIOLOGIQUES
“Schizophrénie”
(endogènes et/ou exogènes)
SCHIZOPHRÉNIE
- PSYCHOSOCIAUX
VULNÉRABILITÉ
“Schizotaxie”
GÈNES
DÉVELOPPEMENT
CÉRÉBRAL
Facteurs périnataux:
ENVIRONNEMENT
GÈNES MODULATEURS
COMPÉTENCES
COGNITIVES ET
NEUROLOGIQUES
PUBERTÉ/
MATURATION
CÉRÉBRALE
MARQUEURS DE
VULNÉRABILITÉ
Facteurs protecteurs:
- BIOLOGIQUES
(endogènes et/ou exogènes)
“Schizotypie”
EXPRESSION
INCOMPLÈTE
SYMPTÔMES
“Schizogénie”
PRODROMAUX
STRESS
Dossier thématique
D ossier thématique
ABSENCE
D'EXPRESSION
CLINIQUE
- PSYCHOSOCIAUX
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Conclusion
Un intérêt croissant est aujourd’hui porté aux phases précoces
de la schizophrénie, qui sont souvent – mais pas systématiquement – le prélude à l’apparition d’un épisode psychotique aigu.
Bien que des consensus restent à définir, cette meilleure connaissance des états prémorbides et prodromiques de la schizophrénie
a des implications évidentes en matière de prévention future de
la maladie. Toutefois, en l’absence actuelle de réponses précises
aux questions “qui traiter ?” et “comment traiter ?”, la prévention secondaire de la schizophrénie demeure du domaine de la
recherche clinique.
■
R É F É REN C ES B I B LIO G RA P H I Q UES
1. Zubin J, Spring B. Vulnerability – a new view of schizophrenia. J Abnorm
Psychol 1977;86(2):103-26.
2. McGorry PD. “A stitch in time”... the scope for preventive strategies in early
psychosis. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 1998;248(1):22-31.
3. McGlashan T. Early detection and intervention in schizophrenia. Schizophr
Bull 1996;22(2):227-45.
4. McGorry PD, Edwards J. The feasibility and effectiveness of early intervention
in psychotic disorders: the Australian experience. Int Clinical Psychopharmacology 1998;3(Suppl. 1):47-52.
5. Falloon IR, Kydd RR, Coverdale JH, Laidlaw TM. Early detection and intervention for episodes of schizophrenia. S­ chizophr Bull 1996;22(2):271-82.
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