VENTILATION MECANIQUE AU BLOC OPERATOIRE VENTILATION ET CHIRURGIE LAPAROSCOPIQUE J-E. Bazin, J-M. Constantin, P. Schoeffler, Département d’Anesthésie–Réanimation, Hôpital G. Montpied, 63003 Clermont–Ferrand, France. INTRODUCTION Depuis dix ans, la cœlioscopie a évoluée vers la réalisation de véritables gestes chirurgicaux en chirurgie gynécologique, en chirurgie digestive et en urologie. La moindre agression et les suites opératoires plus simples de cette technique chirurgicale la font proposer à des patients de plus en plus âgés et porteurs de pathologies cardiovasculaires et respiratoires, mais le pneumopéritoine et la position, nécessaires à la visualisation chirurgicale, induisent des répercussions physiopathologiques (dont nous n’aborderons ici que l’aspect respiratoire) tout à fait particulières qui conditionnent la prise en charge anesthésique. 1. CONSEQUENCES RESPIRATOIRES PEROPERATOIRES 1.1. HYPERCAPNIE Le CO2 est actuellement préféré aux autres gaz pour créer le pneumopéritoine. Ses propriétés physico-chimiques réduisent, en effet, les conséquences d’une éventuelle embolie gazeuse. Cependant la grande solubilité de ce gaz et la perméabilité du péritoine favorisent sa diffusion en dehors de la cavité péritonéale et son absorption dans la circulation systémique. Par ailleurs, l’élévation du diaphragme secondaire à l’hyperpression intra-abdominale peut modifier la distribution de la ventilation et de la perfusion pulmonaire. Ces conséquences laissent présager des altérations des échanges gazeux. De fait, une augmentation de la PaCO2 est classiquement décrite pendant les cœlioscopies gynécologiques [1, 2]. Le mécanisme de l’élévation de la PaCO2 est multifactoriel et nous allons en analyser les différents composants. 1.1.1. ABSORPTION DE CO2 Une absorption de CO2 à partir de la cavité péritonéale survient autour de la 10ème minute après le début de l’insufflation, pour atteindre un plateau vers la 20ème minute [3] cet état stable étant le résultat de l’équilibre entre la quantité de dioxyde de carbone qui diffuse à partir de la cavité péritonéale et celle qui est éliminée par voie pulmonaire. La réabsorption correspond à 15 à 30 % de la production métabolique [2, 3]. Cette réabsorption ne semble exister, de plus, que pour des pressions intrapéritonéales basses [4], et elle est rapidement limitée par le collapsus des vaisseaux péritonéaux. Il 51 52 MAPAR 1999 a été montré qu’en maintenant une PaCO2 constante, l’élimination de CO2 était augmentée pendant le pneumopéritoine mais aussi après son exsufflation lors de la décompression des vaisseaux péritonéaux. Des absorptions de CO2 massives peuvent être observées lors d’insufflations extrapéritonéales : rétropéritonéales ou sous-cutanées accidentelles [3]. L’emphysème sous-cutané lié à une diffusion du CO2 peut entraîner une élévation importante du CO2 artériel et donc une élévation du CO2 expiré. Au cours d’une insufflation volontairement extra-péritonéale de CO2, la PaCO2 et la PETCO2 sont augmentées de façon plus importante et durable qu’au cours d’une insufflation péritonéale [3]. 1.1.2. MODIFICATIONS DE LA MECANIQUE THORACO-PULMONAIRE L’élévation de pression intra-abdominale et, à un moindre degré, les changements de positions provoquent des perturbations de la mécanique respiratoire. Les pressions des voies respiratoires augmentent, et la compliance du système respiratoire diminue [2, 5]. Au cours de laparoscopies gynécologiques, la compliance est diminuée de 20 % par la position de Trendelenburg et de 30 % par l’élévation de pression intra-abdominale [5]. La compliance pulmonaire dynamique diminue proportionnellement à l’augmentation de pression intra-abdominale aussi bien en position de Trendelenburg qu’en position proclive. En comparant la compliance respiratoire totale en position de Trendelenburg ou en position proclive, Oikkonen et coll [6] ont montré que la création d’un pneumopéritoine diminuait la compliance de 20 % dans les deux groupes. Cependant la position de Trendelenburg diminuait la compliance respiratoire totale de 20 % supplémentaires alors qu’elle ne varie pas en position proclive. Le retour à une compliance normale a été immédiat après exsufflation chez les patients en position proclive alors que cette récupération est incomplète chez les patients ayant été opérés en position de Trendelenburg. L’impédance mécanique du poumon et de la paroi thoracique augmentent avec la pression intra-abdominale [7]. Cette augmentation est dépendante du morphotype et est plus importante en position de Trendelenburg [7]. Elle ne persiste pas après exsuflation [7]. Au total, le pneumopéritoine diminue d’environ 20 % la compliance respiratoire totale. Celle-ci est encore diminuée par la position de Trendelenburg, cette position implique une diminution de la compliance persistante même après exsufflation. 1.1.3. ALTERATIONS DU RAPPORT VENTILATION/PERFUSION Ces modifications semblent surtout intervenir lors de pressions d’insufflation péritonéales élevées, comme le montre l’hypercapnie observée lors d’insufflations d’hélium dans la cavité péritonéale chez des porcs [4]. En ventilation contrôlée l’insufflation péritonéale s’accompagne d’une élévation des pression de plateau dans les voies respiratoires, alors que le débit cardiaque diminue [8], concourant à une augmentation de l’effet espace mort [2]. Cette augmentation de l’espace mort devrait se traduire par un élargissement du gradient entre PaCO2 et pression de CO2 mesurée en fin d’expiration dans les gaz expirés (PETCO2). En effet, la dilution des gaz provenant d’alvéoles bien perfusées par ceux des alvéoles mal perfusées diminue la PETCO2 tandis que la réduction de la ventilation alvéolaire au profit de celle de l’espace mort augmente la PaCO2. Au cours du pneumopéritoine, le gradient Pa-ETCO peut augmenter [9], rester stable [2, 10, 11, 12, 13] ou diminué si la PaCO2 est supérieure à 41 mmHg. Il semble en fait que, chez les patients ASA I ou II non insuffisants respiratoires chroniques en position proclive, l’effet espace mort soit négligeable. Un élargissement du gradient PaCO2-PETCO2 est en revanche retrouvé en position de Trendelenburg [2, 13], lors de prolongation de l’intervention [14], de pathologies cardiovasculaires et d’obésité. VENTILATION MECANIQUE AU BLOC OPERATOIRE En utilisant la méthode du «single breath test CO2» en couplant la fraction expirée de CO2 et le volume expiré Bures et coll apportent quelques éclaircissements sur ces mécanismes [10]. En effet cette méthode permet l’appréciation graphique de l’espace mort alvéolaire, et la ventilation alvéolaire à partir de la production de CO2 (VCO2) et de la fraction alvéolaire en CO2. La ventilation était maintenue constante 96 mL.kg-1.min-1 et le pneumopéritoine à 12 mmHg. Chez les 15 patients ASA I ou II de l’étude, la PETCO2 et la VCO2 ont augmenté, le gradient PaCo2 - PETCO2 est resté positif et non modifié chez 7 patients, et était diminué, voire négatif chez 8 patients au cours du pneumopéritoine. Il n’existe pas de modification de la ventilation alvéolaire moyenne. L’espace-mort physiologique et l’espace-mort alvéolaire établi chez 7 patients sont restés inchangé. Ces auteurs concluent donc que, chez des patients ASA I et II, seul le CO2 réabsorbé augmente la fraction expirée de CO2 au cours d’un pneumopéritoine de 12 mmHg et avancent l’hypothèse que de grands volumes de CO2 insufflé favorisent un gradient négatif entre la PaCO2 et la PETCO2. 1.2. OXYGENATION L’augmentation de la pression intra-abdominale, en modifiant les échanges gazeux par compression des régions basales et postérieures du poumon à l’origine d’atélectasies, pourrait faire suspecter un effet shunt. Cependant, il a été montré que la consommation d’oxygène n’était pas modifiée au cours du pneumopéritoine [5, 15] et que l’oxygénation n’était pas modifiée, voire même augmentée au cours du pneumopéritoine [15]. De plus, l’admission veineuse n’est pas modifiée par le pneumopéritoine [15]. Dans cette étude, les auteurs émettent l’hypothèse que la création du pneumopéritoine s’accompagnerait d’une pression positive de fin d’expiration mais ceci n’est pas démontré. 2. VENTILATION CONTROLEE Le pneumopéritoine la rend obligatoire. Les paramètres ventilatoires seront réglés sur les données de la capnographie [9]. Une augmentation de la ventilation minute d’environ 30 % permet généralement de maintenir une normocapnie. Cette adaptation sera autant que possible obtenue en jouant sur la fréquence pour éviter de trop fortes pressions trachéales et des mouvements diaphragmatiques trop amples en sachant cependant que l’augmentation de ventilation/minute pour maintenir une normocapnie sera plus importante en modifiant la fréquence respiratoire par rapport au volume courant [5]. Le fait de rajouter une pression expiratoire positive inférieure à 5 mmHg ne modifie pas de manière sensible les répercussions hémodynamiques du pneumopéritoine et s’oppose à la baisse de la CRF. Le maintien d’une normocapnie n’est pas toujours possible chez les patients ayant une fonction cardiorespiratoire altérée ou en cas d’insufflation extrapéritonéale. Il n’existe pas de données permettant de définir une limite «acceptable» de PaCO2 et d’acidose respiratoire cliniquement tolérable. Il semble cependant qu’une valeur de pH de 7,20 et une PaCO2 de 65 mmHg soient des valeurs limites raisonnables en absence de contreindications classiques de l’hypercapnie telle que l’hypertension intracrânienne. 3. CAPNOGRAPHIE La pression télé-expiratoire en CO2 (PETCO2) est le témoin de la production de gaz carbonique par le métabolisme cellulaire, de l’absorption de celui-ci à partir de la cavité péritonéale, de son transport et des échanges pulmonaires. Comme nous l’avons vu, le gradient entre la PETCO2 et la PaCO2 peut lui aussi varier au cours de la laparoscopie. Toute modification brutale de la PETCO2 traduit une complication : 53 54 MAPAR 1999 • une élévation rapide de quelques millimètres de mercure revenant en quelques minutes aux chiffres de base, peut être le témoin d’embolies gazeuses minimes de CO2 ; • une élévation plus progressive et durable dans le temps traduit souvent une diffusion extrapéritonéale du CO2 (pré-péritonéale, sous-cutanée, rétropéritonéale, média-stinale…). Cet accroissement du CO2 expiré se prolonge parfois plusieurs heures au-delà de l’exsufflation du pneumopéritoine et justifie la surveillance de la capnographie en salle de réveil ; • toute perturbation circulatoire diminuera l’expiration de CO2. Une baisse rapide de PETCO2 peut traduire une chute du débit cardiaque ou une diminution du retour veineux, mais aussi une oblitération artérielle pulmonaire. • Plus que l’hypercapnie, la chute brutale du CO2 expiré traduit toujours une complication grave. Les changements de position comme le Trendelenburg ou le décubitus latéral peuvent modifier la valeur de la PETCO2. L’évaluation parfois incorrecte de la PaCO2 par la PETCO2 a fait proposer le monitorage du CO2 transcutané qui serait un meilleur reflet de la PaCO2 mais qui pose un certain nombre de problèmes techniques. Chez les patients à risque et en cas de variations importantes de la PETCO2 ou des paramètres hémodynamiques, la mesure de la PaCO2 s’impose. La surveillance continue et parallèle de la PETCO2 et de la PaCO2 pourrait être d’un très grand intérêt pour la surveillance des retentissements physiopathologique du pneumopéritoine. 4. COMPLICATIONS RESPIRATOIRES PEROPERATOIRES 4.1. EMPHYSEME SOUS-CUTANE L’emphysème sous-cutané est assez fréquent, il peut parfois être massif et atteindre le visage. Souvent en rapport avec une fuite pré- ou rétropéritonéale à partir d’un trocart, son diagnostic est fait sur l’élévation de CO2 expiré et sur la visualisation de l’emphysème. Il impose au chirurgien de revérifier tous les points de pénétration des trocarts et de baisser si cela est possible la pression d’insufflation. Dans la période postopératoire, ces emphysèmes peuvent être responsables d’une hypercapnie persistante et de douleurs. En règle générale, la réabsorption de ces emphysèmes est relativement rapide en quelques heures. 4.2. INTUBATION SELECTIVE Une intubation sélective peut aussi être à l’origine d’une hypercapnie et doit être évoquée systématiquement. Elle est liée au pneumopéritoine et à la position de Trendelenburg qui refoule le diaphragme et entraîne une ascension de la carène [16]. 4.3. PNEUMOTHORAX Il peut résulter d’un barotraumatisme, lié à l’hyperpression intrathoracique ou d’un passage de gaz carbonique de la cavité abdominale vers la plèvre, à l’occasion d’une brèche chirurgicale (chirurgie œsophagienne le plus souvent). Des malformations congénitales mettant en contact la cavité pleurale et la cavité abdominale ont aussi été évoquées pour rendre compte de ces «capnothorax». La diffusion de CO2 dans le thorax à été plusieurs fois décrite, surtout dans la chirurgie proche du hiatus œsophagien. Fréquemment, peu symptomatiques et de diagnostic fortuit, ces épanchements peuvent prendre un caractère compressif dramatique (élévation des pressions respiratoires, hypercapnie majeure, syndrome cave supérieur, collapsus...) qui impose l’exsufflation VENTILATION MECANIQUE AU BLOC OPERATOIRE rapide du pneumopéritoine ou pour certains l’introduction d’une pression expiratoire positive [17]. 4.4. EMBOLIE GAZEUSE L’incidence de l’embolie gazeuse est faible, estimée entre 0 et 0,6 % des cœliochirurgies. En fait, il est vraisemblable que les formes frustes, qui se manifestent par des troubles neurologiques non spécifiques ou par un simple retard de réveil soient beaucoup plus nombreuses. Elles peuvent aussi se confondre avec les autres complications hémodynamiques de la cœliochirurgie, comme les obstacles aigus au retour veineux ou les troubles du rythme, sans compter avec les formes retardées qui surviennent à la fin de l’intervention, lorsque l’exsufflation du pneumopéritoine libère des bulles de CO2 piégées dans la circulation mésentérique ou portale. Le volume de l’embol gazeux conditionne la symptomatologie clinique. Seules les embolies de faible débit (inférieur à 0,3 ml/kg chez le chien) s’accompagnent d’une augmentation de la PETCO2 qui traduit l’élimination du CO2 intravasculaire par l’émonctoire pulmonaire. Lorsque le volume de l’embol gazeux augmente, la PETCO2 chute, par diminution des échanges au niveau du lit capillaire pulmonaire et/ou par arrêt circulatoire. La porte d’entrée se situe le plus souvent au niveau d’une grosse veine (veine iliaque, veine cave inférieure), ponctionnée lors de la mise en place de l’aiguille de Palmer en début d’insufflation. Un autre point d’entrée se situe au niveau des plexus veineux péri-ombilicaux. Les plaies vasculaires peropératoires ne conduisent à une embolie gazeuse que si la pression du pneumopéritoine est très proche de la pression veineuse. Si elle est supérieure, comme c’est le cas le plus souvent en cœliochirurgie, le collapsus des vaisseaux empêche toute entrée de gaz. Dans les rares situations où la pression veineuse est supérieure à la pression du pneumopéritoine, la brèche vasculaire s’accompagne d’une hémor-ragie [18]. La pollution du CO2 intra-abdominal par du protoxyde d’azote diffusant à partir du circuit anesthésique ou de l’oxyde de carbone provenant du bistouri électrique aggrave les répercussions de l’embolie gazeuse car ces gaz sont moins solubles que le CO2 (toute suspicion d’embolie gazeuse implique le passage à une FiO2 = 100 %). Néanmoins, la faible incidence des embolies gazeuse au cours de la chirurgie laparoscopique ne justifie pas d’écarter systématiquement le protoxyde d’azote des protocoles anesthésiques mais seulement l’interruption de son administration en cas de suspicion d’embolie gazeuse. La persistance de communication inter-auriculaire chez 30 % des sujets jeunes peut expliquer les embols systémiques et des complications neurologiques. Les mesures prophylactiques sont essentielles et doivent être appliquées systématiquement. Il s’agit des tests d’aspiration réalisés lors de mise en place de l’aiguille de Palmer, mais aussi du recours à une «open laparoscopy» lorsqu’une difficulté d’insufflation est prévisible (abdomen multi-opéré). D’une manière plus générale, il est important de limiter le débit d’insufflation à un litre par minute aussi longtemps que celle-ci est aveugle. L’utilisation d’un doppler œsophagien ou précordial, ou à défaut d’un simple stéthoscope est utile pour détecter précocement une embolie gazeuse dans les situations à risque. 5. CAS PARTICULIERS 5.1. PATHOLOGIES RESPIRATOIRES Les variations de la mécanique ventilatoire et surtout des pressions intrathoraciques induites par l’augmentation de pression intra-abdominale peuvent constituer des limi- 55 56 MAPAR 1999 tes à la réalisation d’une chirurgie laparoscopique chez certains patients. L’augmentation des pressions dans les voies aériennes qui en découle peut avoir des conséquences néfastes pour des malades présentant une bronchopneumopathie chronique obstructive. Le réglage des paramètres de ventilation contrôlée devra viser à limiter autant que possible les pressions inspiratoires tout en assurant une ventilation suffisamment efficace pour maintenir une capnie proche de celle avant l’intervention. Ce compromis est parfois difficile en raison des perturbations de la mixique ventilatoire en rapport avec la pathologie préexistante. Par ailleurs l’existence d’une PEP intrinsèque rend difficile la correction d’une hypercapnie induite par l’insufflation intrapéritonéale. L’augmentation du volume courant et de la fréquence respiratoire ont pour conséquence un accroissement de la PEP intrinsèque et une aggravation de l’hyperinflation pulmonaire dynamique. 5.2 OBESITE Paradoxalement, le pneumopéritoine semble mieux supporté sur le plan respiratoire chez l’obèse que chez le patient qui ne l’est pas [19]. En tout état de cause, le bénéfice postopératoire de la laparoscopie par rapport à la laparotomie est majeur. 5.3. GROSSESSE La cœlioscopie est une intervention fréquente au cours de la grossesse, mais des études animales récentes incitent à la prudence : l’insufflation péritonéale s’accompagne d’une chute de 40 % du débit sanguin placentaire avec chez le fœtus une diminution de la PaO2 et du pH ainsi qu’une augmentation du rythme cardiaque. Les femmes enceintes semblent présenter fréquemment des épisodes d’hypoxies et d’acidoses ventilatoires [20]. 6. ALTERNATIVE A L’INSUFFLATION DE CO2 6.1. UTILISATION D’UN AUTRE GAZ Le CO2 avait été choisi du fait de sa grande solubilité dans le plasma et de moindre retentissement lors d’une embolie gazeuse. Un certain nombre d’études ont montré que l’insufflation de gaz rares à l’intérieur de la cavité péritonéale ne s’accompagnait pas d’augmentation de la PaCO2 aussi bien chez l’homme que chez l’animal [21]. Ces données corroborent le fait que pour de faibles pressions d’insufflation, et chez des patients ne présentant pas de pathologie, seule une réabsorption de CO2 intervient dans l’hypercapnie observée au cours du pneumopéritoine. En revanche, lorsque la pression intrapéritonéale augmente, une hypercapnie se développe [4]. 6.2. UTILISATION D’UNE SUSPENSION PARIETALE L’utilisation d’une suspension pariétale ne s’accompagne pas de modification hémodynamique [22], et il n’existe pas d’augmentation de la PaCO2, une légère alcalose et une augmentation de la compliance pulmonaire ont même été décrites. Cependant, la vision chirurgicale semble moins bonne. 7. CONSEQUENCES VENTILATOIRES POSTOPERATOIRES Si la chirurgie laparoscopique s’accompagne de perturbations respiratoires importantes durant l’intervention, elle présente de nombreux avantages dans la période postopératoire. La fonction respiratoire est moins altérée et plus rapidement restaurée, et l’hypoxémie postopératoire moins prolongée après chirurgie laparoscopique qu’après une chirurgie par laparotomie. Cependant, les tests de fonction respiratoire nécessitant VENTILATION MECANIQUE AU BLOC OPERATOIRE une inspiration maximale sont diminués de plus de 20 % 16 heures après la chirurgie laparoscopique probablement liés à une dysfonction diaphragmatique moins durable [23]. L’origine de cette dysfonction diaphragmatique après laparoscopie reste encore mal définie. Une stimulation péritonéale viscérale et vésiculaire paraît probable, mais elle serait identique dans les deux types de chirurgie. L’inhibition phrénique retrouvée après chirurgie vésiculaire est d’ailleurs beaucoup plus importante qu’après chirurgie laparoscopique pour réparation herniaire. Le CO2 résiduel dans la cavité péritonéale ne semble pas en cause ; en effet, chez des patientes opérées de simples cœlioscopies diagnostiques sous anesthésie locale, un pneumopéritoine résiduel important est retrouvé alors que les performances ventilatoires et la fonction diaphragmatique postopératoires ne sont pas altérées [24]. CONCLUSION Les anesthésistes sont de plus en plus souvent confrontés à des gestes laparoscopiques qui se prolongent dans le temps, chez des patients parfois âgés et qui ont des antécédents importants. Les avantages postopératoires de cette technique chirurgicale de plus en plus objectivement démontrés justifient certainement une telle évolution. Si le retentissement respiratoire du pneumopéritoine est le plus souvent sans conséquence chez des patients sans antécédent, il complique la prise en charge des patients les plus fragiles. Un protocole anesthésique adapté, une connaissance des risques et une surveillance étroite permettent au plus grand nombre de ces patients de bénéficier de cette technique. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Schoeffler P, Haberer JP, Manhes H, Henry C, Habouzit JL. Répercussions circulatoires et ventilatoires de la coelioscopie chez l’obèse. Ann Fr Anesth réanim 1984;3:10-5 [2] Puri GD, Singh H. Ventilatory effects of laparoscopy under general anaesthesia. Br J Anaesth 1992;68:211-3 [3] Mullet CE, Viale JP, Sagnard PE, Miellet CC, Ruynat LG, Counioux HC, Motin JM, Boulez JP, Dargent DM, Annat GJ. Pulmonary CO 2 elimination during surgical procedures using intra- or extraperitoneal CO2 insufflation. Anesth Analg 1993;76:622-6 [4] Lister DR, Rudson-Brown B, WarrinerA CB, McEwen J, Chan M, Walley KR. Carbon dioxide absorption is not linearly related to intraperitoneal carbon dioxide insufflation pressure in pigs. Anesthesiology 1994;80:129-36 [5] Hirvonen EA, Nuutinen LS, Kauko M. Ventilatory effects, blood gas changes and oxygen consumption during laparoscopic hysterectomy. Anesth Analg 1995;80:961-6 [6] Oikkonen M, Tallgren M. Changes in respiratory compliance at laparoscopy: measurements using side stream spirometry. Can J Anaesth 1995,42:495-7 [7] Fahy BG, Barnas BG, Flowers JL, Nagle SE, Njoku M. The effects of increased abdominal pressure on lung and chest wall mechanics during laparoscopic surgery. Anesth Analg 1996,81:744-750 [8] Bazin JE. Retentissement cardiovasculaire du pneumopéritoine dans la chirurgie laparoscopique. In: P Coriat ed. Les contraintes circulatoires et le risque cardiaque de l’anesthésie. Paris:Arnette. 1997;229-44 [9] Whaba RW, Mamazza J. Ventilatory requirements during laparoscopic cholecystectomy. Can J Anaesth 1993;40:206-10 [10] Bures E, Fusciardi J, Lanquetot H, Dhoste K, Richer JP, Lacoste L. Ventilaroty effects of laparoscopic cholecystectomy. Acta Anaesthesiol Scand 1996;40:566-73 57 58 MAPAR 1999 [11] Nyarwaya JB, Mazoit JX, Samii K. Are pulse oximetry and end-tidal carbon dioxide tension monitoring reliable during laparoscopic surgery? Anaesthesia 1994;49:775-8 [12] Odeberg S, Ljungqvist O, Svenberg T, Gannedahl P, Bäckdahl M, von Rosen A, Sollevi A. Haemodynamic effects of pneumoperitoneum and the influence of posture during anaethesia for laparoscopic surgery. Acta Anaesthesiol Scand 1994;38:276-83 [13] Tan PL, Lee TL, Tweed WA. Carbon dioxide absorption and gas exchange during pelvic laparoscopy. Can J Anaesth 1992;39:677-81 [14] Joris J, Cigarini I, Legrand M, Jacquet N, de Groote D, Franchimont P, Lamy ML. Metabolic and respiratory changes after cholecystectomy performed via laparotomy or laparoscopy. Br J Anaesth 1992;69:341-5 [15] Odeberg S, Sollevi A. Pneumoperitoneum for laparoscopic surgery does not increase venous admixture. Eur J Anaesthesiol 1995,12:541-8 [16] Hamm P, Lang C, Fornecker ML, Bruant P, Vuillemin F. Intubation bronchique sélective à répétition au cours d’une cholécystectomie cœlioscopique. Ann Fr Anesth Réanim 1993;12,67-9 [17] Joris J, Chiche JD, Lamy L. Pneumothorax during laparoscopic fundoplication: diagnosis and treatment with positive end-expiratory pressure. Anesth Analg 1995;81:993-1000 [18] Bazin JE, Gillart T, Rasson P, Conio N, Aigouy L, Schoeffler P. Haemodynamic conditions enhancing gas embolism after venous injury during laparoscopy: a study in pigs. Br J Anaesthesia 1997;78:570-5 [19] Dumont L,Mattys M, Mardirosoff C, Vervloesem, Allé JL,Massaut J. Changes in pulmonary mechanics during laparoscopic gastroplasty in morbidly obese patients. Acta Anaesthesiol Scand 1997;41:408-13 [20] Cruz AM, Southerland LC, Duke T, Townsend HG, Ferguson JG, Crone LA. Intraabdominal carbon dioxide insufflation in the pregnant ewe. Uterine blood flow, intraamniotic pressure and cardiopulmonary effects. Anesthesiology 1996;85:1395-402 [21] Rademaker BMP, Bannenberg JJG, Kalkman CJ, Meyer DW. Effects of pneumoperitoneum with helium on hemodynamics and oxygen transport: a comparizon with carbon dioxide. J Laparoendosc Surg 1995;5:15-20 [22] Rademaker BMP, Meyer DW, Bannenberg JJG, Klopper PJ, Kalkman CJ. Laparoscopy without pneumoperitoneum. Effects of abdominal wall retraction versus carbon dioxide insufflation on hemodynamics and gaz exchange in pigs. Surg Endosc 1995,9:797-801 [23] Couture JG, Chartrand D, Gagner M, Bellemare F. Diaphragmatic and abdominal muscle activity after endoscopic cholecystectomy. Anesth Analg 1994;78:733-9 [24] Benhamou D, Simonneau G, Poynard T, Goldamn M, Chaput JC, Duroux P. Diaphragm function is not impaired by pneumoperitoneum after laparoscopy. Arch Surg 1993;128:430-2