Réfl exions autour de l’émergence d’un droit

publicité
pratique
pratique
réflexion
Réflexions autour de l’émergence d’un droit
de pratiquer les injections létales
La question de la légalisation de l’euthanasie est très sensible. Elle n’en finit pas de faire débat. En France,
le sujet a été relancé de nouveau ces derniers mois par une proposition de loi qui, au final, fut rejetée
au Sénat le 25 janvier 20111. Dans le prolongement d’un article récemment consacré à ce sujet
dans La revue de l’infirmière, Bernard Devalois poursuit la réflexion et l’enrichit de son regard
de médecin spécialiste des soins palliatifs.
n éditorial récent2 exprimait
des regrets que le débat sénatorial sur la légalisation de
l’euthanasie en janvier 2011
n’ait pas abouti. Il évoquait
le projet de soins qu’aurait selon l’auteur
permis une telle légalisation en « accompagnant jusqu’au bout » les patients et leurs
familles. Invoquant le Code de déontologie
infirmier, cet éditorial regrettait que souvent
les infirmiers se retrouvent seuls face à leur
devoir de « mettre en œuvre tous les moyens
à disposition pour assurer à chacun une vie
digne jusqu’à la mort ». Si cette prise de
Il ne faut pas confondre la liberté de mettre fin à sa vie et le droit à être suicidé à la demande.
position est parfaitement respectable, elle
appelle néanmoins un certain nombre d’interrogations et de discussions afin d’éclai- obstination déraisonnable. Cet acharne- domaine4. Le grand public continue de son
rer un débat qui est souvent mal posé. La ment thérapeutique, comme le désigne côté à ignorer ses droits en matière de fin
légalisation de l’euthanasie désigne en fait habituellement nos concitoyens, est un de vie, comme l’a montré le récent sondage
triste héritage de l’ère de la révélant que 70 % des Français ignorent
plusieurs notions qu’il convient
médecine triomphante. Il faut l’existence d’une loi rendant l’acharnement
de bien séparer afin que chacun
Notes
1
www.senat.fr/dossierrendre hommage à la profes- thérapeutique illégal5.
puisse se prononcer sur des prolegislatif/ppl09-659.html.
2
sion infirmière qui a largement
blèmes clairement identifiés.
Clément R. Le débat
sur la législation de
contribué à dénoncer cette Du désir au droit à faire
l’euthanasie est de
nouveau enterré. La revue
Faire connaître
toute-puissance médicale. Si abréger son agonie
de l’infirmière 2001 ;
169 : 1.
et appliquer la loi
la loi française est aujourd’hui
3
Consultable sur www.
celle qui protège le mieux au Le second sujet est la reconnaissance d’un
legifrance.gouv.fr.
4
Devalois B et
Le premier sujet de débat est
monde les patients dans ce droit à se voir administrer une substance
al. Obstination
déraisonnable. Revue
celui de l’obstination déraisondomaine, il faut encore faire létale afin d’abréger son agonie. La mise en
du Praticien. Médecine
générale 2011, 25 (856) :
nable. La loi n° 2005-370 du 22
connaître et appliquer ses dis- œuvre d’un tel droit se heurte à des ques162-3.
5
avril 2005 relative aux droits des
positions. Bien des progrès tions complexes. Sur le plan soignant, les
Sondage sur les soins
palliatifs, Opinion Way
malades et à la fin de vie3 a clairestent à accomplir et nous mécanismes psychiques à l’œuvre, quand
(SFAP/SFAR/CREFA et
Plus Digne La Vie), janvier
rement reconnu à tous les
sommes nombreux à constater se mélangent des désirs contradictoires
2011 ; www.sfap.org/
content/sondage-surcitoyens de la République le droit
l’inertie du corps médical à (voir un proche mourir vite et ne pas vouloir
les-soins-palliatifsà ne pas mourir victime de cette
appliquer la loi dans ce qu’il quitte notre existence), contribuent à
janvier-2011.
La revue de l’infirmière • Août-Septembre 2011 • n° 173
37
© Fotolia.com/Rob Byron
U
pratique
pratique
réflexion
initier le travail de deuil. Les perturber fait idéale de finir sa vie. Ils accusent les profescourir le risque de conséquences ultérieures sionnels de santé de vouloir “voler cette
néfastes pour les proches. Sur le plan légis- liberté” tout en confondant la liberté de
latif, un tel droit se heurte à l’impossibilité mettre fin à sa vie (aujourd’hui parfaitement
intrinsèque pour un patient agonisant de reconnue à chacun) et le droit à être suicidé
prendre une telle décision.
à la demande. Des
Il faudrait donc d’une part
militants de ce droit
La profession infirmière
que le patient ait explicitede mourir visent à
a largement contribué
ment consenti antérieurefaire reconnaître pour
à dénoncer l’obstination
ment à cette éventualité et
tous ce droit à exiger
déraisonnable
qu’il ait désigné de manière
de l’État la mise en
anticipée celui qui prendra
œuvre d’une décision
in fine la décision à sa place, le moment personnelle en y impliquant les professionvenu. Ici aussi les conséquences psychi- nels de santé, requis à cet effet comme presques pour celui (proche ou professionnel de tataires de services.
santé) qui sera chargé de choisir le moment Ainsi aux Pays-Bas, après avoir obtenu la
du faire-mourir ne sont sûrement pas reconnaissance d’un tel droit pour les malanulles.
des en phase avancée ou terminale, certaines personnes réclament son élargissement
Droit à l’assistance
à toute personne âgée de plus de 70 ans et
médicalisée au suicide
se déclarant “fatiguée de vivre”. Par ailleurs,
une telle reconnaissance juridique des injecEnfin, le sujet principal qui est soulevé par le tions létales n’exonère en rien les infirmiers
droit à l’euthanasie (désigné parfois, à tort, de leur responsabilité complexe dans ces
droit de mourir dans la dignité6) est bien celui procédures. Ainsi, une récente publication
de la mise en œuvre d’un droit à l’assistance montre qu’en Belgique, contrairement à ce
médicalisée au suicide. Il s’agirait à l’instar que prévoit la loi en vigueur dans ce pays,
des pays du Bénélux, de reconnaître à cer- des infirmiers sont régulièrement impliqués
tains citoyens (dans un premier temps ceux seuls dans la décision et la réalisation de
atteints d’une maladie grave et incurable) le pratiques euthanasiques, et notamment
droit d’obtenir de l’État l’administration d’une alors qu’aucun consentement n’a été
substance destinée à provoquer leur mort exprimé par le patient7.
rapide. La plupart des promoteurs de cette
solution proposent que l’État délègue aux Collégialité, éthique du soin
professionnels de santé (et particulièrement et bientraitance
aux médecins) la réalisation de ce suicide
par procuration, en En conclusion, la question de l’accompagneNotes
pratiquant une injec- ment de fin de vie est au cœur de nos pré6
Ricot J. Euthanasie et
tion mortelle. Les occupations soignantes communes
dignité. Plein Feux, 2003.
7
Inghelbrecht E, Bilsen
partisans de l’ins- (infirmières, médecins et tous les autres proJ, Mortier F, Deliens L.
The role of nurses in
tauration de ce droit fessionnels concernés). Chaque situation est
physician-assisted deaths
in Belgium, CMAJ 2010 ;
le revendiquent unique et la loi ne saurait prendre la place de
182 (9) : 905-910.
8
comme une ultime la discussion collégiale interdisciplinaire.
Hervé C, Devalois B. Un
droit à la mort serait une
liberté et présentent Certaines situations insolubles nous renimpasse éthique pour
les professionnels. Le
la mort choisie voient à notre impuissance technicienne et
Quotidien du médecin
2011 ; 8886 : 10.
comme une façon appellent une réflexion éthique à la recher-
38
che d’une sagesse collective toujours préférable à un passage à l’acte brutal et
irrationnel. Il convient de bien différencier le
jugement moral que chacun de nous peut
porter (en fonction de ses convictions personnelles qui doivent, dans notre République laïque, rester du strict domaine de la
sphère individuelle) de la mise en œuvre de
procédures juridiques rendant possibles
des pratiques apparaissant en contradiction
avec les principes reconnus de l’éthique du
soin et de la bientraitance8.
Le débat sans anathèmes est sans aucun
doute préférable à l’affirmation idéologique.
Les professionnels de santé sont convoqués par la société à ce débat, tout autant
que les parlementaires et les citoyens, sans
tabous et sans certitudes. •
Bernard Devalois
médecin, chef de service de médecine palliative,
centre hospitalier René-Dubos, Pontoise (95)
Marion Broucke
infirmière, unité soins palliatifs,
hôpital Sainte-Perine, AP-HP, Paris (75)
France Rocher
cadre infirmier, Centre hospitalier Courbevoie Neuilly Puteaux
Virginie Casenaz
psychologue clinicienne de l’équipe mobile d’accompagnement
et de soins palliatifs, hôpital Beaujon, AP-HP, Clichy (92),
[email protected]
Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir
de conflit d'intérêts en relation avec cet article.
La revue de l’infirmière • Août-Septembre 2011 • n° 173
Téléchargement