Réfl exions autour de l’émergence d’un droit

La question de la légalisation de l’euthanasie est très sensible. Elle n’en fi nit pas de faire débat. En France,
le sujet a été relancé de nouveau ces derniers mois par une proposition de loi qui, au fi nal, fut rejetée
au Sénat le 25 janvier 20111. Dans le prolongement d’un article récemment consacré à ce sujet
dans La revue de l’infi rmière, Bernard Devalois poursuit la réfl exion et l’enrichit de son regard
de médecin spécialiste des soins palliatifs.
Réfl exions autour de l’émergence d’un droit
de pratiquer les injections létales
Un éditorial récent2 exprimait
des regrets que le débat séna-
torial sur la légalisation de
l’euthanasie en janvier 2011
n’ait pas abouti. Il évoquait
le projet de soins qu’aurait selon l’auteur
permis une telle légalisation en « accompa-
gnant jusqu’au bout » les patients et leurs
familles. Invoquant le Code de déontologie
infi rmier, cet éditorial regrettait que souvent
les infi rmiers se retrouvent seuls face à leur
devoir de « mettre en œuvre tous les moyens
à disposition pour assurer à chacun une vie
digne jusqu’à la mort ». Si cette prise de
position est parfaitement respectable, elle
appelle néanmoins un certain nombre d’in-
terrogations et de discussions afi n d’éclai-
rer un débat qui est souvent mal posé. La
légalisation de l’euthanasie désigne en fait
plusieurs notions qu’il convient
de bien séparer afi n que chacun
puisse se prononcer sur des pro-
blèmes clairement identifi és.
Faire connaître
et appliquer la loi
Le premier sujet de débat est
celui de l’obstination déraison-
nable. La loi n° 2005-370 du 22
avril 2005 relative aux droits des
malades et à la fi n de vie3 a clai-
rement reconnu à tous les
citoyens de la République le droit
à ne pas mourir victime de cette
obstination déraisonnable. Cet acharne-
ment thérapeutique, comme le désigne
habituellement nos concitoyens, est un
triste héritage de l’ère de la
médecine triomphante. Il faut
rendre hommage à la profes-
sion infi rmière qui a largement
contribué à dénoncer cette
toute-puissance médicale. Si
la loi française est aujourd’hui
celle qui protège le mieux au
monde les patients dans ce
domaine, il faut encore faire
connaître et appliquer ses dis-
positions. Bien des progrès
restent à accomplir et nous
sommes nombreux à constater
l’inertie du corps médical à
appliquer la loi dans ce
domaine4. Le grand public continue de son
côté à ignorer ses droits en matière de fi n
de vie, comme l’a montré le récent sondage
révélant que 70 % des Français ignorent
l’existence d’une loi rendant l’acharnement
thérapeutique illégal5.
Du désir au droit à faire
abréger son agonie
Le second sujet est la reconnaissance d’un
droit à se voir administrer une substance
létale afi n d’abréger son agonie. La mise en
œuvre d’un tel droit se heurte à des ques-
tions complexes. Sur le plan soignant, les
mécanismes psychiques à l’œuvre, quand
se mélangent des désirs contradictoires
(voir un proche mourir vite et ne pas vouloir
qu’il quitte notre existence), contribuent à
Il ne faut pas confondre la liberté de mettre fi n à sa vie et le droit à être suicidé à la demande.
© Fotolia.com/Rob Byron
Notes
1 www.senat.fr/dossier-
legislatif/ppl09-659.html.
2 Clément R. Le débat
sur la législation de
l’euthanasie est de
nouveau enterré. La revue
de l’infi rmière 2001 ;
169 : 1.
3 Consultable sur www.
legifrance.gouv.fr.
4 Devalois B et
al. Obstination
déraisonnable. Revue
du Praticien. Médecine
générale 2011, 25 (856) :
162-3.
5 Sondage sur les soins
palliatifs, Opinion Way
(SFAP/SFAR/CREFA et
Plus Digne La Vie), janvier
2011 ; www.sfap.org/
content/sondage-sur-
les-soins-palliatifs-
janvier-2011.
pratique
pratique
réfl exion
La revue de l’infi rmière Août-Septembre 2011 n° 173 37
Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir
de confl it d'intérêts en relation avec cet article.
initier le travail de deuil. Les perturber fait
courir le risque de conséquences ultérieures
néfastes pour les proches. Sur le plan légis-
latif, un tel droit se heurte à l’impossibilité
intrinsèque pour un patient agonisant de
prendre une telle décision.
Il faudrait donc d’une part
que le patient ait explicite-
ment consenti antérieure-
ment à cette éventualité et
qu’il ait désigné de manière
anticipée celui qui prendra
in fi ne la décision à sa place, le moment
venu. Ici aussi les conséquences psychi-
ques pour celui (proche ou professionnel de
santé) qui sera chargé de choisir le moment
du faire-mourir ne sont sûrement pas
nulles.
Droit à l’assistance
médicalisée au suicide
Enfi n, le sujet principal qui est soulevé par le
droit à l’euthanasie (désigné parfois, à tort,
droit de mourir dans la dignité6) est bien celui
de la mise en œuvre d’un droit à l’assistance
médicalisée au suicide. Il s’agirait à l’instar
des pays du Bénélux, de reconnaître à cer-
tains citoyens (dans un premier temps ceux
atteints d’une maladie grave et incurable) le
droit d’obtenir de l’État l’administration d’une
substance destinée à provoquer leur mort
rapide. La plupart des promoteurs de cette
solution proposent que l’État délègue aux
professionnels de santé (et particulièrement
aux médecins) la réalisation de ce suicide
par procuration, en
pratiquant une injec-
tion mortelle. Les
partisans de l’ins-
tauration de ce droit
le revendiquent
comme une ultime
liberté et présentent
la mort choisie
comme une façon
idéale de fi nir sa vie. Ils accusent les profes-
sionnels de santé de vouloir “voler cette
liberté” tout en confondant la liberté de
mettre fi n à sa vie (aujourd’hui parfai tement
reconnue à chacun) et le droit à être suicidé
à la demande. Des
militants de ce droit
de mourir visent à
faire reconnaître pour
tous ce droit à exiger
de l’État la mise en
œuvre d’une décision
personnelle en y impliquant les profession-
nels de santé, requis à cet effet comme pres-
tataires de services.
Ainsi aux Pays-Bas, après avoir obtenu la
reconnaissance d’un tel droit pour les mala-
des en phase avancée ou terminale, certai-
nes personnes réclament son élargissement
à toute personne âgée de plus de 70 ans et
se déclarant “fatiguée de vivre”. Par ailleurs,
une telle reconnaissance juridique des injec-
tions létales n’exonère en rien les infi rmiers
de leur responsabilité complexe dans ces
procédures. Ainsi, une récente publication
montre qu’en Belgique, contrairement à ce
que prévoit la loi en vigueur dans ce pays,
des infi rmiers sont régulièrement impliqués
seuls dans la décision et la réalisation de
pratiques euthanasiques, et notamment
alors qu’aucun consentement n’a été
exprimé par le patient7.
Collégialité, éthique du soin
et bientraitance
En conclusion, la question de l’accompagne-
ment de fi n de vie est au cœur de nos pré-
occupations soignantes communes
(infi rmières, médecins et tous les autres pro-
fessionnels concernés). Chaque situation est
unique et la loi ne saurait prendre la place de
la discussion collégiale interdisciplinaire.
Certaines situations insolubles nous ren-
voient à notre impuissance technicienne et
appellent une réfl exion éthique à la recher-
che d’une sagesse collective toujours pré-
férable à un passage à l’acte brutal et
irrationnel. Il convient de bien différencier le
jugement moral que chacun de nous peut
porter (en fonction de ses convictions per-
sonnelles qui doivent, dans notre Républi-
que laïque, rester du strict domaine de la
sphère individuelle) de la mise en œuvre de
procédures juridiques rendant possibles
des pratiques apparaissant en contradiction
avec les principes reconnus de l’éthique du
soin et de la bientraitance8.
Le débat sans anathèmes est sans aucun
doute préférable à l’affi rmation idéologique.
Les professionnels de santé sont convo-
qués par la société à ce débat, tout autant
que les parlementaires et les citoyens, sans
tabous et sans certitudes.
Bernard Devalois
médecin, chef de service de médecine palliative,
centre hospitalier René-Dubos, Pontoise (95)
Marion Broucke
infi rmière, unité soins palliatifs,
hôpital Sainte-Perine, AP-HP, Paris (75)
France Rocher
cadre infi rmier, Centre hospitalier Courbevoie Neuilly Puteaux
Virginie Casenaz
psychologue clinicienne de l’équipe mobile d’accompagnement
et de soins palliatifs, hôpital Beaujon, AP-HP, Clichy (92),
Notes
6 Ricot J. Euthanasie et
dignité. Plein Feux, 2003.
7 Inghelbrecht E, Bilsen
J, Mortier F, Deliens L.
The role of nurses in
physician-assisted deaths
in Belgium, CMAJ 2010 ;
182 (9) : 905-910.
8 Hervé C, Devalois B. Un
droit à la mort serait une
impasse éthique pour
les professionnels. Le
Quotidien du médecin
2011 ; 8886 : 10.
La profession infi rmière
a largement contribué
à dénoncer l’obstination
déraisonnable
pratique
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pratique
réfl exion
La revue de l’infi rmière Août-Septembre 2011 n° 173
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