DOSSIER THÉMATIQUE San Antonio Breast Cancer Symposium 2010 Essai TAMRAD: intérêt de l'association évérolimus + tamoxifène versus tamoxifène seul dans le cancer du sein résistant aux antiaromatases TAMRAD: a randomized phase II trial of everolimus in combination with tamoxifen in patients with prior exposure to aromatase inhibitors T. Bachelot* L’ * Département de cancérologie médicale et unité Inserm U590, centre Léon-Bérard, 28, rue Laennec, 69008 Lyon. essai TAMRAD, du groupe GINECO, a été présenté en session orale (1). Cette étude avait pour but de tester la possibilité de contrer l’hormonorésistance des cancers métastatiques ER+ progressant après un antiaromatase, en associant un inhibiteur de mTOR (évérolimus) à une nouvelle ligne d’hormonothérapie (tamoxifène). Il a été montré in vitro que la voie de transduction PI3K/AKT/mTOR pourrait être impliquée dans l’hormonorésistance. En particulier, les cellules hormonosensibles MCF7 cultivées en l'absence d’estrogènes restent quiescentes pendant un long moment avant de se mettre à proliférer malgré tout. Il existe alors une interaction entre les récepteurs aux estrogènes (RE), même non liés aux estrogènes, et les récepteurs à tyrosine kinase transmembranaires (RTK), ce qui conduit à activer des voies de transduction cellulaire des RTK, soit celle des MAP-kinases, soit la voie PI3K/AKT/mTOR (2), cette activation étant finalement responsable de la prolifération cellulaire. Si on inhibe mTOR, il est possible d’annuler la résistance de ces cellules à la déplétion estrogénique (figure 1). En particulier, l’évérolimus (RAD001) peut restaurer in vitro la sensibilité au tamoxifène ; dans un essai clinique précoce, il a montré une activité certaine sur des patientes progressant sous un inhibiteur de l’aromatase, lorsqu’il était ajouté à ce même antiaromatase (3). Néanmoins, tout n’est pas si simple. En 2006, un essai clinique de phase III réalisé chez des patientes présentant une tumeur du sein métastatique ER+ et HER2– en première ligne d’hormonothérapie et comparant le létrozole seul à une association létrozole + temsirolimus (autre inhibiteur de mTOR) a été publié à San Antonio. Aucune différence entre les deux bras n’était mise en évidence (4). Une explication possible à ce piètre résultat est que, comme les patientes en première ligne sont majoritairement hormonosensibles, la voie mTOR n’est pas activée et l’ajout d’un inhibiteur de mTOR ne peut donc pas être bénéfique. Notre hypothèse pour cette étude était qu’en ne recrutant que des patientes ayant déjà reçu un antiaromatase, on augmenterait la proportion de femmes dont la tumeur est effectivement devenue dépendante de l’activation de la voie PI3K/AKT/mTOR. Le schéma de l’essai TAMRAD était celui d’une phase II randomisée classique, comparant en deuxième ligne d’hormonothérapie métastatique le tamoxifène (bras TAM) à l’association tamoxifène et évérolimus (bras TAM-RAD) [figure 2]. Le critère principal était le bénéfice clinique (défini comme une réponse partielle ou complète ou une absence de progression à 6 mois). Les critères secondaires comportaient la survie sans progression (SSP) et la survie globale (SG). Le plan statistique suivait la méthode décrite par Simon (Minimax design). Le bénéfice clinique estimé du bras TAM était d’environ 50 % et celui espéré du bras TAM-RAD de 70 %. Avec un risque d’erreur alpha de 5 % et une puissance de 14 | La Lettre du Sénologue • n° 51 - janvier-février-mars 2011 Séno 51 mars 2011okimp.indd 14 05/04/11 16:13 Points forts Mots-clés »» TAMRAD est une étude randomisée multicentrique de phase II qui évalue la tolérance et l'efficacité de l'association évérolimus + tamoxifène chez les patientes qui résistent aux antiaromatases. »» L'association évérolimus + tamoxifène semble supérieure au tamoxifène seul, particulièrement pour les patientes ayant une hormonorésistance secondaire. »» Une étude de phase III est en cours pour prouver que l'effet clinique est bien réel. Tamoxifène Évérolimus Antiaromatase Cancer du sein Hormonorésistance 90 %, il était donc nécessaire d’inclure 53 patientes par bras. Avec cette méthode, aucune comparaison directe des deux bras de traitement n’est prévue, les résultats du bras contrôle ne permettant de "valider" que ceux du bras expérimental. On doit donc considérer cet essai comme une étude de "preuve du concept", et toutes les comparaisons statistiques ci-après comme des analyses exploratoires, nécessitant d’être validées dans le cadre d’une étude de phase III. Les patientes devaient présenter une tumeur du sein métastatique ER+ et/ou PR+ et HER2– et avoir déjà reçu un antiaromatase en situation métastatique et/ou adjuvante ; elles pouvaient n’avoir que des lésions difficilement évaluables (en particulier osseuses pures) et pouvaient déjà avoir reçu une chimiothérapie en situation métastatique. Étant donné l'impact possible sur la SSP, les patientes ont été stratifiées entre celles présentant une hormonorésistance "primaire" (c'est-à-dire ayant récidivé pendant un traitement adjuvant ou rapidement après le début d’une première ligne métastatique) et celles présentant une hormonorésistance "secondaire" (c'est-à-dire ayant récidivé au moins 6 mois après la fin d’un traitement adjuvant ou ayant été stabilisées au moins 6 mois par une première ligne métastatique). En un peu plus d’un an (mars 2008-mai 2009) 111 patientes ont été incluses ; leurs caractéristiques étaient en général bien équilibrées entre les deux bras. Une petite majorité (54 %) avait des métastases viscérales et 25 % n’avaient que des métastases osseuses. La plupart (70 %) avaient reçu un antiaromatase en situation métastatique et 25 % avaient déjà reçu une ligne de chimiothérapie métastatique. Enfin, la moitié d’entre elles était considérée comme hormonorésistante "primaire", l’autre moitié comme hormonorésistante "secondaire". Le bénéfice clinique à 6 mois (critère principal) dans le bras TAM était de 42 % (IC95 : 29,1-55,9 %), contre 61,1 % dans le bras TAM-RAD (IC95 : 46,9-74,1 %). Cette différence était significative (p = 0,045). La SSP passait de 4,5 mois dans le bras TAM à 8,6 mois dans le bras TAM-RAD (HR : 0,53 ; IC95 : 0,35 à 0,81 ; p = 0,0026) [figure 3]. Enfin, la SG était également améliorée (HR : 0,32 ; IC95 : 0,15 à 0,68 ; p = 0,0019). D’un point de vue toxique, les toxicités supplémentaires du bras TAM-RAD étaient celles déjà décrites avec l’évérolimus, en particulier les problèmes de mucite, de fatigue, d’éruption, de diarrhées et d’anorexie, entraînant la diminution de la dose d’évérolimus de 10 à 5 mg pour près d’un tiers des patientes (28 %). En revanche, on n’a pas observé davantage de pneumopathies ou de problèmes métaboliques graves dans le bras TAM-RAD, et il n’y a pas eu plus d’interruptions définitives du traitement dans les deux bras (4 pour TAM, 3 pour TAM-RAD). Enfin, des analyses exploratoires non prévues ont été réalisées pour essayer de préciser l’effet de cette association sur différentes sous-populations de patientes. Les femmes avec ou sans métastases viscérales qui avaient ou non reçu du tamoxifène en situation adjuvante et celles qui avaient ou non reçu une chimiothérapie en situation métastatique ont eu a priori autant de bénéfice qu’avec l’association TAM-RAD. Par ailleurs, il semble que les patientes présentant une hormonorésistance primaire ne bénéficient que moyennement de l’association (médiane SSP bras TAM : 3,9 mois contre 5,4 pour TAM-RAD), alors que celles présentant une résistance secondaire en tirent un bénéfice majeur (médiane SSP bras TAM : 5 mois contre 17,4 pour TAM-RAD !). Tamoxifen Everolimus Antiaromatase Breast cancer Hormonoresistance Figure 1. Schéma théorique du "cross-talk" entre ER et les récepteurs membranaires à tyrosine kinase (RTK) en l’absence prolongée d’estrogènes. Dans ce contexte, une association d’un antiestrogène et d’un inhibiteur des voies de transduction des RTK est nécessaire pour obtenir une inhibition de la prolifération cellulaire (d'après 2, groupe GINECO). La Lettre du Sénologue • Séno 51 mars 2011okimp.indd 15 Keywords n° 51 - janvier-février-mars 2011 15 05/04/11 16:13 DOSSIER THÉMATIQUE San Antonio Breast Cancer Symposium 2010 Conclusion Cette étude de phase II a atteint ses objectifs de manière convaincante. Elle montre que l’inhibition concomitante de ER et de mTOR, chez les patientes présentant un cancer du sein ER+ HER2– métastatique ayant déjà reçu un antiaromatase, permet probablement d’améliorer leur prise en charge, ce qui justifie de poursuivre dans cette voie. Le fait que l’association semble surtout bénéficier aux patientes présentant une hormonorésistance secondaire est particulièrement intéressant, car cela correspond exactement à ce que l’on peut attendre de ces médicaments si on se réfère aux modèles expérimentaux d’hormonorésistance acquise. Néanmoins, l’étude TAMRAD n’était pas assez puissante pour prouver que l’effet clinique de cette association est réel, et il est nécessaire d’attendre les résultats des essais de phase III avant toute modification éventuelle de pratique. Dans ce cadre, Novartis a mis en place une large étude de phase III (BOLERO-2, 700 patientes), comparant l’association exémestane-évérolimus à l’exémestane seul dans la même indication que le protocole TAMRAD. Le recrutement s’est terminé en décembre 2010 et les premiers résultats devraient être disponibles courant 2011. ■ Figure 2. L’étude de phase II TAMRAD (groupe GINECO). Références bibliographiques Figure 3. Amélioration de la survie sans progression par ajout de l’évérolimus au tamoxifène. Le test statistique de comparaison est exploratoire (groupe GINECO). 1. Bachelot T, Bourgier C, Cropet C et al. TAMRAD: a GINECO randomized phase II trial of everolimus in combination with tamoxifen versus tamoxifen alone in patients with hormone-receptor positive, HER2 negative metastatic breast cancer with prior exposure to aromatase inhibitors. SABCS 2010, Abstract S1-6. 2.Yue W, Fan P, Wang J, Li Y, Santen RJ. Mechanisms of acquired resistance to endocrine therapy in hormone-dependent breast cancer cells. J Steroid Biochem Mol Biol 2007;106:102-10. 3. Awada A, Cardoso F, Fontaine C et al. The oral mTOR inhibitor RAD001 (everolimus) in combination with letrozole in patients with advanced breast cancer: results of a phase I study with pharmacokinetics. Eur J Cancer 2008;44:84-91. 4. Chow LWC, Sun Y, Jassem J et al. Phase 3 study of temsirolimus with letrozole or letrozole alone in postmenopausal women with locally advanced or metastatic breast cancer. SABCS 2006, Abstract 6091. Abonnez-vous en ligne ! www.edimark.fr Bulletin d’abonnement disponible page 28 16 | La Lettre du Sénologue • n° 51 - janvier-février-mars 2011 Séno 51 mars 2011okimp.indd 16 05/04/11 16:13